Cet article est paru en 2018, dans le numéro 124 de notre magazine Acteurs de la filière graphique. Retrouvez tous les numéros sur notre page dédiée.

NANOGRAPHIE & INDUSTRIE 4.0

Parmi les moments forts de l’édition 2018 du Congrès de la filière graphique imaginé par l’UNIIC, l’annonce officielle de l’arrivée de la nanographie avec une Presse Landa S10P – la première en France – chez le Groupe Prenant (Diamant Graphic, site de Choisy-Le-Roi) a permis de poursuivre le fil thématique de la journée : comment la technologie et l’offre des différents fournisseurs pourront aider à recomposer un paysage industriel post 4.0 ? Mais c’est aussi l’occasion de faire un point sur les promesses d’une technologie qui avait marqué la Drupa 2012…

Génial visionnaire pour les uns, communicant habile mais roublard pour les autres, les qualificatifs ne manquent pas pour caractériser l’influence toujours palpable de Benny Landa au sein des Industries Graphiques. Son dernier coup d’éclat datait de 2012 et avait tardé à dépasser les effets d’annonce, laissant nombre d’observateurs dans l’expectative. Et si nous étions enfin sur le point de juger de la nanographie sur pièce ?

Fédérer autour d’un investissement

Si la machine n’arrivera chez Diamant Graphic qu’à l’été prochain, pour être fonctionnelle dès septembre 2019, il va sans dire qu’elle un tel investissement a été mûri autour de ce que Philippe Vanheste (Directeur marketing du Groupe Prenant) qualifie de « projet de transformation de l’entreprise ». Car au-delà des tests techniques effectués préalablement en Israël pour juger des rendus d’impression sur différents types de supports – tests qui seront pour certains d’ailleurs déclinés au sein d’un Showroom dédié – il y a bien sûr des choix stratégiques forts, en amont de cet investissement. « Nous avions interrogé nos collaborateurs, qui disaient regretter l’absence d’un projet fédérateur. Or, ce projet d’investissement nous a permis de travailler en étroite collaboration avec l’ensemble de nos fournisseurs et clients, pour fédérer les énergies aussi bien dans le domaine du financement de la machine Landa avec Masterprint, de l’automatisation des process avec Bluecrest, ou de l’aspect formation avec l’UNIIC & l’IDEP. Nous veillons en effet à ce que le projet soit déclinable, reproductible et partagé au niveau de la filière, en ouvrant même l’entreprise aux écoles. L’idéal serait que demain, des classes entières puissent être installées, pour une année, dans une imprimerie. La nôtre ou une autre » poursuit-il, avant d’illustrer concrètement comment les derniers doutes liés aux performances de la machine ont été levés… « Nous voulions du non-stop en entrée comme en sortie de machine, à la manière de ce qu’il est évidemment possible de faire en offset. Nous pensions les bloquer là-dessus, mais la Landa est issue des bâtis de Komori et c’est quelque chose de parfaitement possible. Par ailleurs, nous disposerons de la première machine au monde 7 couleurs recto/verso, avec une limite de tirage que nous avons estimée à 6000 feuilles 70×100, mais nous voulions avoir une vraie démarcation qualitative et là, nous pouvons couvrir 96 % du champ colorimétrique, hors fluo et métallique. Les tests que nous avons réalisés en Israël sur ce point étant bluffants » s’enthousiasme-t-il, finissant de se réjouir de la possibilité « d’utiliser tout type de papiers » sans obstacle particulier ou dégradation de la qualité.

Pour Jean-Baptiste Bardinet (Landa Digital Printing), « Il va subsister trois grands types d’imprimeurs : ceux positionnés sur les hauts ou très hauts volumes, en offset, hélio ou flexo, parfois avec des approches low cost. Les online printers équipés en technologies digitales de production, capables de travailler à optimiser leur supply chain. Et enfin les imprimeurs verticaux, ultraspécialisés sur leur marché, comme il en existe déjà sur le segment du packaging <...> La nanographie se veut être la technologie phare des moyennes séries : ces tirages qui seraient à la fois trop volumineux pour les modèles de rentabilité attachés au jet d’encre, mais dans le même temps trop faibles pour bénéficier vraiment à l‘offset. »

Philippe Vanheste (Directeur marketing du Groupe Prenant)

