Protection des données personnelles – Une régulation nécessaire aux effets pervers

Cet article est paru dans Acteurs de la Filière Graphique n°135 (octobre 2021)


Alors que tant appellent à contraindre des GAFAM hyper dominants dopés à la data, peut-on seulement échapper à leur emprise ? La volonté de leur opposer des limites n’a-t-elle pas davantage mis en difficulté des structures de taille plus modeste ? De paradoxes en effets pervers, la nécessaire protection des données personnelles apparaît comme un défi encore loin d’être réglé…

Nous serions tentés d’être taquins et de rappeler qu’il y a peu, visiblement désireux de se passer des services d’Apple et de Google par souci d’indépendance, l’État français s’est obstiné à élaborer en s’isolant une application StopCovid (devenue TousAntiCovid) incompatible avec des modèles de smartphones dits « trop anciens ». Un retard à l’allumage qui n’aura été que partiellement comblé, au gré notamment de problèmes d’interopérabilité persistants, grâce à une application de remplacement encore imparfaite mais qui dépassait enfin les vingt millions de téléchargements fin juin 2021. Une « victoire » ô combien laborieuse donc, qui souligne cette triste réalité : à parfois trop vouloir s’émanciper de la mainmise des GAFAM, fût-ce sur le fond pour des raisons très légitimes, on ne se rend la tâche que plus ardue encore.

« Les logiques de marketing et de communication nourries à la data sont en train de s’imposer, bien au-delà des seuls géants du Web. »

Le numérique, un accélérateur de monopoles ?

La chose vaudra également (et vaut probablement déjà) en matière de régulation des flux de collecte et de traitements des données personnelles. Car si « souveraineté numérique » il doit y avoir, elle ne saurait s’affranchir à ce jour d’une emprise oligopolistique qu’il s’agit à ce stade surtout d’encadrer, plus que de déconstruire. S’il est à parier que quelques fiers étendards de la « French Tech » réussiront à s’imposer sur des terrains encore laissés libres (entre autres co-constructions européennes, que certains souhaitent pouvoir opposer aux leaders américains), il serait malvenu d’ignorer combien l’espace numérique – aussi ouvert et foisonnant soit-il – est par nature générateur de simili-monopoles, dont certains sont d’évidence très bien installés. « Aucune société européenne n’est actuellement en mesure de modifier le rapport de force économique et industriel mis en place par les sociétés américaines et chinoises. Qu’il s’agisse des GAFAM, des NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber), de leurs équivalents chinois, les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi), ou encore de Huawei ou ByteDance, du fait de leur puissance économique et de leur extension dans l’ensemble des champs économiques et sociaux, ces entreprises ont acquis un pouvoir politique qu’aucun autre acteur industriel n’avait pu acquérir jusqu’ici » écrit notamment  Bernard Benhamou, secrétaire général de l’Institut de la souveraineté numérique, dans une tribune intitulée « Souveraineté numérique : quelles stratégies pour la France et l’Europe ? ». Dès lors en effet que l’efficience des services en ligne est décorrélée de toute notion de dépendance géographique (et en l’occurrence, vous n’aurez besoin que d’une connexion stable pour utiliser Google, peu importe que vous vous situiez au beau milieu d’une mégalopole ou en rase campagne), c’est le prestataire dominant qui absorbe l’essentiel des requêtes sur le Web. De la même façon que Youtube n’a rapidement plus toléré de concurrent sérieux (Dailymotion – une création française – aura pourtant essayé), Amazon écrase le marché du e-commerce avec 22 % de parts de marché (hors alimentaire) et un chiffre d’affaire plus de deux fois supérieur à celui de son dauphin, Cdiscount. A l’inverse, les services de proximité dits « physiques » sont des facteurs précieux de diversité : là où les leaders du numérique tentent de centraliser l’activité (commerciale, publicitaire, économique etc.) en leur sein, les acteurs de la proximité ont pour mission d’assurer un maillage géographique des services suffisant pour offrir une qualité de vie décente au plus grand nombre. Pour autant, qu’on ne s’y trompe pas : la data de leurs clients et usagers les intéresse tous. Ce n’est peut-être pas encore le cas de votre boulanger de quartier (quoique), mais les logiques de marketing et de communication nourries à la data sont en train de s’imposer, bien au-delà des seuls géants du Web…

« En appliquant à ses supports de communication numériques un algorithme de recommandation, Picard peut décliner 1283 combinaisons de messages, selon les affinités perçues des cibles visées. »

Soucieux d’ultra-personnaliser ses approches numériques, l’enseigne Picard s’est dans le même temps attachée à positionner le papier sur des formats magazines de qualité.

Transformation « Data-driven » : le cas Picard

Il est des acteurs pour lesquels la transformation numérique n’est pas une option : avec 1036 magasins en France et une présence sur Internet dès l’année 2000 avec un site de vente en ligne, Picard est davantage un poids lourd de son secteur qu’une petite entreprise de quartier. C’est pourtant un véritable acteur de proximité qui a déjà axé une part majeure de son développement sur du retraitement de data qualifiée. Démonstration en fut faite durant l’assemblée générale du Syndicat National de la Communication Directe (SNCD), alors sur le point d’être rebaptisé DMA France : première analyse de tickets de caisse en 2011, premiers tests CRM et assortiments différenciés selon les typologies de magasins en 2013, lancement d’un programme fidélité en 2017 et premières communications segmentées/personnalisées selon les profils de clients en 2018. Picard a déjà fait du chemin et n’entend pas en rester là. Alors en effet que les stratégies de segmentation ont déjà porté leurs fruits (la marque ayant constaté une nette amélioration du taux de conversion à l’achat des produits mis en avant, via des communications segmentées), l’enseigne n’hésite pas à qualifier clairement son objectif : « aller vers le one-to-one » en poussant aussi loin que possible les logiques de communication et de recommandations personnalisées. Or, quelle meilleure arme que l’analyse data pour y parvenir ?

