Décret tertiaire : les arguments de l’UNIIC ont été entendus

Nombre des adhérents de l’UNIIC nous ont fait part de leurs inquiétudes quant à l’assimilation des métiers de l’impression au secteur tertiaire, dans le cadre des obligations instaurées par le décret éponyme. A savoir : imposer une réduction des consommations énergétiques au sein des bâtiments dits « tertiaires » pour répondre à des objectifs planifiés de sobriété. L’UNIIC s’est attachée à rappeler aux pouvoir publics la nature profondément industrielle des imprimeurs Labeur, qu’on ne saurait – à tout le moins sur ce type de dispositions – amalgamer aux activités de reprographie par exemple. Un argumentaire qui a été entendu puisque la plateforme OPERAT, via la réponse A31 de la Foire Aux Questions (FAQ) autorise désormais, à notre demande, des disjonctions de cas : ainsi les imprimeurs ne sont-ils plus automatiquement assimilés au secteur tertiaire, ce qui est une première avancée dans un dossier que l’UNIIC continue bien évidemment de suivre.

Lire la réponse A31 de l’ADEME

Denis Ferrand – « Le secteur papetier est sur-sensible aux variations des prix de l’énergie »

Il n’est jamais aisé d’intervenir lors d’un congrès sectoriel avec la casquette d’économiste prévisionniste, qui plus est en des temps de crises plurielles et durables. C’est pourtant là le rôle qui avait été assigné à Denis Ferrand, économiste, chroniqueur aux Echos et Directeur général de Rexecode, avec qui nous avons voulu revenir à froid – et quelques semaines après le congrès – sur quelques points majeurs de son intervention.

Denis Ferrand, lors de son intervention pour le congrès de la Filière Graphique 2022, Print’issime.

Pendant le Congrès de la Filière Graphique à Reims, vous avez notamment dit, avec un brin d’humour (jaune) : « Vous êtes probablement le seul secteur dans lequel on observe encore des hausses des prix des matières premières ». En l’occurrence, c’est une vraie souffrance pour nombre d’entreprises dans nos métiers qui subissent effectivement ce sentiment d’imprévisibilité. Il y a même parfois du fatalisme. A votre avis, pourquoi le secteur graphique semble-t-il ainsi échapper aux tendances macroéconomiques plus générales ?

Il est vrai que lorsque je regardais les cours de la pâte à papier, il s’agissait bien de la seule matière première – pour autant que l’on puisse parler de matière première puisqu’elle est en réalité déjà transformée – qui affichait encore des hausses de prix, alors que le reste refluait sous l’effet d’une contraction de l’activité. Pourquoi ? Probablement parce que c’est une matière qui incorpore énormément d’énergie dans sa fabrication et cela détermine son prix dans des proportions très supérieures à la moyenne. Les autres matières premières réagissent plus directement aux rapports classiques offre/demande, mais il n’empêche que mécaniquement, l’offre et la demande vont s’ajuster parce que la demande va ralentir, au regard de l’évolution d’un coût qui n’est plus supportable. Pour vous donner un ordre de grandeur sur cet aspect, nous avons étudié dans différents secteurs comment ceux-ci sont sensibles à l’évolution des coûts de l’énergie : quand on prend la filière papier, on s’aperçoit qu’une hausse de 43 % des prix de l’électricité et du gaz est « suffisante » pour que l’excédent brut d’exploitation (EBE) dégagé par la branche devienne nul. Et ce en posant comme hypothèse que les entreprises seront capables de répercuter la moitié de la hausse des prix de l’électricité et du gaz dans leurs propres prix… On atteint donc très rapidement une situation de perte d’exploitation, dans la mesure où les prix du gaz ont déjà connu jusqu’à 88 % d’augmentation en France par rapport à 2019. Donc oui, c’est une conjoncture assez « originale » si je puis dire, tout simplement parce que nous parlons là d’un secteur sur-sensible aux variations des prix de l’énergie gazière et électrique.

Vous vous êtes justement attaché pendant le congrès à expliquer pourquoi les prix de l’électricité étaient corrélés à ceux du gaz. Pourtant, le gaz ne produit que 7 % de l’électricité en France et nombreux sont ceux qui appellent aujourd’hui à un découplage et dénoncent un système de fixation des prix éminemment problématique. C’est d’ailleurs le constat de Bruno Le Maire lui-même, sans qu’on ait l’impression que les états aient d’autres moyens d’agir que de recourir à la dépense publique, via des correctifs de fortune… Est-ce qu’il n’est pas dangereux de ne disposer que de ce levier-là ?

L’électricité est en effet déterminée par le gaz parce que le prix s’établit au niveau de la centrale qui apporte le dernier kilowatt nécessaire à l’équilibre en tout instant du marché. Or, on le sait, l’électricité est un produit qui ne se stocke pas, contrairement au gaz. C’est donc souvent le gaz, environ 50 % du temps, qui permet l’équilibre permanent du marché : car c’est la ressource que l’on utilise pour répondre à la demande non satisfaite par les autres énergies, dans une forme d’appoint. L’efficacité du signal prix est au cœur de l’économie de marché et je pense que c’est quelque chose qui doit être préservé. Mais la question consiste en effet à savoir comment l’on met en place une tarification, non pas au prix marginal, mais selon des contrats de long terme pour éviter de générer ce type de rentes. Car c’est bien une forme de rente, dans la mesure où le prix de production marginal d’une centrale à gaz est aujourd’hui bien plus élevé que le prix de production moyen attaché aux autres énergies. A fortiori, plus encore aujourd’hui… Les contrats sont en général calés sur l’évolution des prix du marché, ce qui est une forme de garantie en soi. L’établissement de contrats de long terme me semble en tout cas être un facteur réducteur d’incertitudes pour les industriels, tout en préservant les conditions de la rentabilité de la production pour les fournisseurs d’électricité. Pour autant, en cas de dépassement de consommation, il faut bien pouvoir rémunérer l’appoint, qui est ce phénomène additionnel qui va déplacer l’équilibre entre l’offre et la demande. Il y a donc probablement en effet une grande reconfiguration du système à penser et mettre en place pour donner plus de visibilité aux acteurs et ce faisant, on limitera aussi ce besoin d’intervention par la dépense publique. Et il est vrai que lorsque l’on voit les montants dépensés pour faire face au choc énergétique, on est sur des mannes considérables : c’est au bas mot 100 milliards d’euros sur trois ans qui sont mobilisés pour amortir le choc, à la fois pour les ménages et les entreprises.

« L’inflation que nous vivons aujourd’hui procède de phénomènes qui se sont installés alors que chacun, ou presque, leur prêtait un caractère plus temporaire. »

Vous décrivez l’enchaînement des causes qui a aujourd’hui pu mener au réveil de l’inflation, selon un ensemble de mécanismes économiques finalement, d’apparence en tout cas, assez classique. On a pourtant le sentiment que le phénomène a pris tout le monde de court…

On a effectivement spontanément pensé qu’il s’agissait d’un pur phénomène de déséquilibre temporaire de marché en sortie de confinement et donc, qu’il allait se corriger. Mais il faut toujours revenir sur les effets de la crise du Covid : en sortie de crise, il y a eu des plans de relance massifs, une stimulation monétaire très importante et in fine une sur-stimulation de la demande, qui en plus s’est portée sur des biens industriels. Des besoins forts sont apparus durant les confinements, en contrepoids de ce que l’on ne pouvait plus faire, comme aller au restaurant par exemple. Quand il a fallu combler cette demande, on a assisté à une explosion des prix des matières premières : c’est ce qui a introduit le ver dans le fruit. On l’a d’abord identifié comme le facteur déclencheur d’un phénomène spontané amené à se résorber… Sauf que la demande est restée très forte, mettant à mal le système logistique international et générant diverses pénuries : le manque de semi-conducteurs, les défauts d’approvisionnement sur certaines matières comme le magnésium etc. Cet enchaînement de tensions a eu lieu avant le conflit en Ukraine, qui a eu pour effet d’amplifier le phénomène de manière, là encore, assez imprévisible. Tous ces éléments ont coagulé pour entraîner une boucle d’accélération des prix, diffusé à l’ensemble des biens et services. L’inflation que nous vivons aujourd’hui procède donc de phénomènes qui se sont installés alors que chacun, ou presque, leur prêtait un caractère plus temporaire. On n’a probablement pas vu assez rapidement les effets de propagation qui se jouaient dans l’espace des prix, avec d’autres phénomènes concomitants : la mobilité accrue de la main d’œuvre, notamment aux Etats-Unis, a été à l’origine d’une hausse sensible des salaires. Et bien sûr, lorsque le conflit en Ukraine survient, il vient poursuivre et amplifier un mouvement qui était déjà bien amorcé.

Faut-il s’attendre à voir ce phénomène inflationniste perdurer ?

