ClimateCalc – “On fait le bilan”

Cet article est paru dans Acteurs de la Filière Graphique n°145 (mars 2024)


ClimateCalc est un calculateur européen qui permet d’estimer l’empreinte carbone d’un site d’impression et des imprimés qu’il réalise. Adapté à des problématiques sectorielles spécifiques, il offre une alternative intéressante aux solutions dont l’approche plus industrielle – au sens large – apparaît moins directement accessible. Comment initier un bilan ClimateCalc et comment conduire une démarche suivie dans le temps ? Nous avons interrogé Matthieu Prevost (Responsable Environnement pour l’UNIIC), qui accompagne les entreprises sur ces questions.

On a le sentiment que le sujet du bilan carbone explose aujourd’hui dans les Industries Graphiques, alors que CilmateCalc a déjà plus de dix ans…

La problématique des bilans carbone pour le secteur graphique était poussée chez Intergraf il y a déjà presque quinze ans et il a d’abord été créé un consortium avec le Danemark, la Finlande, la Grande-Bretagne, les pays Bas, la Belgique et la France. D’autres pays ont suivi un peu plus tard : Norvège, Portugal, Suède etc. Il faut bien avouer que la France a d’abord été attentiste, malgré de premiers accompagnements tenus dans le cadre d’actions collectives et ça n’a décollé chez nous qu’assez récemment. Mais nous avons refait notre retard en à peine deux ans : les demandes d’entreprises souhaitant rentrer dans cette démarche ont explosé. Et ça ne ralentit plus, en réaction – je pense – à deux types de pressions : celle des donneurs d’ordre qui poursuivent des trajectoires de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) et celle de mesures qui s’inscrivent plus globalement dans le cadre d’une politique climatique, à l’attention notamment des industriels, que ce soit au niveau réglementaire national ou européen. Ce que l’on vit aujourd’hui, ce sont des obligations visant les grosses entreprises, qui ruissellent en cascade sur les entreprises de plus petite taille et/ou les sous-traitants. Et il y a aussi une pression d’image : nous sommes de plus en plus critiqués et à ce titre nous devons nous emparer de ces sujets.

A ce stade, s’agit-il surtout d’offrir une forme de transparence en chiffrant ses impacts, ou y-a-t-il déjà des programmes construits de réduction des émissions chez les entreprises qui s’investissent ?

Il faut d’abord en passer par une phase de collecte, parce que très souvent, on parle d’entreprises qui ne savent pas où elles en sont. Il faut comptabiliser ce qu’on émet avant de prétendre pouvoir réduire. Une fois que l’on a cette photographie, on peut s’inscrire dans une trajectoire et identifier des objectifs de réduction d’émissions de GES. ClimateCalc permet à la fois une approche site et une approche produit. J’ai tendance à dire que l’approche site est un outil de management interne des réductions d’émissions de GES : cela permet très vite de savoir où il faut porter ses efforts au niveau de la structure globale. Et enfin il y a l’onglet ‘produit’ qui permet une approche plus fine, de travailler une forme de pédagogie avec le client pour ‘mieux concevoir’, tout en optimisant des coûts critiques : gâche papier, consommations d’encres etc.

Il apparaît pourtant très vite que le principal poste d’émissions concerne le support d’impression, l’imprimeur n’ayant donc qu’une marge de manœuvre réduite sur ce qui est imputable aux papetiers…

Effectivement, ça peut aller de 60 % à près de 90 % des impacts carbone qui sont directement liés au papier. Le poste support est le premier à citer s’il faut prioriser les actions, mais ça n’est pas toujours si simple. Déjà parce que la décision appartient au client, à ses frais, et qu’il faut faire avec ce qui existe sur le marché. Partout où j’interviens, j’insiste énormément sur la question de la transparence : je demande aux imprimeurs de l’être, il faudra que les papetiers le soient aussi. Dans l’idéal, il ne faudrait plus acheter seulement une référence, mais savoir de quelle usine elle provient. Cette traçabilité n’est pas toujours aisée à établir, parce que si les distributeurs sont précieux pour écouler de petites quantités à des TPE, ils ne tiennent pas toujours à dévoiler leur lieu exact d’approvisionnement. Autre problème : les paper profiles sont trop souvent établis sur du déclaratif et les données sont encore à mon sens trop souvent imprécises ou lacunaires. On constate d’ailleurs parfois que deux papiers provenant de deux usines différentes ont exactement le même paper profile, ce qui n’est évidemment pas cohérent. Une fois qu’on a dit ça, oui, on peut aller travailler sur le sourcing fournisseurs et c’est ce que font certains imprimeurs que nous accompagnons : ils regardent quelles sont les lignes les plus impactantes de leur bilan carbone et tâchent de les faire sauter, à condition bien sûr que ce soit économiquement viable. A ce stade, il faut être réaliste : l’aspect carbone n’est pas encore un levier essentiel dans la prise de décision du donneur d’ordre, mais c’est un paramètre qui compte de plus en plus. Il faut essayer de se positionner au bon point d’équilibre. Souvent, c’est le volume qui fait le prix : selon ce que le papetier a en stock et selon ce que l’imprimeur veut commander, le prix va être ajusté. L’approche carbone n’arrive encore qu’en dernier ressort. Rares sont les clients qui disent aujourd’hui « Je me moque du prix, je veux le papier le plus vertueux ». Par ailleurs, il faut évidemment faire des choix cohérents au regard de ce que l’on veut produire : on ne va pas prendre un papier exemplaire d’un point de vue ‘impact carbone’, s’il n’est pas adapté à ce que l’on veut faire. Typiquement, les papiers d’art sont des supports très qualitatifs et ils réclament souvent plus de traitements que d’autres.

ClimateCalc a aussi été créé pour offrir au secteur un outil sur-mesure. Pourquoi est-ce que c’était important ?

C’est un produit de fédérations européennes et en cela, ClimateCalc est un outil collectif neutre : ce n’est pas un générateur de business pour des consultants privés, il est déjà très important de le souligner. A ce titre, les tarifs que nous proposons sont aussi bas que possible : 1200 euros pour un accompagnement et trois jours d’audit, ça n’est une réalité que parce que des fédérations comme l’UNIIC en ont fait un outil collectif. Concrètement, une entreprise prend contact avec, soit l’UNIIC, soit le cabinet Ecograf – l’un et l’autre travaillant en bonne intelligence – et en premier lieu, on présente la démarche. On s’assure de la viabilité du projet, de la motivation de l’imprimeur et de sa capacité à ‘jouer le jeu’. Il faut bien avoir conscience que la première année demande un gros travail de collecte de données, pour faire un état des lieux aussi juste et précis que possible. On me demande souvent combien de temps cela va prendre, mais cela dépend beaucoup de la structuration de l’entreprise, de son profil, de sa taille etc. C’est très variable au cas par cas et une moyenne ne serait pas très parlante : ça peut prendre une semaine comme plusieurs mois. Après avoir présenté l’outil, on essaie de déterminer ce qui motive l’initiative de l’entreprise – est-ce que ce sont des pressions clients ou une volonté proactive d’afficher un engagement exemplaire ? – et on rentre dans le dur du protocole GHG [Greenhouse Gas Protocol ou GHG Protocol, que l’on peut traduire en français par protocole des gaz à effet de serre, NDLR] et de la norme ISO 14064. Il est essentiel de redire que nous nous appuyons donc là sur des normes et protocoles éprouvés, parce qu’il n’est malheureusement pas rare de voir des consultants proposer leurs propres bilans carbone, sans que l’on sache vraiment sur quoi ils sont basés.

Les initiés parlent souvent de trois « scopes » comme si le bilan carbone était invariablement structuré partout de la même façon. Est-ce concrètement le cas ?

On doit effectivement considérer trois scopes d’intervention :

– Dans le scope 1, on considère les émissions de GES directement liées à l’usine.

– Dans le scope 2, on s’attache aux consommations d’énergie.

– Dans le scope 3, on rentre les données relatives aux sous-traitants et consommables.

Le plus gros du travail réside sans surprise dans le scope 3 et il est pourtant arrivé que certaines entreprises aient suivi des bilans carbone portés par des consultants, en ne prenant en compte que les scopes 1 et 2. Ça n’a évidemment aucun sens et il est primordial que tout le monde s’appuie sur le même périmètre de mesures. Ensuite on détermine une temporalité : les données de l’entreprise doivent être mises à jour tous les ans pour que l’on puisse suivre les émissions de CO2. Soit on prend pour référence une année civile, soit on prend une année comptable : ce qui compte, c’est de pouvoir faire des comparaisons valables dans le temps. Une fois que tout est prêt, on fait une demande de connexion au calculateur ClimateCalc et c’est la fédération danoise qui nous envoie des logins, sachant que l’outil – encore une fois – a été voulu très simple d’utilisation. En treize paramètres, on couvre l’ensemble des émissions de GES d’une imprimerie, sans se perdre dans des considérations hors-sujet.

L’enjeu a semblé en effet largement consister à rendre l’outil accessible, là où les quelques-uns qui se sont frottés à des bilans carbone multisectoriels témoignent d’une démarche excessivement complexe…

C’est un outil en ligne et pour moi cela rentre tout à fait dans la catégorie formation/action. L’idéal, c’est que l’entreprise soit autonome après la première année, pour rentrer elle-même ses données. On organise bien sûr quand même des réunions de cadrage régulières, qui me permettent de suivre la façon dont sont collectées et rentrées les données et si besoin, j’interviens pour réorienter l’action de l’entreprise. Lors de ces réunions de cadrage, on passe en revue toutes les informations qu’il va falloir collecter, au regard du profil de l’entreprise : son parc machines, ses consommations énergétiques etc. Tout ça se fait à distance et cela me permet de leur livrer un fichier de collecte de données en priorisant les actions. Tout est fait pour leur faciliter la tâche : je leur donne même des exemples d’extractions de données, je leur fournis des modèles de lettre pour leurs fournisseurs en français et en anglais etc. C’est souvent le poste ‘papier’ qui pèse le plus lourd et on commence en général par celui-là. Le premier audit n’est programmé que lorsque l’entreprise est prête. Si tout se passe bien, un certificat ClimateCalc leur sera décerné, pour attester que la démarche de l’entreprise est conforme aux critères du protocole GHG et de la norme ISO 14064. C’est tamponné par l’UNIIC et pendant un an, ils peuvent utiliser le calculateur et accéder à l’onglet ‘produit’. Cela nécessite une formation rapide avec des études de cas sur des calculs produits, pour que les commerciaux et deviseurs deviennent autonomes sur l’outil. Je les incite à mettre en place des procédures en interne pour déterminer où est l’information et comment la récupérer au mieux. Cela permet de créer des automatismes sur le long terme, de sorte que l’on gagnera du temps d’une année sur l’autre. La première année est donc quasi-systématiquement plus compliquée, parce qu’elle nécessite d’identifier les données dont on a besoin, mais aussi de trouver et d’impliquer les personnes ressources dans l’entreprise. A ce titre, ce sont des ‘responsables de la donnée’ et ils doivent pouvoir s’appuyer sur des éléments de preuve : pour satisfaire à un audit, il faut toujours prouver ce que l’on dit.

Arrive-t-il que certaines données demeurent malgré tout manquantes et que fait-on pour ne pas bloquer les bonnes volontés ?

Heureusement, on dispose d’une marge de manœuvre pour affiner les données qui seraient difficiles à évaluer en interne. Par exemple : sur un site de plus de 500 personnes fonctionnant en 3/8 avec beaucoup d’intérimaires, il est quasi-impossible de calculer les trajets domicile/entreprise. Dans ces cas-là, on s’appuie sur des fichiers RH pour déterminer combien de cartes de transport sont partiellement ou totalement remboursées, pour évaluer combien prennent la voiture ou les transports en commun, à quelle fréquence etc. A partir de là, on applique des consommations moyennes en fonction du mode de locomotion, au plus proche de ce que l’on peut estimer. On le fait bien sûr avec des données certifiées, il ne s’agit pas d’y aller au doigt mouillé. Par ailleurs, on se le permet sur des postes qui ne sont pas des postes majeurs d’émissions de GES, de façon à ce que ces estimations soient à la fois très fines et d’importance secondaire dans le calcul global. Typiquement, je ne veux pas faire ça sur le poste papier/carton : pour que l’audit passe, il suffirait de renseigner plus de 50 % des références papier, mais dans les faits, on s’oblige à approcher les 100 %. J’estime qu’il faut avoir cette exigence-là et se laisser de la marge ailleurs, quand c’est nécessaire.

