Bernard Montillot (Merkhofer) – “Il va falloir discuter, s’associer et construire des plans d’avenir qui soient collectifs”

Des industriels face à la crise – Pendant que l’UNIIC préparait son 125ème anniversaire à l’Institut Lumière sous le signe du Cinéma, un acteur sournois s’est invité au palmarès sans avoir été nominé : appelé Covid-19 il aurait pu faire partie de la saga Star Wars ! Son côté obscur a heureusement été vaincu par la force et la combativité des salariés et des chefs d’entreprises. Mais toutes les traces et conséquences ne sont pas effacées et les leçons à tirer de cette sombre période de notre planète sont nombreuses. C’est pourquoi nous avons demandé à des « Stars » du monde graphique de nous commenter et expliquer comment ils ont vécu et fait face à ce scénario inattendu…

Episode 2 – Bernard Montillot, Co-Directeur – Merkhofer (91). Propos recueillis fin mai 2020.


Avant d’évoquer les effets du confinement lui-même, peut-on faire un effort de contextualisation pour rappeler comment les métiers qui sont les vôtres ont évolué ces dernières années ?

La société Merkhofer a été créée en 1956. Elle a été dans ses grands moments une des premières entreprises de brochure en France, nous avons compté jusqu’à 280 personnes. Si le volume d’activité s’est lentement atténué, la grande chute s’est produite relativement récemment. Les transferts de budgets vers Internet, notamment dans le domaine de la publicité, ont beaucoup et rapidement réduit notre chiffre d’affaires. Il y a une dizaine d’années, nous traitions 800 tonnes de magazines par jour, que nous livraient les imprimeurs, et désormais nous n’en faisons plus que 200 tonnes. C’est donc quatre fois moins, en à peine dix ans. Certaines revues, notamment celles des programmes TV, tiraient il y a quelques années à 4 ou 5 millions d’exemplaires, là encore cela a été divisé par cinq puisque ces contenus sont largement passés sur Internet. Par ailleurs, les catalogues en grande distribution ont vu beaucoup de titres être imprimés/brochés à l’étranger. En tout état de cause, on peut dire que ces cinq à six dernières années, le chiffre d’affaires de notre activité s’est réduit de 40 %. Malgré ce contexte difficile, nous étions restés à l’équilibre, voire légèrement positifs.
Quand intervient une crise sanitaire, dans un contexte déjà fragile, les conséquences sont forcément sévères. Il faut bien comprendre que nous avons investi dans des machines taillées pour répondre aux tirages d’antan, capables d’assurer jusqu’à 5 à 6 millions d’exemplaires. Il fallait brocher 15 à 20 000 exemplaires/heure. Mais aujourd’hui, les revues qui tiraient jadis à 200 000 exemplaires ne tirent plus qu’à 15 ou 20 000 exemplaires. Nos machines de haute production travaillent donc aujourd’hui une heure sur un produit. Nous sommes actuellement trop performants pour ce qu’est devenu le marché. Ces machines ne sont d’ailleurs plus fabriquées, ni même entretenues par les fournisseurs : il est très compliqué par exemple de remplacer des pièces défectueuses. Nous savons qu’il nous faudra nous restructurer et réinvestir pour être plus en phase avec les ordres de grandeur d’aujourd’hui. D’autant que des grands groupes comme Lagardère ou Mondadori ont été rachetés et/ou ont procédé à des cessions d’actifs, ce qui a conduit à transférer encore plus les contenus sur Internet, au détriment de la Presse papier. Pour illustrer : nous générions il y a quelques années encore environ trente tonnes de « vieux papiers » par jour, que nous revendions. Aujourd’hui, cela ne représente plus qu’une à deux tonnes par jour. Nous arrivons donc à la fin d’un système, notre profession doit être repensée, non pas directement à cause de la crise sanitaire, mais en vertu de ce qu’était déjà notre situation.

Ajoutons à la crise sanitaire celle de la distribution liée au redressement de Presstalis, le volume de Presse magazine que nous avons eu à traiter a été divisé par trois.

