Cet article fait partie du numéro 129 de notre magazine Acteurs de la filière graphique. Retrouvez tous les numéros sur notre page dédiée.

ET SI ON METTAIT L’IMPRESSION AU SERVICE DE LA SANTÉ ?

Pris de cours – comme probablement nombre d’entre vous – par une crise sanitaire qui a bousculé en des temps records à la fois nos plans et nos repères, tel article n’était évidemment pas prévu. C’est donc spontanément – et en dernière minute – que nous nous risquons à mettre des mots sur le rôle que peut jouer le média imprimé, dans une situation d’urgence pensée au jour le jour…

L’urgence sanitaire exige en premier lieu une pause de l’activité productive, quels qu’en soient les risques économiques. Soyons clairs : l’imprimerie au sens large ne saurait faire exception, pour des raisons de priorité sanitaire qui n’appellent aucune contestation. Pourtant, il est des domaines essentiels pour lesquels continuer d’imprimer s’imposera de fait…

L’imprimé : (partiellement) indispensable

Imprimer, c’est essentiel ? A de nombreux égards, oui : à la fois pour assurer la continuité de la Presse d’Information Politique et Générale (relevant des fondamentaux de l’information et non du loisir & divertissement), pour l’ensemble des Industries de l’emballage & du conditionnement alimentaire (ou ayant un lien avec les domaines de l’hygiène et de la sécurité) ou encore pour toute impression qui a trait aux fonctions régaliennes de l’Etat, comme les instruments de paiement fiduciaires. De façon analogue, le secteur papetier – par la voix de la Copacel – s’est appliqué à souligner combien le matériau papier est indispensable à ce que l’article 15 de la Loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 définit comme « nécessaires à la sécurité de la nation ou à la continuité de la vie sociale et économique » : papiers et cartons d’emballage alimentaires, conditionnements, produits d’hygiène ou même sanitaires (rappelons en effet que certains masques chirurgicaux par exemple sont faits de papier) etc. Mais plus encore que de débattre de ce qui doit rentrer ou non dans cette définition – certains veulent notamment y inclure le livre, nous y revenons plus bas – il s’agirait peut-être d’appréhender différemment la situation : car l’imprimé, au-delà de l’importance qu’on lui reconnaît déjà dans les segments sus-cités, pourrait effectivement rendre de précieux services en période de crise, à condition de faire un pas de côté…

Confinement : le numérique en surchauffe

Nulle n’est notre intention de contester à quel point le télétravail s’impose en pareil cas comme un inévitable refuge en forme d’indispensable atout. Mais, au regard de la surcharge des serveurs observée dans la foulée du confinement décidé par le Gouvernement (de nombreuses pannes ont été signalées et ont signifié les insuffisances structurelles du réseau à ce jour), il apparaît que les solutions connectées ne feront pas tout. Si certains ont vu leurs conditions de travail effectivement se dégrader sous le double effet de l’aménagement d’un bureau de fortune à leur domicile, couplé à la saturation générale du réseau Internet français, se pose aussi notamment la question des cours « numériques » proposés aux élèves, qui ont vu nombre de parents tenter de se substituer à un instituteur ou, dans les cas les moins confortables, à une dizaine de professeurs déclinant chacun leurs propres exigences pédagogiques, par e-mail. Alors que la tâche n’a déjà rien d’aisé pour des parents inégalitairement aptes et équipés pour être les relais des professeurs de leurs enfants, les plateformes numériques mises en place sont rapidement entrées en surchauffe, jusqu’à être parfois inaccessibles pour de nombreux élèves. D’où la pertinence d’imaginer mettre à disposition des supports de cours imprimés, qui auraient le mérite de fonctionner sans être conditionnés à la bonne tenue du réseau et de ne pas désavantager les familles qui ne disposent pas forcément des outils numériques adéquats. De façon à peine dérivée, proposer également des supports de jeu, d’éveil et/ou de divertissement pourrait tout autant s’envisager, dans la limite des contenus déjà disponibles pour répondre à l’urgence et des conditions de production/distribution, évidemment profondément affectées de toute façon. Une chose est en tout cas certaine : dans les domaines de l’éducation et des contenus pédagogiques, la complémentarité des supports s’impose plus encore qu’ailleurs…

« Imprimer, c’est essentiel ? A de nombreux égards, oui ! »

