Entretien – Conçu et porté par le SNE et l’UNIIC, « Clic.EDIt est devenu un projet incontournable »

Ce n’est plus une option : mettre en place un langage commun visant à faciliter, accélérer, standardiser et sécuriser les échanges de données informatisés entre les différents acteurs de la chaîne du livre, fait aujourd’hui figure de passage quasi-obligé, dans un contexte de baisse continue du tirage moyen et avec lui, de hausse des coûts administratifs associés. Clic.EDIt est le projet ouvert qui se veut élaborer tel langage unique, sur la base d’un travail de filière forcément collectif et représentatif de la diversité de ses acteurs. Nous avons rencontré Jean-François Lyet et Loïc Ménage, respectivement vice-président et secrétaire général de l’association, pour en savoir plus…

Le Bureau Clic.EDIt est constitué, de gauche à droite, de Frédéric Fabi (trésorier), Jean-François Lyet (vice-président), Pascal Lenoir (président) et Loïc Ménage (secrétaire général).

Clic.EDIt a pour but de définir un langage structuré commun, ayant vocation à automatiser les échanges entre tous les acteurs de la filière livre et éliminer  les coûts de non qualité liés aux données administratives et techniques. C’est une ambition de filière mais nombre d’acteurs n’ont-ils  pas déjà optimisé tous leurs process ? Est-ce que certains n’ont pas déjà une belle longueur d’avance sur les flux de gestion ?

Jean-François Lyet : Il y a des expériences qui ont effectivement pu être menées par certains grands acteurs, mais elles ont été conduites à chaque fois de point à point. C’est-à-dire qu’il faut réexpliquer voire redéfinir les règles dès lors que l’on change de prestataire. Et le problème, même pour les structures les mieux armées, c’est que plus on travaille avec de nombreux acteurs, plus cela suppose des réécritures et des redondances dans la conduite des échanges. Si nous parvenons à définir tous ensemble un langage unique et ouvert, sur un périmètre suffisamment large pour s’adapter à toutes les tailles d’entreprises et toutes les configurations, il ne sera plus nécessaire de retraduire les données reçues ou envoyées. L’objectif est vraiment de faire en sorte que le travail d’intégration d’un langage commun soit fait en interne, une seule fois, et peu importe ensuite que l’on travaille avec 10, 20 ou 100 acteurs différents : ça ne génère plus de coûts supplémentaires, tant pour le donneur d’ordre que pour le fournisseur papetier, le professionnel du prépresse ou l’imprimeur. Tout le monde y est gagnant, dans un contexte où l’on cherche à produire au plus proche de ce que l’on vend, réduire les stocks et optimiser la logistique. Le tirage moyen est à la baisse depuis au moins 15 ans et la réduction des tirages s’est accompagnée d’une augmentation des actes de fabrication. Qui dit actes de fabrication dit supports de gestion avec son corollaire, une augmentation de la charge des coûts administratifs liés aux ressaisies et autres rigidités dans les échanges de données qui va devenir proportionnellement insoutenable.

Loïc Ménage : Pour un dossier de fabrication qui m’est envoyé par un éditeur, qu’il s’agisse d’imprimer 20 000 ou 2000 exemplaires, le temps de traitement est rigoureusement le même. Or, je reçois de plus en plus de dossiers à 2000 exemplaires et cela génère des situations où il faut pouvoir enchaîner les jobs avec le plus de fluidité possible, faute de quoi, c’est le chiffre d’affaires qui est touché…

Jean-François Lyet : Un point me semble fondamental : nous ne souhaitons pas qu’il s’agisse d’un projet de langage utilisable seulement par une partie des acteurs, nous veillons à ce que tel langage puisse s’adapter à toutes les situations et toutes les tailles d’entreprises. Au sein du SNE notamment, nous avons voulu que de toutes petites maisons d’édition puissent nous rejoindre et il s’avère que certaines, parfois des maisons de seulement 5 à 6 personnes, ont manifesté un véritable intérêt pour la démarche. Nous espérons que certains rejoindront non seulement l’association, mais pourront aussi figurer dans les groupes de travail que nous avons constitués pour ne pas créer une sous-représentativité des petites et moyennes entreprises. C’est en effet un problème que nous rencontrons notamment pour l’activité prépresse, où le groupe n’est à ce jour constitué que de moyennes et grandes maisons, ce qui n’est pas assez représentatif de la réalité du métier. Il en est de même pour l’UNIIC qui veut offrir à ses membres de toute taille la possibilité d’entrer dans un système fluide dans lequel les codes sont harmonisés.

