Entretien – Conçu et porté par le SNE et l’UNIIC, « Clic.EDIt est devenu un projet incontournable »
Ce n’est plus une option : mettre en place un langage commun visant à faciliter, accélérer, standardiser et sécuriser les échanges de données informatisés entre les différents acteurs de la chaîne du livre, fait aujourd’hui figure de passage quasi-obligé, dans un contexte de baisse continue du tirage moyen et avec lui, de hausse des coûts administratifs associés. Clic.EDIt est le projet ouvert qui se veut élaborer tel langage unique, sur la base d’un travail de filière forcément collectif et représentatif de la diversité de ses acteurs. Nous avons rencontré Jean-François Lyet et Loïc Ménage, respectivement vice-président et secrétaire général de l’association, pour en savoir plus…
Clic.EDIt a pour but de définir un langage structuré commun, ayant vocation à automatiser les échanges entre tous les acteurs de la filière livre et éliminer les coûts de non qualité liés aux données administratives et techniques. C’est une ambition de filière mais nombre d’acteurs n’ont-ils pas déjà optimisé tous leurs process ? Est-ce que certains n’ont pas déjà une belle longueur d’avance sur les flux de gestion ?
Jean-François Lyet : Il y a des expériences qui ont effectivement pu être menées par certains grands acteurs, mais elles ont été conduites à chaque fois de point à point. C’est-à-dire qu’il faut réexpliquer voire redéfinir les règles dès lors que l’on change de prestataire. Et le problème, même pour les structures les mieux armées, c’est que plus on travaille avec de nombreux acteurs, plus cela suppose des réécritures et des redondances dans la conduite des échanges. Si nous parvenons à définir tous ensemble un langage unique et ouvert, sur un périmètre suffisamment large pour s’adapter à toutes les tailles d’entreprises et toutes les configurations, il ne sera plus nécessaire de retraduire les données reçues ou envoyées. L’objectif est vraiment de faire en sorte que le travail d’intégration d’un langage commun soit fait en interne, une seule fois, et peu importe ensuite que l’on travaille avec 10, 20 ou 100 acteurs différents : ça ne génère plus de coûts supplémentaires, tant pour le donneur d’ordre que pour le fournisseur papetier, le professionnel du prépresse ou l’imprimeur. Tout le monde y est gagnant, dans un contexte où l’on cherche à produire au plus proche de ce que l’on vend, réduire les stocks et optimiser la logistique. Le tirage moyen est à la baisse depuis au moins 15 ans et la réduction des tirages s’est accompagnée d’une augmentation des actes de fabrication. Qui dit actes de fabrication dit supports de gestion avec son corollaire, une augmentation de la charge des coûts administratifs liés aux ressaisies et autres rigidités dans les échanges de données qui va devenir proportionnellement insoutenable.
Loïc Ménage : Pour un dossier de fabrication qui m’est envoyé par un éditeur, qu’il s’agisse d’imprimer 20 000 ou 2000 exemplaires, le temps de traitement est rigoureusement le même. Or, je reçois de plus en plus de dossiers à 2000 exemplaires et cela génère des situations où il faut pouvoir enchaîner les jobs avec le plus de fluidité possible, faute de quoi, c’est le chiffre d’affaires qui est touché…
Jean-François Lyet : Un point me semble fondamental : nous ne souhaitons pas qu’il s’agisse d’un projet de langage utilisable seulement par une partie des acteurs, nous veillons à ce que tel langage puisse s’adapter à toutes les situations et toutes les tailles d’entreprises. Au sein du SNE notamment, nous avons voulu que de toutes petites maisons d’édition puissent nous rejoindre et il s’avère que certaines, parfois des maisons de seulement 5 à 6 personnes, ont manifesté un véritable intérêt pour la démarche. Nous espérons que certains rejoindront non seulement l’association, mais pourront aussi figurer dans les groupes de travail que nous avons constitués pour ne pas créer une sous-représentativité des petites et moyennes entreprises. C’est en effet un problème que nous rencontrons notamment pour l’activité prépresse, où le groupe n’est à ce jour constitué que de moyennes et grandes maisons, ce qui n’est pas assez représentatif de la réalité du métier. Il en est de même pour l’UNIIC qui veut offrir à ses membres de toute taille la possibilité d’entrer dans un système fluide dans lequel les codes sont harmonisés.
Comment fonctionnent et s’organisent les différents groupes de travail au sein de l’association ?
