Cet article est paru en 2019, dans le numéro 127 de notre magazine Acteurs de la filière graphique. Retrouvez tous les numéros sur notre page dédiée.
INDUSTRIE TEXTILE ET INDUSTRIES GRAPHIQUES, MÊMES COMBATS ?
En proie à des mutations profondes, le secteur des industries graphiques n’en finit plus de se chercher. Et s’il suffisait pourtant de détourner le regard pour s’intéresser à ce que d’autres métiers dits « en tension » ont entrepris ? Pour illustrer les conditions d’une transformation réussie, c’est Yves Dubief, Président de l’Union des Industries Textiles et VicePrésident du MEDEF, qui nous raconte l’histoire d’un rebond compétitif : celui de l’industrie textile en France…
Sans exagérer l’importance d’une analogie imparfaite par nature – l’industrie textile n’a bien évidemment pas été confrontée à un phénomène de dématérialisation et a dû faire sa propre introspection – il existe bel et bien, selon Pascal Bovéro, Délégué général de l’UNIIC, « des liens de connexité avec la situation des industries graphiques ». Alors qu’Yves Dubief aime rappeler combien le secteur textile a su éviter le statut peu flatteur de «ratés de la mondialisation» pour épouser celui de «pionniers de la nouvelle industrie», des éléments de réflexion croisés viennent ici nourrir des échanges à la fois instructifs et inspirants…
Après la crise, le bon sens en circuit court
La success story du Slip Français, largement médiatisée, a semblé indiquer un mouvement de relocalisation industrielle, modeste mais encourageant, dont l’écho symbolique a probablement été double : déjà parce qu’il entre en forte résonnance avec les envies de « localisme » caractéristiques d’une époque où les excès de la mondialisation sont honnis par une part grandissante des consommateurs, et parce que l’industrie textile a probablement incarné, tout particulièrement en France, l’archétype-même du secteur dévasté par la concurrence des pays à bas coût de main d’œuvre. De fait, appeler sa marque «Le Slip Français» fut déjà en soi une habile décision stratégique, en même temps qu’une promesse politique claire, qui a notamment vu Guillaume Gibault, son Président, dire expressément ceci : « Un produit que tu portes, le bon sens c’est qu’il soit fabriqué pas très loin de chez toi et que toute la chaîne de valeur – l’usine, la marque, les fabricants etc. – soit rémunérée à sa juste valeur ». Du bon sens, certes, mais une lente reconstruction pas à pas, après ce qu’Yves Dubief qualifie sans surprise d’«historique lourd» où les fermetures, les restructurations et la casse sociale ont rythmé l’actualité du secteur autour du début des années 2000. L’entrée de la Chine dans l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 2001 et la fin des quotas d’importation textile en 2005 ont en effet considérablement affecté la production française, qui n’a dès lors cessé de chuter… Jusqu’à cette drôle d’annonce : « Les effectifs de l’industrie textile française ont augmenté pour la première fois en 2017 depuis 40 ans », annonçait en effet à mi-2018 l’Union des Industries Textiles. Un an plus tard et à la lumière des chiffres communiqués pour l’année 2018 (2164 entreprises, 61296 emplois et 13,6 milliards d’euros de CA) le rebond constaté en 2017 s’est ainsi poursuivi, confirmant le ressenti selon lequel il s’agirait moins là d’un sursaut incongru et sans lendemain, que d’une forme de rétablissement stratégique de long terme.