Petit à petit, les choses vont se calmer parce qu’on observe déjà que beaucoup moins de capitaux sont levés sur les marchés, donc les capacités d’investissement des entreprises commencent à ralentir, de même que les investissements ralentissent également dans l’immobilier. Globalement, les conditions d’une baisse de la demande se mettent en place et mécaniquement, cela diminuera la pression sur les prix. Mais cela va prendre du temps, d’autant que d’autres éléments sont en cause et sont de nature plus structurelle : on a peut-être vu s’installer un paysage plus durablement inflationniste ces derniers mois, notamment via l’accélération des investissements dans la transition énergétique. Ces investissements-là sont en effet facteurs d’une inflation structurelle plus élevée que ce que nous avons connu dans les vingt dernières années.

“Le prix du gaz va certes baisser à terme, mais il ne va probablement pas revenir aux niveaux que nous connaissions.”

Vous dîtes que nous sommes dans une phase de « récession choisie », est-ce que vous pouvez nous dire en quoi cela consiste, combien de temps ça dure et quelles en sont les conséquences à moyen terme, notamment pour les entreprises ?

Cela renvoie d’abord au Covid : nous avons choisi collectivement de mettre l’économie à l’arrêt. Cela veut dire qu’il faut de l’intervention publique pour éviter les disparitions massives d’entreprises et des pertes d’emplois à l’avenant. C’est un peu la même chose par rapport aux conséquences d’un conflit : on a choisi de mettre en place des sanctions visant la Russie, ce qui occasionne des hausses de prix des matières premières, du gaz et par conséquent de l’électricité. Il faut ensuite assumer ces choix, c’est-à-dire en premier lieu accepter une hausse des prix d’importation de certains produits et de certaines matières. Cette hausse de prix occasionne une perte de revenus pour l’ensemble de l’économie nationale, perte qu’il va ensuite falloir répartir entre les agents. Lorsque le prix du gaz augmente comme il a augmenté, il y a un prélèvement sur l’ensemble de l’économie. Le prix du gaz va certes baisser à terme, mais il ne va probablement pas revenir aux niveaux que nous connaissions, parce que nous aurons changé notre structure d’approvisionnement, parce qu’un producteur important (la Russie) se trouvera de fait beaucoup moins mobilisé, parce que nous aurons fait venir du GNL [gaz naturel liquéfié, NDLR] qui coûte beaucoup plus cher et ainsi nous allons déplacer durablement nos coûts énergétiques vers le haut. Cela ne pourra pas être pris en charge par la puissance publique ad vitam aeternam. Il faut donc se poser la question de savoir comment on organise ces pertes, entre la baisse de pouvoir d’achat du revenu des ménages, l’absorption de ce choc de coûts par les entreprises dans leurs marges et comment elles le restituent dans leurs propres prix. Il y a donc un nouvel équilibre à trouver, en gardant à l’esprit qu’on ne pourra pas maintenir longtemps un déficit public aux alentours de 5 %.

Vous dîtes également que le poids de l’industrie dans le PIB recule logiquement. En quoi est-ce un phénomène normal aujourd’hui ?

L’industrie est le secteur qui produit les plus importants gains de productivité dans l’économie. Habituellement, c’est environ 3 % de gains de productivité chaque année, là où dans l’ensemble de l’économie c’est plutôt 1 %. A quoi servent ces gains de productivité ? Et bien notamment à baisser les prix à destination de ses clients, cela sert aussi à augmenter les salaires et/ou les marges de l’entreprise. Comme le prix relatif de l’industrie recule par rapport à celui de l’économie générale, le poids de l’industrie dans la valeur ajoutée globale va diminuer de manière tendancielle. Mais la question qui se pose est celle-ci : est-ce que ce recul du poids de l’industrie en valeur dans l’ensemble de l’économie est accompagné d’un recul en volume ? C’est-à-dire : est-ce que la contraction de la valeur ajoutée est telle qu’elle est insupportable pour le secteur industriel qui restitue tous ses gains de productivité à ses clients sans être capable d’en garder une partie pour préserver ses marges et investir ? Si tel est le cas, l’industrie rentre dans une logique d’attrition. C’est ce que l’on a observé en France, où ce recul du poids de l’industrie dans le PIB, a été beaucoup plus rapide que dans d’autres pays. En Allemagne par exemple, ce phénomène existe aussi, mais au gré de mécanismes plus vertueux de restitution de gains de productivité et de préservation des marges des entreprises. En France, cette perte de valeur ajoutée est aussi un reflet de la perte de compétitivité de l’appareil de production. D’où les difficultés de notre industrie à préserver ses marges…

« On voit se mettre en place les conditions d’une valorisation des efforts d’exemplarité des industriels dans la sphère écologique et c’est probablement ce que la situation actuelle porte de plus positif. »

Faut-il craindre une année 2023 noire sur le plan de l’activité économique ? Quelles sont les conditions d’une sortie de crise ?

On peut craindre une année noire en effet et c’est ce que disent les industriels allemands : cela a d’ailleurs été relayé lors de votre Congrès, lorsque Florian Kohler [propriétaire-gérant de Gmünd et représentant francophone du Bundesverband Druck & Medien, NDLR] expliquait dans son allocution passionnante combien depuis le mois de février 2022, il passait la moitié de son temps à discuter des conditions d’approvisionnement énergétiques. On voit bien qu’il y a là un sujet extrêmement fort. Quand vous regardez les anticipations sur lesquelles s’appuient les allemands, vous vous apprêtez à affronter un hiver sibérien. Pour autant, je vois aussi des motifs d’encouragement dans la mesure où jusqu’à présent, l’investissement des entreprises résiste. Il est même très positif, au regard de la conjoncture. On a l’impression que les entreprises ont compris les conséquences du choc de prix que nous vivons actuellement, à savoir que cela préfigure notre destin économique pour plusieurs années. On a devant nous des prix de l’énergie qui sont voués à être durablement élevés et les entreprises sont peut-être en train de sortir de leurs cartons des projets d’investissement pour réduire leurs consommations énergétiques et « produire mieux », tout simplement. Autant de projets qui n’auraient pas forcément éclos sans l’urgence de la situation. Tout l’enjeu sera de valoriser cette transformation fondamentale des modes de production, si elle se met bel et bien en place. C’est un tout cas un objectif passionnant et il est d’ampleur internationale : comment valoriser des progrès écoresponsables ? Comment en faire un levier de compétitivité ? C’est là qu’il me semble possible de trouver des conditions de sortie de crise : on accélère dans la phase de récession, on se met certes en danger, mais parce que l’on sait qu’on est capable de valoriser les choix qui auront été faits, notamment en termes de production décarbonée. Là-dessus, il faudra faire en sorte que cela soit validé par le marché de manière beaucoup plus ferme que cela n’a été le cas jusqu’à aujourd’hui. Car il est vrai que jusqu’à présent, les investissements dits « verts » ont fait augmenter les coûts de production, sans apporter encore un avantage compétitif suffisant. Parfois, c’était même désincitatif : la hausse des prix qui en résultait voyait se détourner certains clients de ce type d’offre. Mais le durcissement de la règlementation aidant, il y aura probablement une valorisation concrète des investissements liés à la décarbonation. On parle par exemple de la possible mise en place d’une taxe carbone aux frontières, par l’introduction d’une conditionnalité dans le choix des fournisseurs selon qu’ils aient fait ou non des investissements verts etc. On voit ainsi se mettre en place les conditions d’une valorisation des efforts d’exemplarité des industriels dans la sphère écologique et c’est probablement ce que la situation actuelle porte de plus positif. D’autant que c’est une issue gagnante pour tous : pour les entreprises, pour l’économie et pour le climat.

“Il y a un potentiel de développement non-exploité dans les Industries Graphiques”

Philippe Robert-Tanguy est sociologue des organisations, fondateur du cabinet Alis Management et à ce titre, il a été missionné sur une enquête menée en deux volets. Au gré dans un premier temps de diagnostics prospectifs socio-économiques réalisés dans des TPE, puis dans des PME de plus de 50 salariés, il s’agissait de dégager les facteurs de changement et les tendances d’évolutions des métiers, emplois et qualifications, au sein des Industries Graphiques. Un travail au long cours dont il livre ici quelques enseignements…

On attend souvent des études telles que celle que vous avez menée, qu’elles nous donnent des enseignements englobants et généraux sur une industrie. Mais est-ce que ce n’est pas compliqué de définir des traits communs dans une branche d’activité très hétérogène en termes de taille d’entreprise, de technologies d’impression et bien sûr de produits imprimés, les logiques n’étant pas les mêmes selon que l’on soit positionné sur de la presse, de la notice pharmaceutique, du prospectus publicitaire ou du livre ?

Le secteur des industries graphiques est effectivement difficile à cerner, dans le sens où délimiter son périmètre est complexe en soi. Statistiquement, on a du mal à le faire : les entreprises qui impriment peuvent être rattachées à différentes nomenclatures – codes NAF et IPCC – et toutes ne sont pas identifiées comme des imprimeries. Par ailleurs, on se trouve face à des marchés et des produits finis très différents : la presse, la notice pharmaceutique, le packaging, l’imprimé commercial, les imprimés administratifs etc. Mais en dépit de dynamiques et de perspectives différentes, on observe que les métiers de la chaine graphique, depuis la composition jusqu’à la finition en passant par tous types d’impressions (offset, impression numérique, sérigraphie, flexographie etc.) sur tous types de supports, sont amenés à évoluer en profondeur en termes de relation client. On constate une forte montée des exigences chez les donneurs d’ordre, alors que les compétences techniques chez ces derniers ont diminué. Le raccourcissement des délais et une volonté d’aller plus loin dans les services additionnels amènent beaucoup d’entreprises à se développer sur de nouvelles activités, notamment en termes de gestion de stocks et de logistique. On voit donc, malgré les disparités évoquées, des tendances très similaires quant à la façon de traiter la demande.