On est dans une démarche de normalisation avec des items à renseigner. Prenons l’exemple des plaques : pour un imprimeur offset, il faudra rentrer une consommation annuelle de plaques, en tonnes. Soit ces données existent déjà, soit il va falloir aller les chercher, par exemple en faisant des extractions à partir d’un ERP sur tous les jobs de l’année. Ensuite, via le CTP on connaît le format et l’épaisseur des plaques utilisées, ce qui nous rend capables de déterminer un poids. On peut aussi solliciter la comptabilité pour retrouver les commandes de plaques et interroger les données fournisseurs. C’est là que l’accompagnement prend tout son sens : souvent, ces informations ne sont pas impossibles à avoir, elles demandent juste un travail d’analyse et de déduction que l’on est capable de mener au cas par cas, selon la façon dont l’entreprise fonctionne. Pour le poste le plus lourd – celui du papier – on commence en général par faire une extraction de l’ERP pour savoir ce que l’entreprise a ‘roulé’ comme type de papiers au fil de l’année. C’est plutôt simple à établir lorsque les achats ont été effectués en direct auprès du papetier, ça l’est moins si l’on passe par un distributeur : il va falloir traduire les références des distributeurs, les mettre en parallèle avec celles du papetier et identifier l’usine de provenance. Une fois que l’on a fait ça, il faudra s’appuyer sur un paper profile à jour, ce qui n’est pas toujours facile non plus. Là encore, c’est toujours plus complexe la première année : une fois que ce travail est fait, on peut dupliquer ces données et les appliquer à de nouveaux volumes.

Comment gère-t-on les cas d’entreprises qui ont grossi et/ou investi, de telle manière que leur volume d’affaires a pu augmenter, sur des marchés potentiellement nouveaux pour eux ? En soi, l’entreprise sera plus émettrice en valeur absolue, même si elle travaille mieux…

Pour les entreprises qui auront plus imprimé et donc émis plus de CO2, par le seul fait d’une activité en progression, on a indicateur de CO2 à la tonne transformée. C’est en soi plus parlant qu’un total qui ne veut pas dire grand-chose. La performance d’une entreprise se mesurera plus justement à la lumière d’un prorata à la tonne imprimée. Par exemple, pour la gâche papier : pour établir une moyenne sur site, on rentre la quantité totale de papier imprimé à l’année versus le volume de déchets récupérés par le prestataire agréé : on sait que la différence entre l’un et l’autre, c’est du calage machines, de la rogne etc. A partir de là, il est assez facile d’établir un taux de gâche moyen. Il faudrait aussi parler de certaines imprimeries qui partent avec un handicap, dans la mesure où il sera plus difficile d’être exemplaire avec des sites un peu vétustes. On ne peut pas tout corriger par des ajustements et quand on travaille dans des bâtiments qui sont des passoires énergétiques, on a une marge d’amélioration à court/moyen terme qui ne nous permettra pas forcément d’afficher un bilan carbone aussi performant que d’autres entreprises mieux installées ou plus modernes. C’est pour cela que je pense vraiment qu’il faut appuyer l’idée de progrès : l’important, c’est que chacun s’attache à faire mieux, avec ses propres marges de progrès.

La tentation sera grande pour les donneurs d’ordre d’en faire un outil de comparaison, pour mettre les entreprises en compétition entre elles…

Le risque, c’est de comparer tout et n’importe quoi : des imprimeurs offset feuille et/ou roto, des imprimeurs numérique grand format, des sérigraphes etc. ClimateCalc permet aux entreprises d’effectuer des comparaisons européennes en fonction des procédés d’impression, ce qui est déjà plus parlant. Mais même là, ce sont en vérité des exercices assez bancals : avec un même procédé, on peut être positionné des sur des qualités de produits très différentes et être amalgamé avec des imprimeurs qui n’auront pas du tout les mêmes obligations techniques et qualitatives.

Ne risque-t-on pas de voir des donneurs d’ordre exiger une évaluation carbone avant de passer commande, au moment du devis par exemple ?

Un client pourra le faire oui, mais ce n’est pas forcément comme ça que cela va se passer. Il y a quinze ans, certaines marques ont poussé leurs imprimeurs à avoir une certification ISO 9001 pour continuer de les référencer. Résultat : certains ont dû se priver de la moitié de leurs sous-traitants, parce qu’il y a une réalité industrielle qui les a rattrapés. Du coup, ils ont rectifié le tir en demandant aux entreprises de mettre en place des démarches, sans forcément aller jusqu’à la certification. Ce sera à peu près la même chose avec le bilan carbone : attention à ne pas être trop restrictif. On compte environ une centaine d’utilisateurs de ClimateCalc aujourd’hui en France (contre 169 au total dans le monde), c’est une toute petite élite au regard du tissu industriel puisqu’on dénombre environ 4000 imprimeries à l’échelle de notre pays. Il faut accompagner le mouvement, sans se précipiter pour autant. Si aujourd’hui, un imprimeur devait indiquer sur son devis une estimation d’impact carbone pour la soumettre à son client, il faudrait y consacrer un poste à temps plein. En plus, les simulations impliquent souvent de chiffrer différentes hypothèses, selon les papiers choisis, le nombre d’exemplaires commandés, le procédé d’impression retenu etc. C’est rapidement très chronophage. Il n’empêche que oui, il y a des donneurs d’ordre qui vont entamer tout une réflexion autour de leurs rapports aux sous-traitants, en essayant par exemple de travailler avec des acteurs locaux en circuit court.

Est-ce que lors de la première phase d’accompagnement, il peut être pointé chez l’entreprise des éventuelles contreperformances ciblées, pour dire par exemple « sur ce point, il va falloir faire mieux » ?

Oui, j’ai une marge de manœuvre et je le dis. J’ai travaillé notamment avec des imprimeurs qui utilisent des papiers techniques et fonctionnels, au sujet desquels il manque parfois des données. Dans ces cas-là, on effectue des calculs en prenant en considération les scénarios les plus critiques, ce qui n’est pas pour les arranger. Dans ce cas-là, je les sensibilise au fait qu’en ayant une meilleure remontée des données, non seulement on sera plus précis, mais ce sera à leur avantage. Plus globalement, l’audit sert à ça : que peut-on mettre en place pour affiner et réduire les émissions de CO2 ? Certains vont devoir travailler prioritairement sur leurs consommations d’énergie, d’autres sur des optimisations internes en termes de calages machines ou de consommation de plaques, d’autres sur le taux d’encrage etc. Mais encore une fois, tout ça, ce sont finalement de petits postes d’amélioration, l’essentiel des efforts porte souvent sur le sourcing papier. C’est une fois qu’on a travaillé sérieusement là-dessus qu’on s’attaque à réduire les autres postes.

On l’a dit, ClimateCalc est un outil qui a déjà une certaine ancienneté. Le site Internet n’est pas devenu obsolète ou un peu « daté » avec le temps ?

Le site vient d’être totalement refait et il va encore évoluer lors des prochains mois. Nos bases de données sont régulièrement mises à jour et nous affinons les données selon l’état de ce que nous savons des facteurs d’émissions attachés à tel ou tel poste. Le but, c’est vraiment d’être au taquet sur l’ensemble des facteurs d’émissions, pour proposer le calculateur le plus précis à l’heure actuelle. C’est quelque chose qui change perpétuellement, au gré notamment des informations existantes dans les bases de données et des progrès chez les fabricants de machines, donc rien n’est arrêté. Par ailleurs, l’accès au calculateur est paramétrable : le dirigeant d’entreprise peut accéder à tout, tandis que d’autres profils pourront par exemple n’accéder qu’à des fonctions qui les concernent sur du calcul produit.

Le mot d’Ecograf

Ecograf accompagne aussi les acheteurs d’imprimés, éditeurs (presse magazine, livres), agences de production dans l’estimation de leur empreinte carbone.

« Les imprimeurs doivent comprendre que leurs clients n’ont pas le choix : ils doivent estimer leurs émissions de gaz à effet de serre en vue de les réduire. Si les imprimeurs ne sont pas capables de transmettre une information robuste accompagnée de solutions d’optimisation, la seule alternative s’offrant aux acheteurs pour réduire leurs émissions sera de réduire leur volume d’achats. Estimer ses propres émissions ne revient donc pas, comme on peut l’entendre, à se tirer une balle dans le pied, mais bien à tenter de maintenir ses volumes. En proposant des grammages plus faibles, des formats mieux adaptés permettant de réduire la gâche, des solutions innovantes, l’imprimeur offrira la possibilité à son client d’atteindre ses objectifs de réduction. Enfin, ce travail doit s’accompagner d’une révolution culturelle : le concept de chaîne graphique (où la fin de la chaîne subit les décisions du début) doit être remplacé par un concept d’écosystème graphique. Chaque unité constitutive de cet écosystème doit partager un objectif commun de réduction des émissions de l’ensemble. C’est par le partage, l’écoute et la co-construction que cet objectif, ardu, sera rempli. Même si la majorité du marché n’attend toujours qu’un prix, un délai et une qualité, la minorité du marché qui a déjà fait sa mutation mérite que l’on y prête attention. »

 


 

Témoignages

ClimateCalc par ses utilisateurs

Ils sont quelques pionniers – une centaine – à avoir adopté l’outil en France. De différents profils, ils dressent des constats à la fois semblables et complémentaires, sans toutefois viser tous les mêmes objectifs. Petit tour d’horizon…

KVC Print

Jérôme Jallu (Directeur général adjoint) – « Echanger avec ses clients pour s’entendre sur des axes de progrès. »

KVC Print répond aux marchés de l’impression/fabrication de supports de communication grand format, offset et numérique, intérieur et extérieur : affiches, PLV, signalétique, adhésifs, bâches etc. La démarche ClimateCalc s’est imposée à nous d’abord lorsqu’il a fallu répondre aux demandes de nos clients, principalement les grands acteurs de l’industrie du luxe, de l’automobile ou des télécommunications, qui se sont engagés à une neutralité carbone à horizon 2035. Puis chemin faisant, nous avons voulu quantifier nos émissions et entrer dans une démarche d’amélioration de notre empreinte. En particulier en travaillant sur nos bâtiments, nos approvisionnements et en proposant des solutions en circuit court à nos clients. Tout ce travail nous permet donc à la fois de répondre à une demande qui est concrète, mais aussi en interne de mettre en exergue nos propres points d’amélioration. Est-ce que cela soulève des défis ? Oui ! Côté entreprise, cela implique des investissements importants : un changement de matériel ou de type d’énergie par exemple. Côté clients, les solutions peuvent être coûteuses : changer de papier ou de technologie d’impression par exemple. Mais l’important est d’échanger avec ses clients pour s’entendre sur des axes de progrès, selon les possibilités de chacun.

Grafik Plus

Aurore Le Corre (Directrice du développement) – « Proposer un devis A et un devis B, avec deux papiers différents, tout en expliquant les différences d’impact carbone. »

La question de notre empreinte carbone a vraiment commencée à être traitée il y a bientôt trois ans. A l’époque, on sentait déjà quelques frémissements en ce sens chez nos plus gros clients, certains nous demandant si nous avions fait des bilans carbone, mais on restait dans du déclaratif. On a fait partie des fous qui avaient essayé, avant ClimateCalc, d’utiliser le tableur de l’ADEME [RIRES]. Mais c’était très difficile de gérer ça seul et beaucoup d’informations demandées n’avaient rien à voir avec les industries graphiques. Il fallait presque des compétences d’ingénieur pour renseigner certains champs et sauf à passer par des consultants ou y consacrer énormément de temps, c’était infaisable. Pire encore : on mettait le curseur de notre bilan où on le souhaitait : scope 1, 2 ou 3, au choix. C’était donc à la fois plus compliqué, moins pertinent par rapport à la réalité de nos métiers et moins rigoureux. ClimateCalc nous a permis d’aller au bout de la démarche, tout en offrant une meilleure maîtrise de l’outil. Notre premier bilan ClimateCalc a été fait en 2023, sur la base de nos données 2022, et avons obtenu notre certificat en novembre dernier. Il a fallu beaucoup travailler avec la comptabilité pour obtenir tous les chiffres nécessaires, même si dans le cadre d’une démarche RSE entamée chez Grafik Plus depuis 2008, nous avions déjà mis pas mal d’indicateurs en place, ce qui nous a bien aidés. Cela nous a permis de débriefer dès fin 2023 avec nos clients les plus sensibles sur ces questions, à minima pour pouvoir faire différentes propositions : par exemple un devis A et un devis B, avec deux papiers différents, tout en expliquant les différences d’impact carbone. On essaie d’accompagner nos clients vers les meilleures alternatives, sachant que les mesures brutes d’impact carbone sont peu parlantes en soi : on a besoin de comparatifs pour commencer à mesurer les progrès que l’on peut faire. C’est du moins vrai pour les mesures produits, ce qui concerne le site a davantage d’utilité pour nous, en interne. Ce que l’on peut partager avec les clients, ce sont des objectifs d’amélioration. De toute façon, l’essentiel de la marge que l’on a est souvent sur le support d’impression : chez Grafik Plus, le papier pèse 60 à 70 % de notre impact carbone. Il est facile d’en proposer d’autres, avec de meilleurs paper profiles, mais quand on est verrouillés sur des marchés où le client est vraiment attaché à une référence, il faut essayer de trouver d’autres leviers.

