Thomas Rudelle (Carrefour) – « Il n’y a pas de remise en cause de l’importance du papier »

Si l’heure n’est pas à remettre en cause l’efficacité maintes fois démontrée du support papier en tant que véhicule publicitaire et promotionnel, les mesures restrictives visant actuellement l’imprimé non-adressé contraignent les enseignes de grande distribution à penser de nouveaux équilibres. Entretien avec Thomas Rudelle, directeur du marketing digital chez Carrefour, pour qui le print est l’allié objectif de ses déclinaisons numériques…

Thomas Rudelle (©Amélie Marzouk).

Vous êtes directeur du marketing digital chez Carrefour, ce qui ne vous empêche pourtant pas d’insister sur l’efficacité du prospectus papier pour drainer du trafic en magasin… Comment voyez-vous évoluer la complémentarité des supports print et numérique, à l’avenir ?

Nous pouvons nous appuyer sur de nombreuses études qui ont déjà démontré l’efficacité du tract promotionnel papier. Nous savons que c’est un driver majeur de trafic pour nos magasins. Nous n’avons donc aucune raison de nous en passer, sauf si le régulateur nous y oblige. Auquel cas, il nous faudra trouver des alternatives. Le prospectus imprimé aujourd’hui reste un levier publicitaire qui demeure très puissant, même si les usages changent et qu’il nous faut constamment nous adapter. Ce qui nous importe, c’est de coller à ces usages pour proposer le bon média, au bon public, au bon moment. Nous portons là-dessus un regard pragmatique d’efficacité : en fonction des publics cibles, nous actionnons le meilleur levier de communication. Dans la pratique, cela nous amène à combiner le papier et le digital, sans nous arrêter à des oppositions stériles. Bien sûr, nous essayons différentes choses, expérimentons différentes approches et affinons notre stratégie, mais les meilleures réponses s’appuient toujours sur une forme de complémentarité des supports promotionnels.

« Nous savons que le papier est un driver majeur de trafic pour nos magasins. »

Est-ce que l’imprimé publicitaire non-adressé n’est pas encore aujourd’hui une arme concurrentielle, de telle sorte que s’il vous fallait vous en passer sur certains territoires, la déperdition de trafic en magasin se ferait au profit d’enseignes voisines ?

Nous procédons régulièrement à des tests et observons quels peuvent en être les effets, mais nous savons que ces tests sont très observés en magasin. Il est donc parfois difficile de mesurer la part de rationnel dans les résultats que nous mesurons. Les grands acteurs du numérique américains  vous diront que le digital c’est formidable, les industriels de l’impression vous diront que le papier c’est formidable, ce qui importe pour nous c’est d’arbitrer au mieux en gardant à l’esprit que toutes les études qui concernent ces sujets sont interprétables. Nous restons donc prudents et vigilants, en ce sens que nous sommes autant que possible à l’écoute de l’évolution des pratiques. Nous mobilisons sur ces sujets des « équipes études » pour mesurer au mieux l’efficacité de nos différents supports de communication, tout en ayant conscience que les tendances sont changeantes et qu’il faut y réfléchir en permanence. Mais aujourd’hui, il n’y a pas de remise en cause de l’importance du papier : nous savons qu’il est incontournable pour la grande majorité de nos magasins.

A la fois conspué tel le symbole d’un consumérisme aveugle et guetté par de nombreux consommateurs avides de bonnes affaires, le Black Friday cristallise les contradictions d’une époque complexe. Il n’est notamment pas rare que des autocollants Stop Pub disparaissent des boites aux lettres à l’approche de l’événement, comme si certains craignaient de rater des offres importantes…

Avez-vous senti une « pression verte » poussant à la digitalisation de la communication ?