Puis survient donc la crise sanitaire, qui rend forcément plus difficile encore les évolutions que vous évoquez…

Suite aux premières mesures de confinement, il y a subitement eu moins de travail. Tout a été suspendu en amont, les imprimeries ne nous livrant plus qu’une part résiduelle du marché magazines. Ajoutons à cela la crise de la distribution liée au redressement de Presstalis, le volume de Presse magazine que nous avons eu à traiter a été divisé par trois. Il va nous falloir adopter de nouvelles façons de travailler et d’une certaine façon, il va nous falloir rétrécir. A ce jour, nous disposons de 20 000 m² de locaux. C’est trop grand ! En tout cas, ça l’est devenu… Malgré tout, avant la crise sanitaire, nous étions à l’équilibre et pouvions envisager les transformations dont je parle. Ce qui m’inquiète, c’est qu’à fin mai, alors que le déconfinement a débuté depuis deux semaines, le travail ne revient pas dans les proportions que nous espérions. On tend à oublier d’ailleurs tout n’a pas rouvert, loin s’en faut : le simple fait que les aéroports soient encore fermés nous prive du travail sur les titres magazines qui y sont spécifiquement distribués. Je ne parle même pas des titres destinés à d’autres pays, qui ne sont plus produits parce qu’ils ne peuvent pas transiter par avion.

Vous n’anticipez pas encore une forme de reprise à court ou moyen terme ?

Je m’attends à ce que notre chiffre d’affaires actuel augmente dans les mois à venir, à mesure que le déconfinement s’imposera. Mais on ne retrouvera pas le niveau d’avant-crise avant plusieurs mois, probablement pas avant septembre ou octobre.

Il n’y a presque plus de brocheurs de spécialité. Nous avons finalement la chance d’être un peu seuls sur notre créneau. Si nous disparaissons, beaucoup d’imprimeries devront investir dans du matériel de brochage et former du personnel à cette activité, chose dont elles sont pour l’immense majorité certainement incapables aujourd’hui.

Vous écartez donc l’hypothèse pessimiste d’un effondrement…

Oui car il n’y a presque plus de brocheurs de spécialité. Nous avons finalement la chance d’être un peu seuls sur notre créneau. Si nous disparaissons, beaucoup d’imprimeries devront investir dans du matériel de brochage et former du personnel à cette activité, chose dont elles sont pour l’immense majorité certainement incapables aujourd’hui. Elles ont besoin de nous. Il faudra je pense des concentrations, des accords… Des réponses collectives, en tout cas. Parce que ce que nous faisons est d’utilité collective. Il faudra que nous prenions des décisions en interne pour maintenir à flot notre activité, mais notre avenir passe forcément par des alliances. Nous avons déjà des discussions informelles en ce sens, pour travailler autour de différentes hypothèses : soit nous restons indépendants pour permettre à plusieurs imprimeurs de travailler, soit nous intégrons un groupement dont la forme resterait à déterminer. Rien n’est encore avancé, mais il y aura des concertations, c’est certain.

Au vu des pertes que nous subissons actuellement, alors que 60 % de nos effectifs sont pourtant au chômage partiel, un plan de restructuration est inévitable à court terme. Ce n’est pas quelque chose que nous pouvons planifier à horizon plus lointain. C’est un pur problème de trésorerie qui n’a pas de solution miracle. Les petits éditeurs vont souffrir également. Il y a des centaines de petits titres dans les kiosques, dont les tirages sont inférieurs à 30 000 exemplaires, qui risquent de ne pas tenir. La crise de Presstalis les frappe au pire moment et ils n’ont pour la plupart pas d’assise financière assez solide pour surmonter une crise pareille.

Faîtes vous justement la part entre ce qui a relevé de la crise sanitaire en elle-même, et celle – malheureusement concomitante – qui a frappé le système de distribution, notamment marqué par le redressement judiciaire de Presstalis ? 

Sur le dossier Presstalis, il y a des titres qui ont effectivement été bloqués par les éditeurs et que nous avons dû stocker, faute de solution de distribution. D’autres ont été mis en pause par les éditeurs, en attendant de voir si la demande repart dans les semaines à venir. Il y aura certainement des arbitrages pour décider lesquels continueront d’être imprimés et lesquels passeront en 100 % numérique mais là encore, cela appartient à la stratégie de groupes médias qui semblent privilégier la dématérialisation d’une part importante de leurs marques. Nous devons nous y préparer.

Il nous faudra réinvestir dans des machines plus adaptées aux courtes séries et il nous faudra former du personnel aux nouveaux process qui en découleront. C’est ce type de rentabilité que nous visons et nous sommes convaincus que nous pourrons mener ce projet à bien.

