Cet article est paru en 2017, dans le numéro 120 de notre magazine Acteurs de la filière graphique. Retrouvez tous les numéros sur notre page dédiée.

LES JEUNES ET LA LECTURE : ET SI ÇA N’ALLAIT PAS SI MAL ?

Le salon Montreuillois continue d’être la vitrine vivante et foisonnante de la bonne santé du Livre (et de la Presse) jeunesse, segment qui affichait encore en 2016 une croissance insolente de 5,6% de son chiffre d’affaires, figurant ainsi au deuxième rang des secteurs les plus importants de l’édition (derrière les romans), selon le SNE…

La question mérite réflexion : comment peut-on dans le même temps constater la nette désaffection des moins de 30 ans au sein du lectorat de la Presse d’information générale (payante, et plus encore, papier), la baisse globale et continue du temps de lecture au profit de distractions numériques diverses et variées et… l’excellente santé du segment « Jeunesse » tant pour le livre, la bandedessinée ou encore le magazine ? Une énigme qui ne manque certes pas de micro-causes (et d’objections) recevables, mais qui souligne toutefois combien une déperdition des lecteurs semble s’opérer autour du passage à l’âge adulte. Elle souligne aussi, paradoxalement, l’excellence d’une offre que le Salon du Livre Jeunesse de Montreuil met chaque année en évidence.

Un secteur particulièrement créatif

Même s’il est particulièrement enclin à présenter des applications numériques qui brouillent les frontières (et les lignes) entre livre traditionnel papier et contenus narratifs / animés sur écran, le Salon du Livre Jeunesse s’appuie sur des bases à ce point solides qu’on aurait du mal à parler ici de « confiance retrouvée ». La « confiance » semble en effet ne jamais avoir quitté le secteur, qui se porte probablement mieux que jamais. « Les auteurs et les lecteurs sont de plus en plus décomplexés. On a dépassé les procès en sorcellerie du type ‘il ne faut surtout pas que les enfants parlent comme Titeuf’ et ça s’est accompagné d’une émulsion créative, d’une volonté de sortir des cases » évoque ainsi Frédéric Potet (Le Monde) qui voit là le résultat logique d’une créativité débridée. Alors que les frontières entre les genres (bande dessinée franco-belge, mangas, romans graphiques…) sont de plus en plus difficiles à établir et circonscrire dans des tranches d’âge, d’autres ne cachent toutefois pas une forme problématique de surproduction… « La bande-dessinée a des franges évidemment grand public mais on trouve aussi une offre d’avant-garde qui va de pair avec la profusion des structures éditoriales : plus de genres, plus de tons etc. C’est pourquoi les nouveautés publiées chaque année explosent, même si tout ne fonctionne pas » explique Serge Ewenczyk (éditions Cà et Là), décrivant là une « profusion » qui se traduit également par une hausse sensible de rendez-vous événementiels privilégiés, allant du festival à caractère festif aux rencontres auteurs/lecteurs… Une façon de le dire et le répéter : le livre et la lecture relèvent bien du spectacle vivant.

Le numérique compliqué pour tout le monde

De rencontre(s) il en sera beaucoup question durant cette édition du salon. Certains des auteurs présents ayant dépassé l’exercice – indispensable mais attendu – de la séance de dédicaces inhérente au format de ce type d’événement, pour évoquer plus en profondeur les échanges conduits au cours de la Web série documentaire « Miroirs », spécialement mise en avant pour l’occasion : treize écrivains de la nouvelle vague de la littérature pour ados et Young Adult faisaient en effet face à de jeunes lecteurs, âgés de 11 à 18 ans, pour des portraits chinois croisés en treize capsules vidéo. Une expérience sur laquelle ils reviennent volontiers : « Ces ados nous lisent avec beaucoup de générosité, mais ils ne nous ratent pas quand on se plante. Ecrire pour eux, ce n’est pas décomplexifier l’intrigue ou abaisser le niveau de langue, c’est adopter un autre point de vue » évoque Vincent Villeminot suite à sa rencontre avec Margot, qu’il qualifie sans retenue « d’épatante ». Il y a probablement là chez l’écrivain plus que la volonté d’être juste et bienveillant, mais a conviction que nous ne sommes pas si différents : « Le numérique complique les choses tout en en simplifiant d’autres, mais je pense qu’ils sont aussi paumés que nous dans cette époque compliquée. Nous sommes tous déstabilisés et nous sommes tous capables de tomber dans un usage frénétique des outils numériques » poursuit-il, même si sa consœur Caroline Solé dit se réjouir du fait que « l’époque n’a pas cassé le rapport mystérieux à l’écrivain. L’auteur garde une certaine aura qui donne aussi envie aux jeunes de faire ce métier ». Une responsabilité qu’elle refuse de brader derrière des discours faussement consensuels : « C’est une tromperie de faire croire que tout le monde peut devenir écrivain. Il faut repérer les jeunes pour qui c’est un besoin profond, presque vital » affirme-t-elle. A défaut et à en croire le dynamisme imperturbable du secteur, c’est au moins un plaisir de lecture qui ne se dément pas. Et c’est déjà beaucoup.

Presse jeunesse : tous les voyants sont au vert ?

Moins évoquée mais pas en reste, l’offre Presse jeunesse est caractéristique d’un particularisme français qui marche : « Avec plus de 300 titres, c’est à la fois une exception culturelle en Europe et l’une des plus grandes familles de presse en France » nous apprend en effet le Groupe Presse Jeunesse du Syndicat des Editeurs de la Presse Magazine. « Si les enfants et les adolescents passent du temps devant les écrans, ils sont plus de 9,6 millions à lire et aimer la Presse Jeunesse » ajoutent-ils, forts de chiffres qui illustrent en effet une indéniable vitalité :

  • 380 magazines jeunesse (1 à 19 ans) existent en France, pour 9,6 millions de lecteurs.
  • 60 nouveaux magazines voyaient encore le jour en 2016.
  • 4 heures, c’est le temps moyen consacré chaque semaine par les enfants à leurs magazines préférés.
  • 67 % attendent avec impatience de lire leur magazine (60 % le liront d’ailleurs jusqu’au bout) et 64 % déclarent y trouver des choses qu’ils ne voient pas ailleurs.