Groupe Prenant

Juliette Guillermou (Cheffe de projet) & Philippe Vanheste (Directeur général adjoint) – « On aiguille au mieux nos clients pour qu’ils fassent des choix éclairés, sachant que les papiers pèsent aujourd’hui pour plus de 71 % de notre empreinte carbone. »

PV : Nous avons renforcé l’approche RSE du groupe il y a dix ans, pas tant sur un plan normatif que volontaire. Dans cette optique, nous avions à l’époque certainement plongé trop vite dans une démarche de bilan carbone, sans être prêts : les exigences étaient telles que cela s’est avéré inapplicable. Ce qui m’a séduit avec ClimateCalc, c’est qu’on ne nous demande pas l’impossible : si on n’est pas tout de suite en mesure de renseigner certaines informations, on peut se raccrocher à des valeurs moyennes et avancer. Le fait que ce soit un outil collectif européen facilite l’appropriation d’une démarche qui reste abordable, que l’on soit une petite ou une grande entreprise. L’intérêt premier, à ce stade de notre démarche, c’est de pouvoir garantir aux clients une transparence. C’est le fait de pouvoir leur dire : « Vous faîtes 20 000 brochures, on est en capacité de vous dire quel est l’impact carbone de cette production, avec des estimations directement sur le devis et/ou sur la facture ». Les pistes d’amélioration sont pour nous la prochaine étape.

JG : Nous avons aujourd’hui une base d’informations solides pour travailler sur le long terme une baisse de nos émissions carbone, mais il faut que ça concorde avec des impératifs économiques. La crise de l’énergie nous a par exemple contraints à gérer une urgence en termes de maîtrise des coûts. La dimension économique existe aussi pour les clients, lorsqu’ils doivent choisir un papier : même les plus investis font des compromis. Typiquement, choisir un papier recyclé est très compliqué : l’impact carbone va varier énormément selon les propriétés qu’on en attend et selon son lieu de production. On sait par exemple que si c’est en Suisse, avec une énergie globalement hyper-décarbonée, c’est l’idéal. Mais à quel prix ? On les aiguille au mieux pour qu’ils fassent des choix éclairés, sachant que les papiers pèsent aujourd’hui pour plus de 71 % de notre empreinte carbone. Cela étant dit, on voit apparaître la notion de bilan carbone dans des appels d’offre aujourd’hui : c’est une vraie évolution, ça n’était pas aussi explicite quelques années auparavant.

Nortier Emballages

Sandra Cloarec (Responsable RSE & QSE) – « Nous sommes toujours force de proposition. »

ClimateCalc est un engagement de longue date pour nous, puisque cela a débuté en 2014. Mais nous n’étions probablement pas assez mûrs à l’époque, raison pour laquelle ça n’a abouti que récemment, avec un vrai coup de boost consécutif à notre labellisation Print Ethic : c’est via l’enjeu 10 que nous avons pu relancer un bilan carbone, sachant que nous étions dans le même temps challengés de façon récurrente par nos clients sur cette question : quelle empreinte carbone pour tel produit ? Quelles actions mettez-vous en place ? Etc. Dans le milieu du packaging cosmétique de luxe, c’est devenu une préoccupation très sensible. Nous aurions pu prendre un autre outil, mais dans la mesure où ClimateCalc est pensé spécifiquement pour les industries graphiques, avec un réel accompagnement, cela lui confère un net avantage. A ce stade de la démarche, nous avons d’ores et déjà décidé de nous faire accompagner pour mieux comprendre et optimiser nos consommations énergétiques. Mais la question la plus complexe finalement, c’est celle de savoir ce que l’on fait des résultats que nous obtenons sur le calculateur. Sur la partie mesurant les impacts du site d’impression, c’est peu lisible d’un point de vue extérieur et sans contextualisation, c’est difficile à interpréter. Pour les produits, nous sommes toujours force de proposition auprès de nos clients avec des propositions écoconçues.

Cloître Imprimeur

Anne-Emmanuelle Crivelli (Responsable RSE & Innovation) – « Privilégier l’impact bas carbone, privilégier le local ou privilégier le recyclé, ce n’est pas forcément se rendre aux mêmes choix. »

ClimateCalc est un précieux outil de progrès, mais pour comparer différents imprimeurs entre eux, c’est déjà plus compliqué : un chiffre d’émissions de CO2 ne suffit pas, il faut comparer des démarches RSE, des démarches de certification, des parcs machines, des politiques d’intégration notamment vis-à-vis du handicap etc. Le bilan carbone est à mon sens un levier parmi d’autres, mais grâce à ClimateCalc, je pourrai par exemple à terme proposer à nos clients une option bas carbone : parce que je suis maintenant en mesure de calculer l’impact CO2 de nos produits et donc de proposer des alternatives, en travaillant notamment sur le support d’impression. Mais il faut bien avoir conscience que selon ses priorités, on ne tirera pas les mêmes conclusions : privilégier l’impact bas carbone, privilégier le local ou privilégier le recyclé, ce n’est pas forcément se rendre aux mêmes choix. Ce sont des engagements complémentaires et qui tirent évidemment dans le même sens, mais j’essaie de dire à nos clients qu’il n’existe pas d’approche-type qui concentre à elle seule toutes les bonnes pratiques. Il s’agira toujours de trancher, en fonction de ses objectifs.

Mya Andres – “En ne faisant que du digital, on appauvrit ses connaissances”

Les finales Internationales des Worldskills se sont tenues en France (à Lyon, Eurexpo) du 10 au 15 septembre derniers, sans que ne puissent être représentés les métiers de l’impression, l’épreuve ayant hélas été écartée de celles retenues pour l’échelon international de la compétition (relire notre article). Restent toutefois les métiers du prépresse, avec pour nous l’occasion d’interroger Mya Andres, médaillée d’Or française de la spécialité en septembre 2023, qui nous en dit un peu plus sur son parcours et son rapport à la matérialité…

Si la France a brillé à domicile en terminant à la troisième place des nations les plus titrées de la compétition, Mya Andres n’aura pas réussi à damer le pion au Coréen Chaehwan Kim, au Chinois Zihong Zhang et à la Singapourienne Xueyi Joanne Li, qui ont trusté le podium dans l’épreuve très relevée des Arts Graphiques. Pas de quoi remettre en cause l’excellence de sa prestation ainsi qu’une profonde envie d’apprendre, la jeune graphiste de 22 ans nous confiant notamment être favorable à une présence renforcée du print, pour mieux appréhender son travail. Nous l’interrogions quelques jours avant les finales internationales, à la fois sur son rapport à la compétition et sur sa vision du métier.

Podium des finales nationales 2023, Arts Graphiques : 🥇Mya ANDRES – Grand-Est 🥈 Mathéo ROY – Nouvelle-Aquitaine 🥉 Lucas PERNET – Bourgogne-Franche-Comte.

Les finales internationales approchent, est-ce que tout ce que ça implique est nouveau pour vous ?

Oui et non. J’avais déjà participé à la 46ème édition des Worldskills, c’est la deuxième fois que je concoure. J’avais réussi les épreuves régionales et fini 4ème lors des finales nationales. J’avais 18 ans en 2020 et je savais que je pourrai toujours tenter ma chance cette année, à 22 ans [la limite d’âge est fixée à 23 ans, NDLR]. J’ai atteint mon objectif en remportant les finales nationales l’an dernier, donc je suis prête à tenter l’échelon international…

C’est souvent le cas : les compétiteurs les plus performants ont souvent eu besoin de s’appuyer sur l’expérience d’un premier essai, avant de donner leur pleine mesure…

Oui, c’est exactement ce qui s’est passé pour moi, mais aussi pour celui qui m’a précédé : Emmanuel Young [le vainqueur de la précédente édition, NDLR] avait lui aussi eu besoin de deux tentatives. J’ai corrigé à la fois des aspects techniques et des aspects plus liés à la préparation sportive. Avec mon coach, Raphaël Pascual, on a travaillé mon attitude pour que je sois plus zen et forcément, j’ai gagné en maturité en quatre années. Mais j’ai aussi progressé en technique pure, à l’école j’ai poursuivi un enseignement avec une spécialisation design à la fois dans le print et le numérique, tout en ayant plus de séances d’entraînement. Forcément, cela m’a beaucoup aidée.

Comment en êtes-vous venue à vous intéresser aux métiers du graphisme ? C’était une vocation de longue date, une passion enracinée depuis l’enfance, ou est-ce qu’au contraire ce fut une révélation plus tardive ?

Je dessinais énormément, dès le collège. Y compris sur mes cahiers de maths [RIRES]. C’est une de mes professeures qui m’a conseillé un lycée professionnel dans la région et c’est là-bas que j’ai découvert les métiers du graphisme. J’y allais surtout avec l’envie de faire de l’illustration ou de l’animation, mais en me formant aux outils graphiques – Illustrator, InDesign etc. – je me suis intéressée de plus en plus à cet univers. Je me suis aussi dit que le graphisme m’ouvrirait certainement plus de portes, parce qu’on peut y faire énormément de choses, là où l’illustration ou l’animation sont des domaines peut-être plus fermés et sélectifs. Je me suis donc plutôt dirigée vers le design graphique, pour ensuite réfléchir à des spécialisations qui seraient en phase avec mes envies.

Comment avez-vous découvert l’univers des Worldskills ? Ce sont des enseignants qui vous ont suggéré de participer au vu de la qualité de vos résultats ?

Oui, c’est en terminal que des professeurs ont commencé à me parler des Worldskills. L’idée de compétition m’a tout de suite attirée, parce que j’ai cet esprit là. J’ai donc tenté ma chance dès 2020, à 18 ans. C’est une expérience que j’ai vraiment aimée, malgré le contexte, en plein Covid…

On travaille autant le physique que la concentration ou le contrôle de soi. C’est là que la dimension sportive de la compétition devient évidente, parce que les connaissances et la technique ne suffisent pas.

Vous avez déjà l’expérience des finales nationales, est-ce que c’est très différent de ce que vous vivez pour les finales internationales, notamment en termes de préparation ?

L’approche pour les ‘Inter’ est très différente oui, avec davantage d’entraînements que l’on appelle les PPM [pour ‘Préparation Physique & Mentale’, NDLR] : on y travaille autant le physique que la concentration ou le contrôle de soi. C’est là que la dimension sportive de la compétition devient évidente, parce que les connaissances et la technique ne suffisent pas. D’autant que l’on fait ces PPM avec l’ensemble de l’équipe de France, tous métiers confondus. Après, on a aussi évidemment des exercices métiers, où l’on s’attaque par exemple à d’anciens sujets, ce qui est très pratique pour voir ce que l’on doit encore améliorer. Les corrections se font avec l’équipe métier au complet, ce qui permet de discuter collectivement, mais aussi de comprendre comment les épreuves sont notées et donc comment les aborder au mieux.

Vous pouvez être amenée à travailler sur quelque chose qui sera à terme imprimé – un flyer, un packaging etc. – ou au contraire peut-être quelque chose qui restera sur écran (un site Web, une illustration pour appli’ téléphone etc.). Qu’est-ce que cela change dans votre approche ?