Comment fonctionnent et s’organisent les différents groupes de travail au sein de l’association ?

Jean-François Lyet : Depuis quelques mois, tous les groupes de travail ont été lancés, avec à la tête de chacun d’eux, deux co-animateurs, dont l’un représente systématiquement les donneurs d’ordre et l’autre les fournisseurs. Ces groupes de travail regroupent une demi-douzaine à une douzaine d’acteurs, ce qui les rend gérables et permet à chacun de prendre la parole s’il le souhaite. Si toutefois on constate des déséquilibres, c’est le rôle des co-animateurs de distribuer le temps de parole de façon équilibrée. Les groupes aujourd’hui actifs sont ceux du prépresse, du papier, de l’impression noir (auquel on a rattaché le brochage) et de l’impression couleur (auquel on a plutôt rattaché la reliure). Il existe un support transversal qui prend la forme d’un groupe de coordination technique, son rôle est de donner une impulsion générale, de déterminer vers quel type de langage il faut aller et qui s’assure de la bonne délimitation des périmètres.

Pourquoi ne pas avoir impliqué les éditeurs de progiciel ?

Jean-François Lyet : Nous n’avons pas voulu, malgré des demandes en ce sens de leur part, répondre tout de suite aux sollicitations des développeurs de logiciels. Nous voulions vraiment que tel langage soit d’abord entre les mains des acteurs de la filière, sans l’enfermer dans un progiciel donné. Alors même si c’est encore prématuré, il est bien entendu d’ores et déjà prévu d’informer les acteurs du logiciel (entre autres) de cette démarche, en leur expliquant ce que ça peut leur apporter, de façon à ce que eux puissent également développer de façon native, dans leurs versions logicielles à venir, la capacité de transmettre, de livrer ou de sortir, des données, en s’appuyant sur ce langage. Et de la même façon, les éditeurs de progiciel en question n’auront à intégrer ces informations qu’une seule fois.

Loïc Ménage : L’idée effectivement, c’est bien d’éviter qu’un éditeur d’ERP s’approprie la technologie pour la refacturer à chacun de ses clients. Il vendra bien sûr toujours ses logiciels, mais avec le langage commun déjà intégré, en tant que standard. Mais une phase de communication/information est prévue en amont et c’est aussi sur cette base que la demande pour l’intégration d’un langage commun aux progiciels du marché aura du poids et donc, d’autant plus d’intérêt pour les éditeurs de progiciel.

Est-ce qu’en standardisant, on ne risque pas de perdre une forme de singularité ? Est-ce que certaines différences ne constituent pas une sorte de propriété intellectuelle ?

Jean-François Lyet : Non, je ne le pense vraiment pas. C’est d’ailleurs pour ça qu’un de nos premiers travaux a consisté à établir un glossaire commun. Il s’agit donc de s’entendre autour de définitions et en l’occurrence, donner un nom différent à quelque chose ne constitue en rien un avantage concurrentiel. Au contraire, c’est davantage un élément de confusion dans la tête de celui qui va recevoir l’information… Et contribuer au risque de se tromper, au nom d’une forme de différenciation, ce n’est profitable à personne. Pour autant, aucun glossaire ne sera en mesure de couvrir 100 % du spectre des échanges entre deux acteurs, d’autant qu’on ne sait pas ce qui pourra être créé demain. Après, encore une fois, l’objectif c’est bien de couvrir l’essentiel de ce qui fait le volume d’échange administratif entre les donneurs d’ordre et les fournisseurs.

L’automatisation et la suppression de certaines étapes, ça ne va pas engendrer l’abandon d’éléments contractuels ? On aura toujours des bons de livraison, des bons de commande, des ordres de lancement… ?

