À l’initiative de l’UNIIC, La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) est au cœur d’une démarche pilotée par Valérie Bobin (Agefos PME-CGM) avec le concours de Benoit Moreau (Ecograf). L’objectif : identifier les enjeux prioritaires pour le secteur et construire sur cette base une stratégie collective. Entretien et explications auprès de Valérie Bobin :
Comment est née l’idée de mettre sur pied une stratégie sectorielle RSE dans les industries graphiques ?
La branche travaille depuis au moins 20 ans sur différents projets environnementaux et il y a une demande en ce sens des donneurs d’ordre. Dans le même temps, la règlementation évolue sur la RSE (même si dans l’immédiat, l’obligation de produire annuellement un rapport RSE, ne concerne que les entreprises de plus de 500 salariés dépassant un certain seuil de chiffre d’affaires) et l’un des axes porte sur les achats responsables. On demande donc aux donneurs d’ordre de « promouvoir la RSE » auprès de leurs fournisseurs. Cela peut se traduire par le renforcement de critères RSE dans des appels d’offre, par l’envoi de questionnaires aux fournisseurs, etc. Sachant que la RSE couvre un domaine extrêmement large : il est clair que sur le strict aspect « environnement », le secteur a déjà beaucoup avancé, mais c’est sur les dimensions sociales et sociétales qu’une demande est en passe de se développer. A ce jour, sur le terrain, cette demande n’existe quasiment pas, mais on peut d’ores et déjà anticiper sur le fait que ça ne durera pas…
Répondre à ces nouvelles demandes nécessite de se préparer et nous sommes partis du principe que la branche aurait intérêt à se doter d’une stratégie RSE. Elle mène déjà de nombreuses actions qui relèvent d’une définition élargie de la RSE : la promotion d’Imprim’Vert, les accords sur la formation professionnelle, ceux qui concernent la reconnaissance de maladies professionnelles, les chartes d’achats responsables, les actions de Culture Papier etc. La démarche permettra donc de valoriser un certain nombre de choses qui existent déjà, et bien sûr de définir de nouveaux chantiers, pour dessiner une stratégie de branche à laquelle les entreprises pourront prendre part. C’est une mise en cohérence globale qui s’appuie sur du « déjà là ».
Une enquête est en cours, sous la forme d’un questionnaire…
Ce questionnaire nous permettra de définir une douzaine d’enjeux-clés pour les Industries graphiques relevant des 7 domaines mis en exergue par la norme ISO 26000 (la gouvernance de l’organisation, les droits de l’Homme, les relations et conditions de travail, l’environnement, la loyauté des pratiques les questions relatives aux consommateurs et les communautés et le développement local, ndlr). L’objectif est de déterminer ce qui est prioritairement important pour le secteur. Un comité de pilotage multi-parties prenantes y travaille, en croisant ce qui est important pour la branche (entreprises, salariés, fédérations professionnelles et syndicats de salariés) et pour les parties prenantes externes : clients, fournisseurs, centres de formation, pouvoirs publics, collectivités locales, ONG, consommateurs etc.
Au travers des 7 domaines mis en avant par l’ISO 26000, nous avons dénombré une centaine d’enjeux qui ont été hiérarchisés par le comité de pilotage. Sur cette base, nous en avons gardé une cinquantaine et avons constitué un questionnaire que nous avons mis en ligne et soumis à différents publics. Evidemment, les niveaux de priorité évoluent selon les catégories de parties prenantes interrogées et en fonction des politiques internes des uns et des autres. Au final, nous avons recueilli presque 230 réponses, dont une centaine d’imprimeurs. En l’occurrence, les profils sont assez bien répartis : une moitié des réponses recueillies provient de parties prenantes externes et l’autre moitié de parties prenantes internes (entreprises, organisations patronales et syndicales). Les réponses sont triées et placées sur une matrice à deux axes : un axe vertical qui indique ce qui apparaît important pour les parties prenantes externes et un axe horizontal pour les parties prenantes internes. Au croisement de ces deux axes, on dégage des points de convergence dans les attentes de chacun pour travailler prioritairement sur des sujets qui sont importants pour tout le monde. Sachant encore une fois que l’on ne pourra pas tout retenir : les 50 critères évoqués au sein du questionnaire mériteraient tous dans l’absolu que l’on travaille dessus, mais il faudra savoir les prioriser en tenant compte des attentes des différentes parties prenantes.
La suite du travail se déclinera en trois grands volets :
1 – Proposer les enjeux-clés sur lesquels la branche va s’engager
2 – Fixer des objectifs de progrès, pour chacun de ces enjeux, sur 3 à 5 ans, et déterminer quels indicateurs chiffrés nous allons suivre.
3 – Définir comment nous allons accompagner les entreprises sur le terrain, via un plan d’action qui permettra de déployer la stratégie RSE que nous aurons définie.
La branche devrait s’emparer du sujet sous la forme d’un engagement paritaire, ce qui est assez innovant dans la mesure où les démarches paritaires en la matière sont à ce jour quasi-inexistantes. La plupart du temps, il s’agit d’engagements patronaux.
Une fois la stratégie RSE définie au niveau du secteur, quand et comment s’appliquera-t-elle ?
D’ici la fin d’année, nous aurons défini nos enjeux et le plan d’action associé. Dès 2018, le travail consistera donc à motiver les entreprises pour qu’elles s’impliquent dans cette stratégie de branche. A nous de leur fournir les outils nécessaires et de voir comment nous pouvons reconnaître cet engagement : par un label sectoriel par exemple… Il existe déjà des choses, comme l’évaluation ISO 26000, le label Lucie, mais ce sont des approches assez lourdes pour des petites entreprises et il sera peut être pertinent de proposer quelque chose de plus accessible. C’est d’ailleurs une motivation importante pour les imprimeurs qui se sont exprimés à ce sujet : l’existence d’un label reconnu par leurs clients.
Pour autant, pour motiver les entreprises à s’engager dans la RSE, il ne faudrait pas se focaliser uniquement sur l’idée d’un intérêt commercial dans la mesure où les demandes explicites de clients sont encore rares. En revanche, je suis persuadée que la RSE pourra apporter d’énormes atouts en termes de performance à l’entreprise : elle pousse à travailler sur des modes de management beaucoup plus agiles et modernes, à fonctionner de manière plus participative, à stimuler l’innovation, développer les compétences des équipes , à mettre en place des indicateurs de suivi d’activité etc. C’est à mon avis la meilleure raison de se lancer dans ce projet, sans bien sûr négliger les éventuels atouts commerciaux qu’une telle démarche pourrait apporter.
Comment allez-vous accompagner les entreprises, les motiver à s’investir dans des démarches souvent vécues comme lourdes et coûteuses ?
Pour initier cette dynamique, s’agissant surtout d’un projet de transformation du mode d’organisation des entreprises, il faut principalement être en mesure d’y consacrer un peu de temps. La branche sait monter des actions collectives et proposer des outils d’accompagnement ou des formations appropriées pour rendre cela accessible à des petites entreprises.
Nous travaillerons également sur la mise en réseau, le partage d’expériences et d’idées entre des entreprises qui partagent des valeurs semblables. C’est une attente forte des dirigeants rencontrés. Il sera aussi très important de valoriser les entreprises déjà engagées, qui pourront témoigner du « retour sur investissement » qui peut être espéré.