Le print encore incontournable pour parler aux masses

En faisant appel à Equancy, un cabinet de conseil spécialisé dans la transformation digitale, la marque conditionne aujourd’hui plus que jamais son évolution à son niveau de connaissance de ses clients. Dit très simplement : les comportements d’achat sont scrutés et analysés pour développer un algorithme de recommandation aussi pointu que possible. A ce jour, en appliquant à ses supports de communication numériques un algorithme de recommandation, Picard peut décliner 1283 combinaisons de messages, selon les affinités perçues des cibles visées. Un chiffre que l’enseigne ne désigne pas comme un plafond, mais comme une étape vers le « one-to-one » qu’elle appelle de ses vœux. Si l’objectif est posé, la stratégie de Picard assume une réelle scission entre l’hyperpersonnalisation de recommandations 100 % digitales et le maintien du print dans une logique de média de masse, porteur d’un socle commun d’informations. A ce titre, Picard édite, en marge de ses traditionnels catalogues produits imprimés, un magazine papier de brand content doté d’une ligne éditoriale solide : on y trouve des recettes, des conseils, des dossiers, des portraits etc. Si l’on voulait schématiser, l’on pourrait alors dire que le numérique est ici pensé pour parler à chacun, quand le print se veut parler à tous. C’est là un parti-pris stratégique particulier, en ce sens que le papier aurait lui aussi pu être le réceptacle (et le véhicule) d’une volonté de segmenter/personnaliser la communication, moyennant le recours à de l’impression numérique calibrée pour faire du versioning. L’enseigne semble donc vouloir à ce stade exclusivement flécher la data qu’elle s’applique à collecter, traiter et retraduire, vers ses supports et applications numériques, sous forme de recommandations personnalisées. Mais c’est une évidence : de tels objectifs ne vont pas sans leur lot d’obligations réglementaires…

On ne plaisante plus avec le RGPD

Après un temps d’ajustements, le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) entend se faire respecter. D’après une analyse d’Atlas VPN, près de 650 sanctions (soit près de 300 millions d’euros) ont été infligées par les autorités des pays membres de l’Union européenne entre mai 2018 et mai 2021 et la France fait partie des pays les plus zélés en la matière : citons notamment les sanctions prononcées par la CNIL qui ont visé Google (50 millions d’euros : un record) le groupe Carrefour (2,25 millions d’euros) ou très récemment Brico Privé (500 000 euros). Si les deux premiers cas entendent démontrer combien les gros poissons sont les cibles les plus prisées, celui de Brico Privé rappelle que les structures relativement plus modestes ne sauraient échapper au tamis réglementaire. Pire encore : au regard de ce qu’elles sont, elles paient proportionnellement plus cher leurs manquements que les GAFAM. En l’occurrence, Brico Privé n’aura pas eu besoin de commettre de lourdes fautes (on ne parle effectivement pas là d’espionnage ou de fuites massives des données), mais n’aura – comme tant d’autres – pas su serrer la vis en termes de bonne gestion de la data : s’assurer du consentement dûment renouvelé de ses cibles, ne pas conserver les données collectées au-delà du temps nécessaire ou encore garantir la sécurité des systèmes de stockage. Des erreurs qui – soyons clairs – sont d’autant plus répandues qu’elles réclament des moyens et compétences que tout le monde n’a pas encore et placent les structures les moins armées en situation d’insécurité juridique. C’est là une des missions portées par la FEDMA (Federation of European Data & Marketing) et ses déclinaisons à l’échelle nationale, dont DMA France (anciennement, le Syndicat National de la Communication Directe) : la FEDMA appelle en effet à « une mise en œuvre équitable et efficace du RGPD ». C’est bien le mot « équitable » qui apparaît important ici, car il laisse entendre combien mettre en place les bonnes pratiques, tant en termes techniques qu’humains, s’avère plus ou moins accessible, selon les moyens dont on dispose.

« Il y a cette balance à respecter entre d’un côté les droits des personnes et de l’autre, les intérêts commerciaux légitimes d’une entreprise à prospecter. Or, on tend à ne plus retenir qu’une part de l’équation. » Nathalie Phan-Place (Secrétaire générale de DMA France)

Le consentement, un prérequis absolu ?

Pour autant, lorsque l’on demande aux organismes concernés quelles formes d’inéquités il s’agirait de déconstruire, il est dans un premier temps surtout question de rappeler les équilibres qui lient le communicant/prospecteur à l’usager… « Le RGPD est censé permettre un équilibre entre les droits des personnes et les obligations des entreprises. Dans le prolongement de ce que définissait déjà la loi Informatique et Libertés depuis une directive qui date de 1992, il y a notamment la notion d’intérêt légitime pour l’entreprise qui entre en jeu : c’est ce qui permet de prospecter quelqu’un, sous certaines conditions, sans consentement préalable. Le RGPD reprend ce principe et précise bien qu’il y a cette balance à respecter entre d’un côté les droits des personnes et de l’autre, les intérêts commerciaux légitimes d’une entreprise. Or, on tend à ne plus retenir qu’une part de l’équation, les autorités de contrôle ayant tendance à ne plus s’inquiéter que du consentement du consommateur » regrette Nathalie Phan-Place, secrétaire générale de DMA France. Les cas où le recueil d’un consentement ne serait pas nécessaire, moyennant toujours toutefois la nécessité d’informer, concernent par exemple « la prospection par voie postale » ou celle qui vise à « honorer des obligations contractuelles » illustre-t-elle. Autrement dit : on ne saurait s’opposer à tout, même si le RGPD a indiscutablement induit un durcissement des règles pour plus de consentement, sur la base de principes déjà éprouvés au sein des précédentes réglementations en la matière. « Le RGPD introduit surtout l’obligation de proportionner les procédures de sécurisation de la donnée en fonction de leur degré de sensibilité et des risques qu’il y aurait à ce qu’elles fuitent » ajoute-t-elle. Malgré tout, pareil tour de vis réglementaire, a priori très favorable aux consommateurs désireux de protéger leur data, ne s’est pas traduit par un sentiment de sécurisation croissant. La faute cette fois à des rapports de force encore très disparates : car la situation est par nature inégale lorsque Google jouit d’une position d’ultra domination qui contraint une majorité à « consentir » au partage de données, faute de pouvoir accéder à des services devenus incontournables (Youtube, Gmail etc). Alors que pour une petite entreprise, le « risque » de voir l’utilisateur rebrousser chemin sans cliquer sur « accepter tout » est bien plus grand, en plus d’être possiblement définitif…