Loïc Ménage : L’objectif c’est d’éviter les ressaisies, pas de supprimer les documents contractuels, dont il restera effectivement toujours des traces papier. L’absence de ressaisie n’empêche pas non-plus les contrôles, ça laisse au contraire plus de temps pour mieux contrôler. Il faudra toutefois peut-être effectivement s’assurer qu’il reste des gens chez les imprimeurs qui font encore ce travail-là. Il en va du niveau de service que l’on est en mesure d’assurer et peut-être que certains devront prendre conscience que c‘est important. Ce qu’il faut voir, c’est que c’est du temps de gagné pour peaufiner son niveau de service, ce qui est très positif.

Jean-François Lyet : On pourra même aller vers une dématérialisation totale des échanges. Clairement, la loi le prévoit déjà sur de la facture, il n’y a aucune raison qu’un document dématérialisé ne puisse pas avoir valeur contractuelle, à partir du moment où il comprend les éléments nécessaires. Ce qu’il faut entendre aussi, c’est que la ressaisie est à double tranchant : incontestablement, c’est l’occasion d’un niveau de contrôle supplémentaire. Mais c’est aussi l’occasion de faire de nouvelles erreurs… J’aurais plutôt tendance à dire qu’il faut contrôler la donnée à la source et l’enrichir à chaque étape des échanges. C’est dans ce mouvement de va-et-vient que doivent s’effectuer les contrôles, pas lors de ressaisies.

Jusqu’à quel point souhaite-t-on harmoniser les échanges ? Est-ce que cela va jusqu’à calibrer les contenus et imposer un nombre de lignes de données par exemple ?

Jean-François Lyet : Non, on veut qu’il y ait une étendue qui soit la plus large possible, mais après subsiste une relation entre deux acteurs qui feront leurs propres choix. Et ce sont ces deux acteurs qui décideront du volume d’échanges, des éléments qu’ils seront prêts à partager ou non etc.

En termes de calendrier, il était prévu 4 phases (rédaction des documents techniques, formation des acteurs, déploiement & mise à disposition, communication élargie & suivi du projet) + une phase « Zéro » (pilotage), est-ce que vous êtes en mesure de nous en repréciser l’avancement ?

Jean-François Lyet : Nous avons pratiquement bouclé la phase zéro, celle du pilotage du projet, et en l’occurrence, un point en particulier a fait l’objet de beaucoup d’attente, c’est celle de la nomination d’un Directeur de projet. Parce que des groupes ont commencé à travailler dans le cadre de la Phase 1 – celle de la rédaction des documents techniques – mais sans un minimum de coordination, ce travail-là aurait tendance à se perdre. Il était donc important de ne pas brûler les étapes et suivre une méthodologie de projet. C’est la raison pour laquelle, après avoir reçu plusieurs candidatures et présélectionné trois acteurs susceptibles d’occuper ce poste, nous avons choisi un Directeur de projet (Pierre Esquibet, ndlr) qui va nous accompagner au moins les deux prochaines années et qui va assurer ce rôle de leadership, que nous avions nous-même un peu de mal à assurer en plus de nos responsabilités quotidiennes, en tant que membre du bureau. Il fallait quelqu’un capable d’intervenir dans un projet complexe car multifacettes et qui fait intervenir des parties prenantes très diverses. Le langage Clic.EDIt veut s’inscrire dans la durée et ce nouveau Directeur de projet, nous le pensons, a toutes les qualités requises pour mener à bien cette mission.

Est-on capable de dire quand ces différentes étapes seront achevées ?

Jean-François Lyet : Non, même si nous avons constitué un macro-planning, longuement rediscuté pour l’instant. Un travail va maintenant s’opérer avec les co-animateurs de chacun des groupes de travail, de façon à tronçonner ce macro-planning en un planning plus détaillé pour chacun des groupes. Nous allons tâcher de gérer un avancement équilibré, sans générer de trop grands écarts entre des groupes de travail qui ne progressent pas forcément tous au même rythme. Chacun devra d’ailleurs être conscient que des retours en arrière restent possibles : une question traitée en avance, même prévalidée par les autres groupes, peut devoir être reconsidérée.