« L’imprimeur doit monter en puissance sur les notions de conseil et de services. »

Est-ce que cette évolution s’est déjà traduite dans les entreprises ? Les imprimeries ont-elles concrètement et massivement endossé ce rôle de prescripteur ?

Oui, et si on prend le labeur traditionnel qui est beaucoup tiré par des marchés dits « historiques » – prospectus et communication, notamment – ce besoin d’apporter du service est encore plus prégnant. Les communicants sont aujourd’hui surtout formés aux modes de communication numériques et ils sont plus à l’aise pour parler de digital que de Print. C’est à l’imprimeur d’être force de proposition et de s’attacher à comprendre les problématiques de communication exprimées par leurs clients. C’est à l’imprimeur/fabricant d’en déduire les traductions « techniques » : quels procédés d’impression ? Quels formats ? Quels papiers ? Quelle finition ? Comment intégrer des exigences de production responsable ? Comment éco-concevoir et diminuer la consommation d’encres, par exemple ? Etc. Le fabricant doit mettre sa maîtrise technique au service du dialogue avec le client. Il doit le faire dans un langage que les clients comprennent et en l’occurrence, les connaissances techniques liées au print sont de plus en plus faibles chez ces derniers. C’est vrai sur les marchés de la communication, mais si l’on se place sur des marchés plus industriels comme ceux de l’étiquette, de l’impression fiduciaire ou encore de la notice pharmaceutique, qui se caractérisent par une technicité et des contraintes très fortes, les clients ont plutôt fait le chemin inverse. Les niveaux d’exigence sont également très élevés mais ils sont cette fois exprimés en des termes techniques très précis, avec parfois des demandes pointues qui sortent du cadre technique habituel. Là encore, le fabricant doit s’ajuster pour comprendre la demande au mieux et satisfaire les besoins exprimés. C’est particulièrement sensible dans le secteur du packaging, où les exigences liées au contact alimentaire sont en progression très nette. Cette montée globale des exigences doit donc autant aux attentes du client qu’à de nouvelles règlementations, mais ce qui est certain, c’est qu’en conséquence, l’imprimeur doit monter en puissance sur les notions de conseil et de services.

Est-ce que cette montée des exigences n’est pas parfois perçue comme injuste ou intenable, dans la mesure où les contraintes réglementaires peuvent être plus lâches à l’extérieur de nos frontières ? De même que les prix d’ailleurs : difficile de s’aligner sur les tarifs pratiqués en Europe de l’Est notamment…

Cette concurrence étrangère, effectivement souvent concentrée en Europe de l’Est, beaucoup des acteurs que nous avons rencontrés y sont confrontés. Mais tous ne sont pas en difficulté, loin de là. Il me semble important de souligner que certains s’en sortent même très bien ! Et ceux-là ont fait le pari de ne pas aller se battre sur des prix. Parce que c’est une bataille perdue d’avance. Mais cela soulève un problème plus structurel : beaucoup de petits acteurs, des TPE souvent, n’ont pas les moyens de se différencier et de conduire des stratégies ambitieuses en termes de repositionnement de leur offre. Ceux-là ont tendance effectivement à jouer sur les prix, parfois malheureusement jusqu’à descendre en-dessous de leur coût de revient. De fait, ils se mettent en difficulté et cela explique certainement beaucoup de disparitions. Ce réflexe est une menace aussi pour les autres : les prix cassés tirent tout le monde vers le bas. On doit travailler à optimiser ses coûts, bien évidemment, mais il faut que ce soit fait de pair avec la volonté de monter en compétences et de répondre au mieux à des besoins nouveaux. La meilleure façon de préserver ses marges est de monter en qualité et en spécificité. Cela peut venir du service ; c’est pour cette raison que beaucoup se développent sur l’aval, en faisant de la gestion de stock et de la logistique. Cela permet d’être meilleur sur les délais, les coûts de stockage ou les coûts d’intermédiaires, par exemple. Cela peut aussi venir d’un travail sur l’innovation, qu’elle soit technique, technologique ou centrée sur le produit, choix que l’on observe surtout chez les plus grosses PME. Il faut dans l’idéal pouvoir se permettre d’avoir une à trois personnes en charge de la R&D pour jouer les intermédiaires entre les commerciaux et les fabricants. Pour concevoir des produits nouveaux, il faut du temps de veille, de réflexion et de conception. L’innovation dépend aussi des marchés : des techniques de pliage ou de collage spécifiques, l’utilisation d’encres fonctionnelles, la création de puces RFID, l’assemblage de produits, etc. L’important, c’est de montrer aux clients qu’on est en capacité de leur proposer des choses qui entrent en résonance avec leurs besoins.

Est-ce qu’il n’est pas difficile d’établir des diagnostics d’entreprises pérennes quand la conjoncture est à ce point défavorable, avec notamment la flambée des prix des matières premières, mais aussi de l’énergie, le tout dans un contexte de conflit en Ukraine ?

On a effectivement vu monter tout cela quasiment en temps réel puisque la première entreprise que nous avons visitée, c’était en mai 2021. La dernière, c’était en juin 2022. C’était déjà assez clair en 2021, mais les choses se sont effectivement aggravées. Ce sont bien évidemment des préoccupations fortes, notamment sur le papier, pas seulement du fait de l’explosion des prix, mais tout simplement aussi pour des questions de disponibilité. C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, une des entreprises que nous avions prévu de visiter n’a finalement pas pu nous recevoir. Le contexte très instable dans lequel les entreprises évoluent depuis plus d’un an ne leur a pas permis de nous accorder ce temps. Ils étaient focalisés sur des impératifs de court terme, ce qui accentue un trait caractéristique de cette industrie, où les TPE sont surreprésentées : déjà en temps normal, il est difficile pour de petites structures de dégager ce temps de réflexion stratégique, c’est évidemment pire encore quand la conjoncture subit de tels aléas.

« Les Industries Graphiques peuvent se targuer d’être innovantes depuis plus de 400 ans. Il y aurait certainement beaucoup à faire pour que cela se sache enfin. »

Vous soulignez, hélas sans surprise, la dégradation de l’image du secteur, qui affecte durement son attractivité. L’influence des entreprises au cas par cas n’est-elle pas insuffisante pour infléchir sur ce phénomène ? Est-ce qu’il n’y a pas plutôt à mettre en œuvre ici des dynamiques collectives ?

Sur un plan micro, en effet, il semble compliqué pour une entreprise d’agir individuellement quand c’est l’image de tout un domaine d’activité qui est affecté. Néanmoins, ce que l’on constate et qui n’est pas forcément propre à ce secteur, c’est que les TPE et PME communiquent très peu sur leur marque employeur. Les sites Web des imprimeurs ont beaucoup progressé : ils sont passés de plaquettes techniques à des vitrines orientées clients, qui donnent à voir ce qu’ils sont capables de faire. En revanche, les sites en question ne s’adressent presque jamais à leurs candidats potentiels : qui nous recrutons, comment nous fonctionnons et quelle est « l’ambiance » de l’entreprise ? C’est comme si l’entreprise renonçait à véhiculer une image de ce qu’elle est ou de ce qu’elle veut être. Présenter son offre et ses produits ne suffit pas, il faut donner envie. C’est à mon sens un levier important et il est sous-exploité.

Par ailleurs, s’agissant d’un secteur très éclaté avec 4000 entreprises aux profils variés, il y a forcément un travail à faire à l’échelle collective. Un des problèmes, c’est que la filière graphique n’est pas complète en France : il n’y a presque plus de fournisseurs de matériel français et peu de papetiers. En France, l’industrie en général ne fait plus rêver et les métiers de l’impression – comme d’autres – en pâtissent. Pour les Industries Graphiques, cette image de secteur un peu « sale » et passéiste lui colle à la peau et en soi c’est assez injuste. J’ai été frappé du dynamisme avec lequel nombre d’entreprises s’attachent à innover : ce trait caractéristique des Industries Graphiques est mal connu et pourtant, il est très clair. Les innovations, qu’elles soient produits, techniques, RSE ou autres, sont aussi concrètes qu’elles sont finalement peu visibles. On a beaucoup parlé de la « Start-up Nation » ces dernières années, alors que finalement les Industries Graphiques peuvent se targuer d’être innovantes depuis plus de 400 ans. Il y aurait certainement beaucoup à faire pour que cela se sache enfin.

Enfin, si le numérique a dans un premier temps donné l’image d’un secteur d’activité à la fois plus moderne et plus écologique, les impacts qui lui sont attribuables sont de plus en plus évidents et partagés. De fait, l’on commence enfin à voir à quel point une communication « tout numérique » est plus nocive qu’un mix raisonné où le Print a encore sa place.