« Tous les pays ne font pas la même interprétation du RGPD, selon la culture des autorités de contrôle chargées de le faire appliquer, alors qu’il s’agit pourtant d’un règlement commun censé assurer une homogénéité. » Nathalie Phan-Place (Secrétaire générale de DMA France)

Un même règlement, mais des interprétations et des conséquences inéquitables

On peine ainsi à réguler des géants soumis à des règlements tentaculaires, lesquels finissent par sur-pressuriser les petits acteurs de façon presque collatérale, alors même que ce n’étaient d’évidence pas les premiers visés… Cette autre asymétrie est doublement problématique : à la fois parce qu’elle accentue les difficultés des entreprises les plus modestes – à rebours de ce pour quoi le RGPD a probablement été pensé, un comble – mais aussi parce qu’elle échoue encore à « protéger » le consommateur comme elle entend le faire. « Tous les pays ne font pas la même interprétation du RGPD, selon la culture des autorités de contrôle chargées de le faire appliquer, alors qu’il s’agit pourtant d’un règlement commun censé assurer une homogénéité. Le législateur a par ailleurs laissé beaucoup d’articles sur lesquels chaque État peut prendre des décisions différentes » précise Nathalie Phan-Place, le phénomène s’en trouvant naturellement amplifié dès lors que l’on parle d’entreprises hors Union Européenne… « Le RGPD s’applique à toute entreprise qui vient, soit prospecter des gens en Union Européenne, soit suivre leurs comportements. L’objectif était donc clairement d’inclure les GAFAM et ne plus leur permettre de se cacher derrière des législations hors UE. Mais dans les faits, elles s’y plient encore mal : malgré quelques amendes, leurs quality policy sont très loin des exigences de la CNIL en matière de protection des données en France par exemple, notamment sur les cookies » poursuit-elle, laissant deviner que si les GAFAM ont objectivement les moyens de s’acquitter d’amendes contestées du bout des lèvres, ce n’est pas une option pour de petites entreprises que des sanctions peuvent rapidement mettre en danger. « C’est aussi beaucoup plus handicapant pour les sites qui présentent leurs contenus comme étant gratuits, alors qu’en réalité leur modèle économique consiste à vendre des espaces publicitaires qualifiés aux annonceurs. S’ils ne parviennent pas obtenir le consentement de leurs utilisateurs, ils n’ont plus de données qualifiées à vendre et leur modèle économique tombe » précise la secrétaire générale de DMA France, dans un contexte où si l’information payante – pour le segment Presse notamment – gagne certes du terrain, elle reste minoritaire dans le flux de contenus lus et partagés sur le Web. Dernier paradoxe dans une situation qui n’en manque pas : les outils de vérification et de contrôle du consentement par exemple, sont souvent des extensions logicielles proposées par les GAFAM eux-mêmes, lesquels « marchandent » ainsi leurs services pour aider les autres à satisfaire aux exigences du RGPD… Tout en se rendant plus indispensable encore. La boucle est ainsi bouclée, trahissant derrière les quelques progrès et bonnes intentions que le RGPD aura drainé depuis sa mise en application, des inégalités grandissantes. Réguler l’espace numérique est donc un défi aussi urgent que complexe, mais il semblerait décidément que les réponses restent à écrire…

Thomas Rudelle (Carrefour) – « Il n’y a pas de remise en cause de l’importance du papier »

Si l’heure n’est pas à remettre en cause l’efficacité maintes fois démontrée du support papier en tant que véhicule publicitaire et promotionnel, les mesures restrictives visant actuellement l’imprimé non-adressé contraignent les enseignes de grande distribution à penser de nouveaux équilibres. Entretien avec Thomas Rudelle, directeur du marketing digital chez Carrefour, pour qui le print est l’allié objectif de ses déclinaisons numériques…

Thomas Rudelle (©Amélie Marzouk).

Vous êtes directeur du marketing digital chez Carrefour, ce qui ne vous empêche pourtant pas d’insister sur l’efficacité du prospectus papier pour drainer du trafic en magasin… Comment voyez-vous évoluer la complémentarité des supports print et numérique, à l’avenir ?

Nous pouvons nous appuyer sur de nombreuses études qui ont déjà démontré l’efficacité du tract promotionnel papier. Nous savons que c’est un driver majeur de trafic pour nos magasins. Nous n’avons donc aucune raison de nous en passer, sauf si le régulateur nous y oblige. Auquel cas, il nous faudra trouver des alternatives. Le prospectus imprimé aujourd’hui reste un levier publicitaire qui demeure très puissant, même si les usages changent et qu’il nous faut constamment nous adapter. Ce qui nous importe, c’est de coller à ces usages pour proposer le bon média, au bon public, au bon moment. Nous portons là-dessus un regard pragmatique d’efficacité : en fonction des publics cibles, nous actionnons le meilleur levier de communication. Dans la pratique, cela nous amène à combiner le papier et le digital, sans nous arrêter à des oppositions stériles. Bien sûr, nous essayons différentes choses, expérimentons différentes approches et affinons notre stratégie, mais les meilleures réponses s’appuient toujours sur une forme de complémentarité des supports promotionnels.

« Nous savons que le papier est un driver majeur de trafic pour nos magasins. »

Est-ce que l’imprimé publicitaire non-adressé n’est pas encore aujourd’hui une arme concurrentielle, de telle sorte que s’il vous fallait vous en passer sur certains territoires, la déperdition de trafic en magasin se ferait au profit d’enseignes voisines ?

