Livre & développement durable, débats en deux temps

Après deux journées de rencontres et d’échanges dédiées au “Livre durable”, tout d’abord à la Bibliothèque Nationale de France le 4 décembre dernier, et plus récemment au Centre National du Livre ce 28 mars, c’est peu dire que le Livre interroge actuellement ses axes de progrès à l’aune des exigences éco-responsables qui fondent l’époque. Si la première journée était dédiée à faire le point sur les initiatives de filière, la seconde s’attachait à définir le rôle (grandissant ?) de la puissance publique, non sans mettre en lumière de nombreux objectifs communs…

“Il s’agit à la fois d’éco-concevoir, de bien choisir son papier, de bien choisir son imprimeur & son procédé d’impression, de faire les bons choix de réimpression, d’être attentif à la gestion des stocks, d’intégrer le transport dans sa problématique de production et de faire les bons choix liés au travail de promotion” énumère Pascal Lenoir, Président de la Commission Environnement et Fabrication du Syndicat national de l’Édition (SNE), qui énonce là les sept recommandations prioritaires établies par le SNE, dans l’optique de faire rimer, autant que faire se peut, Livre et éco-responsabilité. Un travail qui nécessite en parallèle un échange constant avec l’ensemble des acteurs de la Filière, pour déterminer au mieux et au plus juste des bonnes pratiques qui, heureusement, ne sont pas figées dans le temps. Rappelant que, selon les statistiques de la Banque de France, “179 entreprises déclarées fabriquent du livre en France”, Pascal Bovéro, Délégué général de l’UNIIC, ajoute que “l’essentiel du chiffre d’affaires du livre dans l’hexagone (environ 300 millions d’euros, ndlr) est assuré par une quarantaine d’opérateurs industriels”. Une relative concentration encore largement issue d’une massification structurante, mais que doit venir contrarier une volonté de raccourcissement des circuits de production et de diffusion, là encore caractéristique de l’époque… “L’hyper réactivité doit bénéficier à toute la chaîne : il nous faut passer d’une logique de stock à une logique de flux” fait entendre Pascal Bovéro, soulignant à ce titre que “la logistique et le transport doivent faire partie de notre offre commune”.
Sur le plan strictement environnemental – lequel concentre encore une large part des débats – “On est passé de l’ère de la correction – respecter la loi – à une ère d’amélioration, consistant à progresser et s’adapter aux nouvelles technologies” résume Matthieu Prévost, Responsable environnement pour l’UNIIC et animateur national de la marque Imprim’vert. Ainsi les différents labels et autres certifications ont-il permis l’édification d’une dynamique complémentaire entre l’approche dite “site” (Imprim’vert, normes ISO…), l’approche “produit” (PEFC, FSC, Papier recyclé, Ecolabel…) et le développement relativement récent des bilans carbone (ClimateCalc). Au risque d’empiler les mentions difficile à décrypter, le secteur s’est donc emparé d’une forme d’auto-responsabilisation, en anticipant souvent les exigences attachées au support imprimé. Au chapitre des fausses pistes, toutefois, il faut probablement noter un emballement vis-à-vis du papier recyclé, trop souvent désigné comme une solution miracle alors qu’il ne saurait s’intercaler partout et sans limite. Les raisons en sont simples : la boucle de recyclage nécessite un apport constant de fibres vierges d’une part, et nombre de produits imprimés ne sont pas (ou peu) éligibles au papier recyclé, pour des raisons souvent techniques.

Vincent Monadé, Président du CNL, regrettait, en ouverture des débats de la seconde journée, “que nous continuions trop souvent à imprimer dans des pays où le développement durable est loin d’être une priorité”.

Mais l’originalité de cette double journée consistait en la mise en avant quasi-intégrale de la chaîne du livre, sur une thématique habituellement plutôt “confisquée” par un cercle restreint d’experts, certains admettant d’ailleurs ne pas être habitués à prendre la parole… “Quand on nous demande ce qu’est un auteur éco-responsable, on est un peu décontenancé” explique Hélène Rajcak, auteure et illustratrice, passée notamment par l’école Estienne. “On a l’impression que ces questions appartiennent surtout en amont aux fabricants, ce qui peut d’ailleurs être une frustration, parce qu’on a le sentiment de ne pas vraiment pouvoir agir là-dessus” développe-t-elle. Or, sur les éternelles questions de sur-publication – plus de 68 000 nouveautés parues, selon les données Electre/Livre Hebdo, en 2017 – ou même sur des problématiques plus techniques, certainement faut-il convoquer un maximum d’expertises, dans ce que Pascal Lenoir définit de la sorte : “Réduire le delta entre ce qui est fabriqué et ce qui est vendu”. Pourtant, selon Guillaume Husson, Délégué général du Syndicat de la Librairie française (SLF), “avec un taux de retour moyen de 18,8 %, nous sommes encore loin de ce qu’affiche la grande distribution par exemple. mais c’est encore trop” concède-t-il. L’occasion également pour lui de déborder – déjà – sur le possible concours de l’action publique, qu’il juge en l’état partiellement contre-productive… “Les circuits courts sont interdits pour des raisons de loi de la concurrence. C’est une aberration économique, dans la mesure où les commandes locales devraient prioritairement bénéficier aux entreprises locales”. De même qu’à ses yeux, la vente en ligne génère “des commandes éclatées dans des camions vides, avec des cartons qui ne sont, la plupart du temps, pas recyclés”. L’objectif est toutefois clairement identifié, avec ses écueils, puisque Patrick Volpilhac (Directeur de cabinet du Président de Région Nouvelle-Aquitaine) dit avoir mis en place, en marge d’un contrat de filière régional, “une logique d’accompagnement économique visant à soutenir le tissu industriel local, face notamment à l’Espagne sur la fabrication du livre” en réaction à un autre constat, implacable celui-là, d’une “hausse des recours à des imprimeurs de l’Europe de l’Est : République Tchèque, Pologne etc.” Ainsi pourra-t-on toujours s’assurer que les problématiques observées sont les bonnes, de sorte à ce que les solutions de relocalisation/réindustrialisation en format “circuit court”, comme imminemment testées en région Hauts-de-France, bénéficieront d’une oreille particulièrement bienveillante et attentive…