« Les exigences écoresponsables des donneurs d’ordre vont encore monter d’un cran et imprimer loin, mais de façon low cost, sera de moins en moins facile à assumer. »

Vous évoquiez le dynamisme des innovations, or il semblerait que les jeunes soient particulièrement sensibles à celles qui ont trait à l’environnement…

La thématique environnementale monte effectivement clairement, poussée notamment par la réglementation. Les imprimeurs avaient souvent déjà engagé des démarches, ils n’ont pas attendu la Loi AGEC. Il faut certainement encore pousser le curseur mais c’est là aussi un des coups à jouer par rapport à la concurrence internationale : les exigences écoresponsables des donneurs d’ordre vont encore monter d’un cran et imprimer loin, mais de façon low cost, sera de moins en moins facile à assumer. Par ailleurs, ce travail d’écoresponsabilité est beaucoup plus simple à conduire lorsque le donneur d’ordre et le fabricant sont en proximité : cela permet de discuter, d’échanger des idées et de progresser.

« Chez les entreprises qui comptent moins de cinquante salariés, on constate un déficit de stratégie tout simplement parce que cela prend du temps. »

Vous dîtes – je cite – que “le champ de la stratégie reste encore largement à labourer voire à défricher”. Comment expliquez-vous ce déficit global de vision et de réflexion stratégique ? Est-ce que ce n’est pas d’ailleurs paradoxal quand dans le même temps, vous dîtes constater un dynamisme très marqué en termes d’innovation ?

Il y a effectivement du dynamisme et des envies de faire. Mais globalement, chez les entreprises qui comptent moins de cinquante salariés, on constate un déficit de stratégie tout simplement parce que cela prend du temps. Lorsqu’on a un dirigeant, souvent seul, et des équipes de taille réduite, priorité est donnée à la production. La stratégie n’est pas délaissée par manque d’envie, mais parce qu’on éprouve des difficultés à appréhender le sujet : souvent, les dirigeants n’ont pas les outils et les connaissances pour se lancer, sauf à y passer beaucoup de temps. Or, ils n’en disposent pas. Cela n’empêche pas une forme de dynamisme, mais on n’est pas dans des stratégies construites. On observe plutôt des mouvements d’opportunités qui parfois, a posteriori, constituent des stratégies improvisées, presque non-intentionnelles. On suit son intuition. Beaucoup de petites entreprises se sont développées de cette façon, sans que ça ne soit forcément un problème. Mais cette façon de fonctionner est rendue beaucoup plus simple lorsque l’on se situe dans des marchés en croissance. A l’inverse, quand on est positionné sur des marchés en contraction, arrive toujours le moment où il faut faire des choix et prendre des décisions. Soit on repense son parc machines et on investit, soit on cherche à étendre son offre, soit on se réorganise etc. Mais un investissement insuffisamment préparé peut coûter cher… Il faudrait donc aller vers plus de vision stratégique à moyen terme. Les entreprises qui s’en sortent le mieux aujourd’hui sont celles qui ont un positionnement clair, avec des capacités de production parfaitement adaptées à leur offre. Soit elles se sont spécialisées sur un marché, soit elles maîtrisent tout particulièrement une technologie, soit elles s’adressent à un secteur spécifique etc. De fait, elles sont beaucoup mieux identifiées auprès de leurs clients. Ce travers peut même parfois s’observer chez de grands groupes récemment constitués, justement parce qu’ils n’ont pas eu le temps de de se redéfinir. Mais je pense qu’il faut voir cela positivement : c’est la preuve qu’il existe un potentiel de développement non-exploité. Certains s’en sortent finalement sans vision stratégique très claire, de fait peut-on considérer que ces entreprises n’usent pas de leur plein potentiel et pourraient performer encore plus.

Vous êtes parfois sévère quant au défaut de culture managériale constaté dans l’entreprise. Est-ce que c’est d’ailleurs une cause – directe ou indirecte – du déficit de vision stratégique dont vous venez de parler ?

La stratégie et le management relèvent effectivement plutôt de la même sphère, mais il faut faire une distinction à mon avis : la stratégie concerne plutôt des réflexions quant aux évolutions qu’il faudrait impulser à l’entreprise. Le management, au sens où nous l’entendons ici, sera plus tourné sur l’animation interne.

Vous parlez même de “solitude”, qui est un terme qui revient plusieurs fois dans l’étude. A la fois celle du dirigeant, mais aussi celles des collaborateurs en général. Est-ce que cela trahit selon vous un fonctionnement encore très vertical, voire mutique, en interne ?

On retrouve effectivement souvent cette solitude à la tête des entreprises et c’est seul que le dirigeant prend les décisions stratégiques. Si l’on descend un peu et que l’on parle de management d’encadrement pour conduire l’animation des équipes, ce sont en effet des éléments souvent défaillants ou faiblement développés. Il y a là une raison certainement culturelle : c’est un secteur encore très ancré dans la technique. On a vu beaucoup d’industries qui se sont modernisées ces vingt dernières années aller sur des approches de type lean management [méthode de gestion qui vise à corriger les dysfonctionnements et à réduire les gaspillages en associant fortement les opérateurs avec un « management participatif », NDLR] et travailler sur leur cohérence collective. Dans les Industries Graphiques, on l’a finalement peu fait. Nous avons même été surpris d’entendre, de la part de l’encadrement intermédiaire, des termes qu’on ne trouve plus ailleurs. On nous a par exemple parlé dans certains cas de « contremaîtres », là où aujourd’hui on parle communément d’agents de maîtrise. Or, le contremaître reste justement très tourné sur la maîtrise technique. Ceux qui prennent des responsabilités dans les ateliers sont toujours les meilleurs techniciens : ils prennent du plaisir dans le réglage de leurs machines et sont soucieux d’optimiser la qualité de production. C’est bien souvent grâce à eux que certaines entreprises bénéficient d’une image d’excellence, mais ils sont souvent en difficultés sur le management : comment je transmets ? Comment j’accompagne ? Comment je donne à voir l’activité de l’entreprise ? Comment je propose des retours d’expérience et des analyses de situation quand on a des erreurs à répétition ? Sur certaines de ces questions, ils ont tendance à se focaliser sur la technique alors qu’il faudrait aller plus loin et interroger les modes de fonctionnement, comprendre comment les choses se passent entre les départements prépresse et les ateliers, puis entre l’impression et la finition etc. C’est de cette façon que l’on se rend compte que parfois, les informations sont tout simplement mal transmises. Dans certains cas, c’est la façon dont on note et collecte les informations qui peut induire en erreur et générer des dysfonctionnements. Le management, c’est bien évidemment cela, mais c’est aussi donner des perspectives et donner à voir ce que pourra être l’entreprise demain. C’est d’ailleurs là un point essentiel en termes d’attractivité : les jeunes ont besoin d’un projet dans lequel se projeter, on ne peut pas se contenter de leur attribuer un poste. Cela veut dire qu’il faut leur ouvrir les sphères du développement et de la stratégie de l’entreprise, quand aujourd’hui on a l’impression qu’elle n’appartient guère qu’à un dirigeant esseulé. C’est quelque chose qui nous a vraiment surpris : quand on discute avec les salariés en ateliers, on est face à d’excellents techniciens, mais qui ont souvent une très faible connaissance des marchés sur lesquels ils sont positionnés. Pire encore, ils sont assez fréquemment ignorants de la situation de l’entreprise elle-même. Il y a un manque clair de culture économique, preuve que ce n’est pas un sujet suffisamment abordé et partagé en interne. Parfois on constate même des manquements très prononcés en termes de contrôles de gestion : on en sait pas dire ce qui fait gagner ou perdre de l’argent à l’entreprise. Sur ces points, c’est à l’encadrement d’être plus présent, car on ne peut pas prendre de décisions éclairées sans se comprendre soi-même.

« Quand la circularité de l’information entre le prépresse, les ateliers et la finition ne consiste qu’à faire transiter des dossiers, on ne se parle pas vraiment. »

Est-ce que les collaborateurs se plaignent de ce que vous décrivez, à savoir une forme d’invisibilisation de la situation de l’entreprise et de ce vers quoi elle va ?

Ce n’est pas forcément un malaise et ce n’est en tout cas pas vraiment exprimé comme tel. Il y a en revanche clairement de l’incertitude alors que paradoxalement, dans les petites entreprises, il y a une grande proximité avec le patron. Mais il se noue en conséquence une confiance un peu aveugle : les collaborateurs ont conscience que le secteur est en tension sur ses marchés historiques, mais on se dit que le dirigeant saura prendre les bonnes décisions. Certains regrettent quand même qu’il n’y ait pas plus régulièrement des réunions destinées à faire le point, pour répondre à cette simple question : où en est-on ? Encore une fois, on est obligé d’observer que les entreprises qui s’en sortent le mieux sont parvenues à créer un véritable collectif, avec du liant entre les différents services. Pour faire très simple, quand la circularité de l’information entre le prépresse, les ateliers et la finition ne consiste qu’à faire transiter des dossiers, on ne se parle pas vraiment.