Nous procédons régulièrement à des tests et observons quels peuvent en être les effets, mais nous savons que ces tests sont très observés en magasin. Il est donc parfois difficile de mesurer la part de rationnel dans les résultats que nous mesurons. Les grands acteurs du numérique américains  vous diront que le digital c’est formidable, les industriels de l’impression vous diront que le papier c’est formidable, ce qui importe pour nous c’est d’arbitrer au mieux en gardant à l’esprit que toutes les études qui concernent ces sujets sont interprétables. Nous restons donc prudents et vigilants, en ce sens que nous sommes autant que possible à l’écoute de l’évolution des pratiques. Nous mobilisons sur ces sujets des « équipes études » pour mesurer au mieux l’efficacité de nos différents supports de communication, tout en ayant conscience que les tendances sont changeantes et qu’il faut y réfléchir en permanence. Mais aujourd’hui, il n’y a pas de remise en cause de l’importance du papier : nous savons qu’il est incontournable pour la grande majorité de nos magasins.

A la fois conspué tel le symbole d’un consumérisme aveugle et guetté par de nombreux consommateurs avides de bonnes affaires, le Black Friday cristallise les contradictions d’une époque complexe. Il n’est notamment pas rare que des autocollants Stop Pub disparaissent des boites aux lettres à l’approche de l’événement, comme si certains craignaient de rater des offres importantes…

Avez-vous senti une « pression verte » poussant à la digitalisation de la communication ?

J’ai abordé ces sujets avec les GAFA avec lesquels je travaille, et je leur ai posé directement  cette question : est-ce que vous pensez que vos canaux sont plus vertueux que ceux du print ? En l’occurrence, ils se savent perfectibles sur certains points, notamment concernant l’efficience environnementale de leurs data center. Ils sont conscients des critiques dont ils peuvent être la cible et ne se présentent pas comme une solution verte face au prétendu « gâchis de papier ». En l’occurrence, je ne suis pas un spécialiste du print, mais j’entends les gens dont c‘est le métier chez Carrefour assurer que le papier que nous utilisons est issu de forêts gérées durablement, que les encres respectent un strict cahier des charges RSE. C’est un message parfois difficile à faire entendre auprès du grand public, mais en termes d’écoresponsabilité, comparer le papier et le digital est quelque chose de complexe. Il y a certainement ici une forme d’injustice, mais entre ce que le destinataire voit concrètement dans sa boite aux lettres, et ce que l’on cache derrière la « dématérialisation » numérique, il y a un possible déficit d’image pour le papier. Tout le monde n’a pas encore le réflexe de se demander ce que pèse un e-mail, alors que ce n’est évidemment pas neutre.

« Plus l’offre promotionnelle est forte et impactante, plus le support papier est pertinent. »

Est-ce que l’imprimé publicitaire adressé, moyennant une possible personnalisation des contenus, fait pour vous figure de solution d’avenir ? Ou est-ce qu’à vos yeux, c’est le digital qui se prête le mieux à ces évolutions ?

C’est une réflexion que nous avons menée en Espagne et que nous aimerions reconduire en France : nous avons demandé à nos clients titulaires d’une carte de fidélité par quel canal ils souhaitaient recevoir nos informations. E-mail, messagerie instantanée, application mobile, prospectus, courrier adressé… Les consommateurs demandeurs d’informations uniquement papier sont plutôt les moins nombreux et les plus âgés. Une grosse majorité réclame du multicanal. Il faut prendre en compte les spécificités d’un pays comme l’Espagne, où l’application de messagerie instantanée Whatsapp est extrêmement répandue, mais ce que l’on observe, ce sont surtout des combinaisons digital + print. Certaines familles de produits, lorsqu’elles bénéficient de grosses offres promotionnelles, comme ce peut être le cas sur des produits électroniques, se prêtent extrêmement bien au catalogue papier, là où les offres un peu plus « standard » liées à des produits de consommation courante, sont plus solubles dans une communication digitale. En quelque sorte, plus l’offre promotionnelle est forte et impactante, plus le support papier est pertinent. Nous réfléchissons aussi à d’autres pistes, comme celle de la Presse Quotidienne Régionale : cela permet de rentrer dans les boîtes aux lettres en générant une émotion, via un médium encore très puissant localement, tout en adressant un contenu publicitaire pertinent. Autre possibilité que ces tests ont soulevée : proposer le catalogue papier en magasin sur des présentoirs scénarisés à cet effet, avec ceux de la semaine en cours à l’entrée du magasin, et ceux de la semaine à venir en sortie de magasin. L’important encore une fois, c’est de proposer du papier au bon moment.

En développant à la fois une gamme de produits spécifiques ainsi même qu’une enseigne « Carrefour Bio », l’enseigne a déjà prouvé qu’elle ne restera pas sourde aux tendances écoresponsables.

La digitalisation massive de la communication subit elle aussi de nombreuses critiques : on commence à mesurer et dénoncer ses impacts environnementaux tout autant que l’on s’inquiète de la collecte de données personnelles qu’elle peut engendrer. Qu’est-ce que cela inspire au directeur du marketing Digital que vous êtes ?

Sur cette question sensible des données personnelles, nous sommes déjà soumis à des contraintes réglementaires que le groupe Carrefour prend on ne peut plus au sérieux. Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) a déjà largement balisé les objectifs à tenir et mobilise des équipes pluridisciplinaires chez nous, dans tous les  pays. C’est devenu de toute façon inhérent à la construction-même d’une stratégie globale de marketing digital : nous savons que les notions de transparence et de consentement sont centrales et qu’elles le seront de plus en plus. Ça ne signifie pas pour autant que nous renonçons à la valorisation de la data. La technologie numérique amène à gérer les choses autrement, avec certainement plus de granularité et des remontées statistiques en temps réel, mais je reste convaincu que sur le fond, c’est une méthodologie que nous appliquions déjà avant l’avènement d’Internet. Une enseigne a toujours cherché à connaître ses clients et décrypter les pratiques d’achat. Les outils dont nous disposons aujourd’hui sont en revanche plus puissants, raison pour laquelle la réglementation s’est adaptée.