Communication de crise : être vu par delà les écrans

Par ailleurs, même en des temps où le curieux spectacle des rues désertes s’offre à nous, les panneaux publicitaires – si décriés d’ordinaire – pourraient être de précieux relais d’information des consignes sanitaires, rappelant ainsi à l’ordre les éventuels promeneurs peu soucieux de respecter lesdites consignes. De quoi remettre en lumière la fonction première des outils de communication visuelle, qui ne sont pas (et ne doivent pas être) exclusivement inféodés à la publicité dite « consumériste ». Ils peuvent aussi être, circonstanciellement, des relais de gestion de crise. Mutualiser les efforts des créatifs et des imprimeurs pourrait même insuffler à une communication officielle souvent froide – voire anxiogène – un surplus d’imagination et d’impact, pour le bien du message et de son appropriation par la population. Enfin, pour les secteurs tenus de maintenir une continuité d’activité, fournir des kits d’information imprimés – validés par les autorités compétentes, cela va sans dire – pourrait également participer à s’assurer que celles et ceux qui travaillent le font en parfaite connaissance des conditions de sécurité sanitaire exigées, ou plus modestement recommandées : application des gestes barrières, définition des protocoles « sans contact » et autres ajustements ponctuels des conditions d’exercice de son travail.

Ramener les géants du e-commerce à la raison ?

Alors que les commandes record enregistrées par Amazon font débat, la question (encore non-tranchée) de savoir ce qui est « essentiel » et ce qui ne l’est pas, cache mal la subsistance d’anomalies béantes. Devant le tollé provoqué par sa propre suractivité (générant même une campagne de recrutement en pleine crise sanitaire : un comble), Amazon a notamment dit renoncer à vendre tout ce qui n’est pas considéré à ce jour comme « de première nécessité ». Ainsi en va-t-il des livres, qu’il ne serait plus possible de commander chez les géants du e-commerce, réglant (très momentanément seulement) une situation ubuesque qui voyait les librairies fermer, au bénéfice de La Fnac ou Amazon, seules échappatoires fonctionnelles pour quiconque souhaitait bouquiner en période de confinement (sauf à revisiter ses propres bibliothèques, ce qui est toujours source de passionnantes redécouvertes). A condition toutefois que les entreprises concernées respectent leurs propres annonces, puisque rien ne les y oblige encore, à l’heure où nous écrivons ces lignes… Or, de l’avis de quelques curieux : les commandes de livres étaient encore honorées via Amazon – moyennant des temps de livraison supérieurs – 48 heures après lesdites annonces. Si Bruno Le Maire a promis de leur tirer les oreilles (sans trop dire comment), il n’avait pas non plus rejeté l’hypothèse d’inclure la librairie au rang des « commerces de première nécessité » (au nom de la primauté culturelle, semblable selon lui à celle de l’information), autorisant donc éventuellement des réouvertures conditionnées au strict respect des règles sanitaires en vigueur. Mais l’allongement et le durcissement probables des mesures de confinement conduiront probablement à faire l’inverse. Ce sont en effet les sites de e-commerce qui devraient se voir sommés de s’en tenir au strict « nécessaire » : alimentation, santé, hygiène, produits bébé etc. Sans toutefois qu’aucune liste officielle claire n’en délimite les contours, et sans garantir que les entreprises tierces utilisant les sites de e-commerce comme des marketplaces n’outrepassent pas des « règles » de toute façon encore floues… Mais plus encore que de mener des combats consistant à faire valoir des statuts d’exception, arguments lobbyistes à l’appui (soulignons d’ailleurs que le Syndicat National de la Librairie a lui-même rejeté l’idée d’attribuer au livre le statut de « bien de première nécessité »), certainement faut-il se demander quels coups de main l’imprimerie serait aujourd’hui en mesure de donner. Car nous en sommes persuadés : à la marge de ses propres intérêts, le secteur de l’impression est apte à aider, si tant est qu’on lui alloue les moyens d’agir. Pourquoi par exemple ne pas affecter une part plus conséquente des efforts d’acheminement/livraison pour assurer la délivrabilité d’imprimés « d’utilité générale » (cf. nos exemples listés plus haut), quand on s’aperçoit que lesdits efforts s’épuisent à mauvais escient pour les bons comptes d’e-commerçants qui continuent de vendre tout et n’importe quoi ? Pour reprendre l’intitulé de cet article, ce serait donc plus exactement à l’Etat de (re)mettre ses capacités d’impression (notamment, mais pas seulement) au service d’une gestion optimale de la crise sanitaire. Cela n’est pas sans soulever en amont des choix politiques tranchés et assumés comme tels, mais il semblerait que le temps présent s’y prête…