Parmi les motifs d’optimisme, vous notez que les initiatives RSE sont souvent l’occasion de repenser l’organisation de l’entreprise à la racine. Certains considèrent que c’est pourtant un “luxe” que l’on peut se permettre lorsque les fonctions business pures sont avantageusement assurées. Est-ce qu’il ne faudrait pas pourtant porter les réflexions RSE ailleurs que dans les entreprises déjà “premières de la classe” ?

Il est vrai qu’il y a encore ce côté « premier de la classe » chez les entreprises les plus investies en RSE, mais dans la mesure où les attentes des clients en la matière ne font que monter, ça ne peut pas rester en l’état. Le risque à ne pas y aller est clair : on peut perdre des marchés ! Il faut redire que les donneurs d’ordre eux-mêmes ont de plus en plus de pression sur cette question et il y a une attente qui va continuer de grandir. Heureusement, le secteur peut capitaliser sur un travail qui a été déjà largement engagé – notamment via Imprim’Vert – mais il va falloir aller plus loin. Sur cette thématique RSE, c’est Print’Ethic qui tient la corde aujourd’hui et nous avons vu quelques entreprises qui s’y sont lancées. L’approche est intéressante puisque l’engagement est progressif et dimensionné aux moyens de l’entreprise, qui pourra entamer une démarche « à sa main ». C’est encore trop tôt pour tirer des conclusions, mais c’est une piste prometteuse.

Si vous deviez résumer en quelques mots l’enseignement principal de votre étude…

Le diagnostic que nous avons établi fait certes ressortir un certain nombre de points noirs et de faiblesses, notamment sur les notions de stratégie et de management. Mais je suis plutôt optimiste pour le secteur : il faut y voir un potentiel de progression énorme. Sur des marchés tendus et fortement perturbés depuis quinze ans, la révolution numérique étant passée par là, on voit des entreprises capables de s’en sortir sans même avoir abattu toutes leurs cartes et joué tous leurs atouts. En travaillant à renforcer le management, améliorer la cohérence organisationnelle en interne, construire des collectifs soudés, faire de l’amélioration continue, consolider la dimension ‘conseil & services’, faire de la R&D pour mieux préparer ses investissements et en déduire des solutions commerciales viables et, enfin, travailler son positionnement sur le marché en développant une réelle vision stratégique avec une forte identité de marque, il y aurait de quoi faire émerger de vrais champions économiques. Cette marge de progrès existe et il faut s’en réjouir.

Imprim’Luxe se penche sur la question du patrimoine

Alors qu’Imprim’Luxe s’apprête à souffler sa dixième bougie d’ici quelques mois, l’association organisait le 10 octobre dernier un dîner thématique autour de la « défense du patrimoine » : un sujet majeur, qui entre forcément en grande résonance avec la raison d’être initiale du label, créé en juin 2013 pour relocaliser en France des travaux d’impression liés aux marchés du luxe. Ainsi Pierre Ballet, son Président, ne manquait-il pas d’annoncer un objectif clair : « Nous voulons arriver à 50 % de nos membres labellisés Entreprise du Patrimoine Vivant (EPV) », preuve du lien étroit qui s’opère entre la promotion de l’excellence et la préservation/transmission des compétences. L’occasion aussi pour l’association d’honorer “l’Entreprise de l’année ” (MPO) et la “Personnalité de l’année” (Pascal Bovéro – UNIIC) tout en nourrissant le débat : comment porter et défendre l’excellence à la française ?

Réhabiliter l’excellence faite main

Pour l’occasion, Imprim’luxe accueillait un maître de cérémonie tout désigné, puisque c’est Stéphane Bern qui a donné le ton de la soirée. « Le monde entier nous envie notre patrimoine. Dans l’idéal, nous devrions le transmettre dans un meilleur état que celui dans lequel nous l’avons trouvé » exprime-t-il d’emblée, fidèle à ce pour quoi il s’est vu confier une mission sur-mesure, avec l’appui notamment du Ministère de la culture, pour contribuer à sauvegarder un patrimoine aussi précieux que fragile. Si l’on pense souvent à des sites identifiés comme étant en danger (il y en aurait officiellement 645, selon les décomptes opérés en 2018, à l’amorce de ladite mission), les compétences et le savoir-faire des métiers de la main, plus immatériels, n’ont rien d’un enjeu secondaire. « Les EPV sont souvent des PME ou des ETI, lesquelles sont souvent elles-mêmes des entreprises familiales qui savent ce que c’est que de transmettre » poursuit-il. Or, « transmettre » n’est pas qu’un beau geste, c’est la condition sine qua non de la survie d’un savoir-faire, car derrière un trésor culturel, il y a très souvent des trésors industriels et/ou artisanaux. « Les entreprises sont des entités vivantes et fragiles qu’il faut protéger » insiste-t-il, faute de quoi il faudra déplorer la disparition ou l’ultra-raréfaction d’une somme de métiers qui ont construit le rayonnement français. Or, il devrait ne pas y avoir de fatalité, bien au contraire : « Lorsque je me rends au salon du patrimoine culturel, je croise des jeunes qui sont en quête de sens. Ces métiers d’art, ces métiers de la main, ils s’y intéressent parce qu’ils peuvent donner du sens à leur vie », confirme-t-il, persuadé qu’il y à potentiellement là « un vivier d’emplois extraordinaire »… A condition toutefois de revaloriser en profondeur les métiers dits « manuels », que l’on considère trop souvent être des lots de consolation et/ou des chemin de réorientation contraints, pour des élèves en difficulté sur des parcours de formation plus généraux. « Pourtant, ce sont ces métiers qui font l’excellence à la française » martèle-t-il, conscient qu’une production d’élite appelle à reconsidérer d’urgence la valeur des métiers qui lui permettent d’exister.

Imprim’Luxe remet deux prix

– Rappelez-vous, nous nous rendions voilà maintenant six ans dans l’une des unités du groupe MPO (Moulage Plastique de l’Ouest), à l’occasion – précisément – d’une visite d’entreprise portée par Imprim’Luxe. Détentrice d’un double savoir-faire, à la fois dans le pressage de disques optiques (CD, blu-ray, vinyles) et dans l’impression (pochettes, coffrets, packagings de luxe etc.), MPO est une entreprise qui certainement plus que beaucoup d’autres, a vu les modes se faire et se défaire. « Si nous avions été rationnels, nous nous serions débarrassés des machines dédiées à la fabrication des vinyles, parce que cela nous a fait perdre beaucoup d’argent » s’amuse aujourd’hui de noter Alban Pingeot (Directeur général), alors qu’il vient de recevoir un prix pour MPO, sacrée par Imprim’Luxe « Entreprise de l’année », deux ans après avoir été reconnue EPV (rappelons que ce label sélectif ne promeut que 1500 sociétés françaises chaque année). « Le vinyle ne serait jamais revenu s’il n’y avait pas eu le streaming. La charge émotionnelle associée au produit est tellement forte qu’elle ne peut s’exprimer qu’à travers un bel objet. Alors toute la semaine vous allez écouter du streaming, mais le week-end, vous allez vous autoriser l’écoute d’un vinyle. Et c’est la même chose pour tous les produits imprimés qui visent l’émotion et l’excellence : je suis persuadé qu’il y aura toujours un marché pour ces produits-là » conclue-t-il.

Alban Pingeot (PDG de MPO) et Alain Lesénécal (Président des EPV).

– Pierre Ballet ne s’en cache pas, le prix de « Personnalité de l’année » qu’il s’apprête à remettre à Pascal Bovéro (UNIIC), tient en un terme : celui de la reconnaissance. Car Imprim’Luxe lui doit certainement en partie son existence, quand l’UNIIC sollicite Pierre Ballet en 2011 pour répondre à un appel à projet intitulé « actions collectives au soutien de la compétitivité des industries du luxe », lancé par le ministère de l’Industrie. « Les entreprises des industries graphiques sont aujourd’hui encore perçues comme des transformateurs de l’éphémère, voire même de l’inutile, pour certains acteurs des pouvoirs publics. Imprim’Luxe permet de porter une image d’excellence et nous aide à être reconnus comme les métiers que décrivait Stéphane Bern : à savoir ceux d’un maillage au service de l’ennoblissement » développe le Délégué général de l’UNIIC, qui ne pouvait pas se soustraire à l’une de ces formules dont il est si friand : « J’avais dit à Pierre Ballet que contrairement à la révolution française, c’est par la noblesse qu’Imprim’Luxe revaloriserait le tiers état » lâche-t-il en effet, faisant là référence aux « deux tiers des entreprises des industries graphiques qui sont considérées comme des industriels de l’imprimé publicitaire, du périodique ou autre, sans reconnaissance suffisante pour leur concours au rayonnement de nos métiers ». Une ouverture vers des marchés à l’image moins clinquante, mais qui participent à « une chaîne de complémentarités au service du sens » précise-t-il. « Stéphane Bern disait tout à l’heure que les jeunes ne s’engagent que s’il y a du sens. En effet, les entreprises des industries graphiques ne peuvent pas recruter si elles n’affirment pas cette logique et si elles ne répondent pas à cette quête de sens » reprend le Délégué général de l’UNIIC, qui voit en Imprim’Luxe une force collective qui n’est « pas près de s’éteindre, car on n’éteint jamais les étoiles »… 

Pierre Ballet (Président d’Imprim’Luxe), Luc Lesénécal (Président des EPV), Stéphane Bern (Animateur et porteur de la Mission de protection du patrimoine), Alban Pingeot (PDG de MPO), Pascal Bovéro (Délégué général de l’UNIIC), Nicolas Vial (Illustrateur de presse et peintre) et Alain Caradeuc (Imprim’Luxe).

