Etude IPSOS – Zéro Papier, mythes et réalités

Alors que la première partie quantitative de l’étude, de portée quasi-exclusivement sociétale, soulignait combien les Français nourrissent des inquiétudes vis-à-vis d’un monde numérique qu’ils ont à la fois massivement adopté tout en refusant de tout lui céder, cette seconde partie qualitative posait une question claire : quelle traduction stratégique s’est opérée – ou est en train de s’opérer – chez les acteurs d’une filière qu’on n’a cessé de dire en proie à un grand chambardement digital ?

S’il était une conséquence essentielle à retenir de l’intensification des usages numériques, la chose serait vite entendue pour Marie-Laure Lerolle (Directrice département média IPSOS), qui n’hésite pas à désigner en premier lieu la question de notre rapport au temps : « Il nous faut tout, tout de suite. Le digital répond à une nouvelle priorité, celle de l’instantanéité ». Une sommation à l’immédiateté dont on pourrait croire, de prime abord, qu’elle condamne effectivement la staticité (certes relative, mais réelle) du papier. C’est en tout cas probablement un facteur qui a participé de l’emballement prédisant voilà quelques années un « zéro papier » qui ne s’est quasiment réalisé nulle-part, la logique du « tout, tout de suite » ayant été érigée en invariable injonction marketing, couplée aux promesses de la data récoltée à peu de frais par une moisson de clics. Sauf que rien ne se passera exactement comme prévu et que de complexifications inattendues en désillusions différemment anticipées, la réalité de la dématérialisation des contenus s’est vu épouser des formes beaucoup plus nuancées…

Transformation numérique : des organisations bouleversées

Cinquante entretiens longs – une heure minimum – ont permis de dégager chez des professionnels interrogés (annonceurs, donneurs d’ordre, éditeurs, organes de Presse, agences publishing, afficheurs, institutionnels, fournisseurs etc.) une volonté de transformer l’entreprise, a minima dans son organisation. « La façon de travailler a changé pour aller vers plus d’horizontalité. De nouvelles fonctions sont apparues, avec l’émergence de nouveaux profils et l’arrivée de digital natives décomplexés, employant un langage différent voire excluant » développe Marie-Laure Lerolle. Ainsi la transformation numérique s’est-elle aussi accompagnée d’une réduction des espaces de travail, d’une volonté de restreindre les stocks à leur portion congrue (voire les éliminer) et d’une mutualisation des services chez de nombreux groupes internationaux. « L’enjeu pour les entreprises à travers ces mutations consiste à réaliser des économies globales » souligne-t-elle, précisant dans la foulée que ce sont bien « des économies de frais de transport et d’affranchissement » que visent prioritairement les entreprises les plus enclines à dématérialiser leur communication, ou à seulement envisager de le faire. Des calculs financiers dont les Français ne sont pas dupes, Marie-Laure Lerolle rappelant en effet que pour 64 % d’entre eux, « La généralisation de l’usage d’Internet sert uniquement à réduire les coûts des entreprises et des administrations ». Une observation qui pour le coup corrobore parfaitement les verbatim extraits des entretiens qualitatifs conduits par l’institut.

