Multisigne – “L’imprimerie, ce n’est plus un simple travail d’exécution”
Nous nous sommes rendus chez Multisigne à Joué-lès-Tours en Indre-et-Loire, un spécialiste de l’impression grand format qui s’attache à affiner un positionnement en constante réflexion. Nouveaux marchés, ajustements techniques et approches innovantes, Emily Pornet – sa dirigeante – montre une volonté forte de ne pas scléroser l’activité d’une entreprise qui, dit-elle, s‘est toujours employée à devancer les tendances. « On essaie d’anticiper le plus possible, voire d’être avant-gardiste. C’est quelque chose que m’a inculqué mon père : il faut essayer d’être visionnaire » résume-t-elle…
C’est en 2018 que l’entreprise, jusqu’alors dirigée par Guy-Pascal Pornet, est reprise par sa fille. Et c’est peu dire qu’en six années, Emily Pornet a d’ores et déjà inscrit sa griffe et repositionné l’entreprise au gré de choix stratégiques muris. « Il faut bien se dire qu’en 2005, nous avions aménagé un bâtiment pour faire rentrer une quatre couleurs en sérigraphie. Autour, il n’y avait que des machines de sérigraphie. Nous avions 800 mètres carrés dédiés à cette technologie. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’une offre mineure chez nous. Malheureusement, c’est un procédé qui a beaucoup souffert, l’offset est venu lui manger quelques parts de marché, en plus de l’impression numérique. Or, la sérigraphie réclame beaucoup de main d’œuvre, beaucoup de technicité et les compétences sont de plus en plus difficiles à trouver. La maintenance devenait difficile également, avec des pièces de plus en plus difficiles à trouver » éclaire Emily Pornet, pour illustrer un phénomène somme toute observable à l’échelle du tissu industriel français tout entier : alors que la sérigraphie décline pour devenir une (précieuse) technologie d’appoint, c’est l’impression numérique qui se taille la part du lion.
“Le fait est qu’on pratique à peu près tous les mêmes prix, avec des cadences machines et des niveaux de qualité similaires. Notre valeur ajoutée, c’est ce que l’on offre en plus.”
Viser large pour affiner au mieux
Affichage, signalétique, enseignes, panneaux, PLV (packaging, totems, kakémonos, banderoles et bâches, stop rayons, frontons, présentoirs), structures d’exposition (stands, roll up et enrouleurs, portes brochures, enseignes, drapeaux), décoration et agencements (papiers peints, stickers, toiles, tableaux, meubles)… Si Multisigne a fait des choix – technologiques, notamment – on ne peut pas dire que son offre se soit concentrée autour d’un nombre plus restreint de produits. Une variété de possibilités qui fut une chance, notamment lors de la crise sanitaire. « Notre avantage, c’est d’être très généralistes et de pouvoir à répondre à tout type de demande, ou presque. Pendant le Covid, on est arrivés à être flexible en prenant des choses par-ci, par-là : des banderoles, des stickers etc. Cela nous a permis de ne pas fermer. Paradoxalement, cette espèce d’improvisation constante a créé de la solidarité et de la cohésion dans l’équipe. La fidélité de nos fournisseurs a également été d’une grande aide, leur présence nous a permis d’anticiper en surstockant » se remémore-t-elle, même s’il reste à préciser les équilibres sur lesquels l’entreprise a décidé de miser. « La part de notre chiffre d’affaires consacrée aux affiches a été en baisse pendant des années, parce que nous produisions avec d’anciennes machines et que les prix avaient sensiblement baissé. Dans le même temps, nous avons développé l’activité PLV pour compenser au moins en partie. Là, nous avons racheté de nouvelles Aleph à encres aqueuses, ce qui nous permis de réenclencher une dynamique très positive sur l’affiche » précise Emily Pornet, qui ne cache cependant pas combien la réorientation de l’activité sur la PLV aura constitué un virage stratégique majeur, pour partie contraint, mais bel et bien salutaire. Un virage qui aura en effet notamment conduit l’entreprise à flexibiliser tant son organisation, par l’instauration d’un planning en 3/8, que son amplitude de production, Emily Pornet se faisant ainsi fort de souligner que Multisigne s’attache à produire à partir d’un seul exemplaire, jusqu’à imprimer de hauts volumes si nécessaire, pour servir des marchés plus massifiés. Là encore, l’objectif est clair : répondre à un maximum de demandes, de toute nature.
