Cet article est à paraître en 2020, dans le numéro 129 de notre magazine Acteurs de la filière graphique. Retrouvez tous les numéros sur notre page dédiée.
PRESSE : EN FINIR AVEC LA CRISE DE LA DISTRIBUTION
Sans surprise, l’édition 2019 de Presse au Futur aura réservé une part conséquente de ses débats aux thématiques sensibles de la diffusion & distribution. L’occasion de revenir, dans le sillage des difficultés de Presstalis, sur ce qui ressemble à une gestion de crise qui n’en finit plus…
Dans un communiqué daté du 17 décembre 2019, l’Arcep – usuellement qualifié de « gendarmes des télécoms » – annonçait « un gel des préavis de résiliation des éditeurs clients de la société Presstalis pour une durée de six mois ». De toute évidence, les difficultés de la messagerie encore ultra-majoritaire sont telles que l’Arcep a ici voulu parer dans l’urgence à l’aggravation potentiellement irréversible d’une situation économique déjà fragile, précisant qu’une fuite de titres au profit des Messageries Lyonnaises de Presse (MLP) engendrerait « un risque sérieux que la société Presstalis ne soit contrainte d’interrompre la distribution de la Presse et notamment celle des quotidiens d’information politique et générale ». Une décision exceptionnelle dite « de court terme » et « provisoire » qui traduit toutefois un profond malaise. A la fois parce que des solutions peinent à émerger (et il sera compliqué d’imaginer la chose plus claire au terme des six mois de gel imposés par l’Arcep) et parce que l’instabilité constatée à la gouvernance de Presstalis (Cédric Dugardin en est le nouveau Président, succédant à Dominique Bernard qui n’aura ainsi occupé cette place que durant cinq mois) semble traduire combien les hommes et les femmes passent, sans qu’aucune amélioration concrète n’en résulte. Alors que la décision de l’Arcep est vertement contestée par des éditeurs désabusés – Prisma Média et Marie Claire l’ont notamment publiquement attaquée – il semblait nécessaire de rappeler ce contexte d’extrême tension, avant de revenir sur des échanges qui tentaient encore, fin novembre dernier, de jouer la carte de l’accalmie et de la confiance retrouvée…
La résilience de la Presse : une réponse cinglante aux prophéties funestes
Mais déjà faudrait-il s’enquérir de la santé de la Presse en elle-même, en amont des problématiques techniques liées à ses modes de distribution, avec à la clé cette fois des commentaires foncièrement positifs. Ceux notamment de Stéphane Bodier (Directeur général de l’Alliance pour les Chiffres de la Presse et des Médias – ACPM), attaquant bille en tête « les futurologues imbéciles qui affirmaient il y a dix ans que nous allions tous mourir et qu’il n’y aurait plus de Quotidiens aux USA entre 2017 et 2019 ». Un agacement qui vise le négativisme persistant d’une foule de prévisionnistes qui se seront donc avérés peu perspicaces, mais dont les discours sentencieux n’auront – Hélas ! – pas été sans conséquences : « Quand des bêtises circulent trop, elles finissent par faire du mal » ne décolère-t-il pas, laissant sous-entendre qu’une part des chutes de diffusion effectivement mesurées relève de la prophétie auto-réalisatrice. « Pourtant, contrairement à ce qui a été dit et répété, en vingt ans, la Presse d’informations est toujours là, malgré les baisses de diffusion. Et dans le même temps, les marques de Presse se sont considérablement développées » poursuit-il. Pour ne prendre qu’une seule illustration, en termes d’audience, un titre comme « Le Parisien » revendiquait 2 millions de lecteurs mensuels en 2000, 9 millions en 2013 et 22 millions en 2019. Une progression que lui et d’autres doivent à la multiplication des points de contacts, qu’il s’agisse de sites Web, d’applications mobiles, de podcasts ou de numéros imprimés. Plus étonnant encore, l’ACPM soulignait pour l’année 2019 une progression de la Presse quotidienne sur l’ensemble de ses supports de diffusion : papier, PDF, sites et applis. Avec 1,3 millions d’exemplaires diffusés (+ 2,7 % versus 2018), c’est bien l’imprimé qui porte encore l’essentiel des ventes (734 500 exemplaires), en dépit de la nette progression des ventes sous format numérique (565 500 exemplaires à + 29,8 % versus 2018). Pour la Presse dite « grand public » en revanche (qui pèse à elle seule 92 % de la diffusion France payée), une baisse de 3,6 % est à noter pour un total de 3 milliards d’exemplaires écoulés (dont 390 millions d’exemplaires sous format numérique, en progression de 23,7 %). Pas de quoi cependant céder à la panique, les équilibres étant plus solides qu’ils n’y paraissent, sur un marché français où – tous supports confondus – 10 millions d’exemplaires sont diffusés chaque jour (et avec plus de 60 millions de visites quotidiennes enregistrées sur les supports numériques), pour un chiffre d’affaire annuel de 3,3 milliards d’euros. Alors s’il ne s’agit évidemment pas de nier les dynamiques disparates qui fondent ces chiffres, il ne faudrait pas non plus sous-estimer le poids en leur sein des supports dits « traditionnels », toujours porteurs de notoriété et indispensables piliers de déclinaisons numériques qui doivent justement pour l’heure toujours être identifiées comme telles : comme des déclinaisons.