J’ai abordé ces sujets avec les GAFA avec lesquels je travaille, et je leur ai posé directement  cette question : est-ce que vous pensez que vos canaux sont plus vertueux que ceux du print ? En l’occurrence, ils se savent perfectibles sur certains points, notamment concernant l’efficience environnementale de leurs data center. Ils sont conscients des critiques dont ils peuvent être la cible et ne se présentent pas comme une solution verte face au prétendu « gâchis de papier ». En l’occurrence, je ne suis pas un spécialiste du print, mais j’entends les gens dont c‘est le métier chez Carrefour assurer que le papier que nous utilisons est issu de forêts gérées durablement, que les encres respectent un strict cahier des charges RSE. C’est un message parfois difficile à faire entendre auprès du grand public, mais en termes d’écoresponsabilité, comparer le papier et le digital est quelque chose de complexe. Il y a certainement ici une forme d’injustice, mais entre ce que le destinataire voit concrètement dans sa boite aux lettres, et ce que l’on cache derrière la « dématérialisation » numérique, il y a un possible déficit d’image pour le papier. Tout le monde n’a pas encore le réflexe de se demander ce que pèse un e-mail, alors que ce n’est évidemment pas neutre.

« Plus l’offre promotionnelle est forte et impactante, plus le support papier est pertinent. »

Est-ce que l’imprimé publicitaire adressé, moyennant une possible personnalisation des contenus, fait pour vous figure de solution d’avenir ? Ou est-ce qu’à vos yeux, c’est le digital qui se prête le mieux à ces évolutions ?

C’est une réflexion que nous avons menée en Espagne et que nous aimerions reconduire en France : nous avons demandé à nos clients titulaires d’une carte de fidélité par quel canal ils souhaitaient recevoir nos informations. E-mail, messagerie instantanée, application mobile, prospectus, courrier adressé… Les consommateurs demandeurs d’informations uniquement papier sont plutôt les moins nombreux et les plus âgés. Une grosse majorité réclame du multicanal. Il faut prendre en compte les spécificités d’un pays comme l’Espagne, où l’application de messagerie instantanée Whatsapp est extrêmement répandue, mais ce que l’on observe, ce sont surtout des combinaisons digital + print. Certaines familles de produits, lorsqu’elles bénéficient de grosses offres promotionnelles, comme ce peut être le cas sur des produits électroniques, se prêtent extrêmement bien au catalogue papier, là où les offres un peu plus « standard » liées à des produits de consommation courante, sont plus solubles dans une communication digitale. En quelque sorte, plus l’offre promotionnelle est forte et impactante, plus le support papier est pertinent. Nous réfléchissons aussi à d’autres pistes, comme celle de la Presse Quotidienne Régionale : cela permet de rentrer dans les boîtes aux lettres en générant une émotion, via un médium encore très puissant localement, tout en adressant un contenu publicitaire pertinent. Autre possibilité que ces tests ont soulevée : proposer le catalogue papier en magasin sur des présentoirs scénarisés à cet effet, avec ceux de la semaine en cours à l’entrée du magasin, et ceux de la semaine à venir en sortie de magasin. L’important encore une fois, c’est de proposer du papier au bon moment.

En développant à la fois une gamme de produits spécifiques ainsi même qu’une enseigne « Carrefour Bio », l’enseigne a déjà prouvé qu’elle ne restera pas sourde aux tendances écoresponsables.

La digitalisation massive de la communication subit elle aussi de nombreuses critiques : on commence à mesurer et dénoncer ses impacts environnementaux tout autant que l’on s’inquiète de la collecte de données personnelles qu’elle peut engendrer. Qu’est-ce que cela inspire au directeur du marketing Digital que vous êtes ?

Sur cette question sensible des données personnelles, nous sommes déjà soumis à des contraintes réglementaires que le groupe Carrefour prend on ne peut plus au sérieux. Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) a déjà largement balisé les objectifs à tenir et mobilise des équipes pluridisciplinaires chez nous, dans tous les  pays. C’est devenu de toute façon inhérent à la construction-même d’une stratégie globale de marketing digital : nous savons que les notions de transparence et de consentement sont centrales et qu’elles le seront de plus en plus. Ça ne signifie pas pour autant que nous renonçons à la valorisation de la data. La technologie numérique amène à gérer les choses autrement, avec certainement plus de granularité et des remontées statistiques en temps réel, mais je reste convaincu que sur le fond, c’est une méthodologie que nous appliquions déjà avant l’avènement d’Internet. Une enseigne a toujours cherché à connaître ses clients et décrypter les pratiques d’achat. Les outils dont nous disposons aujourd’hui sont en revanche plus puissants, raison pour laquelle la réglementation s’est adaptée.

