William Berbessou (Richard-Laleu) – “Pas d’arrêt brutal d’activité, mais de fortes perturbations”

Des industriels face à la crise – Pendant que l’UNIIC préparait son 125ème anniversaire à l’Institut Lumière sous le signe du Cinéma, un acteur sournois s’est invité au palmarès sans avoir été nominé : appelé Covid-19 il aurait pu faire partie de la saga Star Wars ! Son côté obscur a heureusement été vaincu par la force et la combativité des salariés et des chefs d’entreprises. Mais toutes les traces et conséquences ne sont pas effacées et les leçons à tirer de cette sombre période de notre planète sont nombreuses. C’est pourquoi nous avons demandé à des « Stars » du monde graphique de nous commenter et expliquer comment ils ont vécu et fait face à ce scénario inattendu…

Episode 4 – William Berbessou – Directeur général, Richard-Laleu (86). Propos recueillis début juin 2020.


On imagine que les marchés du packaging, et plus encore ceux de l’emballage agroalimentaire, ont été épargnés par la crise sanitaire, secteur essentiel oblige. Est-ce pour autant un raccourci ?

Nous n’avons effectivement pas connu d’arrêt brutal d’activité, mais nous avons quand même été fortement perturbés, à trois niveaux différents :

– Notre clientèle dans le packaging agroalimentaire a l’habitude de passer des commandes avec une visibilité de l’ordre de quatre à six semaines. Voire plus, pour certains marchés. De fait, nous travaillons d’ordinaire sur des trains de fabrication assez linéaires, avec certes parfois des à-coups à gérer pour des opérations promotionnelles par exemple, mais nous y sommes habitués. Lorsque sont faites les annonces du 16 mars, plusieurs salariés – masculins ou féminins – se sont mis en arrêt de travail pour garder leurs enfants. Cela a généré des trous dans la chaîne de fabrication que n’avions pas eu le temps d’anticiper. Il a fallu une dizaine de jours pour que l’on puisse rétablir les effectifs pour répondre aux besoins.

– Nous avons par ailleurs dû faire face à une consommation tous azimuts. Beaucoup de références dans les grandes surfaces sont venues à manquer, suite à des comportements d’achat qui ne correspondaient plus du tout aux modèles habituels. Cela a énormément perturbé le réapprovisionnement de nos clients, qui nous ont appelés en urgence pour être livrés au plus vite et au maximum de ce que nous pouvions assurer. C’est-à-dire sans tenir compte des programmes de fabrication classiques : on a vu par exemple des clients traditionnels du beurre tomber littéralement en panne, nous demander de leur livrer tout ce que nous avions déjà produit. Cela s’est traduit par une pression pour nous assez soudaine, qui s’est donc déclarée concomitamment au manque ponctuel de personnel que j’évoquais. Il a donc été très difficile de tenir le rythme, sachant que la première vague du 16 mars nous a privés de 10 à 15 % des effectifs en atelier. C’est un ratio important notamment parce que beaucoup de nos effectifs avaient un conjoint ou une conjointe travaillant dans le milieu hospitalier, ce qui a forcément compliqué la garde d’enfants. Elément positif quand même : comme nous faisons partie du secteur agroalimentaire, nous sommes titulaires d’une certification BRC/IoP (British Retail Consortium/Institut of Packaging, laquelle définit une base commune pour la sécurité et l’hygiène des emballages alimentaires et non alimentaires, ndlr) qui nous contraignait déjà à des protocoles d’hygiène poussés, aussi bien en impression qu’en transformation ou en emballage. Nous avions également déjà à disposition des sur-blouses, des charlottes, des masques et du gel hydroalcoolique en quantités suffisantes pour assurer un mois de production. Les procédures de sécurité ont donc pu être relativement facilement mises en place, en faisant du décalage d’équipes : au lieu de procéder à des enchaînements, nous avons installé des césures de quinze minutes par équipe, de sorte à éviter les croisements.

