L’UNIIC assure la présidence de la CPNEFP (Commission Paritaire Nationale de l’Emploi et de la Formation) et il nous a semblé important de vous faire part des contributions apportées par Pascal Bovéro lors de la dernière réunion du 4 mai. La formation sera l’un des facteurs clé pour permettre une reprise dans les meilleures conditions et c’est une des facettes essentielle du plan de reprise élaboré par l’UNIIC et l’OPCO-EP.
AVANT-PROPOS
La « branche » Imprimerie Industries Graphiques regroupe quatre secteurs d’activité dont le poids pondéré en nombre d’entreprises peut être synthétisé de la manière suivante :
- Prépresse imprimerie : 79 %
- Sérigraphie : 12 %
- Routage : 6,4 %
- RBD : 2,3 %
Il n’est pas inutile de souligner que 96 % des entreprises de ces secteurs compte moins de 50 salariés, ces entreprises regroupant 60 % effectifs. Le profil-type des secteurs qui a évolué ces dernières années peut se résumer ainsi : Une écrasante majorité de TPE/PME, composées d’une large majorité de salariés (hommes) relevant de la CSP ouvrier ayant en majorité plus de 45 ans.
Le poids des marchés : Là encore, les chiffres doivent être maniés avec prudence, car dans une catégorie (imprimés publicitaires, périodiques, livres) sont agrégés des « produits » qui ont un sens pris dans leur acception large mais recouvrent des réalités, des procédés, des process, des logistiques et pour finir des vulnérabilités d’entreprises peu comparables. Comment comparer en effet un news magazine hebdo à un périodique de communication territoriale ? Comment « sortir » de cette qualification les suppléments week-end de la PQN qui sont solidaires de la marque média du journal et ne peuvent être vendus séparément ? Comment, dans le secteur du livre, comparer le livre scolaire à la littérature générale ? Deux mondes, deux types d’entreprise, deux rapports aux éditeurs, deux expositions au risque.
Ce rappel méthodologique une fois fait, il convient, pour comprendre comment nous devons ensemble accompagner le rebond, garder en mémoire que trois marchés (sous réserve des remarques précédentes) représentent 60 % du marché exprimé en CA.
Munie de ces éléments, l’UNIIC souhaite partager avec vous plusieurs constats dans un contexte qui a vu en quelques semaines s’effondrer une grande partie de l’économie mondiale et de l’économie nationale dont la branche graphique est un outil facilitant l’accélération des échanges et la vitalité de l’économie et de l’emploi.
AVERTISSEMENT
Compte tenu des aléas qui pèse aujourd’hui sur notre paysage industriel, nous livrons quelques données de cadrage qui fondent notre approche sans cependant occulter que nombre de paramètres nous font défaut et que la science économique n’est pas une science exacte.
En outre, le bureau exécutif de l’UNIIC considère, comme je l’ai toujours prétendu, que les cadrages économiques doivent être partagés avec les organisations représentatives des salariés pour comprendre et agir ensemble.
L’IMPACT DE LA PANDÉMIE SUR NOS ACTIVITÉS
Les secteurs graphiques ou de la communication graphique, sont composés d’entreprises dont la taille, l’histoire, la surface financière, les process, le management des hommes et les marchés adressés sont difficilement standardisables (à l’exception du matériel).
Niveau d’activité par grandes catégories
Le niveau d’activité doit donc reprendre cette cartographie :
Les imprimeurs de magazines d’information (presse IPG) sont moins directement touchés du fait de leur statut (seule la volumétrie liée aux cahiers pub s’écroule ), en effet la « presse » quotidienne ou périodique fait partie des biens essentiels même si elle a dû souffrir de trois remises en cause :
- l’effondrement de la pagination publicitaire lié à l’annulation d’événements ;
- un risque majeur pesant sur la distribution du fait de la défaillance de Presstalis ;
- une discontinuité du service postal pour les abonnés.
Les imprimeurs hybrides (imprimés publicitaires et périodiques) ont pu conserver 50 % de leur effectif productif en activité du fait de cette spécificité.
Les imprimeurs orientés publicité ou ayant une activité flyers (enseignes) catalogues moyens tirages, mailings etc. ont arrêté leur production sur site et ne conservent que quelques salariés en fonctions supports en télétravail, le reste des salariés ayant été géré majoritairement de plusieurs manières :
- Arrêts dérogatoires pour garde d’enfants (de 20 à 35 % des effectifs avec un pic pour les quinze premiers jours du mois d’avril) : il faudra toutefois (maintenant que la bascule sur l’activité partielle est actée (sans automatisme d’ailleurs) mesurer l’impact quanti et quali de cette mesure.
