L’imprimé à l’heure de la transformation numérique ou la culture des paradoxes

L’institut IPSOS présentait les premiers constats d’une étude particulièrement attendue sur le devenir de la matérialité et de son vecteur imprimé “à l’heure de la transformation numérique”…

Cette étude, dont l’initiative revient à l’UNIIC, assistée de son partenaire l’IDEP, vise à dresser l’état des lieux le plus lucide des impacts de la digitalisation de nos échanges, mais aussi des opportunités de rebonds et de prises de conscience que la dématérialisation engendre. Afin de nous prémunir contre toute tentation de posture défensive, l’UNIIC a souhaité confier la coordination de cette étude à l’IREP (Institut de Recherches et d’Etudes Publicitaires) dont le Directeur délégué, Philippe Legendre, devait rappeler que cette initiative avait nécessité d’enquêter préalablement auprès “des gens” de manière à disposer d’une photographie fiable des comportements, en 2017. « Il s’agit de vous, de nous et des autres. Nous avons voulu comprendre les usages et les perceptions de chacun, à la fois vis-à-vis du digital et de l’imprimé. Parce que ce sont bien les usages qui font les marchés » précise-t-il en effet, laissant par ailleurs clairement entendre qu’un second volet viendrait donc détailler des aspects plus directement liés aux stratégies développées par les grands comptes, lorsqu’il faut articuler une communication autour de supports que l’on dit volontiers « complémentaires », sans jamais prendre soin de clarifier (ou si peu) dans quelles proportions ils le sont et pour quelles synergies… « Nous allons dans un second temps interroger un panel de professionnels, que ce soit des donneurs d’ordre, des médias, des agences, des fabricants de matériel etc. Le but est de relever et d’analyser quelles sont leurs peurs et leurs attentes, pour comprendre ce qui se passe et ouvrir de nouvelles voies. Car nous sommes convaincus qu’il existe bien sûr des opportunités pour l’imprimé » poursuit-il, suggérant là qu’elles ne sont peut-être pas encore toutes identifiées ou même simplement considérées à leur juste mesure…

Marie-Laure Lerolle, Directrice de département pour IPSOS Connect

La praticité du support avant tout

Ce sont donc 1000 personnes qui ont été interrogées, représentatives de la société française, dans ce qui constitue le premier volet quantitatif de l’étude, intitulé « Identification des usages des consommateurs et mesure de l’accueil de la digitalisation », comme nous le précise Marie-Laure Lerolle, Directrice de département pour IPSOS Connect. Premier constat fort : si le Web est bien évidemment considéré comme faisant partie du quotidien, selon une part massive des sondés (96 % font effectivement ce constat, 59 % estimant même qu’on ne peut plus se passer d’Internet), ils sont presque aussi nombreux à regretter une sécurisation insuffisante des données. Sans en nier la praticité – d’influence dominante en termes d’usage – Internet suscite donc une méfiance, voire une défiance, d’ampleur majeure : « Pour 71 % des personnes interrogées, le format numérique est imposé sans prendre en compte les besoins des utilisateurs. Pour 64 % d’entre eux, la généralisation de l’usage d’Internet sert uniquement à réduire les coûts des entreprises et des administrations ». Mais pire encore, c’est sur des questions d’intrusivité et d’intégrité de la data que les réserves les plus sévères sont émises : « 90 % estiment en effet qu’Internet est très intrusif et mémorise toutes les actions, 84 % pensent plus globalement qu’il y a beaucoup d’incertitudes autour de la sécurité sur Internet » décrit Marie-Laure Lerolle, qui va jusqu’à souligner que « 7 Français sur 10 n’ont ni confiance en la sécurité de leur propre ordinateur, ni en celle des données partagées sur Internet. Enfin, 83 % d’entre eux considèrent qu’une cyber-attaque peut modifier l’équilibre mondial ». Des chiffres qui, encore une fois, ne se traduisent pas forcément par un recul des usages connectés, une très large majorité préférant encore consentir en toute conscience aux risques évoqués (qu’ils soient avérés ou non), plutôt que de se priver des avantages pragmatiques du Web. Y voir une contradiction serait certainement moins pertinent que de noter qu’il y a là la manifestation d’une forme de priorité allant au confort et à la praticité. Ironiquement, c’est pour la même raison que le papier garde la main sur certains types d’usages : souvent, c’est encore lui le plus facile et pratique d’utilisation…