« Si demain une municipalité comme Grenoble décidait d’instaurer un « Oui Pub », voire d’en faire la règle par-delà son expérimentation, nous réfléchissons déjà à des solutions multicanales d’ajustement. »

Des expérimentations dites « Oui Pub » sont à l’étude dans le cadre du projet de Loi portant lutte contre le dérèglement climatique et ses effets, lui-même extrait des travaux menés pendant neuf mois par les cent cinquante personnes tirées au sort constituant la Convention citoyenne pour le climat… Concrètement, il serait question d’expérimenter pendant trois ans un dispositif d’opt-in sur boites aux lettres, pour les imprimés publicitaires non-adressés, au sein des territoires concernés. Est-ce que ce n’est pas de nature à accélérer un basculement vers une stratégie de communication plus numérique, pour une enseigne telle que la vôtre ?

Nous suivons évidemment cela comme le lait sur le feu… De fait, oui, nous travaillons à des solutions de substitution si le « Oui Pub » devait opérer une percée importante et modifier les équilibres sur lesquels nous avons construit notre stratégie de communication. Nous ne pouvons pas ignorer les répercussions potentielles qu’aurait ce dispositif s’il était largement appliqué. Au-delà de ce que nous percevons aujourd’hui comme étant plus efficace, il y a ce que nous serons en droit de distribuer, tout simplement. Des décrets d’application liés à cette expérimentation peuvent être déposés dès cette année et s’il sera difficile d’être totalement prêts, nous ne pouvons pas nous permettre d’être démunis. Pour autant, il n’est aucunement question de précipiter des décisions qui méritent d’être finement analysées. Si demain une municipalité  décidait d’instaurer un « Oui Pub », voire d’en faire la règle par-delà son expérimentation, nous réfléchissons déjà à des solutions multicanales d’ajustement : est-ce que je fais plus de digital ? Plus de PQR ? Plus de radio ? Est-ce que je mets plus de catalogues en libre-service en magasins ? Est-ce que je pousse vers la distribution adressée ? Etc. Ce sont autant de réflexions qui sont menées actuellement, parce que nous ne pouvons pas nous permettre de nous retrouver sans solutions. Nous raisonnons toutefois toujours « à la maille locale » parce que là encore, il serait malvenu de généraliser une seule approche sur l’ensemble du territoire. Comme je l’ai déjà dit, nous tâcherons d’être dans l’analyse la plus fine possible, pour être en phase avec la réalité du terrain.

Pierre Richard, figure de l’imprimerie, nous a quittés

Nous avons appris ce samedi 13 mars le décès de Pierre Richard à l’âge de 88 ans, qui fut bien sûr le fondateur de la SEGO en 1980, mais aussi – et surtout – un homme de conviction, animé d’une rigueur et d’une passion que son fils, Hervé Richard, tient aujourd’hui plus que jamais à rappeler…