Décret tertiaire : un délai supplémentaire pour se déclarer et contester l’assimilation du secteur graphique

La date butoir de l’obligation déclarative afférente au décret tertiaire qui était fixée 30 septembre 2022 est décalée au 31 décembre 2022 ;

Cette tolérance sera mise à profit par l’UNIIC qui travaille sur cette question depuis plusieurs mois pour rappeler, à base d’arguments techniques et juridiques, les fondements de notre assimilation au secteur industriel et non au secteur tertiaire, ce qui implique la contestation de l’inclusion de l’imprimerie dans la liste des secteurs concernés.

Lire le communiqué de presse daté du vendredi 23 septembre intitulé “Dispositif Eco Energie Tertiaire : une tolérance est accordée jusqu’au 31 décembre 2022 pour remplir ses déclarations”

Aide dite d’urgence « Gaz et électricité »

Chers adhérents,

Nous avons pris connaissance des échanges que vous avez pu avoir sur la question cruciale des surcoûts énergétiques qui frappent les entreprises de notre filière positionnées, dans le haut de notre branche industrielle en termes de consommation.

Ce sujet a fait l’objet d’échanges techniques et politiques que nous avons initiés dès mars dernier avec 7 autres branches impactées.

Nous avons donc organisé des visioconférences avec l’Etat en amont des textes règlementaires comme nous l’avions fait voici deux ans pour le fonds de solidarité. Cette action avait permis à l’époque de modifier la liste non exhaustive et non figée des secteurs concernés.

Nous siégeons dans les principales commissions du Medef et c’est notre confédération qui nous a aidé à éclairer la DGE sur la spécificité de notre secteur, même si nous manquions de données quantifiables, à l’exception de celles de quelques rotativistes et imprimeurs feuilles.

Nous avons souhaité pour vous éclairer, vous livrer un extrait de notre échange avec le Medef sur l’aide dite d’urgence « Gaz et électricité » instituée par le décret n°2022-967 du 1er juillet 2022, car il y va de la force de notre action, son ciblage et des objectifs que nous poursuivons tous.

Suite à la présentation par la DGE de ce dispositif, nous avons été surpris de ne pas être dans la liste des secteurs ou sous-secteurs listés en annexe 1 et permettant de bénéficier de l’aide.

Comme vous le constaterez :

  • La présence ou non d’un secteur de l’annexe 1 n’a d’incidences que sur le plafond de l’aide et n’est en rien une cause d’exclusion.
  • La promesse d’une hotline que nous exigions et que nous attendons est toujours dans les tuyaux (mais le temps presse).
  • La définition des modalités de l’aide dépend évidemment de la commission Européenne.
  • Nous nous sommes fait confirmer avant l’adoption du dispositif que l’annexe 1 était évolutive.

Cette approche règlementaire peut être modifiée par deux véhicules juridiques (une lettre interprétative de Bercy, ou un avenant à l’annexe 1)
Attention toutefois, puisque c’est ce que nous avions demandé par le truchement du Medef, l’entreprise doit respecter l’ensemble des paramètres et prouver qu’elle est éligible.
Pour cela, il nous faut une certaine transparence et des données de gestion que nous devons consolider pour prouver (hors changement d’opérateur et des contrats) que nous sommes impactés, ce qui est malheureusement le cas pour nombre d’entre vous…

Matthieu Prévost, responsable environnement avait commencé à faire ce travail de compilation et de synthèse.

Nous sommes bien évidemment conscients de l’urgence des réponses collectives à apporter et nous sommes là pour y contribuer.

Consulter la présentation  de l’aide d’urgence gaz et électricité produite par le ministère de l’économie.

Elisabeth Borne en visite chez l’imprimerie Tonnellier

Dans l’effervescence d’un entre-deux tours qui a naturellement focalisé l’attention sur des enjeux politiques, Elisabeth Borne – à la fois première ministre en exercice et candidate à la députation dans la sixième circonscription du Calvados – était en visite ce lundi 13 juin au sein de l’imprimerie Tonnellier, à Condé-en-Normandie. L’occasion pour l’UNIIC de mettre en lumière les atouts d’une de ses entreprises adhérentes et de faire porter par Benoit Duquesne, son Président (et ancien dirigeant de Tonnellier), les dossiers majeurs sur lesquels notre branche industrielle doit avancer ces prochaines années…

De gauche à droite : Freddy Sertin, suppléant à la députation, Elisabeth Borne première ministre, candidate à la députation dans la sixième circonscription du Calvados, Benoit Duquesne, Président de l’UNIIC, Hélène Duquesne, présidente de Groupe Tonnellier, Vianney Duquesne, directeur des sites de Condé-en-Normandie et Grézieu-la-Varenne, et Florence Duquesne.

Alors qu’une note siglée UNIIC a été remise aux services de la ministre, notre action visant à éclairer les pouvoirs publics sur les atouts et enjeux relatifs au secteur de l’impression, a notamment mis la focale sur les points suivants :

– Nous nous sommes attachés à rappeler le poids d’une industrie de proximité (près de 4000 entreprises et 45 000 emplois directs), ancrée dans les territoires et créatrice de lien social. Le tout dans un contexte où les glissements de marchés vers des médias plus mobiles s’accentuent, sans justification environnementale avérée et au prix d’une désincarnation progressive de l’information. Au risque aussi d’une inégalité d’accès, au désavantage des moins rompus à l’usage de terminaux numériques.

– Nous avons voulu souligner combien l’intersecteur (imprimerie, industries créatives, emballage) se caractérise par une prédominance de TPE et surtout un poids de l’investissement matériel qui le fait assimiler à un champ d’activité hybride : industriel par son investissement et ses process, prestataire de services par son aptitude à vendre des prestations immatérielles. Ce qui n’est pas sans conséquences sur le statut fiscal du secteur : malgré cette hybridité de fait, l’imprimerie est tenue de faire l’avance de la TVA, ce qui fragilise d’autant sa trésorerie. Il est ainsi urgent de travailler à une monographie fiscale actualisée dédiée au secteur tant pour les questions de fait générateur et d’exigibilité de la TVA, que pour la définition fiscale du livre, dans un contexte où par ailleurs, une crise papetière majeure réduit considérablement les marges de manœuvres économiques.

– Après une année 2021 caractérisée par une reprise technique post-Covid, le secteur a en effet dû faire face à une contrainte haussière en termes de coût du papier, de l’énergie et des encres, phénomènes accentués par le refus de nombre d’acheteurs publics de prendre en compte certaines évolutions indiciaires malgré la circulaire de Monsieur Castex. Si certains refusent de parler de pénurie, force est de constater que les engagements des fournisseurs pour certaines sortes de papiers sont aléatoires. En outre, une généralisation de la pratique des commandes à prix ouverts imposée par des fournisseurs concentrés, face à un secteur graphique atomisé désorganise durablement les équilibres économiques fournisseurs/imprimeurs. Cette violation des fondamentaux du droit des contrats fait régner une imprévisibilité dans les rapports entre imprimeurs et donneurs d’ordre, les imprimeurs hésitant à s’engager et manquant de ce fait des opportunités de marchés.

– Nous avons souligné le poids majeur du marché publicitaire – 30 % du CA du secteur – et rappelé que la chasse aux prospectus ne se traduisait guère aujourd’hui que par un déplacement des efforts de communication vers des canaux numériques. Un mouvement contreproductif sur le plan environnemental puisque les impacts attachés à l’industrie numérique sont galopants, et ce d’autant plus s’ils prospèrent au détriment d’une activité traçable, basée sur des matériaux recyclables et inscrits de fait dans une économie circulaire structurée. L’expérimentation “Oui Pub” pourrait dans ce contexte être un dangereux accélérateur de tendances, au détriment de l’emploi (les effets en cascades sur les entreprises du secteur pourraient être redoutables) et sans bénéfice notable en termes d’écoresponsabilité publicitaire.

– Pour lancer avec l’Etat et les collectivités décentralisées un engagement de développement industriel fondé sur l’innovation environnementale, sociale, industrielle, il faut accompagner le secteur. Ce qui implique de le reconnaître comme un secteur innovant et d’opérer à cette fin une redéfinition du Crédit Impôt Recherche et du Crédit Impôt Innovation en l’adaptant à la R&D caractéristique dudit secteur. Il s’agit ainsi de converger vers la reconstruction d’un espace de dialogue et de partage dédié, via potentiellement un réseau filière graphique au sein de la DGE, en partenariat étroit avec les ministères compétents.