La vision Landa

Paradoxalement Benny Landa est peut-être aujourd’hui le premier critique du procédé d’impression dont il faut, jadis, le premier promoteur. Pour rappel, c’est en effet lors de l’IPEX 1993 qu’il annonce la première presse numérique couleur Indigo, se fendant d’une prophétie que personne n’a oubliée : « Tout ce qui peut devenir numérique deviendra numérique et l’impression ne fera pas exception » assurait-il. Il n’aura toutefois cessé, depuis 2012, de souligner les limites de l’impression numérique électrophotographique et jet d’encre, pour mettre comparativement en valeur les avantages (supposés ?) de la nanographie. « L’impression numérique reste une technologie de niche qui imprime moins de 3% de toutes les pages imprimées, sur un marché de 900 milliards de dollars. Pourquoi le jet d’encre a échoué à devenir dominant ? » s’interrogeait-il en effet encore en 2016, lors d’une Drupa qui – ironie du sort – consacrait pourtant le procédé en question comme la star de la manifestation, portée par un stand HP plus massif qu’aucun autre cette année-là. Visant à combler ce qu’il dit être « un grand espace de non rentabilité, à la fois pour l’impression numérique et pour l’offset », la nanographiqe se veut être la technologie phare des moyennes séries : ces tirages qui seraient à la fois trop volumineux pour les modèles de rentabilité attachées au jet d’encre, mais dans le même temps trop faibles pour bénéficier vraiment à l’offset. Cet inconfortable entre-deux, s’il existe bel et bien, perdure pour des raisons qui semblent davantage relever d’un déséquilibre économique lié au coût des consommables et notamment des encres, qu’à de pures questions qualitatives, d’où l’intérêt de limiter, autant que faire se peut, l’épaisseur des couches d’impression… « La nanographie commence par la projection de milliards de gouttelettes de nanoInk sur un blanchet spécial qui tranfère l’image. Chaque rangée d’éjecteur projette sa propre couleur. Chaque gouttelette atterrit à un endroit précis et, ense mêlant à d’autres, finit par créer l’image colorée finale. Lorsque chaque gouttelette atteint le blanchet chauffé, elle commence à s’étaler et perdre son eau, ce qui réduit son épaisseur. Lorsque toute l’eau est évaporée, l’encre est devenue un film polymère ultrafin. La film de NanoInk ne garde une épaisseur que de 500 nanomètres, soit l’image d’encre la plus mince de tous les processus d’impression existants à ce jour » promettait ainsi Benny Landa. Alors que les premières commandes (en Israël, en Allemagne, en Angleterre, puis donc en France) ont été officialisées et les premières machines installées, il sera maintenant très vite temps d’évaluer la pertinence de la vision Landa, à l’épreuve des faits…

Jean-Baptiste Bardinet (Landa Digital Printing)

Et chez les autres ?

Avec non moins de neuf fournisseurs de matériel attablés, la question du « futur des Industries Graphiques » aura été nourrie de réflexions nombreuses, toutes convergentes en des points clés qui ne font évidemment pas consensus pour rien. « 55 % du temps de fabrication d’un dossier se joue en amont de l’impression » fait ainsi tout de suite observer Cai Von Rumohr (Heidelberg), comme pour relativiser l’importance des seules préoccupations performatives liées à la vitesse des machines, quand il s’agit pourtant bien de gagner du temps, en dehors du strict temps de production. Pour Nicolas Venance (Directeur marketing de MGI), « Tout le monde est aujourd’hui capable d’imprimer bien. Réenchanter le print passe par la finition et l’ennoblissement ». Il fera par ailleurs déjà quelques allusions à la machine que la marque annoncera quelques semaines plus tard à l’occasion du salon All 4 Pack : décrite comme un centre d’impression intégré, « l’AlphaJET ne réalise pas qu’une seule opération de production d’un imprimé, elle regroupe toutes les différentes étapes sur une chaîne unifiée », précise-t-il.  Par l’interconnexion des systèmes, par l’automatisation (des traitements de commandes, des calages, de l’enchainement des jobs…) ou par l’ennoblissement, tous proposent des solutions articulées autour de l’idée selon laquelle il faudra, de plus en plus, proposer un service souple et adaptable, en conformité avec des demandes de plus en plus hétérogènes…  Si tel constat n’invalide en rien la pertinence d’un positionnement basé sur la spécialisation – car tout le monde n’imprimera évidemment pas tout – restent des phénomènes englobants qui voient les objets physiques, imprimés notamment, s’intercaler de plus en plus finement dans un monde qui continue de se numériser. De sorte que même les hauts volumes ne se désintéressent plus des questions de personnalisation et/ou de flexibilité de la production. Charge ensuite à « l’humain » d’élaborer des stratégies pérennes, en s’appuyant sur des technologies certainement plus complètes et complémentaires que jamais. La chose n’est toutefois pas simple tant les pratiques changent, impactant les marchés du print de différentes façons, tous n’étant pas affectés dans les mêmes proportions ni ne bénéficiant des mêmes perspectives d’avenir. Ulrike Schroeder (Koenig & Bauer) a insisté sur la volonté de la marque de s’assurer du bon fonctionnement de leurs machines chez leurs clients. « Nous avons mis en place un système de télémaintenance avec l’application Visual Press Support, qui permet de filmer en temps réel vos machines et faire en sorte que nous intervenions au plus vite sur celles-ci » explique-t-elle, démontrant que les outils d’Intelligence Artificielle doivent aussi servir à nourrir la relation Fournisseur/Industriel sur le long terme  Si aucun IA ne fera à votre place les bons choix en découlant, nul doute en revanche que les outils technologiques adéquats existent…