« Si demain une municipalité comme Grenoble décidait d’instaurer un « Oui Pub », voire d’en faire la règle par-delà son expérimentation, nous réfléchissons déjà à des solutions multicanales d’ajustement. »

Des expérimentations dites « Oui Pub » sont à l’étude dans le cadre du projet de Loi portant lutte contre le dérèglement climatique et ses effets, lui-même extrait des travaux menés pendant neuf mois par les cent cinquante personnes tirées au sort constituant la Convention citoyenne pour le climat… Concrètement, il serait question d’expérimenter pendant trois ans un dispositif d’opt-in sur boites aux lettres, pour les imprimés publicitaires non-adressés, au sein des territoires concernés. Est-ce que ce n’est pas de nature à accélérer un basculement vers une stratégie de communication plus numérique, pour une enseigne telle que la vôtre ?

Nous suivons évidemment cela comme le lait sur le feu… De fait, oui, nous travaillons à des solutions de substitution si le « Oui Pub » devait opérer une percée importante et modifier les équilibres sur lesquels nous avons construit notre stratégie de communication. Nous ne pouvons pas ignorer les répercussions potentielles qu’aurait ce dispositif s’il était largement appliqué. Au-delà de ce que nous percevons aujourd’hui comme étant plus efficace, il y a ce que nous serons en droit de distribuer, tout simplement. Des décrets d’application liés à cette expérimentation peuvent être déposés dès cette année et s’il sera difficile d’être totalement prêts, nous ne pouvons pas nous permettre d’être démunis. Pour autant, il n’est aucunement question de précipiter des décisions qui méritent d’être finement analysées. Si demain une municipalité  décidait d’instaurer un « Oui Pub », voire d’en faire la règle par-delà son expérimentation, nous réfléchissons déjà à des solutions multicanales d’ajustement : est-ce que je fais plus de digital ? Plus de PQR ? Plus de radio ? Est-ce que je mets plus de catalogues en libre-service en magasins ? Est-ce que je pousse vers la distribution adressée ? Etc. Ce sont autant de réflexions qui sont menées actuellement, parce que nous ne pouvons pas nous permettre de nous retrouver sans solutions. Nous raisonnons toutefois toujours « à la maille locale » parce que là encore, il serait malvenu de généraliser une seule approche sur l’ensemble du territoire. Comme je l’ai déjà dit, nous tâcherons d’être dans l’analyse la plus fine possible, pour être en phase avec la réalité du terrain.

Dominique Schelcher : “Ce n’est pas notre vocation que d’aller faire imprimer nos supports en Allemagne ou en Belgique”

Les magasins Système U – un groupement coopératif qui figure au quatrième rang des distributeurs alimentaires en France – ont fait savoir, par la voix de leur Président, Dominique Schelcher, qu’ils rapatriaient l’impression de 350 millions de prospectus dans l’hexagone. Une décision forte qui intervient dans un moment particulier, où les questions relatives à la relocalisation et au soutien de l’économie sont particulièrement vives. Nous avons à ce titre voulu en savoir plus sur les motivations stratégiques de Système U, l’heure étant par ailleurs à questionner le bien-fondé de la communication publicitaire, sur fond de poussée verte…

La communication est en pleine transformation et chez certains agents économiques, y compris chez certains de vos concurrents, on s’interroge sur la substituabilité print/autres canaux. Au-delà de votre décision stratégique de relocaliser vos imprimés publicitaires (IP) dans une logique vertueuse de circuits courts, vous avez rappelé l’importance de l’imprimé publicitaire toute boites, à un moment ou un bruit de fond laisse entendre que les publicités incitatives conduisent à la société du gaspillage et de la surconsommation. Dans ce contexte, comment l’imprimé publicitaire, qui demeure un support du pouvoir d’achat, doit selon vous évoluer pour s’inscrire dans cette volonté de desserrer l’étreinte consumériste ?

L’imprimé publicitaire est un composant important de la communication promotionnelle des enseignes de distribution, mais en même temps il incarne pour certains l’image du gâchis et de la pollution générée par la société de consommation volumique. Les Magasins U sont conscients de cette situation et ont déjà travaillé avec leurs partenaires pour limiter l’impact de ce support : en utilisant du papier recyclé et recyclable, en privilégiant des encres plus respectueuses de l’environnement, mais également en travaillant à un « ciblage » des zones de distribution magasin par magasin. C’est  dans ce sens que doit évoluer l’imprimé publicitaire pour être en lien avec les évolutions qui traversent la société.

D’autres ne tiennent pas ce discours…

Vous pensez probablement à des enseignes telles que Monoprix… qui est un distributeur urbain. Or aujourd’hui, quand on vit en région parisienne par exemple, le prospectus n’obéit pas du tout aux mêmes logiques. Pour les enseignes généralistes telles que la nôtre, davantage implantées en zones rurales, le prospectus gardera une place importante. Il devra certainement en partie s’effacer pour laisser se développer d’autres formes de communication, mais il restera, à condition de se transformer : il devra apporter une plus-value par rapport à ce qu’il est encore aujourd’hui. Quand j’observe les prospectus que nous produisions il y a vingt-cinq ans, ils ont déjà sensiblement évolué. Ils évolueront certainement encore plus dans les années à venir. Il n’est pas question de se contenter de faire des maquettes statiques uniquement basées sur la juxtaposition de photos de produits avec des prix, le prospectus de demain n’aura pas cette seule identité.

Pour Dominique Schelcher, Président de Système U, “L’imprimé publicitaire toutes boites constitue encore la meilleure réponse à la demande de [ses] clients”. (DR)

Faire évoluer l’IP semble être dans votre ADN. Comment concrètement faire muter ce support vers un outil pédagogique portant sur l’origine et la traçabilité de vos produits ? Vers un support d’aide à la décision pour comparer votre offre à celle de vos concurrents ? Vers une hybridation de votre communication mariant le print et les autres canaux de vente ?

Tous ces sujets majeurs sont sur la table et vu la nécessité de prendre en compte l’expérience client, il nous faut travailler sur un nouveau parcours d’achat fondé sur l’attractivité, l’animation et la transparence.