– Il importe de réviser l’opérabilité de notre dialogue social de branche, après une dégradation concrète observée ces deux dernières années. Il en va bien sûr de notre capacité à étendre les accords paritaires sans induire de distorsion entre les entreprises qui seraient adhérentes à l’UNIIC et celles qui ne le seraient pas (notamment sur les minimas salariaux), mais aussi de nous doter des outils de développement collectifs idoines, dans un contexte de mutation technologique et stratégique majeure.

– Il faut développer les convergences intersectorielles, face à des problématiques communes à nombre de secteurs connexes. L’approche “nomenclaturée” est insuffisante, voire paralysante, aussi plaidons-nous pour reprendre l’initiative qui avait été prise pour tendre vers une fusion des champs conventionnels. L’interpénétration de tous les modes de traitement de l’information mais aussi de l’emballage au sens général exige une réponse pilotée par l’Etat et les branches pour éviter d’inscrire notre développement dans l’atonie, voire l’ankylose de nos modèles économiques et sociaux.

– Enfin, en complément des efforts de développement industriels et d’innovation, un autre effort – de relocalisation des flux d’impression cette fois – doit pouvoir s’opérer. Assurer la traçabilité de la fabrication avec une redéfinition de l’achevé d’imprimer, relancer un crédit d’impôt relocalisation, favoriser les circuits-courts,  redéfinir le concept d’offre anormalement basse pour les marchés publics (qui concernent aussi l’édition), sont ainsi autant de pistes concrètes pour concourir à un redressement optimal.

Loin d’être exhaustif, ce panel de réflexions avec les pistes d’action associées, devra faire l’objet d’échanges réguliers  avec les pouvoirs publics. Sur ces dossiers notamment, nous comptons bien sûr vous tenir informés des avancées obtenues…

 

Pierre Richard, figure de l’imprimerie, nous a quittés

Nous avons appris ce samedi 13 mars le décès de Pierre Richard à l’âge de 88 ans, qui fut bien sûr le fondateur de la SEGO en 1980, mais aussi – et surtout – un homme de conviction, animé d’une rigueur et d’une passion que son fils, Hervé Richard, tient aujourd’hui plus que jamais à rappeler…

“C’est quelqu’un qui est parti de rien. Il s’est lancé avec un copain dans l’impression parce qu’il ne trouvait pas chez les autres la qualité qu’il cherchait. Alors il s’est fait prêter une machine et il s’est dit qu’il allait le faire lui-même” s’amuse-t-il de souligner, démontrant là que des moyens forcément encore très modestes n’empêchent pas de porter de fortes ambitions. De ses débuts dans un garage en 1962 avec la SIRA, jusqu’à des développements industriels d’une tout autre mesure avec la SEGO une trentaine d’années plus tard, la « qualité » est certainement le fil rouge d’une carrière conduite selon cette saine exigence. “Il pouvait parfois avoir l’air dur dans le travail, mais c’était quelqu’un de très sensible et attaché aux relations humaines, tant avec son personnel qu’avec ses clients et collaborateurs” insiste-t-il, raison pour laquelle Pierre Richard s’est toujours refusé à tomber dans le piège de la compétition moins-disante, même lorsque la concurrence s’est accentuée et a vu naître des stratégies agressives low cost. “Même pour des reprises compliquées, comme cela pu être le cas en 1994 avec la société C3F, il a œuvré pour qu’il n’y ait aucun licenciement. C’était quelque chose de fondamental pour lui, chose que tout le monde ne devinait pas forcément derrière sa carapace d’homme dur” ajoute Hervé Richard. “Il a eu cette chance fabuleuse de vivre un âge d’or de l’imprimerie, pendant lequel il a pu développer une vision mêlant ses exigences de qualité avec celles du respect de l’autre. C’est pour cette raison qu’on se souvient de lui à la fois comme d’un dirigeant très exigeant, mais aussi comme quelqu’un de très proche de ses collaborateurs” conclue-t-il. Une vision qui – faisons-en le pari – lui survivra sous les traits du meilleur legs qui soit : car l’imprimerie n’est jamais meilleure que lorsqu’elle s’impose d’être belle.

Source photo : Graphiline

Activité partielle de longue durée

Depuis le début de la pandémie, tous les acteurs du paritarisme (collège employeurs et collège salariés) se sont mobilisés aux côtés des pouvoirs publics nationaux et territoriaux pour en limiter les conséquences économiques et sociales. A ce titre, le dispositif d’activité partielle de droit commun mis en place par l’Etat a joué un rôle incontournable d’amortisseur social complété, pour notre secteur, par les mesures exceptionnelles décidées au profit des salariés et des entreprises (Lourmel, Plan anti crise de l’OPCO-EP par exemple). C’est dans ce contexte inédit que l’UNIIC et l’ensemble des membres de la CPPNI (Commission Paritaire Permanente de Négociation et d’Interprétation) ont estimé nécessaire et urgent de passer à une seconde étape attendue par les entreprises et les salariés et ce pour préparer au plus vite la relance adossée à la préservation des compétences-clefs et des emplois.

C’est sur le fondement de ce diagnostic partagé que nous avons souhaité mobiliser le dispositif spécifique d’activité partielle créé par la loi du 17 juin 2020.

Nous l’attendions, l’arrêté d’extension de l’accord APLD en date du 16 novembre 2020 a été publié au JO du 16 janvier 2021.

L’accord est donc désormais entré en vigueur conformément à son article 11. Les entreprises qui souhaitent mettre en place le dispositif d’activité partielle de longue durée sur le fondement de l’accord de branche peuvent donc le faire dès à présent.

Dans ce cadre, il appartient donc aux entreprises d’adapter le document trame annexe de l’accord à leur situation spécifique, consulter le cas échéant le CSE pour avis et transmettre ce document à la DIRECCTE pour homologation. L’administration dispose de 21 jours à compter de la réception du document établi par l’employeur pour l’homologuer. Le silence gardé par l’autorité administrative pendant le délai de 21 jours vaut décision d’homologation.

En l’absence d’accord d’entreprise, cet accord de branche dont nous accompagnerons la mise en œuvre sur le terrain, permettra d’offrir aux TPE/PME un outil ré-appropriable par elles et susceptible de recevoir l’homologation des Direccte.

Le succès de cette initiative forte se mesurera à sa traduction opérationnelle dans les entreprises avec le dialogue social qui doit accompagner ce type de dispositif qui fait le pari de préserver l’avenir…

Nathalie Robin (Oxy Signalétique) – « Nous avons bien conscience d’être repositionnés sur des produits de première nécessité et cela a contribué je crois à l’investissement exceptionnel des salariés. »

Des industriels face à la crise – Pendant que l’UNIIC préparait son 125ème anniversaire à l’Institut Lumière sous le signe du Cinéma, un acteur sournois s’est invité au palmarès sans avoir été nominé : appelé Covid-19 il aurait pu faire partie de la saga Star Wars ! Son côté obscur a heureusement été vaincu par la force et la combativité des salariés et des chefs d’entreprises. Mais toutes les traces et conséquences ne sont pas effacées et les leçons à tirer de cette sombre période de notre planète sont nombreuses. C’est pourquoi nous avons demandé à des « Stars » du monde graphique de nous commenter et expliquer comment ils ont vécu et fait face à ce scénario inattendu…

Episode 5 – Nathalie Robin – Présidente, Oxy Signalétique (13). Propos recueillis mi-juin 2020.


Comment définiriez-vous le profil d’Oxy Signalétique et en quoi peut-il paraître singulier ?

Nous travaillons sur deux secteurs d’activité assez distincts, qui sont l’industrie et la communication. D’une part l’industrie aéronautique, ferroviaire, mais aussi d’autres secteurs industriels “franco-français”, c’est-à-dire basés sur notre sol. C’est le secteur d’activité historique de l’entreprise, créée en 1978 par mon père, François Robin, et qui a perduré pendant une vingtaine d’années, avec deux procédés clairement identifiés de fabrication : la sérigraphie et ce que l’on appelait à l’époque la gravure. Nous avons ensuite ouvert l’entreprise aux procédés d’impression numérique, en gardant les mêmes clients : Airbus et ses sous-traitants, la SNCF et autres fabricants de matériel roulant etc. Ensuite, par de la croissance externe depuis maintenant sept ou huit ans, nous avons acquis de nouvelles compétences dans des secteurs d’activité nouveaux pour nous, liés à la communication : enseignes, PLV, signalétique événementielle etc. Les approches sont différentes également puisqu’il s’agit souvent d’appels d’offres pour de la signalétique de bâtiments pour les collectivités, de la muséographie etc.

Que représentent aujourd’hui ces nouvelles activités, en poids du chiffre d’affaires de l’entreprise ?

Ce secteur de la communication est géré entre 60 à 70 % sur de l’appel d’offres et représente aujourd’hui la moitié de notre chiffre d’affaires. Nos premiers clients restent Airbus et la SNCF, y compris dans ses divisions “Signalétique” et “Événementiel”, ou Aéroports De Paris (ADP) sur toute la signalétique des aéroports.