Jean-François Lyet : Depuis quelques mois, tous les groupes de travail ont été lancés, avec à la tête de chacun d’eux, deux co-animateurs, dont l’un représente systématiquement les donneurs d’ordre et l’autre les fournisseurs. Ces groupes de travail regroupent une demi-douzaine à une douzaine d’acteurs, ce qui les rend gérables et permet à chacun de prendre la parole s’il le souhaite. Si toutefois on constate des déséquilibres, c’est le rôle des co-animateurs de distribuer le temps de parole de façon équilibrée. Les groupes aujourd’hui actifs sont ceux du prépresse, du papier, de l’impression noir (auquel on a rattaché le brochage) et de l’impression couleur (auquel on a plutôt rattaché la reliure). Il existe un support transversal qui prend la forme d’un groupe de coordination technique, son rôle est de donner une impulsion générale, de déterminer vers quel type de langage il faut aller et qui s’assure de la bonne délimitation des périmètres.
Pourquoi ne pas avoir impliqué les éditeurs de progiciel ?
Jean-François Lyet : Nous n’avons pas voulu, malgré des demandes en ce sens de leur part, répondre tout de suite aux sollicitations des développeurs de logiciels. Nous voulions vraiment que tel langage soit d’abord entre les mains des acteurs de la filière, sans l’enfermer dans un progiciel donné. Alors même si c’est encore prématuré, il est bien entendu d’ores et déjà prévu d’informer les acteurs du logiciel (entre autres) de cette démarche, en leur expliquant ce que ça peut leur apporter, de façon à ce que eux puissent également développer de façon native, dans leurs versions logicielles à venir, la capacité de transmettre, de livrer ou de sortir, des données, en s’appuyant sur ce langage. Et de la même façon, les éditeurs de progiciel en question n’auront à intégrer ces informations qu’une seule fois.
Loïc Ménage : L’idée effectivement, c’est bien d’éviter qu’un éditeur d’ERP s’approprie la technologie pour la refacturer à chacun de ses clients. Il vendra bien sûr toujours ses logiciels, mais avec le langage commun déjà intégré, en tant que standard. Mais une phase de communication/information est prévue en amont et c’est aussi sur cette base que la demande pour l’intégration d’un langage commun aux progiciels du marché aura du poids et donc, d’autant plus d’intérêt pour les éditeurs de progiciel.
Est-ce qu’en standardisant, on ne risque pas de perdre une forme de singularité ? Est-ce que certaines différences ne constituent pas une sorte de propriété intellectuelle ?
Jean-François Lyet : Non, je ne le pense vraiment pas. C’est d’ailleurs pour ça qu’un de nos premiers travaux a consisté à établir un glossaire commun. Il s’agit donc de s’entendre autour de définitions et en l’occurrence, donner un nom différent à quelque chose ne constitue en rien un avantage concurrentiel. Au contraire, c’est davantage un élément de confusion dans la tête de celui qui va recevoir l’information… Et contribuer au risque de se tromper, au nom d’une forme de différenciation, ce n’est profitable à personne. Pour autant, aucun glossaire ne sera en mesure de couvrir 100 % du spectre des échanges entre deux acteurs, d’autant qu’on ne sait pas ce qui pourra être créé demain. Après, encore une fois, l’objectif c’est bien de couvrir l’essentiel de ce qui fait le volume d’échange administratif entre les donneurs d’ordre et les fournisseurs.
L’automatisation et la suppression de certaines étapes, ça ne va pas engendrer l’abandon d’éléments contractuels ? On aura toujours des bons de livraison, des bons de commande, des ordres de lancement… ?
Loïc Ménage : L’objectif c’est d’éviter les ressaisies, pas de supprimer les documents contractuels, dont il restera effectivement toujours des traces papier. L’absence de ressaisie n’empêche pas non-plus les contrôles, ça laisse au contraire plus de temps pour mieux contrôler. Il faudra toutefois peut-être effectivement s’assurer qu’il reste des gens chez les imprimeurs qui font encore ce travail-là. Il en va du niveau de service que l’on est en mesure d’assurer et peut-être que certains devront prendre conscience que c‘est important. Ce qu’il faut voir, c’est que c’est du temps de gagné pour peaufiner son niveau de service, ce qui est très positif.