Que pensez-vous des enseignes qui ont notamment mis en avant le fait que la consommation a repris suite au confinement, sans l’appui des imprimés publicitaires habituels ? Est-ce la preuve qu’il serait possible de s’en passer ?

C’est une contrevérité parce qu’il est hasardeux de tirer de telles conclusions générales, à une période qui redeviendra bientôt normale, d’une situation à ce point anormale. La vérité réclame comme souvent mesure et plus de finesse d’analyse. La consommation elle-même pendant la période de confinement n’avait plus rien à voir avec ce que nous connaissions, la composition des paniers moyens l’a largement illustré. Dans ce que j’appelle « une situation normale », le prospectus continue d’avoir pour nous une importance certaine. Ce que nous pouvons toutefois garder de cette période « d’anormalité », c’est que l’on va continuer à aller vers des campagnes qui seront plus pointues et mieux ciblées. Le prospectus doit trouver sa place à côté d’autres médias dotés chacun de leurs atouts : la télévision c’est l’image, la radio c’est la promotion et le prospectus c’est le trafic. Bien sûr, Internet est venu s’intercaler et c’est un mode de communication qui se développera, mais la réalité c’est qu’aujourd’hui encore 15 % des Français n’ont pas accès à Internet, c’est une fracture qui existe dans la société française.

L’imprimé publicitaire massifié va décroître oui, mais je suis encore incapable de dire quand et dans quelles proportions.

Est-ce quand même à dire que la haute volumétrie sera remise en cause à moyen terme ?

Aujourd’hui, il est difficile d’anticiper : l’imprimé publicitaire massifié va décroître oui, mais je suis encore incapable de dire quand et dans quelles proportions. Il faut rester relativement prudent : entre les déclarations du citoyen et le comportement du consommateur, il y a souvent une marge. Oui le prospectus est vu comme un polluant publicitaire pour beaucoup, mais ce sont parfois les mêmes qui l’utilisent, voire le réclament quand on ne le distribue plus. On nous dit souvent qu’il est nécessaire pour comparer les promotions entre différents magasins et faire ses choix. La question du pouvoir d’achat était déjà cruciale avant la crise sanitaire, elle va évidemment le rester voire s’amplifier, la crise économique qui se profile à la rentrée aura pour conséquence de renforcer l’offre de promotions et  l’imprimé publicitaire a un rôle prépondérant à jouer dans un tel contexte.

Au-delà du support, que pensez-vous des critiques à l’encontre des promotions ?

Le problème relatif aux promotions est là encore plus subtil que ce qu’on en dit : le débat devrait également se porter sur la notion de volume. Ne pas vendre les yaourts par 48 pour en avoir deux gratuits ! Il s’agit là effectivement d’une dérive, mais qui ne disqualifie pas en soi la légitimité des promotions quand elles n’incitent pas à la surconsommation, puisqu’elles permettent simplement d’optimiser ses dépenses. Je pense qu’il y a sur ce sujet une déconnexion majeure de certaines élites ou de certains décideurs : quoi qu’on en dise, ce ne sont évidemment pas des gens qui font leurs courses comme celles et ceux issus de foyers à revenus modestes. Il faut veiller à ne pas parler à la place des premiers intéressés, qui savent comment et pourquoi les promotions les aident. Bien sûr, l’idéal serait que tout le monde n’ait pas à se soucier outre mesure des promotions, mais ce n’est pas la réalité de la vie de beaucoup de nos clients. Et je pense qu’il faut les écouter, plutôt que de décider à leur place.

Le prospectus est vu comme un polluant publicitaire pour beaucoup, mais ce sont parfois les mêmes qui l’utilisent, voire le réclament quand on ne le distribue plus.

Dans le calcul de votre coût complet, vous intégrez évidemment le coût de l’écocontribution, qui pèse sur les metteurs sur le marché et qui n’existe pas sous cette forme en Europe…

C’est exact et tous nos choix doivent composer entre une rationalité économique qui est incontournable et une logique de proximité qui fait notre force. Ce n’est pas notre vocation profonde que d’aller faire imprimer nos supports en Allemagne ou en Belgique pour le plaisir. Mais la question qui se pose aujourd’hui est celle de la part de surcoût que nous pouvons intégrer pour rendre « supportables » ces relocalisations. Actuellement, les efforts des imprimeurs français sont incontestables et notre choix est fondé sur une option de soutien au secteur, mais le différentiel de coût existe encore, ce qui doit nous amener à entrer dans une démarche de progrès collective avec les imprimeurs, dans la durée. Cela étant, je ne nie pas non plus qu’il faille améliorer et optimiser des choses également chez nous, en interne, par exemple au sein des circuits de relecture, pour nous appuyer sur des processus plus efficaces et donc, moins coûteux.

Les efforts des imprimeurs français sont incontestables et notre choix est fondé sur une option de soutien au secteur, mais le différentiel de coût existe encore, ce qui doit nous amener à entrer dans une démarche de progrès collective.

À un moment où des expérimentations « Oui pub » décentralisées sur les boîtes aux lettres vont commencer dans certaines régions, imaginez-vous un jour basculer à l’IP adressé ?

Il s’agit là d’un imprimé intelligent, incontestablement, et en même temps d’une approche complètement différente. Nous avons déjà tenté des expériences analogues, notamment avec des cartes de fidélité et différents dispositifs qui nous permettent d’aller vers l’imprimé adressé/personnalisé, mais le surcoût est encore lourd. L’efficacité, via entre autres la possibilité du profilage et des offres différenciées, est incontestable, mais cela nécessite tellement d’ingénierie liée à la gestion de la data, que ce n’est pas encore pour nous le support le plus pertinent en termes de ROI. Ça le deviendra un jour, mais j’insiste encore une fois sur les réalités du présent : l’imprimé publicitaire toutes boites constitue encore la meilleure réponse à la demande de nos clients, tout en étant pour nous le meilleur outil pour générer du trafic en magasin. Et il faudra sans doute du temps avant que cela puisse changer…

Quand les Youtubeurs parlent de l’imprimerie

Dans le cadre d’une initiative portée par l’IDEP, le Youtubeur Dave Sheik (200 000 abonnés, excusez du peu) s’est fendu d’une vidéo de 9 minutes, intitulée “La fin de l’imprimerie ?” (SPOILER : Non).  Après s’être rendu notamment au Musée de l’Imprimerie de Malesherbes et à l’imprimerie Laballery à Clamecy, Dave Sheik remonte le fil du temps sans oublier de préciser qu’il s’agit de métiers mouvants, en constante adaptation. Avec près de 23 000 vues en quelques jours, l’opération est d’ores et déjà un succès, l’IDEP ayant tenu à “faire connaître les métiers des Industries graphiques à un public jeune, les 16 -25 ans, amateurs de vidéos de vulgarisation historique”.