Comment vous voyez-vous évoluer dans les 4 à 5 ans à venir ?

Nous allons vers de nouveaux modes de production et d’échanges. Les magazines eux-mêmes vont changer : ils seront plus luxueux, plus chers, mais également concentrés sur de plus petits tirages. La grande volumétrie ne sera plus la norme et c’est à ça qu’il faudra nous adapter. Il y a encore un marché pour des titres très pointus, très spécialisés et souvent, ce sont des titres “régionalisés” en ce sens qu’ils ne se vendent pas partout. Ou alors il faudra imaginer de réaliser différentes versions en fonction des zones géographiques où ces titres seront distribués. L’avenir, à mon sens, ce sont les petites éditions. Au jour le jour, nous survivons avec un matériel à la fois surcapacitaire et en passe de devenir obsolète. Mais dans quelques années, il nous faudra réinvestir dans des machines plus adaptées aux courtes séries et il nous faudra former du personnel aux nouveaux process qui en découleront. C’est ce type de rentabilité que nous visons et nous sommes convaincus que nous pourrons mener ce projet à bien : malgré les difficultés, nous étions à l’équilibre avant la crise sanitaire et nous occupons toujours un rôle stratégique d’utilité collective. Plus que jamais, les portes de sorties seront collectives. Tout le monde se pose les mêmes questions et les solutions ne viendront pas de l’intensification de guerres concurrentielles ou de décisions individuelles : au contraire, il va falloir discuter, s’associer et construire des plans d’avenir qui soient collectifs.

Julien Raynaud – “La spécificité de cette crise, c’est qu’elle a affecté jusqu’à des travaux déjà effectués”

Des imprimeurs face à la crise – Pendant que l’UNIIC préparait son 125ème anniversaire à l’Institut Lumière sous le signe du Cinéma, un acteur sournois s’est invité au palmarès sans avoir été nominé : appelé Covid-19 il aurait pu faire partie de la saga Star Wars ! Son côté obscur a heureusement été vaincu par la force et la combativité des salariés et des chefs d’entreprises. Mais toutes les traces et conséquences ne sont pas effacées et les leçons à tirer de cette sombre période de notre planète sont nombreuses. C’est pourquoi nous avons demandé à des « Stars » du monde graphique de nous commenter et expliquer comment ils ont vécu et fait face à ce scénario inattendu…

Episode 1 – Julien Raynaud, Directeur commercial – Raynaud Imprimeurs (79). Propos recueillis fin mai 2020.


Comment votre entreprise a spontanément vécu la crise sanitaire, avec la chute d’activité qu’elle a engendrée ?

Je ne vais pas vous surprendre en vous disant que cette crise a été très brutale pour une structure comme la nôtre, qui compte une trentaine de personnes. Nous n’étions clairement pas préparés à ça. Lorsque les premières mesures sont annoncées, dès le 12 mars, on se prépare à organiser une continuité de l’activité pour être opérationnels la semaine suivante. Mais les choses vont très vite et quelques jours plus tard, la situation a déjà drastiquement évolué. Lorsque le confinement est prononcé, le choc est soudain et il est d’autant plus difficile à encaisser que nous n’avons évidemment aucune expérience face à une telle crise. Dans ce contexte, j’aimerais souligner combien l’implication des services de l’UNIIC a été précieuse. L’accompagnement social et les flashs d’information quotidiens ont guidé nombre de nos services en interne, qui ont pu s’appuyer sur cette documentation pour y voir rapidement plus clair.

Julien Raynaud, Directeur commercial – Raynaud Imprimeurs (79).

Ce travail était d’autant plus impérieux que les dispositifs mis en place par l’Etat ont été sujets à de nombreuses mises à jour, parfois dans des délais très courts…