Jean-François Lyet : On pourra même aller vers une dématérialisation totale des échanges. Clairement, la loi le prévoit déjà sur de la facture, il n’y a aucune raison qu’un document dématérialisé ne puisse pas avoir valeur contractuelle, à partir du moment où il comprend les éléments nécessaires. Ce qu’il faut entendre aussi, c’est que la ressaisie est à double tranchant : incontestablement, c’est l’occasion d’un niveau de contrôle supplémentaire. Mais c’est aussi l’occasion de faire de nouvelles erreurs… J’aurais plutôt tendance à dire qu’il faut contrôler la donnée à la source et l’enrichir à chaque étape des échanges. C’est dans ce mouvement de va-et-vient que doivent s’effectuer les contrôles, pas lors de ressaisies.
Jusqu’à quel point souhaite-t-on harmoniser les échanges ? Est-ce que cela va jusqu’à calibrer les contenus et imposer un nombre de lignes de données par exemple ?
Jean-François Lyet : Non, on veut qu’il y ait une étendue qui soit la plus large possible, mais après subsiste une relation entre deux acteurs qui feront leurs propres choix. Et ce sont ces deux acteurs qui décideront du volume d’échanges, des éléments qu’ils seront prêts à partager ou non etc.
En termes de calendrier, il était prévu 4 phases (rédaction des documents techniques, formation des acteurs, déploiement & mise à disposition, communication élargie & suivi du projet) + une phase « Zéro » (pilotage), est-ce que vous êtes en mesure de nous en repréciser l’avancement ?
Jean-François Lyet : Nous avons pratiquement bouclé la phase zéro, celle du pilotage du projet, et en l’occurrence, un point en particulier a fait l’objet de beaucoup d’attente, c’est celle de la nomination d’un Directeur de projet. Parce que des groupes ont commencé à travailler dans le cadre de la Phase 1 – celle de la rédaction des documents techniques – mais sans un minimum de coordination, ce travail-là aurait tendance à se perdre. Il était donc important de ne pas brûler les étapes et suivre une méthodologie de projet. C’est la raison pour laquelle, après avoir reçu plusieurs candidatures et présélectionné trois acteurs susceptibles d’occuper ce poste, nous avons choisi un Directeur de projet (Pierre Esquibet, ndlr) qui va nous accompagner au moins les deux prochaines années et qui va assurer ce rôle de leadership, que nous avions nous-même un peu de mal à assurer en plus de nos responsabilités quotidiennes, en tant que membre du bureau. Il fallait quelqu’un capable d’intervenir dans un projet complexe car multifacettes et qui fait intervenir des parties prenantes très diverses. Le langage Clic.EDIt veut s’inscrire dans la durée et ce nouveau Directeur de projet, nous le pensons, a toutes les qualités requises pour mener à bien cette mission.
Est-on capable de dire quand ces différentes étapes seront achevées ?
Jean-François Lyet : Non, même si nous avons constitué un macro-planning, longuement rediscuté pour l’instant. Un travail va maintenant s’opérer avec les co-animateurs de chacun des groupes de travail, de façon à tronçonner ce macro-planning en un planning plus détaillé pour chacun des groupes. Nous allons tâcher de gérer un avancement équilibré, sans générer de trop grands écarts entre des groupes de travail qui ne progressent pas forcément tous au même rythme. Chacun devra d’ailleurs être conscient que des retours en arrière restent possibles : une question traitée en avance, même prévalidée par les autres groupes, peut devoir être reconsidérée.
A-t-on des éléments pour déterminer un ROI lié à ce langage commun ?
Jean-François Lyet : Il n’est pas mesurable en l’état. Ce que je sais, c’est que c’est un avantage concurrentiel pour tous les acteurs qui s’y grefferont. Le temps gagné se traduira forcément en gain de valeur ajoutée. Il est certain que si nous ne faisions que de gros tirages, nous n’aurions pas besoin de Clic.EDIt. Le problème, c’est bien que c’est l’inverse qui se produit : on fait de plus en plus de tirages entre quelques centaines et 2000 exemplaires et par conséquent, ils doivent s’enchaîner plus vite. C’est ce qui rend tel projet incontournable aujourd’hui.
L’association Clic.EDIt (Coordination langage informatique commun – Edition de livres) est créée par le Syndicat national de l’Edition (SNE) et l’Union Nationale des Industries de l’Impression et de la Communication (UNIIC), associés aux principaux acteurs et prestataires de la chaîne du livre. Ce projet est soutenu par la DGE.
Pour prendre une part active et concrète au projet et connaître les modalités d’adhésion à Clic.EDIt, un contact : clic.edit@gmail.com