Oui, forcément les travaux print ou 100 % digitaux ne s’abordent pas de la même manière : que ce soit sur la gestion des images, les DPI [‘Digit Per Inch’ en anglais, soit la résolution d’un fichier ; NDLR] etc. il faut évidemment s’adapter. Quand on sait que le fichier sera imprimé, on s’ajuste techniquement au mieux selon ce qu’énonce le sujet : si c’est imprimé en offset, en numérique ou autre, mais aussi s’il y a du vernis etc. Cela va dépendre aussi de la machine dont on disposera sur le lieu de compétition, je sais que lors des entraînements que nous avons eus au Canada, nous pouvions imprimer avec des vernis, ce qui permet de mieux se rendre compte de ce qu’il faut faire ou éventuellement corriger.

Vous arrive-t-il de devoir travailler sur des sujets 100 % numériques, c’est-à-dire sans impression ?

Généralement, on a des sujets avec un mix des deux, mais oui, il n’est en soi pas impossible d’avoir des sujets où il n’y a pas d’impression. Mais dans la pratique, on imprime quasiment à chaque fois pour montrer notre travail. Il y a quasi-systématiquement un produit fini dans le sujet « Edition » – souvent un livret d’une vingtaine de pages – et là ce sera forcément imprimé/agrafé, avec du bon matériel pour que cela rende justice aux projets réalisés. L’impression est obligatoire dans le sujet « Packaging » : c’est en imprimant et en montant notre boite que l’on voit si ça fonctionne ou pas. C’est moins important lorsque l’on travaille sur des logos, même si là aussi, il peut arriver qu’on les imprime sur du papier A4.

J’imagine que vous avez déjà une expérience professionnelle en dehors des cours, notamment grâce aux formations en alternance ?

Oui, je suis actuellement en alternance et je change d’école cette année : je passe en Master Direction Artistique et je travaille donc en alternance dans une entreprise de motion design qui s’appelle Motion Graphic Designer. En l’occurrence, je ne fais pas de print du tout ici, mais c’est tout l’intérêt pour moi de changer d’école et aller vers la Direction Artistique : ça me permet justement d’équilibrer.

Je suis convaincue qu’il faut continuer d’imprimer et j’ai envie de maîtriser ces techniques : non seulement parce que ça m’attire, mais aussi parce que j’ai le sentiment qu’en ne faisant que du digital, on appauvrit ses connaissances.

Nous évoluons vers des modèles de communication où les écrans et les contenus connectés ont pris une place fondamentale. Quel est votre regard sur ce phénomène ? Est-ce que vous constatez une forme de marginalisation du print et est-ce qu’à votre avis, les jeunes générations s’en éloignent ?

Je ne sais pas si j’ai le même avis que les jeunes de mon entourage [RIRES]… Non seulement j’aime imprimer ce que je fais, mais j’ai aussi la manie de récupérer tous les flyers que je peux trouver dehors. Avec ce qui est physique, on dispose de valeurs ajoutées potentielles qui n’existent pas en numérique : la texture du papier, les rendus d’impression, les ennoblissements… Typiquement, si on nous demande un Riso [pour « Risographie », soit une technique d’impression proche de la sérigraphie mécanisée, qui permet d’obtenir des rendus tramés à l’esprit artisanal, NDLR], on obtient des choses très particulières, là où l’écran a tendance à être plus uniforme. Je suis convaincue qu’il faut continuer d’imprimer et j’ai envie de maîtriser ces techniques : non seulement parce que ça m’attire, mais aussi parce que j’ai le sentiment qu’en ne faisant que du digital, on appauvrit ses connaissances. L’entreprise pour laquelle je travaille a l’habitude de répondre à des musées et même si l’essentiel de la demande est digitale, il nous est arrivé de travailler à des impressions assez spéciales sur des plaques de bois par exemple, des éléments décoratifs pour de la scénographie etc. Je pense qu’on aura toujours ce type de besoins, c’est aussi ce qui permet de sortir du lot. J’ai l’impression que les gens de mon âge ont conscience que le print permet d’avoir de vraies valeurs ajoutées, même si les pratiques penchant clairement vers le digital.

L’autre grande tendance, c’est évidemment l’Intelligence Artificielle, qui dans nos métiers touche d’ailleurs d’abord le prépresse. Est-ce que la révolution en cours vous inquiète et vous fait reconsidérer la façon dont vous devrez travailler ?

Pour moi l’IA est un outil et ce n’est pas quelque chose que je crains. Je vois ça comme une aide davantage que comme quelque chose dont il faudrait avoir peur. Lorsque je travaille en freelance, je me dis que mon meilleur argument, c’est de développer mon propre style. Si des gens sont sensibles à ce que je propose en termes d’illustrations de designs, alors ils reviendront vers moi.

L’enfer numérique est encore devant nous

Culture Papier recevait Guillaume Pitron, journaliste et auteur notamment de « La guerre des métaux rares, la face cachée de la transition énergétique et numérique » en 2018, puis de « L’enfer numérique : voyage au bout d’un like » en 2021, aux éditions Les liens qui libèrent. Retour sur un échange aussi passionnant que glaçant, tant l’hégémonie numérique porte des externalités négatives croissantes (c’est un euphémisme), qu’il semble extrêmement difficile – sinon de défaire – seulement de contenir.

 

Il le reconnaît volontiers : s’il n’avait pas acquiescé aux desideratas de son éditeur, le dernier ouvrage signé Guillaume Pitron n’aurait gardé que son sous-titre pour s’intituler plus volontiers « Voyage au bout d’un like ». A la fois parce que la formule lui semblait plus fidèle à l’esprit du livre et surtout parce que loin d’être un technophobe patenté, Guillaume Pitron refuse d’être vu comme l’anti-numérique qu’il n’est pas. Car il s’agit bien de décrypter la machinerie numérique pour en comprendre chaque rouage et, dit-il, « développer une perception sensorielle d’Internet ». C’est-à-dire donner à voir la matérialité de ce qui est supposément immatériel, dans des proportions à ce point vertigineuses qu’elles ramènent à un constat implacable : sauf à imposer des garde-fous d’urgence, l’enfer numérique est bel et bien devant nous.

Personne n‘envoie une lettre papier pour dire à un ami ‘j’arrive’. On ne remplace pas une lettre par un email, mais par des centaines d’emails. Il s’envoie 163 milliards de mails par jour, l’effet rebond c’est ça.

« Plus c’est petit, plus c’est gros »

« Nous allons consommer plus de métaux ces 3 prochaines années qu’en cumul depuis 70 000 ans. Et il faut se figurer qu’en 2060, le niveau global de consommation de ressources sur la planète aura été multiplié par 2,5 par rapport à 2011 » assène Guillaume Pitron, désireux de démontrer combien « l’infrastructure numérique est en passe de devenir la plus grande infrastructure jamais constituée par l’être humain ». Rien de moins, sans qu’il ne soit même seulement concevable que pareille prophétie n’advienne pas. Car le terme ‘infrastructure’ n’est pas choisi au hasard : si un smartphone contient déjà une cinquantaine de métaux rares, il n’est rien sans l’immense écosystème qui lui permet d’être continument connecté, sans la masse exponentielle de données hébergées dans des data centers, sans les centrales électriques spécifiquement dédiées à ces serveurs ou encore sans les câbles qui font transiter la bande-passante au travers des mers (99 % du trafic Internet passe en effet par des câbles, très marginalement via des satellites). De sorte que nous sommes évidemment loin des contenus prétendument « dématérialisés » qui voyageraient de façon fluide par terminaux numériques interposés, avec des appellations marketing flatteuses tels que le « cloud », qui porte en réalité très mal son nom. « On estime, selon le concept du sac à dos écologique, qu’en moyenne un objet manufacturé – comme une tasse par exemple – pèse 40 fois son poids, au vu des ressources, directes et indirectes, qu’il a fallu mobiliser. Le smartphone a un des ratios les plus élevés au monde : c’est comme s’il pesait 1200 fois son poids » illustre Guillaume Pitron, insistant sur l’extraordinaire complexité d’une technologique pourtant ultra-compacte. « Les puces électroniques sont un peu l’emblème de cette matérialité cachée. C’est quelque chose de minuscule, qui aura nécessité l’apport de nombreux sous-traitants et engagé énormément de matières dans le processus de fabrication. Une puce pèse ainsi en moyenne 16 000 fois son poids, c’est le ratio le plus élevé jamais mesuré. Qu’est-ce que ça veut dire ? Que souvent, avec le numérique, plus c’est petit, plus c’est gros ».

L’obsession des acteurs du numérique aujourd’hui, c’est la continuité de service. L’enfer du numérique vient précisément se nicher ici. Parce qu’on ne peut pas arrêter Internet, jamais.

Continuité et redondances : les traits de l’enfer numérique

Bien que connu et largement documenté, « l’effet rebond » peine encore à intégrer les réflexions et autres calculs d’impacts dès qu’il s’agit de s’appuyer sur des comparatifs. « Le Figaro m’avait interrogé l’été dernier en me demandant s’il valait mieux envoyer une lettre ou un email. Je leur ai répondu que la question était passionnante mais surtout très mal posée. Bien sûr qu’à première vue, il vaut mieux envoyer un email. Mais personne n‘envoie une lettre papier pour dire à un ami ‘j’arrive’. On ne remplace pas une lettre par un email, mais par des centaines d’emails. Il s’envoie 163 milliards de mails par jour, l’effet rebond c’est ça » illustre Guillaume Pitron pour rappeler une évidence qui pourtant, instinctivement, s’impose rarement comme telle. Mais là n’est pas l’entier du problème que nous pose la mesure des impacts numériques, tant nous sommes désormais massivement incapables de tolérer une panne ou des déconnexions intempestives. « L’obsession des acteurs du numérique aujourd’hui, c’est la continuité de service. L’enfer du numérique vient précisément se nicher ici. Parce qu’on ne peut pas arrêter Internet, jamais. Si Facebook vous dit ‘veuillez vous reconnecter dans deux minutes’, vous ne l’acceptez pas. Pour remédier à ça, on redonde l’infrastructure de sorte que si un centre de données tombe en panne, un autre prend immédiatement le relais. Il existe ainsi des centres de données qui ne seront certainement jamais utilisés, parce qu’on veut prévoir ce qui n’arrive jamais » se désole-t-il, décrivant un surdimensionnement d’infrastructures d’autant plus gloutonnes qu’elles répondent à un niveau de précaution quasi-paranoïaque. Davantage que des pannes, c’est même seulement la latence numérique qui est honnie par l’immense majorité des utilisateurs : on ne supporte plus de voir une application ‘ramer’ et tarder à nous répondre. Là encore, pour réduire la latence, on multiplie les relais. A tel point que se sont donc constituées des infrastructures à l’avenant, bel et bien matérielles en effet, très au-delà même de ce qu’un usage raisonné réclamerait.

L’IA, ou la peur du pire

Raisonner les usages, c’est justement ce qui a valu un bad buzz cinglant à Najat Vallaud-Belkacem, l’ex-Ministre de l’Education nationale proposant notamment dans une Tribune parue dans les pages du Figaro, de « rationner Internet ». Ainsi s’est-elle-même risquée à y attacher un ordre de grandeur : trois gigas de données par utilisateur et par semaine. Suscitant l’hilarité moqueuse des uns, mais aussi l’appui bienveillant de quelques autres, cette tentative visant à poser une limite à ce qui semble ne plus devoir en avoir, illustre toutefois combien la problématique soulevée ici est sensible. Peut-on seulement concevoir un retour en arrière ? Probablement pas encore. « Open AI ne communique pas encore sur les chiffres de ChatGPT4, mais on connaît ceux de ChatGPT3. Pour la phase d’entraînement, c’est de l’ordre de 150 tonnes d’équivalent CO2, soit environ 200 allers/retours Paris/New York, ce qui est en soi assez peu. En revanche, la phase d’utilisation, pour environ 13 millions d’utilisateurs par an, on considère que l’impact est 200 fois plus élevé que pour  la phase d’entraînement », sachant que la dernière mesure du nombre d’utilisateurs du désormais célèbre agent conversationnel d’Open AI culmine à plus de 180 millions (décembre 2023), loin des 13 millions servant ici de base de calcul. « Mais on conjecture que ChatGPT 4, c’est encore 100 fois supérieur aux impacts de ChatGPT3 », précise Guillaume Pitron. Des ratios qui donnent le vertige, alors que loin d’agir pour une sobriété numérique sérieuse, les pouvoirs publics poussent pour voir naître un champion français en la matière, parce que les priorités sont celles-là : il s’agit de tirer profit d’une manne économique majeure, sans se voir aspiré par les géants américains ou chinois. « On ne veut pas être dépendants d’infrastructures qui, potentiellement, nous espionnent. Dans un monde qui, géopolitiquement, se tend, je ne vois pas comment on va s’arrêter. On sait que dominer le cyberespace est un levier de puissance » estime-t-il, dans un mélange contraint de fatalisme et de lucidité. Pourtant, les signes faisant état d’un trop-plein numérique ne manquent pas. Et ils sont annonciateurs du fait qu’immanquablement, un jour, il faudra freiner des quatre fers.