… Nous ne résistons pas, au passage, à compléter le propos en partageant également la vidéo de Max Bird ci-dessous, qui a le mérite de répondre – moyennant un ton plus extraverti – au raccourci tenace selon lequel la production de papier participerait à la déforestation (SPOILER : Non, toujours pas).

L’imprimé publicitaire menacé ?

Alors que le tentaculaire projet de Loi « anti-gaspillage pour une économie circulaire », lui-même consécutif à l’édiction en avril 2018 d’une « Feuille de route de l’économie circulaire », promet la création de nouvelles filières REP et s’arrête notamment sur les problématiques liées au recyclage et/ou au réemploi des matières plastiques, préconisant au passage un système de consignes qui serait alors géré par un nouvel éco-organisme, Brune Poirson, Secrétaire d’Etat auprès de la Ministre de la Transition Ecologique, a fait savoir qu’une « Mission publicité » était également en réflexion.

Si à ce jour l’emploi du conditionnel est encore de rigueur, les axes autour desquels cette mission serait construite semblent s’appuyer sur une volonté de réduction des volumes de prospectus publicitaires distribués, d’incitation à apposer des autocollants « Stop Pub » sur les boites aux lettres, voire – si l’on s’en réfère aux quelques amendements déposés – de basculer vers un modèle d’opt-in active et donc vers un « Oui Pub ».

L’UNIIC reste évidemment vigilante et ne manquera pas de rappeler les répercussions sévères qu’aurait la généralisation d’un tel dispositif – celui de la normalisation du Oui Pub – sur la Filière dans son entier, tant en termes d’emplois que d’activité économique.

Plus encore, nous ne saurions souligner les impasses environnementales vers lesquelles peuvent paradoxalement mener une cabale contre des produits imprimés à la fois mal définis et injustement amalgamés les uns aux autres, dans un contexte général de dématérialisation de la communication. Une dématérialisation dont les impacts environnementaux affleurent enfin et indiquent de tout autres priorités : sortir d’une surconsommation numérique galopante, laquelle s’appuie justement sur des prétextes verts fallacieux…

Relire notre article : Le prospectus, bouc émissaire du greenwashing ?

Intrusivité numérique, un nouveau palier ?

Alors que le Conseil de Paris vient de voter le retour – après un an de retrait – des panneaux publicitaires dans la capitale (1 630 panneaux confiés à Clear Channel pour des “informations sur l’actualité culturelle, sportive et associative, ainsi que des communications citoyennes, solidaires et municipales auprès des Parisiens”), occasionnant déjà des discussions tendues sur la pertinence de réinjecter (ou non) de la publicité dans le paysage citadin, le débat pourrait s’étendre au-delà de ce strict aspect pour évoquer, dans le cas des écrans publicitaires numériques… La collecte de données.

L’obsession de la mesure d’audience

S’il est une donnée que s’arrachent les professionnels du marketing et de la publicité, c’est bien celle de la mesure d’audience. Les médias connectés, forts d’une capacité à comptabiliser les visites et les clics, n’ont à ce titre pas manqué d’avancer cet imparable argument pour attirer à eux les budgets des annonceurs, avec la promesse de retours statistiques plus complets et précis que jamais. Si certains écueils n’ont pas tardé à être massivement observés – robots-cliqueurs, explosion des adblocks, errances de la publicité programmatique capable d’envoyer certaines annonces sur des sites empilant les fake news etc. – un nouveau cas avéré d’intrusivité numérique vient ajouter une ligne supplémentaire à la liste déjà relativement fournie des motifs de défiance vis-à-vis du monde digital. Il s’agit de capteurs d’audience équipant discrètement certains écrans publicitaires digitaux, capables de récoler les adresses MAC (Media Access Control) de vos smartphones, à condition que ceux-ci aient leur Wifi activé. C’est la régie publicitaire de la RATP (Metrobus) qui s’est autorisée cette “expérience” de façon aléatoire dans les couloirs du métro, veillant tout de même à crypter les informations récoltées pour les anonymiser et rester dans un usage légal. L’objectif est simple : estimer un taux d’exposition (combien de personnes pourront voir ces publicités ?) et un taux de conversion (combien s’y arrêteront ?).

Peu visible sur la tranche de l’écran, il est indiqué que “Ce mobilier est équipé d’une mesure anonyme de l’audience opérée par Retency pour le compte de Metrobus” avant d’indiquer – en plus petit encore – l’adresse Web permettant de se désengager de “l’expérience”… Vous avez dit intrusivité ? [Source]