Le papier en danger ? Des Français partagés…

Si l’on interroge les Français sur la question tendancielle lourde de l’avenir des supports, la question de la survie de l’imprimé suscite des retours extrêmement partagés et semble diviser la population en deux camps… « 52 % des Français ne sont pas d’accord avec l’assertion selon laquelle le papier ne pourra pas lutter contre le digital et mourra, mais 41 % le pensent et 7 % ne se prononcent pas » détaille en effet l’institut IPSOS. S’il ne s’agissait pas ici d’exprimer un souhait, mais bien d’établir un pronostic, indépendamment de son attachement au support imprimé, un tel éclatement de l’opinion semble toutefois indiquer qu’il y a une inquiétude réelle vis-à-vis du futur du papier. Une inquiétude visiblement moins liée à la pertinence de l’imprimé pour nombre d’usages où il fait encore figure de support préférentiel, que de la crainte – plus ou moins fantasmée – que le papier ne saurait survivre à des logiques économiques et environnementales qui semblent le condamner. Ainsi « 85 % des sondés pensent que pour protéger l’environnement, il faudra consommer moins de papier » et 58 % en font encore « la cause principale de la déforestation »… Dans le même ordre d’idées, « 70 % pensent qu’envoyer un e-mail est plus écoresponsable que l’envoi d’une enveloppe » et « 63 % estiment que la publicité sur Internet est plus respectueuse de l’environnement ». Des chiffres qui font mal mais ne surprennent pas tout à fait : les éléments de réflexion sur ces questions ont à ce point été biaisés par des campagnes de communication reconnues par après comme étant injustement stigmatisantes, qu’elles ont pu inscrire encore un peu plus dans l’imaginaire collectif des idées reçues déjà largement facilitées par le rapprochement spontané que chacun saurait faire entre une feuille de papier et l’arbre dont il a tiré sa matière première. Or, rien ne pousse hélas à faire spontanément le lien entre nos aliments par exemple et les changements d’affectation des sols que leur culture/élevage ont pu nécessiter, générant dans le pire des cas une destruction nette des espaces boisés, lesquels comptent pour 80 % des facteurs de déforestation aujourd’hui identifiés, selon un rapport de la FAO daté de 2015. Mais là encore, ce n’est sûrement qu’à la marge que ces croyances, diversement fondées, se traduiraient pour autant en un recul sensible de l’utilisation du papier, prioritairement apprécié pour ce qu’il est…

 

Usages détaillés : le papier garde la main sur de nombreux segments

Les livres (et plus particulièrement les livres pour enfants, les romans et les œuvres littéraires), les tickets restaurant et les chèques déjeuner, les manuels scolaires, les magazines, les imprimés publicitaires, les listes, les notes, les aide-mémoires et les journaux, sont autant de « produits » pour lesquels les usages sont encore nettement majoritairement papier, dévoile Marie-Laure Lerolle. Dans une moindre mesure, avantage reste également à l’imprimé pour les bons de réductions, les modes d’emploi, les livres pratiques, les cartes de vœux, les titres de transports, les catalogues de magasins, les papiers administratifs, les billets de spectacles et les factures… Tous resteront-ils pour autant sous dominante papier ? Probablement pas, mais l’imprimé semble disposer d’un atout solide et de long terme pour ce qui concerne la lecture-plaisir d’une part, dont il est le réceptacle privilégié, et apparaît comme plus pratique pour des usages d’appoint où chacun pourra griffonner à loisir ses propres annotations, d’autre part. D’où le toujours très vrai « Le SMS n’a pas supprimé le post-it »… Mainmise semble en revanche être (définitivement ?) passée au numérique pour la consultation d’annuaires grand public ou celle de ses relevés bancaires, tandis que les usages sont plus diffus et équilibrés pour consulter des agendas, des répertoires téléphoniques, des plans et des albums photos. Mais là encore, ces tendances, si elles offrent un instantané précieux des usages en France en 2017, ne laissent que partiellement transparaître les craintes et attentes des utilisateurs, d’importance plus ou moins secondaire face au degré de praticité qu’offre tel ou tel support…

 

Internet : une crise de confiance sans conséquences ?

Aussi constate-t-on que le papier est vu comme un meilleur vecteur d’image que le digital (54 % des sondés estiment en effet que l’imprimé donne une bonne image de l’émetteur, contre 46 % pour le digital) mais surtout qu’il inspire confiance (pour 58 % des personnes interrogées, les documents papier sont en effet plus sûrs que les documents numériques), au point que 66 % des Français disent pouvoir revenir à la facture papier en cas de piratage/attaque informatique. Et si c’était finalement là l’élément central par lequel la décision de recourir à l’un ou l’autre des supports pouvait sensiblement osciller ? Et si la sécurisation des données était le véritable talon d’Achille de la dématérialisation de tout, au nom d’un prétendu mieux environnemental peut-être moins influent qu’on ne pourrait le penser, en sa capacité à modifier les pratiques des Français ? Car ne nous méprenons pas : « 67% des Français réfutent l’affirmation selon laquelle l’utilisation des ordinateurs, tablettes et smartphones aurait peu d’impact sur la consommation énergétique » précise Marie-Laure Lerolle, ajoutant que les data serveurs ont tout à prouver en termes de gain écologique… « 44 % des sondés pensent que les serveurs et les salles de stockage détruisent la couche d’ozone, 32 % ne se positionnent pas et seulement 23 % pensent que les impacts sont faibles ou négligeables ». De toute évidence, cette question reste donc à traiter, dans un contexte où les données numériques stockées doublent tous les 4 ans. Au support papier de rappeler qu’il sait se faire plus pratique et pragmatique pour nombre d’utilisations où sa supériorité anthropologique est à ce point écrasante qu’elle n’a jamais été sérieusement contestée (le cas du livre tient de l’évidence), tout en insistant sur les garanties strictement sécuritaires qu’il est en mesure d’apporter, le danger du tout-connecté méritant certainement à la fois des échappatoires et des temps de respiration…

 

Accéder à la 2ème partie de l’étude