“Nous avons de fortes convictions mais peu de certitudes !” Pascal Bovéro, Délégué Général de l’UNIIC
Dressant à la fois une synthèse des impacts de la crise sanitaire sur les Industries Graphiques, et dessinant les conditions et contours d’une relance difficile à appréhender dans un contexte où des facteurs sensibles s’amoncellent (crise de la distribution, remise en cause de la publicité, digitalisation accélérée des usages etc.) l’interview de Pascal Bovéro, Délégué Général de l’UNIIC, est à lire sur le site de Culture Papier.
Quel est l’état général des entreprises du secteur de l’imprimerie après la crise du Covid ?
La branche “Industries Graphiques” regroupe en fait plusieurs secteurs d’activité dont le poids pondéré en nombre d’établissements (hors emballages) peut être synthétisé de la manière suivante :
– Pré-presse/imprimerie: 79 % des effectifs entreprises
– Sérigraphie/impression numérique grand format : 12 %.
– Routage et Reliure, Brochure, Dorure : 9%
Il n’est, à cet égard, pas inutile de souligner que 96 % des entreprises de ces secteurs comptent moins de 50 salariés.
Le poids des marchés
Pour pouvoir mesurer l’impact de la crise, il faut, en premier lieu, rappeler que les chiffres doivent être maniés avec prudence car dans une catégorie statistique (imprimés publicitaires, périodiques, livres, travaux administratifs et commerciaux etc.) sont agrégées des réalités multiples en termes de procédés, de process, de nomenclatures et de compétences, avec des vulnérabilités d’entreprises sensiblement différentes. C’est après avoir rappelé, ce contexte structurel, qu’il nous faut intégrer les conséquences d’une crise inédite qui a vu, pour partie, s’effondrer nos repères et une partie de nos modèles économiques, la branche graphique étant un outil de facilitation des échanges, peu compatible avec la notion de distanciation.
L’impact de la pandémie
En fonction des marchés adressés par les entreprises nous pouvons dresser le constat suivant :
Les imprimeurs de magazines d’information à haute volumétrie ont subi la baisse de la pagination publicitaire et la baisse relative des tirages, mais nous pouvons considérer que ces biens sont à classer dans la catégorie des services essentiels au titre du devoir d’information, limitant ainsi la baisse d’activité pour cette catégorie de supports. Toutefois, pour les autres catégories de périodiques, la crise endémique ayant affecté Presstalis a renforcé la frilosité des éditeurs avec les conséquences qui ont frappé toute la chaîne des acteurs de la fabrication/distribution de la presse (abandon de certains hors-séries, fermeture de certains kiosques etc.). Cette “cassure” a été renforcée par une discontinuité du service postal pour les abonnés, qui a affecté pendant plusieurs semaines la diffusion de ce qui était devenu pourtant un lien social incontournable.
Les imprimeurs orientés publicité et périodiques ont pu conserver 50 % de leurs effectifs à la production et 40 à 60% de leur taux d’activité. Toutefois, les ISA (Imprimés sans adresse), la communication événementielle, les catalogues etc. ont disparu des plannings pendant 6 semaines en moyenne, faute de clients certes mais aussi de distributeurs.
Les imprimeurs de livres : Les éditeurs ont été contraints de supprimer l’office, de décaler leurs titres phares à la rentrée avec les risques d’écraser le “fonds” et ont dû faire face à l’annulation du Salon du Livre. En outre, le confinement s’est traduit par une fermeture des librairies qui ont vite repris le chemin du conseil et de la créativité dès qu’elles ont pu rouvrir mais une part non négligeable de celles-ci, malgré la mise en chômage partiel des salariés de ces commerces de proximité, sont vulnérables, avec les risques de disparition pour 25 % d’entre elles.
A noter en outre que les audiobook s’installent dans notre paysage culturel.
Au niveau des ressources humaines, tous marchés confondus, les conséquences ont été les suivantes :
– Un recours massif à l’activité partielle, aux moratoires de charges sociales et fiscales, aux PGE voire aux procédures collectives…
– Un recours plus modeste au télétravail pour les fonctions support.
En synthèse, le volume traité au cours de l’année 2020 sera en net repli certes mais la contrainte la plus conséquente tient à la sous-capitalisation des entreprises qui fragilise celles-ci, entreprises que nous devons accompagner…
L’état a t-il pris les décisions qui s’imposaient pour le secteur ? En espérez-vous certaines en particulier ?