“C’est quelqu’un qui est parti de rien. Il s’est lancé avec un copain dans l’impression parce qu’il ne trouvait pas chez les autres la qualité qu’il cherchait. Alors il s’est fait prêter une machine et il s’est dit qu’il allait le faire lui-même” s’amuse-t-il de souligner, démontrant là que des moyens forcément encore très modestes n’empêchent pas de porter de fortes ambitions. De ses débuts dans un garage en 1962 avec la SIRA, jusqu’à des développements industriels d’une tout autre mesure avec la SEGO une trentaine d’années plus tard, la « qualité » est certainement le fil rouge d’une carrière conduite selon cette saine exigence. “Il pouvait parfois avoir l’air dur dans le travail, mais c’était quelqu’un de très sensible et attaché aux relations humaines, tant avec son personnel qu’avec ses clients et collaborateurs” insiste-t-il, raison pour laquelle Pierre Richard s’est toujours refusé à tomber dans le piège de la compétition moins-disante, même lorsque la concurrence s’est accentuée et a vu naître des stratégies agressives low cost. “Même pour des reprises compliquées, comme cela pu être le cas en 1994 avec la société C3F, il a œuvré pour qu’il n’y ait aucun licenciement. C’était quelque chose de fondamental pour lui, chose que tout le monde ne devinait pas forcément derrière sa carapace d’homme dur” ajoute Hervé Richard. “Il a eu cette chance fabuleuse de vivre un âge d’or de l’imprimerie, pendant lequel il a pu développer une vision mêlant ses exigences de qualité avec celles du respect de l’autre. C’est pour cette raison qu’on se souvient de lui à la fois comme d’un dirigeant très exigeant, mais aussi comme quelqu’un de très proche de ses collaborateurs” conclue-t-il. Une vision qui – faisons-en le pari – lui survivra sous les traits du meilleur legs qui soit : car l’imprimerie n’est jamais meilleure que lorsqu’elle s’impose d’être belle.

Source photo : Graphiline

ENERG’IIC – Pour accompagner la relance des entreprises du secteur

C’est après avoir pris la mesure des besoins de nos adhérents qu’il nous a semblé important et indispensable de concrétiser un dispositif d’Engagement National pour une Relance Guidée des Industries de l’Impression et de la Communication.

Organisée autour de diagnostics 360°, ENRG’IIC’ vise à accompagner les entreprises du secteur dans une démarche guidée autour des sujets prioritaires qui les intéressent, voire même d’intervenir en appui des plans stratégiques qui sont déjà formalisés.

L’objectif de ce dispositif est de :

  • Recenser les forces et faiblesses des entreprises ciblées.
  • Identifier les opportunités de développement.
  • Proposer un plan d’action adapté à la situation de l’entreprise.

Le questionnaire d’entretien conçu « avec des tiroirs » sera utilisé en fonction des thématiques prioritaires pour l’entreprise.

Les experts désignés par la branche se déplaceront en entreprise pour commencer le travail d’audit. Il s’agit d’avoir un temps d’échange approfondi (mission de 3 jours par entreprise, comprenant audit, analyse, rapport) avec la direction de l’entreprise pour bien comprendre les enjeux et les opportunités qui s’offrent.

Construit et porté par l’UNIIC avec l’appui de l’OPCO et des partenaires sociaux de la CPNEFPIIG, ENRG’IIC est un dispositif de branche mis en œuvre dans les régions.

Contact :
Richard NAVEZ – richard.navez@uniic.org

Dispositif PRO-A : la promotion ou reconversion par l’alternance

La pandémie a remis en lumière la nécessité d’identifier des reconversions ou transitions possibles pour les entreprises et leurs salariés dans un contexte devenu aléatoire. L’UNIIC a conçu avec les partenaires sociaux un outil permettant d’accompagner par la voie de l’alternance les promotions, les mutations et reconversions rendues encore plus nécessaires par la transformation du paysage graphique.

Centré sur l’accompagnement des salariés en CDI dont le niveau de qualification est inférieur à la licence, il s’agit de pouvoir faciliter le recours à des formations certifiantes ou diplômantes. Une liste définie par la branche est annexée à l’accord PRO-A. Organisée en alternance, la formation d’un minimum de 150 heures associe périodes de travail en entreprise en lien avec les qualifications visées et périodes de formation théorique dispensées par un organisme de formation.

Ces formations bénéficient d’une prise en charge par l’OPCOEP sur les fonds de la professionnalisation, ce qui donne des moyens de financement nouveaux et complémentaires pour les actions de formation que l’entreprise souhaite mettre en œuvre.

Contact :
Richard NAVEZ – richard.navez@uniic.org