- Activité partielle : il faut là encore éclater ce dispositif pour bien en appréhender la portée. Les demandes aux Direcctes centralisées par l’État au niveau statistique et déclenchant les paiements ASP avec des délais de règlements peu en rapport avec les annonces publiques portent sur un peu plus de 12000 salariés (chiffres arrêtés au 20 avril) ; ce chiffre va bien-sûr en premier lieu croître (avec le glissement de certains arrêts dérogatoires pour garde d’enfants sous réserve) puis décroître au fur et à mesure des reprises d’activités notamment…
- L’activité partielle (non totale) avec reprise partielle d’activité : encore faible voici dix jours, nous constatons un frémissement et cet indicateur est à surveiller…
- Le télétravail : seul le panel d’imprimeurs que je consulte a pu me fournir des éléments ( type de postes, liens avec l’équipe , fonctionnement etc.) mais ce panel ne me donne qu’une vision « approchée » et il faudra questionner une population plus large pour mieux mesurer le phénomène .
- Les RTT, les soldes de congés : cette mobilisation s’est faite dans les quinze premiers jours du confinement avant les demandes d’activité partielle.
Les imprimeurs dont l’activité est « tirée » par l’événementiel (type activités saisonnières et/ou festives (activité partielle à 80 % due à l’effondrement des commandes). L’entier de cette catégorie (plv, impression numérique grand format notamment) a subi un choc qu’aucun autre marché n’a subi à ce niveau. Toutefois, ces entreprises qui sont agiles et fonctionnent comme des « prestataires » réactifs peuvent rebondir très vite.
Les imprimeurs de livre (poche mis à part pour des queues de production) à l’arrêt, en moyenne jusqu’à mi-mai du fait de la fermeture des libraires et des grands éditeurs qui ont arrêté l’office notamment.
Les imprimeurs de livres d’arts terminent des collections en cours sur marchés publics ou privés. Ces marchés méritent que l’on s’y attarde : Les éditeurs ont décalé leurs titres phares à l’automne. Le marché du livre a enregistré une explosion des audio books et du click and collect sans que ces deux phénomènes enrayent la chute vertigineuse des ventes, de la production, la fermeture des librairies etc.
Les imprimeurs d’emballages sont à segmenter en plusieurs catégories (agroalimentaires, pharmaceutiques, étiquettes liées aux marchés stratèges et étiquettes de sécurité etc.) Leur activité a baissé mais elle demeure encore forte avec des mesures de sécurité internes liées déjà à la nature de leur activité hors crise).
Difficultés rencontrées
(à l’échelle d’une filière ou difficultés particulières d’entreprises)
Sur le plan du modèle économique, la brusque rupture de contrats (pour raison de force majeure) dont l’exécution a été décidée voire engagée au tout début de la crise fragilise un grand nombre d’entreprises, particulièrement dans le cas des TPE/PME sous capitalisées (entreprises de 15 salariés avec en moyenne 2,5 millions de CA) qui seront confrontées à une explosion de leur BFR à l’automne prochain. Les difficultés d’accès aux prêts de Bpifrance constituent à cet égard un facteur aggravant.
Sur le plan de la production, beaucoup d’entreprises font état de grandes difficultés à faire revenir leurs salariés sur leur lieu de travail, malgré les mesures de sécurité prises, ce d’autant que sur le plan des ressources humaines l’articulation des lois/ordonnances/questions-réponses des ministères sociaux, économiques et financiers avec les dispositions conventionnelles sur l’activité partielle, les arrêts maladie classiques et les arrêts garde d’enfants s’avère très complexe. En matière d’approvisionnement mais aussi d’enlèvement, les défaillances de transporteurs constituent un risque important, de même qu’à plus long terme le raisonnement par quotas des papetiers, qui prioriseront logiquement les pays entrés dans le déconfinement avant la France au moment de la reprise.
Plus largement, pour inévitable qu’elle ait été dans le contexte actuel, la survalorisation du digital par les donneurs d’ordre comme outil de distanciation sociale et de sécurité (école à la maison avec recours accru aux supports pédagogiques numériques, popularisation du télétravail contribuant à asseoir l’émergence de la « techsociety », méfiance par rapport aux objets matériels et au support papier, notamment en matière de paiements) a pu contribuer à fragiliser la filière graphique.
Sur le plan du dialogue social, de nombreux entrepreneurs ont choisi de prioriser une logique d’apaisement afin de fluidifier le dialogue avec les organisations syndicales dans un esprit de lutte contre un ennemi commun.
