Liberté, Egalité, Fraternité, Numérisé. L’Association Régions de France a présenté le 28 août son « Manifeste pour le lycée d’aujourd’hui et de demain ». Pour François Bonneau Président délégué de l’association : « il faut transférer intelligemment une partie du papier sur le numérique ». Le papier serait-il le lycée d’aujourd’hui et le numérique le lycée de demain ? Encore faut-il que Victor Hugo et Thalès soient compatibles avec IOS, Windows et Android…
Pour les Régions qui ont la charge de l’achat des manuels scolaires, il s’agit de faire des économies (50 % environ). Pour Kamel Chibli, Président de la commission éducation de Régions de France, « l’objectif est de maintenir la gratuité totale ou partielle des manuels scolaires pour les familles ». Gratuité – Liberté – Egalité – Fraternité ? Pause !
Même si le numérique fait miroiter de belles économies, à y regarder de plus près les choses se compliquent. Le manuel numérique suppose que l’on ait des ordinateurs et des tablettes et que la maintenance soit à la hauteur. Que fait-on des mises à jour nécessaires ? Avez-vous remarqué que les applications de votre téléphone nécessitent des mises à jour en permanence pour notamment continuer à fonctionner avec les systèmes d’exploitation leaders ? Il en est de même pour les manuels. Qui assurera l’évolution technique de ces applications ? L’accès à une banque d’illustrations à disposition des élèves et des professeurs, n’est-ce pas le point de départ d’une individualisation de l’enseignement ? Que fait-on des inégalités d’accès à l’informatique et à internet ? Le numérique permet-il de maintenir la gratuité pour les familles ou de transférer des coûts cachés chez les familles (entretien du matériel, abonnement, accessoires…) ? Enfin le temps scolaire (réflexion, structuration, assimilation) est-il le temps du numérique (foisonnement, instantanéité, obsolescence) ? Quant à l’efficacité du manuel numérique, elle fait encore débat. Alain Chaptal, chercheur au LabSic précise au cafepedagogique.net que les enseignants demandent des manuels scolaires numériques qui soient ouverts, où le professeur peut recomposer les documents. Mais cette ouverture n’est pas souhaitable pour les élèves qui ont besoin d’un outil structuré. Sans parler de la concertation qui est inexistante comme l’évoque le Figaro en revenant sur l’expérimentation « lycée 4.0 » menée par la région Grand Est depuis septembre 2017 :
Sur la base du volontariat, 49 lycées en 2017 et 111 sur 355 en 2018 ont supprimé les manuels papier. La région a négocié « des prix attractifs » pour les ordinateurs et les tablettes et finance pour les familles dont les revenus ne dépassent par les 6 000 € la moitié du coût restant. Pourtant, les retours d’expérience sont mitigés. Les parents, mis devant le fait accompli, se sont vu priés d’équiper leurs enfants avec des tablettes ou des ordinateurs portables. Fait débat également, Le choix des tablettes HP – la marque ayant remporté un appel d’offres –reviendrait à écouler des « tablettes qui ne se vendent plus » selon le site Numerama. Et dernier reproche et non des moindres : le fait que les enfants passent la journée devant un écran.
Une trentaine de professeurs avaient publié une tribune dans Libération pour dénoncer l’emploi du numérique comme solution miracle à tous les maux de l’enseignement. Et cette tribune de rappeler : « Dans un contexte où les industriels transforment, avec une avidité et un cynisme sans cesse renouvelés, les rapports humains en matériau exploitable à des fins de profit, nous voulons affirmer l’importance cruciale de la relation et de l’attention, au premier chef dans notre métier. Cela, les cadres de la Silicon Valley l’ont compris depuis longtemps, en protégeant leurs propres enfants des écrans, dans et en dehors de l’école. L’exercice réfléchi du jugement qui fonde notre métier nous oblige à ne pas leur abandonner cette lucidité quant aux effets délétères de leurs innovations technologiques. Ainsi, en dépit de nos moyens limités reposant sur la fragile et subtile relation humaine, nous ne renoncerons pas à viser, par la transmission, l’horizon de la pensée libre et de l’émancipation sociale et culturelle. »
Alors pourquoi ne pas attendre les résultats de cette expérimentation ? L’intégration du numérique dans la société et dans les institutions sont deux choses différentes et faut-il abandonner toute réflexion ou concertation ? Le numérique semble souvent être un recours facile, voire même un paravent. Faut-il forcément faire un choix ? Pour Christine Guillemy, vice-présidente éducation Grand Est : « les dernières réticences viennent surtout d’une génération qui n’a pas été élevée avec le numérique. » Voilà ! On y est. Les anciens et les modernes, vous ne pouvez pas comprendre… en ce qui nous concerne, nous sommes de grands consommateurs de numérique – newsletter oblige – et pourtant nous refusons de choisir entre notre smartphone et notre livre ou entre Acteurs de la filière graphique et la News Com’Uniic.
Le match papier / numérique semble brandi par les Régions de France comme support pour soulever un autre sujet le transfert de compétences – et des coûts qui vont avec – aux collectivités. Ce mode de questionnement est récurrent et le numérique est facilement associé à « économie », « écologie » mais souvent la réalité est beaucoup plus complexe…