A-t-on des éléments pour déterminer un ROI lié à ce langage commun ?

Jean-François Lyet : Il n’est pas mesurable en l’état. Ce que je sais, c’est que c’est un avantage concurrentiel pour tous les acteurs qui s’y grefferont. Le temps gagné se traduira forcément en gain de valeur ajoutée. Il est certain que si nous ne faisions que de gros tirages, nous n’aurions pas besoin de Clic.EDIt. Le problème, c’est bien que c’est l’inverse qui se produit : on fait de plus en plus de tirages entre quelques centaines et 2000 exemplaires et par conséquent, ils doivent s’enchaîner plus vite. C’est ce qui rend tel projet incontournable aujourd’hui.

L’association Clic.EDIt (Coordination langage informatique commun – Edition de livres) est créée par le Syndicat national de l’Edition (SNE) et l’Union Nationale des Industries de l’Impression et de la Communication (UNIIC), associés aux principaux acteurs et prestataires de la chaîne du livre. Ce projet est soutenu par la DGE. 

Pour prendre une part active et concrète au projet et connaître les modalités d’adhésion à Clic.EDIt, un contact : clic.edit@gmail.com

Relocaliser le livre semi-complexe – Une opportunité à portée de cluster ?

Jean-Marc Lebreton, expert-Formateur filière éditoriale, après avoir remis en octobre dernier un rapport sur la « Relocalisation des livres semi-complexes en France », revenait auprès d’Acteurs Graphiques sur l’avancement d’un projet à l’aube de sa phase 2, soit, précisément, celle qui acte de sa concrétisation sous les traits d’un « Cluster Livre »…

 

Le contexte économique est favorable à un rapatriement en France – ou à défaut, en Europe – d’un certain nombre de produits, dans la mesure où leur délocalisation en Asie s’avère de moins en moins rationnelle, économiquement parlant.

Comment cette idée de créer en France un « Cluster Livre » pour relocaliser certains travaux est-elle née ?

Un rapport a été remis fin octobre 2016 pour établir la possibilité d’une « Relocalisation des livres semi-complexes en France » mais le vrai préambule à ceci remonte à une autre étude, intitulée « Imprimer en France : l’avenir de la Filière Livre » et qui a vu la remise d’un précédent rapport, en décembre 2015, à l’initiative de l’UNIIC, sous l’égide de la Direction Générale des Entreprises (DGE) et réalisé par le Cabinet BL, avec Jacqueline Pieters et moi-même. Nous avions dans l’idée qu’il était possible de rapatrier des travaux qui ne se faisaient plus en France depuis longtemps.
Nous avons donc ici essayé de détecter des indicateurs de faisabilité et il s’avère que le contexte économique est favorable à un rapatriement en France – ou à défaut, en Europe – d’un certain nombre de produits, dans la mesure où leur délocalisation en Asie s’avère de moins en moins rationnelle, économiquement parlant. Les évolutions liées aux cours des monnaies et aux augmentations du coût du travail dans les pays d’Asie font que cette solution est en effet moins concurrentielle qu’elle n’a pu l’être. De fait, les éditeurs ont vu les coûts (et donc, les prix) de leurs collections augmenter. Les réimpressions sont rendues difficiles, les délais très longs apparaissent comme un handicap au vu des gains qui ne sont plus significatifs et par conséquent, vous pouvez commencer à dresser un contexte de relocalisation favorable.

Qu’est-ce que s’est attaché à analyser le rapport que vous avez donc rendu, pour y apporter la réponse industrielle la plus adaptée possible ?