Il ne faut pas attendre de limites de ressources à l’expansion numérique : il y aura toujours quelque part du métal à extraire et des substituts seront créés pour les besoins du marché.

L’espoir, malgré tout

 « Il faut peut-être aussi redire à quel point le numérique est archi-nécessaire. Qu’aurait-on fait sans lui pendant le Covid ? Les conséquences économiques et sociales auraient été bien plus lourdes encore. C’est aussi un outil de connaissances incroyable : grâce à lui, on sait en temps réel comment se porte la barrière de corail par exemple. Il ne faut pas attendre de limites de ressources à l’expansion numérique : il y aura toujours quelque part du métal à extraire et des substituts seront créés pour les besoins du marché. Les limites sont plus sûrement psychologiques, on a vu le sujet surgir ces dernières années pour des raisons de santé physique et mentale. Une autre limite, c’est la démocratie, raison pour laquelle nous sommes en train d’essayer de réguler les réseaux sociaux. Et l’autre limite, la plus évidente, est environnementale, même si le niveau de conscience est très hétérogène selon les pays. Il est assez élevé en France, pas du tout aux Etats-Unis par exemple » tient à conclure Guillaume Pitron, pour laisser enfin entrevoir l’espoir d’un revirement salvateur. Car si l’enfer numérique est devant nous, il faudra se rappeler que rien ne nous oblige à nous y rendre sans réagir collectivement. La matérialité imprimée est certainement une réponse – modeste – parmi tant d’autres, pour offrir des alternatives à un tout-numérique dont on sait aujourd’hui à quel point il s’avèrera néfaste. Et à ce stade, toutes les alternatives – a fortiori quand elles ont fait leurs preuves – sont bonnes à prendre.

Sérigraphie, impression numérique connexe & Labeur : comment acter de la fusion des conventions collectives ?

En application des dispositions de l’article L2261-32 du code du travail, les pouvoirs publics ont procédé à la fusion de la convention collective des industries de la sérigraphie et des procédés d’impression numérique connexes (IDCC 614), avec la convention nationale de l’imprimerie de Labeur et des industries graphiques (IDCC 184). Un rattachement devenu opérant le 1er février 2024, généralisant de fait sur les bulletins de salaire le code d’identification CCN 0184.

Si la convention collective de la sérigraphie et des procédés d’impression numériques connexes ressemble pour l’essentiel de ses dispositions à celle du Labeur, la classification des emplois, la structuration d’une couverture de prévoyance collective et – dans certains cas – les aspects Formation (certificats de qualification et diplômes notamment), nécessitent quelques ajustements. De façon à faciliter le basculement, il a ainsi été décidé :

– Que les entreprises relevant de l’ex-champ de la sérigraphie n’auraient pas, au titre de l’année 2024, à contribuer aux collectes conventionnelles IDCC 184.
– Que la politique salariale portant sur les minimas conventionnels devait être repensée pour tenir compte des spécificités des industries créatives.
– Que nous devions construire des emplois repères dédiés à la spécificité des sérigraphes et imprimeurs numériques grand format, jusque sur les fonctions support. Un travail qui relève d’une phase d’accompagnement des entreprises sur des classifications encore sujettes à réflexion, au vu des demandes qui parviennent à l’UNIIC.
– De proposer une couverture de prévoyance collective, sous l’égide du Groupe Lourmel, dédiée à la spécificité des métiers anciennement rattachés à l’IDCC 614.

Nos services sont mobilisés pour vous accompagner sur ces sujets, n’hésitez pas à vous rapprocher de nous.

Huiles minérales – où en est-on ?

Indésirables dans le packaging alimentaire, les hydrocarbures aromatiques d’huiles minérales (MOAH) sont suspectés d’être des perturbateurs endocriniens cancérigènes. Exclues à cette fin des procédés d’impression d’emballage, ces MOAH demeuraient toutefois potentiellement présentes dans les encres offset (heatset et coldset), risquant de contaminer les packagings (primaires et secondaires) recyclés.
Sur demande de la DGPR, un groupe de travail lancé par Citeo avec les différentes parties prenantes, a vu l’UNIIC s’engager, depuis 2017, à travailler sur des encres alternatives : les imprimeurs et acteurs amont/aval (producteurs d’encres, fournisseurs et transformateurs d’emballages, éditeurs, industriels de recyclage etc.) ont ainsi travaillé sur des solutions alternatives techniquement disponibles et économiquement supportables. Depuis 2022, de nouvelles formulations ont résulté de ces travaux, avec un taux d’appropriation de 97 % par les industriels français. Mais, comme nous le mentionnions avec la FIPEC dans un communiqué commun en décembre 2022, “l’arrêté du 13 avril 2022 précisant les substances contenues dans les huiles minérales dont l’utilisation est interdite sur les emballages et pour les impressions à destination du public (…) provoque une déstabilisation de toute la filière puisque les modalités de contrôle rendent impossible la mise en œuvre de la loi : toutes les encres, dont les encres à base végétale, seront de fait interdites, à échéance 2025, sur le marché français, si les seuils limites restent sous les capacités de détection de l’industrie et des laboratoires.

Travaillant tant auprès de l’Etat que de l’ANSES, l’UNIIC poursuit son travail d’information, en portant notamment à la connaissance de nos interlocuteurs les réalités suivantes :

– Limiter les contaminations de MOAH à la source via une réglementation française apparaît d’autant plus inenvisageable que les flux de matières imprimées sont à minima européens, voire mondiaux. La traçabilité des papiers récupérés – lesquels sont envoyés par balles à l’étranger pour une production recyclée qui n’existe, hélas, quasiment plus en France – est ainsi en l’état impossible à assurer. L’autre solution, qui consisterait à revoir le schéma de collecte des déchets pour éviter tout mélange problématique, se heurte (entre autres) au fait que ce sont les collectivités elles-mêmes qui en déterminent les propriétés de façon indépendante et – donc – hétérogène.
Où effectue-t-on les contrôles ? Si ce sont les encres d’imprimerie qui ont concentré l’attention du législateur, les dérivés d’huiles minérales – à l’état de traces – peuvent tout à fait provenir du substrat lui-même, des colles & adhésifs ou d’une contamination croisée via les aliments eux-mêmes. Elles peuvent également être présentes dans les camions et conteneurs dédiés à assurer le transport des marchandises imprimées.
– Si le secteur s’est déjà attaché à produire de nouvelles formulations d’encres largement exemptes de dérivés d’huiles minérales, aller plus loin – jusqu’à en éliminer toute trace – suppose des travaux d’identification des problématiques, puis de recherche & développement, qui nécessitent 3 à 5 ans de travail supplémentaire. Un temps qui nous met déjà hors-délai vis-à-vis de la règlementation, telle que définie à ce jour.

Pour rappel, la nouvelle législation relative aux seuils maximum tolérés de dérivés d’huiles minérales dans les produits imprimés est appelée à s’appliquer au 1er janvier 2025.

 

Quid de la place des femmes dans les Industries Graphiques ?

A l’initiative de la CCFI, une conférence dont le sujet – sensible – apparaît à la fois dans l’air du temps, tout en étant très inhabituel dans le paysage thématique des Industries Graphiques. Et s’il était temps de se poser la question de la place des femmes dans les métiers de l’impression ?

Dans la continuité des travaux qui interrogent l’attractivité de nos métiers, leur féminisation apparaît comme un nécessaire axe de progrès. « Idéalement, nous avons besoin de tous les profils. C’est en soi une bonne raison de se demander si les femmes sont favorablement accueillies » résumait Marion Meekel (CCFI) en ouverture des débats. Car personne ne nie d’évidentes réalités : notre industrie manque de bras, les difficultés de recrutement dont témoignent les chefs d’entreprises en font largement état. Par ailleurs, la diversité des profils est effectivement un atout, les besoins en ateliers ramenant de moins en moins à des stéréotypes de genres – qu’il faudra dépasser pour de bon – supposant qu’il faille être grand et fort pour supporter la pénibilité supposée des tâches. S’il s’agit déjà là d’une idée reçue que le secteur s’attache à combattre pour redorer son attractivité, elle tend encore (de moins en moins, heureusement) à éloigner les femmes des métiers de la production.

On compte 34 % de femmes et 66 % d’hommes dans les effectifs du Labeur en France.

Les femmes se sont déjà historiquement imposées dans l’imprimerie

« La présence des femmes dans les imprimeries est avérée dès le XVIème siècle » souligne Fernande Nicaise, responsable de l’atelier de typographie du musée de l’imprimerie de Lyon. « Il était toutefois beaucoup plus difficile pour elles de s’imposer en tant que femmes dans les ateliers » précise-t-elle sans surprise, rappelant à ce titre que celles-ci étaient donc d’autant plus méritantes. La cohabitation n’a ainsi pas toujours été sans heurts, au point qu’une grève éclata au XIXème siècle pour s’opposer à leur embauche en ateliers, certains hommes n’appréciant pas que cette main d’œuvre moins bien payée obtienne les faveurs de chefs d’entreprises qui « les trouvaient souvent plus habiles dans les métiers de la typographie ». Si la Justice tranchera en faveur des femmes sur ce conflit, elles ne pouvaient toutefois à l’époque pas travailler de nuit. Et aujourd’hui ? « On compte 34 % de femmes et 66 % d’hommes dans les effectifs du Labeur en France » indique Pierre Barki, Président de Culture Papier et à la tête de Barki Agency. Un ratio inférieur à celui de l’Industrie en général, puisque la parité – même si elle cache encore des assignations à des postes particuliers, en fonction du genre – est quasi-atteinte : les femmes occupent en effet 48 % des postes en Industrie. Quant aux salaires, les femmes sont en moyenne rétribuées à 13 % de moins que les hommes, en raison d’une légère surreprésentation de ces dernières dans les catégories ouvrières.

En fin d’année 2022 a eu lieu la présentation du guide pour favoriser la mixité dans les métiers de l’industrie de l’imprimerie et de la communication graphique. Ce guide a vocation à sensibiliser le grand public et les entreprises sur la mixité au sein du personnel des industries tout en répondant concrètement aux différents préjugés de la branche. L’UNIIC HAUTS-DE-FRANCE, MARNE ET ARDENNES est partenaire et solidaire de cette action, initiée par l’AMIGRAF, le CORIF, le Département du Nord et la Région Hauts-de-France. Pour obtenir le guide, complétez le formulaire suivant.

La peur de s’exprimer encore ancrée

« Il a été très difficile de faire parler de jeunes professionnelles. La peur d’un préjudice dans l’exercice de leur fonction est très net » pose pour premier constat Isabelle Erb-Polouchine, vice-présidente de la CCFI. Un questionnaire sur les comportements sexistes vécus ou constatés en entreprises, avec toutes les conséquences qui peuvent y être liées, a en effet vu la CCFI obtenir 150 réponses : destiné prioritairement aux jeunes entrants (avec 52 % d’hommes ce qui est une indication en soi), lesdites réponses traduisent l’existence persistante de discriminations à l’embauche, de comportements problématiques (remarques déplacées, harcèlement etc.), de critiques plus dures à l’attention des femmes, de surreprésentation féminine dans les bureaux de fabrication ou encore de rémunération négociées à la baisse. « Seuls 10 % des répondants estiment que tous ces problèmes sont derrière nous » synthétise Isabelle Erb-Polouchine, comme pour nous exhorter à ne pas relâcher l’effort et rester vigilant. Si Virginie Hamm-Boulard, directrice de Brodard & Taupin (groupe CPI), témoigne d’une trajectoire professionnelle plutôt sereine où la bienveillance a toujours primé, elle le reconnaît : « J’ai commencé avec un statut cadre et c’est probablement ce qui m’a protégée », elle qui ne compte que « 17 % de femmes » dans son effectif et dont le bagage technique lui aura épargné les jugements suspicieux. De là à dire que tout fut rose… « Dans les années 90, on m’a reproché un management trop… féminin. On a jugé que je manquais de fermeté » ajoute-t-elle, s’agissant ici de stéréotypes de genre qui, bien que sur le reculoir, ont encore aujourd’hui la dent dure.