Souriez, vous êtes tracké

Pour s’en libérer, il faut faire valoir son droit d’opposition sur la page Retency dédiée, ou à défaut, désactiver le Wifi et le Bluetooth de votre téléphone, via une manipulation moins évidente qu’il n’y paraît : il faut en général s’aventurer loin dans les paramètres système, sans se contenter de cliquer sur des icônes de déconnexion. Notons toutefois que la collecte se fait ici sans aucun engagement préalable, l’usager des transports ignorant effectivement totalement qu’il peut être identifié, puis comptabilisé, en tant que cible publicitaire. Et comment le pourrait-il – sauf à tomber sur ce genre d’article – puisque si les stratégies de tracking sont désormais connues et indiquées dès lors que vous naviguez sur le Web (le RGPD, entre autres, est passé par là), les importer dans le domaine de la publicité physique, sans consultation forcément proactive de contenus, est une grande (et triste ?) première.
Mais au-delà du caractère à première vue légal du procédé, c’est plus encore la volatilité de l’écosystème dit “phygital” qui pose question. Car il semble encore difficile de garantir que lesdites données seront suffisamment sécurisées par leur détenteur, même de bonne foi, avant d’être croisées par de bien-nommés “agrégateurs de données” capables de qualifier la data pour déterminer des profils ô combien rentables. De quoi interroger la pertinence d’une “expérience” dont les cobayes s’ignorent…

Source : Le Figaro

Le prospectus reste dans le vert

Alors que l’enseigne Monoprix s’est fendue d’une communication contestable (et contestée, notamment par nos amis de Culture Papier) pour expliquer sa décision de stopper la distribution de prospectus papier, la tentation serait grande d’y voir l’amorce d’un déclin plus global du marché, comme si la chose relevait d’un phénomène plus englobant de suppression/dématérialisation progressive et inéluctable des imprimés publicitaires non-adressés.
Or, certainement faut-il d’emblée rappeler que ce ne sont absolument pas les tendances décrites par les dernières études menées sur le sujet, notamment celle éditée (et récemment réactualisée) par l’ADEME sur les flux de produits graphiques en France. On y apprend en effet que “les volumes d’imprimés sans adresse distribués ont augmenté de 4,4 % en 2017, confirmant la hausse de 3,3% observée l’année précédente. Cette progression continue résulte de l’intensification de la guerre commerciale entre des enseignes de plus en plus puissantes et concentrées”.
S’il est toujours périlleux de se projeter trop loin dans des calculs prospectifs de long terme, l’étude estime que “compte tenu de la résistance du média au travers des années de crise, malgré le développement de la publicité numérique”, le taux de croissance retenu pour les 5 ans à venir demeure “proche de zéro, en progrès par rapport à celui l’an passé qui était voisin de – 1 % par an”.

De fait, Les Echos faisaient récemment état de la résistance du prospectus face à la vague digitale, nombre de grandes enseignes y voyant en effet toujours un outil indispensable pour générer chez elles du trafic, et donc a fortiori du chiffre d’affaires. Certainement faut-il aussi par conséquent s’interroger sur le positionnement stratégique relativement spécifique des magasins Monoprix, quasi-exclusivement implantés en centre-ville et donc moins dépendants de relais de communication plus adaptés aux commerces ruraux et/ou installés en petites/moyennes villes.

De quoi tempérer en tout cas les commentaires les moins prudents sur l’avenir du prospectus, le média se portant encore trop bien pour être enterré sans sommation…

Droit voisin : première victoire pour les éditeurs de presse

Avec 438 votes pour, 226 contre et 39 abstentions, la directive sur le droit d’auteur adoptée aujourd’hui par le Parlement Européen marque une étape cruciale dans la lutte opposant (entre autres) les éditeurs de Presse et les GAFA. Ces derniers, Google et Facebook en tête, se voyaient en effet notamment reprocher de préempter une part gargantuesque des revenus publicitaires en ne faisant guère que classer/relayer des contenus d’information pourtant produits par d’autres, à leurs charges. Une intense bataille de lobbying s’est alors engagée, opposant les géants du Net et les partisans d’un “Internet Libre” d’une part, aux éditeurs de Presse et acteurs culturels d’autre part. C’est aujourd’hui en faveur des seconds que penche la balance législative européenne, puisque l’adoption d’un droit voisin obligera les GAFA à reverser à celles et ceux dont ils utilisent et/ou remanient les contenus, une redevance aux propriétés encore floues (il appartiendra semble-t-il aux Etats membres d’en définir les modalités exactes), mais qui devrait être l’équivalent de la SACEM pour les contenus musicaux. C’est du moins le chemin vers lequel nous nous dirigeons à ce jour, même si un nouveau texte, dans sa version définitive, sera une nouvelle fois soumis au vote après examens et négociations auprès du Conseil Européen et en Commission Européenne, avant d’être transposé en droit national. De quoi supposer que la lutte pourra encore durer une année pleine, à minima…

Il n’empêche, voilà pour la première fois une directive qui offre aux producteurs de contenus – des médias print, souvent – une base juridique solide pour défendre leurs intérêts. Et plus encore : une Presse indépendante de qualité…

Quand le Stop Pub prône la dématérialisation…

Combien de temps les « stop-pubeurs » pourront-ils encore nier l’évidence et aller à contre-courant…?

Pas longtemps si l’on en croit les résultats de l’étude indépendante réalisée par IPSOS, laquelle bat en brèche quelques idées reçues. Nous vous invitons d’ailleurs à en utiliser les arguments pour promouvoir les avantages de l’imprimé face à la mauvaise foi de cette nouvelle version d’«étiquette à boites à lettres». 

Journaux et radios opposés à une dérégulation de la pub télé

Selon Stratégie News : “Les fédérations professionnelles de la presse écrite (SPQN, FPPR, UPREG, FNPS, SEPM), le pôle radio du groupe Lagardère (Virgin Radio, Europe 1 et RFM), le syndicat des radios indépendantes (Sirti) et l’Union de la publicité extérieure se sont opposées catégoriquement jeudi 2 novembre à tout nouvel assouplissement des règles encadrant la publicité TV, qui font l’objet d’une consultation lancée par le gouvernement. Ces organisations arguent que “tout nouvel assouplissement” ne ferait, comme les précédents (tels que l’ouverture progressive de la publicité pour la distribution et le cinéma, de 2003 à 2007), qu’opérer un “transfert massif” des recettes publicitaires des médias traditionnels vers les chaînes de télévision, sans faire croître globalement le marché publicitaire français”. Elles emboîtent ainsi le pas à l’UNIIC qui, le 26 octobre dernier, vous annonçait avoir interpellé les pouvoirs publics à ce sujet. À suivre toujours…