Il a d’abord fallu déterminer quels produits étaient concernés : des ouvrages jeunesse principalement, mais aussi quelques ouvrages adultes. Il a bien sûr fallu collecter et analyser un ensemble de données chiffrées via les statistiques existantes du monde de l’édition, examiner les besoins et attentes des éditeurs concernés, cartographier les industriels présents sur le segment considéré et déterminer quels opérateurs dans le monde sont capables d’intervenir dans les travaux désignés par l’étude. Il a fallu définir les moyens humains et techniques à mettre en œuvre ainsi que les typologies de machines associées, établir la préconisation d’un schéma directeur, identifier des partenaires au travail manuel parce cela sera nécessaire malgré la forte robotisation des process et réfléchir à la nature du cluster qui pourrait être monté. Cela a consisté à identifier quels industriels français seraient concernés, définir les postes à insérer, dans quelle localisation géographique, déterminer les lignes de produits retenus dans un premier temps avec un positionnement stratégique du cluster, et enfin, évaluer les produits complémentaires qui pourraient être gérés par le cluster, dans la mesure où on est parti sur une idée certes centrée sur le Livre, mais on s’aperçoit qu’il y a de nombreux de produits qui peuvent être concernés.

L’idée fondamentale, c’est de ne pas faire de cluster d’impression, mais bien de faire un cluster de services aux imprimeurs. On veut leur offrir la possibilité de réaliser des façonnages qui aujourd’hui ne sont pas traités en France.

Quel genre de produits justement ?

On va clairement dans le domaine du jeu et du jouet, où l’on constate une forte demande de made in France, notamment pour ce qui concerne les cartonnages, comme les jeux de plateaux ou les jeux de cartes, qui seraient parfaitement éligibles à un traitement par le cluster.
L’idée fondamentale, c’est de ne pas faire de cluster d’impression, mais bien de faire un cluster de services aux imprimeurs. On veut leur offrir la possibilité de réaliser des façonnages qui aujourd’hui ne sont pas traités en France : on ajoute quelques matériels pour faire des ouvrages tout carton, pour faire des ouvrages découpés, pour faire des ouvrages avec inserts de matériaux divers comme les « touch & feel », pour faire des ouvrages auxquels on ajoute des éléments mobiles simples etc. L’objectif c’est de rester dans la cadre d’une demande éditoriale réelle et identifiable, pas forcément d’aller vers des choses trop complexes.
Il y a également une partie du marché de la PLV ou d’aide à la vente qui entre dans ce que le cluster pourra réaliser, on peut penser à la pharmacie ou à la cosmétique. Et enfin, il y a des documents d’accompagnement publicitaire comme on en trouve par exemple dans les produits alimentaires tels que les céréales, qui contiennent parfois des produits imprimés très spécifiques en termes de formats et de découpes.
Ce cluster pourrait donc assurer un développement en dehors du livre stricto sensu.

A-t-on décidé et arrêté la localisation géographique du cluster ?

Rien n’est décidé, mais j’ai émis trois hypothèses :

  • Viser une zone géographique sinistrée dans le cartonnage et la reliure disposant d’une main d’œuvre potentielle. Citons l’Aube où l’on trouvait la SIRC ou aux alentours de Malesherbes.
  • Se regrouper dans une zone géographique où il y a déjà des savoir-faire en cartonnage : Sarthe, Mayenne…
  • Se rapprocher des zones de distribution des livres pour les éditeurs, donc en région Parisienne.

Vous évoquiez le rôle central de la robotique au sein du cluster…

Oui, comme dans tout atelier de façonnage aujourd’hui, c’est énormément de robotique : les couverturières, les assembleuses, les machines à coudre etc. Tout ça, c’est de la robotique. L’objectif est d’aller un peu plus loin avec des têtes de robots qui coûtent très peu cher et qui iront mettre des points de colle pour disposer des objets de façon ultra-précise. Il faut une méthodologie de mise en œuvre de ces robots qui soit très light – autour de mille euros le robot, pas plus – le but étant d’en rester à du « mécano » parce qu’on fait de toutes petites séries dans cet univers éditorial.

C’est parce qu’il nous manquait cet équipement-là en France que nous étions incapables de répondre à cette demande ?

Oui, en partie. Mais c’est aussi parce que l’Asie, avec une main d’œuvre très peu chère, a offert la possibilité de faire ça pour des prix dérisoires. Les éditeurs ont trouvé là une opportunité parce que les possibilités ont été décuplées ; ainsi depuis les années 60-70, ce type de produits a quasiment disparu en Europe.

Justement, comment les éditeurs ont été impliqués et comment ont-ils accueilli cette volonté de relocalisation industrielle ?