Il a été très difficile de tenir le rythme, sachant que la première vague du 16 mars nous a privés de 10 à 15 % des effectifs (…) avec un pic – toutes raisons cumulées – à 25 % de personnes qui manquaient dans nos ateliers de production.

– Enfin, il a fallu composer avec la mise en arrêt de travail des salariés dits « sensibles ». Le phénomène a en quelque sorte fait sauter le verrou de la confidentialité médicale puisque très rapidement, des salariés sont venus me voir pour me demander d’être arrêtés et de faire pour eux les déclarations maladie. Cela a de nouveau touché 10 à 15 % de nos effectifs, avec un pic – toutes raisons cumulées – à 25 % de personnes qui manquaient dans nos ateliers de production. Là encore, il a fallu se réorganiser et nous avons mis une dizaine de jours à pour retrouver notre productivité habituelle, en réaffectant des collaborateurs d’une unité sur une autre, d’une machine sur une autre etc. En revanche, nous avons été moins contraints que la première fois parce que les modes de consommation avaient déjà retrouvé une forme de normalité. Par conséquent, nous avons de notre côté retrouvé une certaine linéarité au sein des commandes,  avec quelques clients qui nous ont fait décaler nos productions après avoir demandé des réassorts urgents.

Nous avons ensuite continué à vivre au rythme des annonces gouvernementales, nous avons eu quelques alertes de la part de collaborateurs en contact plus ou moins direct avec le Covid-19, lesquels ont été arrêtés ou placés en quarantaine. Je précise qu’en vertu des procédures BRC/IoP que nous avons mises en place, les salariés ont l’obligation de faire savoir s’ils sont susceptibles d’être malades, chose qui est rentrée dans nos habitudes et qui n’a pas généré chez nous de problématiques liées à la prise de température, de présentation de certificats médicaux etc. Mais gérer ces alertes au jour le jour reste difficile et cela a occasionné quelques livraisons chaotiques.

Les effets semblent donc avoir été très concentrés en début d’épidémie… Avec le retour d’une forme de normalité courant avril ? 

Non, en avril nous étions justement la tête sous l’eau. Nous avons dû ouvrir les samedis et avons même un temps envisagé de travailler en VSD – chose que nous n’avons finalement pas faite, notamment pour des raisons d’effectifs insuffisants. Comme être imprimeur/transformateur ne s’improvise pas, aucun levier n’était suffisamment réactif pour nous le permettre, y compris l’intérim. Par conséquent, nous avons fait un chiffre d’affaires sur le mois d’avril bien supérieur à la normale, mais c’est redescendu très vite dès le mois de mai. Parce que ce sont les programmes d’approvisionnement linéaires habituels qui se sont remis en place, pour un volume de production plus proche de la normale.

A Iteuil en Nouvelle Aquitaine, l’entreprise Richard-Laleu sert les plus grands noms de l’industrie alimentaire, cosmétique, pharmaceutique pour des grandes et moyennes séries et sait aussi s’adapter à des demandes particulières impliquant la réalisation de séries sur mesure.

Le déconfinement a-t-il déjà eu des effets sur l’organisation de l’entreprise ?

Nous sommes toujours en niveau de sécurité 3 et avons donc maintenu le fonctionnement des équipes en décalage pour proscrire les croisements non-protégés. A ce jour (début juin, ndlr), nous n’avons encore rien allégé, par rapport à ce que nous avons mis en place, consécutivement à l’annonce du 16 mars. La seule différence, c’est que certains cadres ont souhaité revenir sur le lieu de travail, dans un contexte où – comme un peu partout, j’imagine – toutes celles et ceux qui pouvaient être placés en télétravail l’ont été, de façon à limiter le nombre de personnes dans les bureaux. Les choses sont presque revenues à la normale de ce point de vue, même si nous évitons encore les réunions, que les rendez-vous sont décalés, qu’il n’y a pas d’accueil fournisseurs/clients etc.

Avez-vous des craintes à plus long terme, liées à la récession économique annoncée ?