Pour innover, maintenir la technicité des savoir-faire
« Nous avons rebondi grâce à nos acteurs, autour de quatre mots magiques : internationalisation, créativité, réactivité et innovations » estime Yves Dubief, qui souligne dans la foulée que « 50 % de l’activité du secteur en France se trouve dans les tissus techniques et industriels. Les deux grandes mamelles de notre industrie aujourd’hui sont d’ailleurs l’aéronautique et la santé» poursuit-il, évoquant notamment à titre illustratif les tissus carbone que l’on peut retrouver dans des fuselages d’avions. D’où l’absolue nécessité de creuser le sillon des savoir-faire de pointe, avec la meilleure arme sectorielle qui soit : des centres techniques et/ou de recherche, où l’innovation peut être à la fois stimulée et partagée. « Nous bénéficions pour cela de l’apport de l’Institut Français du Textile et de l’Habillement (IFTH), qui est présent essentiellement à Lyon et à Paris, mais dont on trouve des émanations sur l’ensemble du territoire français. Nous avons en région Nord le Centre Européen des Textiles Innovants ainsi que l’école ENSAIT – la première école d’ingénieurs textiles européenne – à Roubaix, l’Institut Français de la Mode à Paris, nous avons également deux pôles de compétitivité, etc. » détaille à la volée Yves Dubief, qui vante là « un maillage d’outils crucial pour le développement de l’industrie textile française ». Une industrie qui, forte de sa haute technicité, est exportatrice nette, ce qui n’est pas un mince avantage. Car si les bouleversements subis et précédemment décrits appelaient en effet de telles réponses «innovantes», encore fallait-il pouvoir mener ce travail de fond en se dotant des structures idoines… « Nous devons, nous aussi, travailler à nous doter d’un centre technique qui soit le plus inclusif possible. Il doit notamment impliquer les fournisseurs et les partenaires sociaux car il nous faut être responsables » rebondit Pascal Bovéro, persuadé qu’il faut par ailleurs « tendre la main aux créatifs, que nous avons laissé tomber ». L’ambition est claire : elle consiste à construire une approche collective pérenne autour du travail de recherche & développement – du substrat aux procédés – de sorte à ce que les résultats en soient le plus partageables et partagés possible.
Du local, pas du lowcost
Mais l’autre levier par lequel le textile français s’est donc redressé – et par lequel il l’a fièrement fait savoir – ramène incontestablement à sa qualité de produit «made in France». Le label France terre textile® garantit ainsi que plus des trois quarts des opérations de production d’un article labellisé sont réalisées en France, selon des critères de fabrication en circuit court, de qualité et de RSE. « Il faut un récit autour de ces articles : comment sont confectionnés les produits que j’achète ? » confirme en effet Yves Dubief, rappelant qu’une campagne explicitement intitulée «Lowcost ou Local?» s’est récemment chargée d’illustrer combien cette simple réalité – à savoir qu’acheter moins cher implique souvent un coût humain – n’a malheureusement rien perdu de sa véracité, plus de six ans après le drame du Rana Plazza (un bâtiment qui abritait plusieurs ateliers de confection travaillant pour diverses marques internationales de vêtements, s’était en effet effondré le 24 avril 2013 au Bangladesh, causant la mort d’au moins 1127 personnes et devenant le symbole tragique d’un low cost meurtrier, ndlr). En décidant de réinvestir les locaux historiques de l’entreprise dans l’Aube, Le Coq Sportif est un autre exemple récent de relocalisation industrielle encourageante, la marque ayant en effet rouvert un atelier dans ses anciens bâtiments de Romilly-sur-Seine, à proximité de Troyes. Si l’activité affectée est encore concrètement modeste – moins de 10 % du volume global – l’initiative est symboliquement chargée et implique déjà de reconstruire des savoir-faire qui ont pu s’évanouir, ou presque, dans le sillage des fermetures d’antan. Et c’est probablement là une leçon à retenir : si l’on souhaite relocaliser demain, alors faut-il maintenir aujourd’hui les infrastructures permettant de rester à la pointe des sujets technico-industriels, tant en termes de recherche & développement que de formation… « Oser toujours, dévier parfois, mais ne renoncer jamais » conclut Yves Dubief, qui dit porter en cette devise un peu plus qu’une simple belle formule : certainement les bases par lesquelles les sorties par le haut peuvent s’envisager, quelles qu’aient pu être les crises préalablement subies et les dommages sociaux en découlant.