« Un titre comme « Le Parisien » revendiquait 2 millions de lecteurs mensuels en 2000, 9 millions en 2013 et 22 millions en 2019. Une progression que lui et d’autres doivent à la multiplication des points de contacts, qu’il s’agisse de sites Web, d’applications mobiles, de podcasts ou de numéros imprimés. »
Kiosques modernisés, assortiments adaptés ?
Autre inévitable point de débat : la longue hémorragie des points de vente, dont le nombre n’a cessé de chuter ces dernières années (il en restait 22 056 en 2019 selon l’association Culture Presse, contre plus de 30 000 dix ans plus tôt). Un constat qui n’a pas manqué d’initier nombre de réactions (via notamment une vaste opération de remodernisation des kiosques) et d’ajustements réglementaires, avec en point de mire la très commentée réforme de la Loi Bichet. Car l’équation n’avait rien de simple, s’agissant à la fois de désengorger (à leur demande) les étals des kiosquiers, tout en respectant le principe fondateur de la Loi, censé assurer la diversité et la pluralité de l’information… « Il faut quand même rappeler que la Loi Bichet n’a jamais exigé qu’un point de vente taillé pour 1000 titres en accueille 6000 » avance d’emblée Fabrice Casadebaig, sous-directeur de la presse écrite et des métiers de l’information pour le Ministère de la culture. C’est bien pourquoi la solution de l’assortiment semblait s’imposer, à condition toutefois de définir le cadre par lequel les choix inhérents à sa constitution pourraient s’organiser : Quels titres s’imposeront de fait ? De quelles mages de manœuvre disposeront les marchands de Presse pour constituer leurs propres assortiments ? « Le mode de diffusion principal de la Presse est défini par la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP). La régulation unifiée est aux mains de l’Arcep, qui dispose d’une expertise en propre et d’un pouvoir de sanction » décrit-il, renvoyant donc les arbitrages que suppose cette nouvelle organisation au pouvoir discrétionnaire de deux entités explicitement nommées. La Presse d’information politique et générale (IPG) garde ainsi un droit d’accès absolu au réseau de distribution, quand les autres catégories de Presse verront les marchands de journaux disposer d’une plus grande liberté de choix, pour mieux s’adapter à leur clientèle locale. « Les assortiments seront définis au sein de l’interprofession, avec un comité de suivi porté par l’Arcep. Notre souhait n’est pas de déterminer à votre place les assortiments, mais si par malheur vous n’y parvenez pas, l’Arcep sera forcée de trancher » développe enfin Cécile Dubarry, Directrice Générale de l’Arcep, réaffirmant leur souhait de ne contraindre qu’en tout dernier recours.