La crise renforce la sensibilité des imprimeurs quant à la nécessité de considérer la sécurité comme faisant partie intégrante du projet d’entreprise. Elle donne ainsi lieu à de véritables projets de RSE, en dehors de tout discours, intégrant sous le vocable « sécurité » des préconisations nouvelles appelées à se pérenniser, et pas seulement pour les personnels. Ainsi, au-delà des nécessités liées à la crise sanitaire actuelle, l’approche « certification » portant sur la traçabilité des matières, des encres, des pratiques, des lieux d’origine peut sans doute bénéficier d’une dynamique nouvelle.
Sur le plan RH, l’émergence d’une attente des personnels en matière de développement du télétravail pour certaines fonctions supports est d’ores et déjà perceptible (le confinement ayant fait office de test à grande échelle). Elle suppose la formalisation de nouveaux modes opératoires pour passer de l’approche hiérarchique que permet le présentiel à l’approche décloisonnée qu’exige le digital.
Anticipation sur les évolutions des modèles économiques des secteurs industriels
(réorganisation des supply-chains, cycles courts, activités stratégiques, matières premières) :
La crise actuelle accentue certaines dynamiques déjà identifiées depuis plusieurs semestres dans la plupart des secteurs de la filière graphique : décroissance de la volumétrie, et par conséquent nécessité de passer d’une économie de la massification à celle de la valeur (et non du seul prix) via des séries plus courtes ; automatisation des tâches de production (robotisation de certains procédés pour réduire la pénibilité, accélération des échanges techniques contractuels virtuels qu’imposeront les conditions sanitaires de reprise d’activité dans les échanges fournisseurs/clients) et télétravail pour les fonctions supports qui appellera une flexibilité accrue du fonctionnement des entreprises ; restrictions de circulation imposant de raisonner en circuits courts pour certains produits symboliques (livres notamment) favorisant la co-traitance entre professionnels tout en reconsidérant la relation client. Enfin priorité sera donnée à la santé et au développement durable se traduisant dans les référentiels par une mise en avant de l’écoconception des produits imprimés.
Ce passage d’une industrie de masse globalisée et guidée par le seul facteur prix à une industrie plus adaptable, à forte valeur ajoutée et suivant une logique de circuits courts, pourrait être facilité à l’avenir par un souci accru de prise en compte des entreprises locales dans l’attribution de certains marchés publics dits de services, de manière compatible avec les dispositions de concurrence non faussée .
En guise de scénarios
Constat 1
La publicité et la communication sous toutes leurs formes, structurent le paysage graphique ; or plusieurs phénomènes s’affrontent : le retour à l’essentiel et vers une approche plus responsable rompant avec la massification et l’esprit « promotion ». Ce constat est partagé dans le cadre du travail de fond que nous menons avec Kantar Media et France pub ainsi qu’avec l’UDECAM qui mise sur une chute d’activité du secteur de la communication de 25 %. Les conséquences pour le secteur du print risquent d’être importantes à moins (c’est le pari « sociologique » que nous faisons) que la surdigitalation provoque un désir de retour vers une sérénité « matérielle » plus rassurante.
L’UNIIC en accepte l’augure et travaille en région dans trois bassins tests avec un groupe de donneurs d’ordre pour identifier les secteurs de la demande qui repartiront en premier.
Constat 2
Éviter les faillites en cascade qui se produiront à l’automne compte tenu de la sous-capitalisation des entreprises graphiques que l’on doit aider à se saisir des PGE en menant une offensive de branche pour capter cette opportunité. Les premiers diags financiers que nous lançons doivent permettre de construire des comités de filière dans les principales régions (fournisseurs, donneurs d’ordre, institut de prévision, retourneurs d’entreprises, établissements financiers, organisations de salariés, pouvoirs publics territoriaux, agences de développement)…
Constat 3
Les travaux que je mène avec la Banque de France et l’Insee laissent entrevoir une perte d’entreprises et d’emplois qui nous réduirait à une place marginale (entre 25 et 33 % de disparition d’entreprises et 12000 salariés). Faisons mentir ce diagnostic… en utilisant les outils qui sont à notre disposition même si la construction des nouveaux modèles dépasse le périmètre classique du dialogue social.
Le diagnostic est certes sombre mais il y a quelques signes qui laissent à penser que graduellement, par sous –secteurs, l’écosystème graphique va réagir puis rebondir (les commandes de papiers, encres, plaques, consommables) sont à la hausse, le nombre de devis en 10 jours a retrouvé un rythme qui nous conduit à penser que certains événements ou lancements de campagnes ont « simplement » été décalés…
Au-delà de ces éléments, nous allons vous transmettre le baromètre d’activité toutes branches que nous avons élaboré, il donne une tendance et nous permettra de disposer d’un tableau de bord de plus en plus précis qui pourra nous éclairer notamment sur le « prisme » territorial de nos actions de consolidation et de relocalisation….