Nous avons perdu au global 50 % de notre chiffre d’affaires, mais qui ont été complètement comblés… Voire même au-delà, avec la réorientation de notre activité sur de la production de visières de protection, de barrières de plexiglas, ou sur du marquage au sol pour faire appliquer les mesures de distanciation physique.

Quand sont annoncées les mesures de confinement, quelles en sont pour vous les conséquences immédiates ?

Nous avons constaté une rupture brutale qui a vu les annulations de commandes s’enchaîner en l’espace d’une semaine, à mi-mars. La facette “Industrie” de notre activité s’est retrouvée immédiatement et lourdement impactée. Celle liée à la communication a chuté également, mais de façon un plus différée pour des raisons d’encours finalisés. Mais avec la fermeture des musées, des écoles, des stades ou encore l’annulation des salons professionnels, les conséquences ont rapidement été aussi sévères. Nous avons perdu au global 50 % de notre chiffre d’affaires, mais qui ont été complètement comblés… Voire même au-delà, avec la réorientation de notre activité sur de la production de visières de protection, de barrières de plexiglas, ou sur du marquage au sol pour faire appliquer les mesures de distanciation physique.

Vous dîtes avoir spontanément gardé 50 % d’activité, y a-t-il donc des segments de produits qui ont mieux résisté ?

Nous n’avons pas vu de segments résister particulièrement mieux : tout a plus ou moins baissé de moitié dans le secteur de l’Industrie. Dans le secteur de la communication, la chute a donc été plus différée, mais elle a en revanche été plus brutale : nous avons quasiment tout arrêté au bout de quelques jours. Mais nous nous attendons à ce que ces marchés de la communication reprennent plus vite également.

Le déconfinement a nécessité un important travail de signalétique au sol, poussant notamment Oxy à adapter sa production. (© RATP/Twitter)

La réorientation que vous évoquez concerne-t-elle des produits sur lesquels vous aviez déjà une expérience, une antériorité ?

Non, pas vraiment : nous ne faisions par exemple absolument pas de visières de protection. Les mesures de confinement ont été annoncées aux alentours du 15 mars, et dès le 18 ou le 19, nous déposions le modèle que nous allions produire. Nous avons essayé de rebondir très vite avec ce type de produits et en nous approvisionnant en plexiglas, au mieux de ce qu’il était possible de se fournir à ce moment-là, pour répondre à des besoins très spécifiques dans les supermarchés, les centres médicaux, les commerces de proximité, les boulangeries etc. Nos clients habituels ont arrêté leur activité, ou pratiquement, mais ils se sont également demandé très vite comment ils pouvaient mettre en place une forme de continuité. Nous avons alors tâché de leur proposer et de leur vendre ce dont ils pouvaient avoir besoin, dans un tel contexte. C’était une forme claire d’improvisation. De l’improvisation réfléchie, mais poussée par une nécessité : Oxy compte 105 salariés et notre activité est centrée sur des secteurs à l’arrêt quasi-complet, il a bien fallu nous creuser la tête pour tenir le coup. Nous avons rapidement ciblé des besoins qui semblaient évidents, avant de convaincre nos effectifs de s’adapter et d’aller sur d’autres produits, en gardant une motivation intacte, dans un contexte anxiogène qui était terrible… On sent un apaisement aujourd’hui de ce point de vue, mais dès mi-mars, l’idée de prendre les transports en commun alors que les enfants ne pouvaient plus aller à l’école, et alors bien sûr que le mot d’ordre était de ne plus sortir, quitte à demander un chômage partiel, c’était très compliqué.

D’où l’importance de porter un projet fédérateur, même contextuel et momentané…

Cette crise a démontré à quel point les gens chez Oxy sont investis dans leur métier. Ils ont mis du cœur à surmonter des difficultés qui auraient pu être plombantes, mais qui nous ont soudés. Nous n’avons évidemment pas pu mobiliser tout le monde, pour des raisons bien compréhensibles notamment de garde d’enfants, mais là aussi nous nous sommes adaptés. En mettant en place des roulements, nous avons fonctionné par équipes en faisant du 2/8, du 3/8, en travaillant les week-ends et jours fériés, pour tenir la ligne que nous nous étions fixée. Nous avons bien conscience d’être repositionnés sur des produits de première nécessité et cela a contribué je crois à l’investissement exceptionnel des salariés. A ce jour, en l’absence de reprise sensible, nous sommes restés sur ces produits, dans une forme de positionnement d’attente. Il y a bien quelques réouvertures chez nos clients depuis le déconfinement, mais c’est encore très marginal. Par ailleurs, beaucoup des dossiers sur lesquels nous travaillons, dans le cadre d’expositions ou de salons événementiels, nécessitent souvent d’anticiper un mois à l’avance. Par conséquent, si la reprise devait “frémir”, à ce stade nous en aurions déjà les signes. En revanche, aujourd’hui, pour du marquage ou du matériel de protection, c’est littéralement fait dans la journée. La situation exige de toute façon ce niveau de réactivité.

Le musée du Quai Branly compte parmi les clients fidèles d’Oxy.

Pensez-vous pérenniser en partie votre façon actuelle de travailler et/ou de produire ?

Il ne faut pas le souhaiter. Dans l’absolu, j’aimerais surtout retrouver notre cœur d’activité historique. En soi, il est plus intéressant de se consacrer aux produits à haute valeur ajoutée par lesquels nous avons fait la preuve d’un savoir-faire, développé des procédés particuliers et fidélisé des clients importants. Nous voudrions surtout voir les clients qui nous ont fait confiance – Le Quai Branly, la mairie de Paris ou ADP – refaire appel à nous. Je suis très fière de la façon dont nos équipes ont su se remettre en question pour sortir de notre zone de confort et sécuriser l’entreprise, avec une énergie folle, mais ce ne doit pas être une situation durable. Même en termes d’organisation d’ailleurs, je n’anticipe pas de changements durables : l’idée de développer le télétravail, pourquoi pas, mais je préfère être entourée, j’aime être présente en atelier auprès du personnel et je pense qu’une équipe c’est une entité soudée, chose que je craindrais de perdre à travers des écrans. Quand je vois l’énergie qu’il a fallu mettre en œuvre chez Oxy pour assurer ce virage pendant la crise sanitaire, je me dis que cela n’aurait pas été possible sans cette forme de proximité. Je ne tiens évidemment pas à ce que nous oubliions cette période, mais là encore, j’espère que les mesures de distanciation resteront une parenthèse, en tout cas pour nous.

L’adaptabilité dont vous avez fait preuve a-t-elle nécessité des bouleversements techniques, voire des investissements ?

Non, mon métier, c’est d’imprimer et de découper, par des procédés mécaniques, pneumatiques ou numériques. Que je découpe de la visière en polycarbonate, du plexiglas de comptoir ou du marquage au sol, je fais appel aux mêmes machines et aux mêmes techniques. En revanche, il a fallu effectivement apprendre à faire des casquettes avec visière de protection, via un modèle que nous avons conçu et déposé en quelques jours, mais là encore, le travail de découpe reste dans notre socle de compétences historiques. Il s’agit davantage de réajustements que de réinvention sur le plan technique. Je n’ai donc rien investi, j’ai simplement utilisé notre savoir-faire, nos machines et nos stocks de produits – puisque du plexiglas ou du polycarbonate notamment, nous en consommons déjà toute l’année – pour proposer un repositionnement adéquat.

Notre situation est assez paradoxale : aujourd’hui je travaille même plus qu’avant. Mais nous sommes assis sur un besoin fragile et appelé – je l’espère – à disparaître.

Est-ce que cela vous permet d’attendre plus ou moins sereinement la reprise, sans sentiment d’urgence ?

Ma seule crainte, c’est que lorsque les produits d’utilité sanitaires que nous produisons aujourd’hui ne se vendront plus, que ferons-nous si la relance économique n’est pas là ? Est-ce que le trou d’air qu’ont connu nombre de nos confrères qui ont souffert, n’es pas amené à nous frapper plus tard ? Notre situation est assez paradoxale : aujourd’hui je travaille même plus qu’avant. Mais nous sommes assis sur un besoin fragile et appelé – je l’espère – à disparaître. Dans la mesure où je n’imagine pas de reprise tangible avant septembre, la question se pose véritablement. Les réouvertures de lieux publics sont encore éminemment compliquées et l’été arrive, ce qui me fait vraiment me focaliser sur la rentrée…

Une des hypothèses de reprise établit justement un possible embouteillage – événementiel, notamment – dès septembre, avec une charge de travail pour le coup exceptionnelle, par effet de rattrapage…

Si c’est le cas, ce sera de bons problèmes. Cela permettrait à tous mes confrères de travailler et aux clients d’étudier différentes possibilités. Si l’un est surchargé, c’est l’autre qui sera sollicité etc. Nous sommes sur des métiers qui sont des révélateurs assez fiables je pense de l’état de santé économique du pays : quand l’activité est là, c’est que l’économie se porte bien. En cela, si nous avons trop de travail, je serais même ravie d’en donner à des confrères.