L’état a incontestablement pris la mesure des besoins des entreprises en développant un système très attractif d’activité partielle dont il faut cependant regretter que les règles aient changé à de multiples reprises, au cours de la dernière période (cinq modifications légales ou réglementaires). Néanmoins nous avons compté 60 % des effectifs salariés du secteur en activité partielle avec une reprise progressive à partir du déconfinement, système de rémunération ne supportant pas les charges sociales. Ces combinaisons de dispositifs ont permis aux entreprises du secteur, d’amortir le choc de la sous-activité, qui a été en moyenne de 70 % par rapport à l’année passée à semblable époque ! En ce qui concerne les PGE, ceux-ci ont bénéficié majoritairement à nos adhérents comptant moins de 20 salariés et nous œuvrons pour que ceux-ci soient transformés en quasi-fonds propres, afin d’éviter les effets de ciseaux. D’autres mesures figurant dans le plan de relance sont de nature à consolider des secteurs comme les nôtres
Vous organisez le 25 septembre le Congrès de l’UNIIC à Lyon , quelles sont les principales lignes de forces que vous allez développer ? Les principaux thèmes abordés ?
Nous avons choisi un lieu symbolique (L’Institut Louis Lumière à Lyon) pour valoriser le secteur et rapprocher son histoire et son identité, de l’art cinématographique. La construction du programme est un riche pari sur les futurs possibles des industries graphiques, à un moment où chacun s’interroge sur les innovations que nous devons porter pour rompre avec la monotonie ambiante. Nous allons changer de format pour mieux identifier les changements à l’œuvre dans plusieurs pays Européens que nous avons conviés et qui interviendront avec Intergraf pour partager les bonnes pratiques mises en œuvre dans certains pays ayant subi les mêmes contraintes que les nôtres.
En outre, nous avons associé plusieurs donneurs d’ordre et fournisseurs pour disposer d’un regard croisé sur les pistes de diversification qui s’offrent à nous dans un contexte où la Drupa se redimensionne. Vu les circonstances, notre interrogation collective portera sur la façon dont le secteur doit créer de la valeur ajoutée et partagée dans les territoires en axant notre approche sur une stratégie de filière. Le congrès sera aussi l’occasion de marier les innovations historiques des frères Lumière et la spécificité de nos positionnements. Le parallélisme des deux secteurs transformés par le numérique nous conduira à remettre en perspective nos chemins critiques d’évolution.
Pensez-vous que nous allons assister à une vague relocalisation de nos industries comme l’a annoncé le président de Système U ?
La sensibilité aux relocalisations est grande dans les secteurs industriels qui font l’objet aujourd’hui de toutes les attentions. Mais, du discours aux faits, le cycle est long. L’un des cas que nous avons valorisé – L’enseigne System U (relire notre interview) – est spécifique du fait de l’organisation de cette enseigne : un lien de proximité très fort et une “ruralité” affirmée. L’organisation des principales enseignes n’est pas construite sur le même modèle et la part pondérée d’enseignes de centre-ville par rapport aux grandes surfaces de périphérie distingue les enseignes “massifiées” de type hyper par rapport aux autres.
Le rapport à l’imprimé publicitaire et à la communication responsable adossé à des circuits-courts est donc sensiblement différent suivant l’histoire et l’ADN des magasins et des marques. C’est dans ce contexte que nous avons salué le volontarisme de System U, en étant toutefois prudent quant à l’effet “dominos” que pourrait avoir cette initiative. L’UNIIC travaille avec plusieurs donneurs d’ordre sur cette thématique mais il faut dépasser les discours pour entrer dans un concret mesurable. La communication responsable doit intégrer la relocalisation des flux, vu les conséquences que ces activités ont sur les compétences et l’emploi. Il faut toutefois convaincre les “metteurs” sur le marché qu’éco-conception, ACV, pédagogie active du support et circuits-courts doivent être combinés pour faire de l’imprimé intelligent, le garant du “mieux-disant”.
Quels types d’innovations attendez-vous de l’écosystème du papier face aux nouveaux enjeux qui se profilent ?
Nombre d’innovations constituent déjà une réponse à la nouvelle donne qui nous fait passer d’une économie du volume à une économie de la personnalisation. Il n’en demeure pas moins que la question de notre reconversion multisupports/multiprocédés est à l’ordre du jour, si nous ne voulons pas restés mono-orientés sur une filière de la seule massification qui pourrait nous être reprochée à l’heure où le digital a laissé croire que tout était mesurable, profilable et déclinable… La période de confinement a laissé des traces en termes de comportement et de digitalisation des relations. Il nous faut donc nous réapproprier ce qui fait notre noblesse : le sens, la profondeur mais aussi les vertus environnementales de notre support et jouer la carte des innovations technologiques, mariées avec les innovations alternatives biosourcées).
L’innovation procédé doit s’adosser à l’innovation matériau, l’innovation créativité et l’innovation organisationnelle (flux optimisés par exemple). L’UNIIC travaille avec un club d’imprimeurs, par le biais de Webinars, pour tester des solutions avec les donneurs d’ordre. C’est à ce prix que nous passerons du prix à la valeur pour éviter de prioriser la seule moins-disance économique qui est aussi une moins-disance écologique et sociale.
Propos recueillis par Culture Papier le 27 juillet 2020