Les femmes qui ont ‘réussi’ ont dû, plus que les hommes, ‘faire leurs preuves’, imposer leur vision et, davantage que leurs homologues masculins, faire la démonstration qu’elles méritaient d’être là.

Pour une meilleure inclusivité, lutter contre les stéréotypes de genres

Les stéréotypes de genre ont cela de problématique qu’ils prennent souvent les traits de maladresses involontaires, drapés dans des « compliments » qui se veulent bienveillants. Dire des femmes qu’elles sont plus douces et meilleures intermédiaires que les hommes avec les clients, fait à ce titre figure d’exemple particulièrement parlant. De ces comportements anodins – souvent acceptés pour ne pas générer de conflits – découlent des catégorisations dont les écueils sont plus concrets, en cela qu’ils se traduisent en inégalités de traitement mesurables. « La RSE couvre un très large champ de thématiques. L’enjeu 7 du label Print’Ethic a ainsi pour but de faire un bilan chiffré, en se basant sur l’index Egapro » souligne Valérie Bobin-Ciekala (Responsable RSE chez Ambition Graphique, créatrice du label Print’Ethic), soit, entre autres : calculer et publier les écarts éventuels de représentation entre les femmes et les hommes parmi les cadres dirigeants, estimer déjà leur simple capacité à y accéder, notamment par le biais de la formation. Une mise à plat nécessaire, alors que les témoignages recueillis par la CCFI font état d’un constat assez clair : les femmes qui ont ‘réussi’ ont dû, plus que les hommes, ‘faire leurs preuves’, imposer leur vision et, davantage que leurs homologues masculins, faire la démonstration qu’elles méritaient d’être là. Lorsque Larisa Chatelet, artiste typographe (imprimerie Laville) fait le récit d’une trajectoire qui l’a vue passer des Beaux-Arts aux ateliers d’impression, sans formation technique et – qui plus est – sans parler couramment le français à ses débuts, l’on se doute que le basculement n’a pas été évident. « J’ai été bien accueillie, mais j’ai dû me faire ma place et il a fallu du temps pour que j’impose ma vision » confirme-t-elle, persuadée que « quand on a un profil artistique, on a des idées, y compris dans les domaines techniques liés à la fabrication ». Une ouverture qui a par ailleurs ses mérites, puisque se tourner vers des profils atypiques permet certainement de donner leur chance à des visions neuves, dénuées d’idées préconçues et bénéficiant d’un recul précieux. C’est en tout cas le constat fait par l’imprimerie Laville, qui décrit l’apport de Larisa Chatelet comme une véritable plus-value d’entreprise.

Voir le résumé de la CCFI

Demander le guide de l’UNIIC Hauts-de France

KVC Print – “Ce qui compte, de plus en plus, c’est le service”

Acteur important de l’impression grand format, notamment pour les marchés de l’affichage, KVC Print fait le point sur ses perspectives post-Covid, sur sa vision des marchés de la communication visuelle et sur le sens qu’il souhaite donner à sa mission d’industriel, de plus en plus attaché à dépasser sa stricte condition de prestataire/fabricant pour s’imposer comme le « compagnon de route » de ses clients.

En 2020, IOC Print – spécialiste français de l’impression grand format – alors en proie à des difficultés sévères dans le sillage des confinements sanitaires qui ont vu l’arrêt brutal de l’essentiel des marchés de la communication affectés à l’affichage extérieur, passait sous pavillon belge, racheté par le Groupe Koramic. Un groupe dont les activités dans l’affichage, la PLV, le textile ou la signalétique, se déploient dans une quinzaine de pays (3600 salariés pour 620 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2022). Naissaient ainsi Koramic Visual Communication (KVC) Print et Retail, employant 84 salariés répartis sur deux sites de production : à Vitry-sur-Seine (94) et à Saint-Priest (69), avec une part de sous-traitance à Braine l’Alleud, en Belgique, chez Hecht Printing Solutions. Après trois ans d’un rachat qui a forcément occasionné des réflexions et amené des repositionnements stratégiques, nous avons été reçus sur le site de Vitry-sur-Seine par Stéphane Leclipteur (CEO Hecht, Creaset, KVC Print et Retail), Christian Borel (Directeur général de KVC Print) et Jérôme Jallu (Directeur général adjoint). De quoi se persuader – avec un recul désormais suffisant – que KVC Print a digéré la vague Covid et porte une vision à même d’inscrire l’entreprise dans le futur.

“La reprise par Koramic a été l’occasion de retrouver de la rentabilité, en s’appuyant sur des bases plus saines.”

Une consolidation post-Covid actée

« En chiffre d’affaires consolidé sur KVC Print et Retail, nous atteignons pour 2023 les 19 millions d’euros. C’est peu ou prou le chiffre d’affaire qu’avait IOC avant le rachat, en 2019, mais avec des clients et des prix qui étaient toxiques. La reprise par Koramic a été l’occasion de retrouver de la rentabilité, en s’appuyant sur des bases plus saines » éclaire Stéphane Leclipteur, qui ne veut pas voir en ce CA retrouvé un simple effet de rattrapage. « Nous nous sommes recentrés sur notre métier de base qui est l’affiche : c’est 80 % de notre chiffre d’affaires. Nous avons aussi fourni un vrai travail d’analyse de nos marges. Maintenant que nous avons retrouvé de la rentabilité, nous pouvons développer des produits un peu connexes » ajoute Christian Borel. En marge de l’affichage (intérieur et extérieur), cœur battant de l’entité KVC en France, les sites de Vitry-sur-Seine et Saint-Priest servent en effet également les marchés de la signalétique (bâches, vitrophanies, banderoles, adhésifs etc.), de la décoration/rénovation, du covering ou encore de la PLV. L’épisode Covid-19, bien que surmonté, pèse toutefois encore lourd dans les mémoires, tant il est venu entraver une reprise survenue dans un contexte très défavorable… « Non seulement il n’y avait plus personne dans les rues, avec des conséquences qui commençaient à s’étaler sur le long terme, mais comme le groupe venait d’être repris, nous n’étions même pas éligibles aux aides et aux différents dispositifs comme le PGE. Heureusement, l’actionnaire a joué son rôle et nous a permis de traverser cette période difficile » se remémore Christian Borel.

“On fera probablement une excellente année 2024, mais je ne suis pas sûr qu’on retrouvera ces annonceurs en 2025.”

Après les JO, la claque environnementale ?

Mais en l’occurrence, les inquiétudes d’hier ne sont pas forcément celles de demain. « Pendant la crise sanitaire, l’affichage a beaucoup souffert mais le carton – et notamment la PLV – a très bien résisté, parce que beaucoup de magasins restaient ouverts. Aujourd’hui c’est un peu l’inverse : l’affichage est très vite reparti, tandis qu’une méfiance s’est installée sur les autres marchés, notamment en raison du contexte économique et géopolitique » estime Stéphane Leclipteur. « Nous avons des perspectives très positives sur l’affichage, à minima jusqu’aux Jeux Olympiques » renchérit Christian Borel, avec les avantages et les inconvénients que portent ces contextes très exceptionnels. « On fera probablement une excellente année 2024, mais je ne suis pas sûr qu’on retrouvera ces annonceurs en 2025 » nuance-t-il en effet dans la foulée. « Il ne faut pas se laisser griser, d’autant qu’il va falloir intégrer les conséquences de tous les RLP [Règlements Locaux de Publicité, NDLR] actuellement en négociation, tout de suite après les JO » ajoute-t-il, dans un contexte où la pression écologiste se matérialisera dans des localités autres que celles qui se sont déjà illustrées par des restrictions concrètes : à Grenoble ou à Bordeaux, notamment. « Je me suis engagé auprès de l’APA [Association des Professionnels de l’Affiche, NDLR] justement pour porter le message des progrès que nous avions faits et des démarches vertueuses en cours. Avec l’avènement notamment de l’impression numérique et même les avancées accomplies en impression offset ou en sérigraphie aujourd’hui, on ne peut pas nous enlever d’avoir su évoluer et il faut le faire savoir. L’affichage pèse tellement peu dans l’ensemble des émissions de GES, qu’on est légitimes à défendre ce que l’on est » insiste Christian Borel. Ce n’est là toutefois qu’une part (minoritaire ?) de la problématique, puisque même régie par des pratiques aussi écoresponsables que possible, c’est la publicité en soi qui est honnie par une frange grandissante de la population, dans l’espace public. De sorte que montrer patte verte ne suffira pas, sinon pour discréditer des dispositifs publicitaires alternatifs – digitaux, notamment – probablement tout aussi (sinon plus) énergivores. « On ne maîtrise pas tout, mais on a pris le virage autant que possible : tous nos sites sont certifiés. Parfois, pour aller plus loin, ce sont les sources qui manquent : il est par exemple très difficile de trouver certaines matières recyclées. Sur certaines sortes en offset, on ne dépend que de Burgo par exemple » regrette Stéphane Leclipteur.

“L’impression numérique a vraiment franchi un palier qualitatif : des clients comme Hermès, Dior ou L’Oréal n’hésitent plus à y aller aujourd’hui sur des corners en magasins, parce qu’ils en tirent un avantage. Cela leur permet de changer de visuel tous les deux jours s’ils le souhaitent, avec un niveau de qualité tout à fait suffisant.”

Une hybridité offset/numérique au service de la demande

Réunissant une ancienne serrurerie et un ancien garage automobile, le site KVC Print de Vitry-sur-Seine présente des caractéristiques atypiques. « On est sur la rampe d’accès d’un garage auto’ des années 60 » s’amuse en effet de noter Jérôme Jallu, alors que commence la visite commentée des locaux. Là où passaient donc jadis des 4L et autres 2CV, se font désormais suite dans d’incessants ballets des transpalettes électriques, se frayant ainsi un chemin jusqu’aux différents ateliers, dans un dédale d’accès biscornus. Equipée de trois presses offset (Koenig & Bauer 162 cinq couleurs 120×160 ; Koenig & Bauer 185 cinq couleurs – 130×185 ; Manroland 900 XXL cinq couleurs – 130×185) et d’une presse numérique (Aleph Laforte 160×360 cm + système de découpe Fotoba), l’entreprise vitryote s’est appropriée l’argumentaire d’une communication capable d’intégrer du contenu variable, sans sacrifier la qualité d’impression. Un positionnement que KVC Print assoit d’autant plus que le site de Saint-Priest est quant à lui 100 % numérique (une imprimante Aleph Laforte ainsi que deux HP Latex).  « Les clients ont vite vu les avantages de l’hybridité des procédés : faire des affiches différentes en numérique en fonction de leur localisation, en déployant du marketing ciblé. Ce qui ne les empêche pas de continuer à faire 10 000 mètres² en offset sur un réseau national comme Airbnb par exemple » témoigne Jérôme Jallu, confirmant là que les deux stratégies pouvaient parfaitement cohabiter. Mieux encore : comme elles se complètent, les donneurs d’ordre ont tendance à solliciter des fabricants capables de jouer sur les deux tableaux. « Le numérique a vraiment franchi un palier qualitatif : des clients comme Hermès, Dior ou L’Oréal n’hésitent plus à y aller aujourd’hui sur des corners en magasins, parce qu’ils en tirent un avantage. Cela leur permet de changer de visuel tous les deux jours s’ils le souhaitent, avec un niveau de qualité tout à fait suffisant ». Pour autant, Jérôme Jallu nous l’assure, KVC ne mise pas tant sur ses atouts techniques que sur la flexibilité d’une offre où les machines sont des moyens, et non une fin. « Je n’imprime ni mieux ni moins bien que les autres et je ne serai jamais le moins cher. Mais ce qui compte, de plus en plus, c’est le service : s’il faut bousculer nos plannings pour honorer une demande tombée en dernière minute, on le fait » ne tarde-t-il pas à confirmer. « On s’astreint à un niveau haut de satisfaction client. Au début, on me disait que nous étions fous de tirer encore des BAT en numérique. Mais je pense que quand le client repart et qu’il a vu qu’on s’attachait à mettre ses affiches littéralement à l’épreuve, en extérieur, dans des conditions d’éclairage naturelles, au sein d’un abribus si nécessaire, on a gagné. Parce qu’on sait que ce sont des campagnes qui reviendront. »

“Il faut connaître ses clients, il faut visiter ses clients, il faut débattre avec eux… En vérité, chacun est au service de l’autre.”

Jérôme Jallu, Directeur général adjoint.