« Si Presstalis, qui distribue encore 75 % de la Presse en France, devait tomber, les conséquences sur l’ensemble des métiers de l’information écrite – des éditeurs aux revendeurs en passant par les imprimeurs/fabricants – seraient proprement catastrophiques. »
Des inquiétudes persistantes
De là à dire que la Loi aura su lever la plupart des doutes et critiques qu’elle suscitait avant son adoption, ce serait faire un raccourci que quelques objections auront vite rappelé… « Quand vous êtes une nouveauté, accéder à un numéro de CPPAP et exister dans le réseau de vente est plus compliqué » soulève notamment Béatrice Vannière (Directrice Exécutive et éditrice du magazine Têtu), insistant sur « les difficultés à craindre pour les petits éditeurs » qui auront en effet à s’imposer dans une fenêtre d’exposition fatalement plus réduite. Des difficultés que ne devrait toutefois pas connaître « Têtu », fort d’une notoriété déjà établie, reconnaît-elle au passage. De manière complémentaire, Christophe Dufourg-Burg (Messageries Lyonnaises de Presse) craint les conséquences d’un « imprévisible choc négatif d’offre », évoquant « une prise de risque majeure, qu’aucune des deux messageries, déjà fragilisées, ne saurait supporter aujourd’hui »… Une remarque faisant écho au fait que la Loi du 18 octobre 2019 relative à la modernisation de la distribution de la Presse prévoit effectivement l’ouverture du marché à de nouveaux acteurs, au plus tard le 1er janvier 2023, date à laquelle devra prendre fin le redressement de Presstalis. C’est là un des points les plus critiqués de la Loi, la perspective d’une libéralisation du secteur de la distribution suscitant des oppositions politiques prévisibles et faisant craindre à terme pour les distributeurs un durcissement des prix. Il semble toutefois précipité de se projeter déjà en 2023, la situation de Presstalis exigeant des ajustements bien plus urgents. Ainsi David Achille, Directeur de diffusion de l’Equipe, y allait-il de son propre diagnostic : « Au niveau 3, il faut renouer le lien avec le réseau. Sans lui, nous disparaissons tous et nous l’avions certainement un peu oublié ces dernières années. Il faut également redonner au niveau 2 (celui des dépositaires de Presse, ndlr) une dimension commerciale et ne pas le considérer comme un simple acteur logistique. Enfin, pour mieux distribuer, il faut consolider des outils. Aux messageries de niveau 1 de travailler ensemble pour mettre en place ces outils optimisés, ce serait notamment à elles de vérifier que leurs partenaires sur le réseau de distribution font correctement leur travail » égrène-t-il à la volée. Cela étant, quelques semaines après ces échanges, la situation connaissait l’emballement que l’on sait et des voix de plus en plus nombreuses n’hésitent plus à évoquer la thèse de l’effondrement…
La menace d’un effondrement est-elle à prendre au sérieux ?
Car si Presstalis, qui distribue encore 75 % de la Presse en France, devait tomber, les conséquences sur l’ensemble des métiers de l’information écrite – des éditeurs aux revendeurs en passant par les imprimeurs/fabricants – seraient évidemment proprement catastrophiques. A tel point d’ailleurs qu’on associe à pareille hypothèse un caractère d’impossibilité résumable en la formule bien connue du « Too big to fail »… Pour autant, il faudra repenser les équilibres d’un système à bout de souffle, comme l’expliquait notamment à LCI Thomas Aidan, directeur de publication du magazine « La Septième Obsession », un bimestriel tiré en moyenne à 60 000 exemplaires : « Ce qu’il faudrait c’est avoir une vision. Comment, tous ensemble, on imagine la Presse demain ? (…) Il faudrait que l’Etat aide la Presse, pas seulement en finançant allègrement par des aides publiques les titres IPG, mais aussi en incluant les revues culturelles, en accompagnant les lancements, en renforçant les diffusions, en aidant à la prise de risque, etc. Il faudrait aussi initier fortement les gens à l’information, au fait que cela a un coût de produire des textes, de faire des reportages, de faire des enquêtes, de prendre le temps de l’analyse. Aujourd’hui, on a l’impression, que faire du journalisme devient un hobby, une sorte d’activité en extra. Comment ferons-nous, si demain nous n’avons plus accès à une information pensée, bien diffusée ? » S’inquiète-t-il en effet. Autant de questions suspendues à la gestion des affaires courantes et autres urgences de temps court (quasi-pléonasme), lesquelles devraient en réalité s’attacher à y inclure ces questions de fond. En marge des continuels (mais essentiels) plans de sauvetage, nombre de petits éditeurs disent effectivement avoir des idées pour ne plus sans cesse devoir éviter la catastrophe, dans un climat anxiogène qui approche le point de rupture… Après tout, qu’aurait-on à perdre à les écouter pour de bon ?
L’impression unitaire – Pourquoi pas chez le revendeur Presse ?
Au chapitre des curiosités de cette édition 2019 de Presse au Futur, il faut signaler la présence du robot Gutenberg One, que nous avions déjà présenté en ces pages (cf. Acteurs Graphiques n°126). Sorte de box d’impression/façonnage tout-en-un, Gutenberg One se distinguait ici en imprimant sur place – et en quelques minutes – l’édition de La Croix du 26 novembre dernier, au format poche. Une démonstration qui avait aussi vocation à rappeler que l’outil est en capacité de rematérialiser des archives Presse souvent courues par les collectionneurs, les passionnés en quête de contenus pointus ou encore les étudiants tenus de sourcer leurs recherches documentaires. Si le robot n’a évidemment pas vocation à se substituer à la distribution traditionnelle, il pourrait en revanche être l’occasion de redonner vie à de vieux numéros tout en animant le lieu de vente… Une perspective qui tient encore de la plus parfaite hypothèse, mais qui donne à réfléchir, dans un contexte où l’innovation sera de toute façon précieuse.