Nous sommes sur un secteur qui est mature. C’est-à-dire que quand il est en crise, il fait – 3 %, et quand il est en forte croissance, il fait + 3 %. Nous sommes donc loin de la variabilité que l’on peut rencontrer dans l’Industrie en général, en tout cas pas sur douze mois. Nous pouvons effectivement connaître de très fortes variabilités au mois ou à la semaine, mais elles finissent toujours par s’aplanir à plus long terme. Le phénomène de surconsommation constaté en tout début de pandémie s’est ainsi trouvé compensé en sous-consommation le mois suivant. Notre mois de mai 2020 est effectivement bien plus faible que notre mois de mai 2019. Je ne crois donc pas qu’il faille anticiper des effets à longs terme, ce qui a été difficile c’est de gérer un effet d’accordéon soudain et violent en déployant des efforts d’adaptabilité inhabituels. Mais nous sommes souvent surpris de constater à quel point les crises, quelles qu’elles soient – gilets jaunes ou autres – ont peu d’effets durables sur notre activité. Ce que l’on diffère, c’est l’achat de la voiture ou d’une télévision, mais pas l’alimentaire.

Nous avons certainement subi un manque de polyvalences. Nous nous sommes en quelque sorte retrouvés confrontés à une surspécialisation au poste par poste, qui a évidemment du bon en temps normal, mais qui pose des problèmes de flexibilité en temps de crise.

On dit souvent que ces crises sont aussi des révélateurs de ce qui fonctionne bien et de ce qu’il faudrait peut-être modifier… Qu’en est-il pour Richard-Laleu ?

Nous allons consolider le sourcing : on s’est aperçu que tous les approvisionnements de matières premières consommables ont bien fonctionné. C’est-à-dire que la chaine d’approvisionnement n’a pas été rompue et que le panel de fournisseurs référencés chez nous a été opérationnel rapidement. Sur le plan des effectifs, la satisfaction vient du constat que les salariés ont très bien joué le jeu et ont montré une mobilisation à la hauteur de la mission : aider au maintien d’une filière évidemment essentielle. L’autre grande satisfaction vient du fait que les protocoles d’hygiène mis en place il y a une dizaine d’années se sont avérés très efficaces. Les gens se sont sentis tout de suite en sécurité au sein de l’entreprise, ce qui est un point extrêmement positif. En revanche, nous avons certainement subi un manque de polyvalences. Nous nous sommes en quelque sorte retrouvés confrontés à une surspécialisation au poste par poste, qui a évidemment du bon « en temps normal », mais qui pose des problèmes de flexibilité en temps de crise. La leçon, ce sera donc de scénariser les risques sur la base d’une meilleure polyvalence des collaborateurs de l’entreprise, de façon à mieux gérer les absences et faciliter les remplacements. Cela ne pourra passer que par un plan de formation, et là je dois dire que notre OPCO a encore du mal à nous offrir la visibilité suffisante… Par ailleurs, nous avons découvert beaucoup de pathologies médicales. Je n’ai évidemment rien contre le secret médical, mais la situation s’est avérée tellement extraordinaire que nous nous sommes aperçus que chez certains profils, cela allait au-delà d’une notion de crise sanitaire ponctuelle. Il va falloir y travailler avec la médecine du travail, l’employeur n’ayant pas tous les éléments pour pouvoir répondre aux attentes des opérateurs et salariés : à mes yeux, il manque un lien.
Hormis cela, les clients ont été là, les commandes également. Certains ont demandé des décalages de paiement, parfois de façon assez surprenante puisqu’il a pu s’agir de gros groupes. C’est là en tout cas un effet différé qui a directement trait à la solvabilité des sociétés et dont on mesurera les conséquences exactes prochainement, qu’il s’agisse de fournisseurs, intermédiaires ou clients. Je pense que c’est là pour nous le second volet de la crise, dont on n’a pas encore perçu l’impact parce que tout le monde se cache…