Quand l’imprimeur ne fait pas qu’imprimer

Une volonté d’embrasser les problématiques du client qui excède le seul paramètre technique pour s’intéresser plus globalement sa communication. « Il peut arriver que l’actualité sociale ou politique ne permette plus de conserver un slogan par exemple. Dans ces cas-là, on est attentifs et prêts à modifier les fichiers en prépresse si nécessaire. Aujourd’hui, on ne peut plus se contenter de vendre de l’encre sur du papier, il faut davantage s’imposer comme un compagnon de route » illustre-t-il, évoquant notamment des adaptations organisationnelles qui permettent à KVC de vendre, non pas tant du tour machine, mais une réactivité optimale, du conseil et du temps d’écoute. Une autre façon de dire que la valeur ajoutée d’un industriel imprimeur s’est petit à petit déplacée sur le terrain du service au sens large, en amont et en aval de l’impression. « Il faut bien se figurer que l’on parle à des gens qui, pour une campagne, sont parfois allés à l’autre bout de la Terre pour prendre trois photos. Ils ont une histoire à raconter derrière ces choix et c’est tant mieux. C’est ce qui fait de notre métier quelque chose d’humain. Sinon, nous nous contenterions de tout automatiser : une commande arrive, elle est traitée puis expédiée. Mais est-ce qu’en se contentant de ça, on comprend vraiment le sens de ce que l’on fait ? » insiste-t-il. D’où la présence sur le site de Vitry d’un Bureau d’étude – KVC Retail – capable de s’appuyer sur des briefs clients pour accompagner ces derniers sur des recherches au long cours : développer des présentoirs innovants, valoriser et hiérarchiser de façon optimale les produits d’une marque, rénover les formats imprimés etc. Là encore, KVC s’inscrit comme un partenaire capable de conseiller en profondeur – à la lumière de ses compétences industrielles – des clients en demande d’éclairages. « Nous sommes pour eux des intégrateurs de solutions » résume Jérôme Jallu, chose qui s’avère de plus en plus sensible à mesure que la relation avec le client est établie de longue date. « Il faut connaître ses clients, il faut visiter ses clients, il faut débattre avec eux… En vérité, chacun est au service de l’autre » conclue-t-il, persuadé que là se noue l’avenir d’une entreprise : dans sa capacité à entendre, avant de répondre. Une focalisation sur la demande qui induit de nécessaires réajustements, au regard de ce que réclame l’époque. Si l’entreprise assure qu’elle n’investira toutefois pas les terrains les plus éloignés de ses compétences pour reconfigurer son offre – quitte à renvoyer certains clients chez des prestataires mieux armés, là encore dans une optique de conseil – elle s’emploie à comprendre des besoins changeants, pour être toujours force de proposition. Finalement, quelle meilleure façon d’entrevoir l’avenir que de tâcher d’en écrire modestement sa part ?

Attractivité & consolidation industrielle – Les grands chantiers du secteur graphique

Cet article est paru dans Acteurs de la Filière Graphique n°143 (septembre 2023)


A l’occasion d’une journée organisée par l’UNIIC le 6 juillet dernier dans les locaux de Grafipolis à Nantes, l’heure était à repenser les axes stratégiques par lesquels une reconsolidation industrielle du tissu graphique peut s’envisager, tant à l’échelle collective & régionale (celles des Pays de la Loire), qu’à celle des entreprises elles-mêmes…

Bien sûr, rien d’innocent à ce que soit une école – à savoir Grafipolis – qui accueille l’évènement, tant la double thématique attractivité/formation concerne de près le devenir de nos métiers, en proie à des difficultés de recrutement d’autant plus sensibles que le temps presse : avec une pyramide des âges dans les Industries Graphiques qui suggère un renouvellement urgent du personnel, tant au sein des instances dirigeantes qu’au sein des équipes de production, il importe de renouer des liens rapidement avec les jeunes générations.

« Les jeunes ne connaissent pas assez les métiers de l’impression. » John Podlesnik (Grafipolis)

Attractivité : la nécessité d’efforts conjoints

« Notre travail, c’est d’amener ces jeunes à vous dans les meilleures conditions. Nous sommes une porte d’entrée » rappelle John Podlesnik, Directeur de Grafipolis, à la quarantaine d’imprimeurs ayant fait le déplacement. Une mission que l’école s’attache à assurer de son mieux, même si Daniel Legrier (Responsable du développement commercial) ne tarde pas à reconnaître que la complexité de la tâche nécessite des efforts conjoints, à la fois bien sûr des centres de formation, mais aussi des entreprises et organismes représentatifs : « Nous aurons du mal à remplir nos groupes sans votre aide. Sur l’année écoulée, nous avons couvert 19 salons sur la région Grand Ouest. On capte des apprentis, mais nous avons besoin de votre aide pour faire mieux », développe-t-il. La faute à nombre de phénomènes cumulés qui ternissent l’image du secteur ou l’invisibilise, tandis que les métiers du numérique jouissent d’une omniprésence presque obsessionnelle : plus encore avec l’émergence de l’IA, ce sont les « licornes digitales » qui bénéficient en effet d’un appui quasi-inconditionnel des pouvoirs publics, renvoyant ainsi le print à ses perspectives de déclin, sinon totalement fantasmées (soyons de bonne foi), à tout le moins très surévaluées et teintées d’un fatalisme qu’il faut absolument combattre. « Les jeunes ne connaissent pas assez les métiers de l’impression » se désole John Podlesnik, sans manquer de souligner que « lorsque l’on va contre les idées préconçues et que nous leur montrons qui nous sommes, il y a un intérêt ! Je ne suis absolument pas d’accord avec l’idée que les jeunes ne veulent pas bosser et seraient démotivés » insiste-t-il. Un positivisme assumé, qui ne nous laisse toutefois qu’une marge de manœuvre restreinte : à défaut de rayonner suffisamment par eux-mêmes, les métiers graphiques ont en effet besoin – plus que jamais – d’être portés par les entreprises et par le collectif. « Ouvrez-leur vos portes ! J’entends par là au sens premier : les portes ouvertes en entreprise, c’est une manière d’aller chercher ces jeunes, d’être ambassadeur de son métier » s’enthousiasme le Directeur de Grafipolis, conscient toutefois que ce n’est pas forcément la volonté qui manque à des industriels qui les premiers, regrettent de ne pas attirer assez. Or, l’heure n’est plus à chercher des fautifs, mais bien à unir nos forces.

« Il faut mailler les entreprises entre elles à l’échelle locale. » Hervé Le Chevalier (Médiator organisation)

Des diagnostics individuels pour des enseignements collectifs

Au moyen d’une action collective financée par le fonds territorial, sous l’égide de l’UNIIC, un Diagnostic Stratégique Individuel (DSI) gratuit est accessible à chaque entreprise du secteur qui le souhaiterait, de sorte à porter un regard nouveau sur son activité, sur son positionnement dans un contexte ultra concurrentiel et prendre, en toute connaissance de cause, des décisions stratégiques. Si chaque DSI est unique, en cela qu’il résulte des conclusions relatives à la situation particulière d’une entreprise, en fonction de ses propres problématiques et opportunités, il est un prisme écrasant : « À moins d’un an de la Drupa, nous devons réfléchir à la façon dont nos entreprises doivent se rapprocher : optimisations croisées, croissance externe, outils partagés… Aucune voie n’est à négliger » synthétise Pascal Bovéro, Délégué général de l’UNIIC. Une observation partagée par Hervé Le Chevalier (Médiator organisation), qui intervient au sein des entreprises pour conduire lesdits diagnostics et, souvent, rappeler l’importance de « mailler les entreprises entre elles à l’échelle locale », dans un contexte où l’offre (surcapacitaire sur certains produits) peine parfois à s’aligner avec la demande. « Les Pays de la Loire sont une région qui compte parmi les taux de chômage les plus bas, au point qu’il peut être dit ‘frictionnel’ : dans ces conditions, recruter est encore plus difficile » poursuit-il dans un effort de contextualisation, exhortant les entreprises à se rapprocher au-delà du seul secteur graphique pour considérer le cas des industries connexes, où des synergies pourraient se révéler. « Il faut essayer de le faire à l’échelle locale car on a de plus en plus de mal à bâtir des rapprochements pérennes en cas d’éloignement géographique trop important. Et ce pour une raison simple : les exigences de mobilité sont souvent décourageantes pour la main d’œuvre potentielle »  ajoute-t-il, corroborant les observations de nombre de chefs d’entreprise, qui vivent parfois leur relatif éloignement des grands bassins de population comme une forme d’enclavement. A l’inverse, « certaines zones densément peuplées sont devenues inabordables pour des façonniers » précise-t-il par ailleurs, achevant d’illustrer la complexité d’une dynamique à l’emploi extrêmement dépendante de l’économie locale.

Témoigner & partager

C’est Etienne Chartier (à la tête de Brochage 3000, situé en Mayenne) qui se risquera à l’exercice toujours compliqué du témoignage, vantant les bienfaits d’un DSI qui l’a conduit à y voir plus clair. « Ce que j’ai apprécié avec la venue d’Hervé le Chevalier, c’est qu’il n’est pas là pour nous dire ce qu’on a envie d’entendre. Dire les choses franchement permet de vite déblayer le terrain et en l’occurrence, il faut absolument prendre du recul sur sa situation et sur sa stratégie pour prendre les bonnes décisions » reconnaît-il, lui qui comme tant d’autres dirigeants, se trouve prioritairement focalisé sur les urgences de court terme. « La stratégie n’est pas quelque chose qui s’improvise. C’est exactement l’inverse : elle s’établit à très long terme » prend-il soin de rappeler, sans qu’il faille pour autant tomber dans le piège de mener des réflexions génériques et/ou abstraites, puisqu’il l’assure : « Les diagnostics sont des outils extrêmement personnalisés. Ils sont conduits sur-mesure et c’est aussi ce qui les rend précieux ». Si ces DSI sont évidemment confidentiels, il faut le redire : en tirer des constats globaux et collectifs est primordial, à la fois pour impulser une dynamique solidaire entre des entreprises qui auront besoin les unes des autres, et pour réorienter de manière aussi pertinente que possible la politique industrielle du secteur, à la lumière des opportunités qu’offre chaque région. « Je peux paraître négatif, mais en réalité je pense que les marchés du print ont un véritable avenir. Ce sont les conditions d’exploitation qui, à ce jour, ne sont pas bonnes » conclut Hervé le Chevalier. Sûrement faut-il ainsi redessiner notre offre industrielle pour se rendre plus « attractifs » et révéler aux plus jeunes qu’ils y ont évidemment leur place.

Chère IA, dessine-moi un logo

Cet article est paru dans Acteurs de la Filière Graphique n°141 (mars 2023)


Lorsque sur la scène du Software Village du salon C!Print, Aurélien Vaysset (Co-fondateur et CEO – Emersya) présente quelques croquis d’illustration générés par une IA, littéralement « en dix secondes », sur la base d’un brief de quelques lignes, on saisit tout du dilemme éthique vertigineux que recouvre l’usage – ou non – des techniques de création automatique et assistée, dans le domaine du design graphique.

Les outils sollicités n’en sont pourtant encore qu’à leurs prémices, mais il faut dire combien les résultats obtenus sont d’ores et déjà bluffants de pertinence et propres à répondre à une foule de demandes « modestes » qui n’exigent pas une authenticité créative inattaquable. Dit très simplement : à condition de décrire précisément votre requête, en des termes aussi justes que détaillés, un Midjourney, un Dall-E, un Imagen ou un Stable Diffusion pourront abattre en un clic le travail d’une journée chez un designer graphique chevronné. De quoi prendre le sujet au sérieux.

« Pourquoi ne pas réfléchir à créer nos propres outils et les entraîner avec nos propres ressources, pour soutenir notre processus créatif ? » Emmanuel Young (Champion du monde Worldskills – Arts Graphiques)

L’Intelligence Artificielle, pire amie ou meilleure ennemie ?