Fort des constats réalisés lors de l’étude UNIIC/DGE, et grâce à de nouveaux entretiens spécifiques avec un certain nombre d’éditeurs concernés par les livres jeunesse, il s’avère que ceux-ci nous ont spontanément fait part des raisons qui avaient pu les conduire à migrer vers des zones géographiques situées hors de notre périmètre national et des fondements rationnels d’un retour vers l’Europe et vers la France en particulier. Tous ont montré une appétence très vive pour le projet et s’ils reconnaissent tous que les délocalisations en Asie ont été historiquement poursuivies pour profiter d’une main-d’œuvre très peu chère, aujourd’hui ils n’ont plus de solution alternative : ils sont pieds et poings liés avec l’Asie. Or, ces derniers ont logiquement augmenté leurs prix et leur position de quasi-monopole a contraint les éditeurs à limiter les plus-produits (au sens commercial, le plus-produit désigne un avantage comparatif et concurrentiel. Ici il s’agit d’un attribut complémentaire au livre : dépliant, pop-up simple etc. ndlr). Des phénomènes concomitants ont accéléré le processus. Ainsi, la dévaluation de l’euro par rapport au dollar en 2013 a engendré une augmentation de 20 % des prix asiatiques. De plus, en moyenne, la hausse des prix est de 10 % par an. Ça ne peut donc pas continuer comme ça… Telle appétence dépasse d’ailleurs de loin les  éditeurs avec lesquels nous avons travaillé, elle est sensible chez tous ceux que l’on approche sur cette question.

Sait-on quel chiffre d’affaires potentiel un tel cluster pourrait générer ?

C’est la phase 2 qui va permettre de définir un chiffre d’affaires plus précisément autour de ces produits relocalisés, mais avec les chiffres globaux de l’édition, il sera relativement facile d’en donner un ordre de grandeur en temps voulu. De la même façon, la mutualisation (notamment financière) d’un tel cluster reste à penser et établir à l’issue de cette phase 2. Il est clair toutefois que l’idée va consister à nouer des partenariats avec un certain nombre d’imprimeurs que l’on aura préalablement qualifiés : il devra s’agir d’imprimeurs français qui ont déjà une partie de leur CA dans le livre jeunesse et qui impriment en couleur. Le but, c’est de leur permettre d’étendre leur panel d’offre vis-à-vis de clients qu’ils ont déjà dans ce segment éditorial.
Il y a par ailleurs un marché caché de l’édition jeunesse : c’est celui de la coédition. Autant quand on réalise une coédition traditionnelle de littérature, on adresse un fichier texte à un éditeur étranger, qui traduit et imprime pour ses collections les livres dont on lui a cédé les droits, autant pour les ouvrages complexes et semi-complexes, c’est l’éditeur d’origine qui fabrique. Et c’est donc à l’éditeur d’origine qu’appartiennent ces fabrications. L’éditeur étranger, lui, achète des ouvrages terminés. Les chiffres à l’export de livres jeunesse que j’ai pu collecter montrent ainsi que l’on dépasse assez nettement le marché des ventes en France accessible via le SNE, et à analyser avec le BIEF (Bureau international de l’édition française), parce que les volumes « fabriqués » nourrissent aussi ces autres marchés. Sachant que l’édition jeunesse en France est particulièrement créative, et de fait, régulièrement récompensée par des Prix spécialisés, cette dimension supplémentaire ne doit pas être négligée.

Ce cluster pourrait assurer un développement en dehors du livre stricto sensu.

Pour conclure, si vous deviez synthétiser en quelques mots les objectifs portés par ce cluster en cours d’élaboration…

Ce cluster a pour vocation de répondre à plusieurs problématiques :

– Apporter aux imprimeurs de livres couleur un surplus d’activité dans un domaine non-exploité à ce jour.
– Apporter une réponse à une demande éditoriale en termes de rapidité, stabilité et fiabilité.
– Développer le made in France sur des produits emblématiques que sont les livres pour enfants.
– Mettre en œuvre la collaboration entre imprimeurs pour un but commun et fonctionnel.