Être à l’affut de nouveaux marchés : une adaptation qui passe par un élargissement de services
« Il a fallu trouver d’autres leviers lorsque le marché de l’affiche a commencé à baisser et dans le même temps nous constations une hausse sensible des demandes en PLV. Des gros faiseurs nous ont fait confiance et au fur et à mesure, on en est arrivé à faire 75 % de PLV. Alors que dix ans plus tôt, près des trois quarts de notre activité était consacré à l’affiche. On a complètement basculé, presque changé de métier, mais nous n’avions pas le choix » explique-t-elle. Un contexte qui explique en partie cette volonté d’ouverture sur les opportunités qui peuvent se faire jour dans le domaine de la communication visuelle au sens large, l’entreprise se montrant particulièrement soucieuse de ne pas s’enfermer dans une offre rigide. Et pour cause : « On est presque devenus une agence de communication. Il faut accompagner les clients sur l’idée, parfois même sur la créa’, sur le prix, sur le cahier des charges, notre bureau d’étude les accompagne sur la conception etc. L’imprimerie, ce n’est plus un simple travail d’exécution ‘Je vous envoie un fichier et vous l’imprimez sur un bout de PVC’. Pour moi la valeur n’est plus tant sur l’impression que sur ce que l’on est capables de proposer. Le fait est qu’on pratique à peu près tous les mêmes prix, avec des cadences machines et des niveaux de qualité similaires. Notre valeur ajoutée, c’est ce que l’on offre en plus » résume Emily Pornet. Or, ces ‘plus’ nécessitent fatalement de couvrir davantage de services, notamment dans ce qui se situe en aval de l’impression : finition, conditionnement, expédition… « On a recruté parce que c’est une transformation qui a demandé beaucoup de main d’œuvre, surtout sur la partie finition et conditionnement. Auparavant, nous ne nous occupions pas de tout ce qui concerne la répartition des expéditions, aujourd’hui c’est géré en interne, en travaillant notamment avec des ESAT. On fait venir des gens ponctuellement sur certains dossiers » confirme la dirigeante.
“En soi, on fait de l’ultra-personnalisation, mais il faut marketer ce que l’on fait et accompagner les gens, sinon ça ne marche pas.”
Production mutualisée, marketing ciblé
« En fonction des commandes, nous avons des machines petites, moyennes et grandes quantités. Sur certains nouveaux équipements, nous pouvons maintenant faire du roll-to-roll, alors que nous imprimions uniquement en aplat auparavant. L’idée, c’est donc d’aller creuser d’autres marchés » poursuit Emily Pornet, même si lorsqu’on lui demande comment ces arbitrages de volumes sont concrètement traités, les critères d’appréciation s’éloignent beaucoup de ce que diraient nombre d’offsettistes dits ‘traditionnels’ : « C’est compliqué parce que si on parle de plaques de 3 par 2, dès la centaine d’exemplaires on imprime une quantité importante en m². Alors qu’à l’inverse, 2000 petits stickers, c’est un petit dossier. On arbitre les quantités en fonction du nombre de plateaux que l’on passe, sur tout type de matières : supports rigides, souples, du carton, du plexiglas, du PVC, du bois etc. Mais on fait de plus en plus de PLV durables, donc pas mal de bois. On s’appuie sur des machines plutôt typées haute qualité qui impriment en petites séries à 40 m² de l’heure. C’est justement typiquement avec ces machines que l’on imprime du bois pour des enseignes durables » développe-t-elle en effet. Cette volonté de souplesse ne transparaît toutefois pas qu’au travers de choix d’investissements techniques, puisque l’on découvre chemin faisant que Multisigne cache d’autres atouts dans sa manche, hébergeant un matériel de production en réalité partiellement dédié à des entités satellites, bénéficiant de leur propre identité et d’un marketing singulier. « J’ai une deuxième entreprise qui est Pixpano. Multisigne, c’est une cinquantaine de salariés, Pixpano c’est vingt salariés. On fait exclusivement de la crédence de cuisine, des parois de douche, de la verrière personnalisée etc. On vise donc clairement les marchés de la décoration intérieure, ce qui est un positionnement bien spécifique. Les deux entreprises sont donc managées à part, parce qu’elles n’ont pas du tout la même façon de fonctionner. Néanmoins, l’équipement est partagé » explique-t-elle, avec une volonté manifeste d’adapter la communication au produit, le plus possible. « Les marchés de la décoration sont très porteurs et je pense qu’aujourd’hui, c’est un axe de développement à fort potentiel. Sur de la crédence, je travaille pour des professionnels qui sont des cuisinistes, des architectes, des décorateurs d’intérieur etc. Ces marchés sont peut-être encore un peu complexes quand on cherche à s’adresser directement au consommateur final. De mon point de vue, ça fonctionne mieux quand on crée des gammes standardisées. En soi, on fait de l’ultra-personnalisation, mais il faut marketer ce que l’on fait et accompagner les gens, sinon ça ne marche pas » prend-elle soin de préciser, décrivant un écosystème industriel mutualisé, mais des approches marketing volontairement plus éclatées, de sorte à maximiser les chances de toucher des cibles diverses, lesquelles n’auraient pas forcément l’idée d’aller solliciter un imprimeur grand format, ou à tout le moins identifié comme tel. Il aura souvent fallu se signaler autrement. Mais plus encore, Multisigne & Pixpano – qui génèrent respectivement 8 et 4 millions d’euros de chiffre d’affaires – s’inscrivent dans une philosophie consistant à mêler production industrielle, offre de services élargie et marketing ciblé : une triple approche qui fait presque figure aujourd’hui de seule stratégie viable, pour sortir le print d’une ornière strictement industrielle de plus en plus restrictive.