Le coût du risque…

Pour autant, la chose s’avère extrêmement paradoxale puisque si les initiatives de dématérialisation sont prioritairement commandées par une volonté de réduire les coûts, elles embarquent des dépenses inhérentes de sécurisation des données souvent sous-estimées… « Plus on veut de sécurité, plus c’est cher » souligne Marie-Laure Lerolle, qui relate ici une remarque forte et particulièrement symbolique de ce que les différents entretiens ont révélé. Un coût proportionnel à l’ampleur du transfert des contenus vers des devices connectés (et donc plus exposés aux risques), que peu sont par ailleurs en capacité d’évaluer précisément, tant les démarches sont complexes et changeantes. « Sécuriser la data fait figure d’enjeu incontournable et suppose des charges lourdes » confirme-t-elle en effet, dans un contexte où le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), dont les dispositions seront applicables au 25 mai 2018, exige un important travail de mise en conformité, qui sera immanquablement amené à se prolonger. Certains voient même là « la priorité de demain », jusqu’à consacrer des départements entiers à la cyber-sécurité, à des fins certes à la fois d’adaptation réglementaire, mais également avec une volonté de prévenir tout incident, tant de potentielles pertes/fuites de données portent une charge de scandale capable de nuire très durement à l’image d’une marque. D’où ce curieux paradoxe : plus on souhaite s’affranchir des coûts liés à la communication imprimée, plus on s’assure de consentir à d’autres coûts, procédant de la sécurisation nécessaire de contenus dématérialisés rendus plus fragiles et volatiles…

Un monde digital complexe

« Pour 65 % des Français, les documents papier rassurent plus que les documents numériques » rappelle Marie-Laure Lerolle, chose qui fait étonnamment écho aux remarques essaimées par des professionnels qui admettent sans résistance que le monde digital complique les choses, et non l’inverse. C’est d’ailleurs là un autre stéréotype qui tombe, la dématérialisation des contenus ayant été à la remorque d’une campagne de « simplification des démarches administratives » qui ignore à la fois les zones blanches exclues de la couverture numérique, le défaut d’équipement chez une part évidemment minoritaire mais non négligeable de la population, tout en générant une escalade techniciste ainsi qu’une multiplication des intermédiaires particulièrement complexe… « On est de plus en plus dépendant des systèmes d’information et des DSI, ça devient l’empire dans l’empire » énonce un verbatim mis en exergue par IPSOS, dans ce qui semble créer une inertie d’autant plus problématique que le moindre changement doit donc faire intervenir différents prestataires. « Au final, la complexité du digital en fait un outil potentiellement plus cher que le recours à un support physique » fait observer Marie-Laure Lerolle, qui se doit malgré tout de constater que les investissements digitaux continuent de croître, Internet n’en finissant pas de préempter la croissance publicitaire…

… Jusqu’à l’exaspération ? Perçue comme particulièrement intrusive, la publicité en ligne a vu près de 4 internautes sur 10 en France s’équiper d’un ad-block quand à titre de comparaison, le Stop-Pub est apposé sur 17 % des boites aux lettres. C’est là tout le paradoxe d’un environnement numérique à la fois hégémonique – et donc incontournable – mais aussi source de défiance, d’incertitudes et de raccourcis révélés au grand jour, les réductions de coûts promis par la dématérialisation des contenus se voyant très largement bridés par une complexité encore difficile à juguler pour beaucoup d’acteurs, contraints d’admettre une forme de dépendance nouvelle vis-à-vis de leurs prestataires, dans un contexte où la sécurisation coûte cher. Encore en phase d’équilibrage, le rapport print/dématérialisation varie énormément en fonction des marchés considérés, mais à n’en pas douter, les ajustements se feront maintenant au plus juste des « réalités », quand les « mythes » d’hier ne sont guère plus aujourd’hui que des illusions déçues.

Que le support de réception du message soit laissé au libre choix de chacun fait figure de revendication particulièrement forte chez les Français. On note également une réticence pour ce qui apparaît comme un transfert à marche forcée vers le numérique chez les industriels et les donneurs d’ordre.

Les mythes d’hier ne sont pas tous tombés, le plus persistant d’entre eux concernant les impacts environnementaux attachés à l’imprimé, massivement surévalués et signes de la difficulté à combattre certaines idées reçues…

Thème central d’une restitution qui a particulièrement insisté sur cette notion, la confiance des citoyens en l’imprimé – déjà initialement élevée – augmente de façon très nette à mesure des échanges qui s’engagent à son propos. L’indice de confiance augmente également pour le support numérique entre le début et la fin du questionnaire, mais subsiste à son sujet une méfiance notable.