Plutôt que de s’en faire une ennemie imbattable à son propre jeu (car une IA ira toujours plus vite que vous, pour beaucoup moins cher), le défi pourrait être de s’en arroger les services pour s’en faire une alliée nécessairement cadrée et régulée. « Je ne m’en sers pas encore » reconnaît Robin Gillet, designer graphique (Studio Ellair), conscient toutefois que ça ne saurait durer : « C’est quelque chose qui émerge et qui fera forcément partie de nos métiers », le piège de rejeter complètement cette perspective revenant en effet peu ou prou à sombrer dès à présent dans le déni. Mieux encore, on sent chez la jeune génération de designers graphiques, très avantageusement représentée en la personne d’Emmanuel Young, médaillé d’Or des Worldskills 2022 à l’échelle internationale, une ouverture d’esprit sur ces questions, à mille lieues de tout réflexe défensif caricatural. « C’est à nous de nous emparer de l’IA. Pourquoi ne pas réfléchir à créer nos propres outils et les entraîner avec nos propres ressources, pour soutenir notre processus créatif ? » s’interroge-t-il, dans une démarche d’appropriation qui témoigne déjà d’une relative acceptation confinant à la lucidité. Car s’il est une obsession qui transpire des réponses de ces jeunes graphistes, c’est celle de ne pas se faire déposséder d’une sorte de légitimité créative. D’où cette question récurrente : comment faire de l’IA non pas un procédé substitutif, mais un pur soutien à la création ? Une nuance capitale, qui nécessitera le soutien bienveillant de clients qui pourraient hélas être tentés de durcir leur approche, au motif que Dall-E, Midjourney ou tant d’autres leur mâchent le travail. Un raccourci que Robin Gillet qualifie de « malsain », notamment parce qu’il méconnaît la nature profonde du travail d’illustration. « Contrairement à ce que l’on peut penser, l’aspect technique de l’illustration n’est pas ce qui est le plus long. Ça ne prend souvent que quelques heures. En revanche, je peux passer plusieurs jours sur de la recherche d’idées » précise Robin Gillet, qui met là justement le doigt sur la nécessité de ne pas mépriser ce temps de réflexion assez intangible, en cela qu’il sollicite justement la sensibilité humaine. « Quand un client va travailler avec un graphiste ou un illustrateur, il y a un échange qui se crée où on partage sa culture, son histoire. Il y a quelque chose qui relève du feeling » commente-t-il, ajoutant que « l’IA s’appuie forcément sur de l’aléatoire » et donc ne pourra au mieux que simuler des rapports humains. Or, ce sont ces rapports qui peuvent générer de l’émotion et être la sève d’une inspiration créative « unique », là où une IA agit rationnellement en compilant – de façon plus ou moins heureuse, d’ailleurs – de la data.

« ChatGPT vous construit une réponse déjà toute faite, toute biaisée et possiblement erronée soit-elle, avec les apparats d’une vérité ordonnée. »

Un brief de quelques mots soumis à des programmes d’Intelligence Artificielle a permis d’obtenir en quelques secondes des colibris quasi-exploitables en l’état.

Se servir des IA, c’est avant tout savoir s’en protéger

Le risque prégnant d’un recours illimité et quasi-systématique aux outils d’IA génératives tient un mot : celui de la désintermédiation. Car faire aveuglément confiance à un programme algorithmique désincarné, c’est donc effectivement lui confier des décisions, des choix et des interprétations, sans vérification. L’excuse pour y céder est toute trouvée : il s’agit de gagner du temps. « C’est à nous d’instruire les entreprises, nous sommes avant tout un métier de culture. Nous devons nous renseigner sur énormément de choses et nous imprégner de références artistiques pour les faire passer au client » explique Robin Gillet, qui tient légitimement à garder le contrôle sur son travail. Car plus on délègue cette couche nécessaire de recherches, de réflexions et d’analyses, moins on sera en capacité de comprendre le sens de ce que l’on propose. Or, une IA n’est qu’un miroir : elle ne sera « intelligente » que si nous le sommes avant elle, parce que « nous » sommes littéralement ce qui la nourrit. Drôle de paradoxe en effet que de risquer de s’appauvrir en recourant – mal – à une technologie qui voudrait nous délester de tâches dites « inintéressantes » ou « chronophages ». La chose est certes tentante, mais la pente vers laquelle elle pourrait nous emmener est d’ores et déjà identifiée et elle est dangereuse : quand vous posez une question à un moteur de recherche, ce dernier vous liste un ensemble de contenus et de ressources identifiés par mots-clés qu’il vous reviendra ensuite de trier, en ce sens que juger de leur pertinence relèvera de vos propres arbitrages. A contrario, un ChatGPT vous construit une réponse déjà toute faite, toute biaisée et possiblement erronée soit-elle, avec les apparats d’une vérité ordonnée. Le plus conscient de ce problème s’appelle Sam Altman, fondateur d’OpenAI (soit l’entreprise derrière Chat-GPT), qui nous alerte clairement sur sa propre création : « ChatGPT est incroyablement limité, mais assez bon pour certaines choses et pour créer une impression de grandeur. C’est une erreur de s’y fier pour quoi que ce soit d’important ». Nous voilà donc prévenus. Cela ne veut évidemment pas dire qu’il faudra rejeter en bloc tout de cette technologie, de toute façon déjà existante et opérante, mais l’essentiel du cadrage éthique qui nous fait face devra maintenant nécessairement prendre des formes réglementaires. Que Google soit déjà tenté d’évoluer vers une IA générative pour traiter les requêtes soumises à son moteur de recherche (c’est bien là le sens de la création de « Bard », sorte de réponse à ChatGPT) prouve que le débat est de nécessité actuelle. Voire urgente.

Imprimerie Frazier – un industriel à Paris

C’est à l’occasion d’une formation de plusieurs référents Imprim’Vert qu’une visite était organisée au sein de l’imprimerie Frazier. Au programme : une révision sur site du cahier des charges du label (bonne gestion des déchets dangereux, sécurisation de stockage des liquides dangereux, non-utilisation de certains produits CMR, sensibilisation environnementale des salariés et de la clientèle et suivi des consommations énergétiques du site), de sorte à confronter les prescriptions écrites à la réalité du terrain. L’échange sera toutefois bien plus riche encore, tant l’imprimeur parisien – niché intra-muros dans le 10ème arrondissement – conjugue ses engagements au pluriel…

Didier Martin, Président de l’imprimerie Frazier.

On est plus contrôlés à Paris que n’importe où ailleurs.

Un imprimeur parisien qui tient à le rester

C’est peu dire que l’imprimerie Frazier a une vision large de son métier, qu’elle traduit dans des engagements aussi divers que complémentaires. Qu’il s’agisse de RSE (Print’Ethic, Imprim’Vert, ClimateCalc, Ecovadis, FSC, PEFC), d’exigences qualitatives & techniques (ISO 12 647-2, Imprim’Luxe) ou plus globalement d’un souci de défense des intérêts des Industries Graphiques (via Culture Papier, une adhésion à l’UNIIC ou encore à ImpriClub), l’imprimerie Frazier a un pied partout. Une réminiscence, peut-être, de son ADN hyper-urbain. « Nous sommes ici depuis 127 ans, à la même adresse. C’est notre vocation que d’être ancrés à Paris et nous voulons y rester. Cela suppose de fondre notre identité industrielle au sein d’une copropriété, à proximité des habitants » développe Didier Martin, Président de l’entreprise. On devine alors que cette promiscuité relativement inhabituelle doit s’appuyer sur une exemplarité absolument irréprochable, de sorte à ne pas créer de nuisances et de tensions. L’imprimerie Frazier veut en effet épouser le décor, quand les industriels sont par défaut souvent relégués en périphérie des villes, dans des zones éponymes tenues à l’écart des habitations. Là se joue d’ailleurs probablement une part du déficit d’image dont souffre l’industrie, cantonnée qu’elle est loin des « lieux de vie » pour des raisons évidemment pratiques, parfois sanitaires et sécuritaires, sans que l’on ne se demande toujours toutefois si la chose n’est pas trop systématique. Reste que les clients, eux, sont évidemment plus enjoints à se rendre sur site pour assister à des calages ou des BAT, Paris étant la ville éminemment attractive que l’on sait. « Imprim’Vert ce n’était même pas négociable pour nous. On est plus contrôlés à Paris que n’importe où ailleurs » ajoute-t-il cependant, décrivant un contexte à la fois enviable et difficile. « La ville de Paris veut se débarrasser des entreprises et les livraisons sont parfois compliquées, mais on gère ça très bien » glisse-t-il dans un sourire.

Faire au mieux : une démarche d’amélioration continue

Si l’imprimerie Frazier a déjà entamé un travail exemplaire de transparence et de progrès, son Président est conscient que le chemin est encore long : « On parle de démarches qui en soi nous poussent à expérimenter et à aller plus loin. Les sujets liés à la décarbonation nous ont par exemple amenés vers ClimateCalc et nous nous sommes engagées sur dix ans avec Print’Ethic ». Un parcours qui n’a rien du long fleuve tranquille que fantasment certains, tant la complexité des problématiques approchées contraint parfois à tâtonner. « Il arrive que les formulations d’encres changent en raison de nouvelles obligations légales. On n’est pas toujours prévenus et c’est à la faveur de problèmes en production que l’on s’en aperçoit, au travers de soucis d’imprimabilité notamment » illustre-t-il, ce qui est d’autant plus inconfortable qu’un imprimeur soucieux de maîtriser ses impacts – ainsi que la qualité de son travail – aime évidemment savoir de quoi il retourne. « Dans l’impression numérique, l’encre est devenue un consommable fourni avec la machine. Nous n’avons pas le loisir de les choisir, ce sont des encres propriétaires et il faut pousser les marques à nous en dire plus, si l’on veut savoir ce qu’elles contiennent », alors qu’en impression offset, il reconnait avoir dû faire marche arrière… « On est revenu au développement de plaques avec chimie, parce qu’on s’est aperçu que la qualité n’était pas au rendez-vous en impression offset UV » regrette-t-il notamment, non sans laisser entendre que les choses devraient évoluer dans le bon sens, pour demain imposer des CTP sans chimie et ce sans altérer la qualité d’impression, qui doit évidemment demeurer une priorité non négociable. Et il y a ce qui est encore moins directement à portée, comme le poids de l’énergie dans ses impacts, au gré de l’explosion des coûts que les industriels ont subie l’an dernier. « Le photovoltaïque est interdit à Paris. Il nous est impossible d’avoir notre propre transformateur et les offres d’énergie verte sont rares, sans par ailleurs être une solution suffisante. Il y a beaucoup à faire sur ce point, mais les bonnes volontés sont souvent stoppées par l’augmentation drastique des prix que nous avons connue » se désole-t-il, ne voyant guère d’autres solutions que de « recourir aux groupements d’achat comme ImpriClub pour être plus forts face aux fournisseurs d’énergie », même s’il ne manque pas de souligner que bien des machines récentes s’attachent – avec succès – à réduire leurs consommations électriques.

Les clients impriment moins, mais ils adoptent une autre démarche : ils sont prêts à payer plus cher pour se différencier.

Qualité & créativité : plus que des incantations, de vraies valeurs de résilience

« Sur huit millions d’euros de chiffre d’affaires, six vont à nos activités offset et deux à l’impression numérique. Nous sommes positionnés depuis deux ans sur du numérique grand format et c’est au global quelque chose qui tend à progresser » précise Didier Martin, qui répond à des typologies de clients variés, de l’annonceur traditionnel aux marques de luxe, « avec de fait une attention particulière portée à la colorimétrie ». S’il constate une réduction indéniable des volumes de production – tous procédés confondus – via une baisse objective du nombre d’exemplaires demandés et une diminution continue des paginations associées, les effets n’en sont encore que faibles sur le chiffre d’affaires de l’entreprise. « Les clients impriment moins, mais ils adoptent une autre démarche : ils sont prêts à payer plus cher pour se différencier » explique-t-il, ce qui implique de savoir motiver ces positionnements différenciants, depuis son expertise d’industriel/fabricant. Une capacité d’accompagnement qui se valorise d’autant mieux lorsque l’on se veut être un imprimeur à la recherche constante d’optimisations, de progrès et d’innovations, au regard d’un marché qu’il faut prendre le temps d’analyser. « Il y a une appétence pour les papiers texturés de création ou les façonnages complexes et ce n’est que de cette façon – en misant sur une différenciation par la qualité et la créativité – que l’on peut faire face à des réalités économiques qui sont celles d’une baisse des volumes sur les marchés graphiques » analyse-t-il de façon lucide, alors que dans le même temps, Didier Martin dit observer « une prise en compte grandissante des impacts du numérique » dans les causes identifiées du réchauffement climatique. De sorte qu’un point d’équilibre finira par affleurer. Un point d’équilibre qui porte un réajustement de raison, dont les imprimeurs sont et resteront un modeste maillon.