Oui, il est arrivé que dans la même demi-journée, nous ayons un ordre, un contre-ordre et nouvel ordre. Pour des choses aussi basiques que l’organisation du travail, bénéficier de ce travail de décryptage des dispositifs s’est révélé très précieux. Il faut bien se dire que dès le lundi 16 mars, ce sont des annulations de commandes qui s’enchaînent à un rythme fou. Ce n’était pas juste un coup de frein, c’était tragique. Et on ne parle pas de projets lointains, mais de travaux qui étaient lancés : soit c’était en cours de production, soit on avait des bons à tirer qui n’avaient littéralement plus de valeur. Il en a été ainsi pour plusieurs dizaines de dossiers, du jour au lendemain. A cette époque de l’année, les profils de clients concernés touchent notamment les secteurs de la culture, de l’événementiel ou du tourisme, où l’effondrement a été net et immédiat. Ensuite, c’est la publicité qui s’est écroulée. Par ailleurs, nous imprimons habituellement beaucoup de rapports annuels à cette période, puisque c’est le moment des bilans : mais pour cela, il faut convoquer des gens à des assemblées générales qui n’ont pas pu se tenir, donc nous n’avons même pas pu compter là-dessus non plus…

Dès le lundi 16 mars, ce sont des annulations de commandes qui s’enchaînent à un rythme fou. Ce n’était pas juste un coup de frein, c’était tragique. Et on ne parle pas de projets lointains, mais de travaux qui étaient lancés.

Vous évoquez des annulations brutales, en dépit j’imagine de frais déjà engagés ?

Oui, naturellement. Deux mois plus tard, nous avons toujours des palettes qui sont sur notre quai de départs. Aujourd’hui nous recevons régulièrement des ordres de destruction : puisqu’il s’agit d’une marchandise fabriquée et immobilisée depuis deux mois, nous négocions avec nos clients pour être payés selon les devis signés, moyennant la déduction des frais de transport, mais cela n’aboutit pas toujours… La chute globale d’activité a donc évidemment touché la demande de devis, mais la spécificité de cette crise, c’est qu’elle a affecté jusqu’à des travaux déjà effectués. Heureusement, Raynaud Imprimeurs est en développement depuis plusieurs années et à mi-mars, avant que tout ne s’arrête, nous avions un carnet de commandes bien rempli. C’est ce qui nous a incités à continuer malgré tout et à ne pas fermer une seule journée : nous ne sommes jamais descendus en-dessous de 50 % de notre effectif. D’autant qu’avant de voir quelles mesures de soutien l’Etat allait mettre en place, nous ne voulions pas que nos collaborateurs soient impactés par des baisses de salaire, de sorte que sur l’ensemble du mois de mars, nous n’avons pas du tout recouru au chômage partiel. Nous avons par ailleurs la chance d’avoir une diversité de clientèle importante, dont des banques, mutuelles et assurances, qui ont contribué à maintenir un certain niveau d’activité. Je dirais même que si nous avons pu résister relativement bien, nous le devons à une poignée de clients – qui devraient se reconnaître en lisant ces lignes – qui ont joué le jeu avec nous et que je remercie de leur solidarité. Cette dimension humaine n’est pas négligeable quand on essaie de survivre au jour le jour : leur présence et leur écoute ont été primordiales, à des moments où si nous n’avions pas pu enregistrer un minimum de commandes, le chômage technique devenait inévitable. Je suis un peu ému en en parlant parce que ça a révélé des liens humains forts qui resteront au-delà de cette crise. J’ai assisté à de vrais élans de solidarité : des gens contents de voir que nous étions encore là, aussi parce qu’ils avaient besoin de nos services, et c’était l’occasion de nous sentir d’autant plus utiles, aussi pour eux. Mon métier premier c’est de faire du commerce, mais j’ai trouvé chez certains clients une bienveillance très marquée. Et si la plupart était en télétravail, beaucoup étaient du coup plus détendus, plus disponibles au téléphone, avides d’échanges et d’informations.

Si nous avons pu résister relativement bien, nous le devons à une poignée de clients (…) qui ont joué le jeu avec nous et que je remercie de leur solidarité.

Au-delà du volume d’activité, l’entreprise a-t-elle spontanément changé dans ses modes d’organisation ou même revu son positionnement ?

On avait le devoir et l’obligation de nous adapter, en mettant évidemment en place les mesures sanitaires nécessaires. Le fait qu’on ait toujours eu un minimum d’activité nous a fait aller vers encore plus d’agilité, l’objectif tant de répondre au mieux à la demande, dans un contexte où justement, la demande peut sortir de l’ordinaire. Par exemple, il y a eu des besoins importants chez nos clients en termes d’affichage sanitaire – sensibilisation aux gestes barrière et informations relatives au Covid-19 – tant dans les agences bancaires que dans les magasins qui n’avaient pas complètement fermé. Nous avons tenté d’y répondre au plus proche de leurs exigences. Aujourd’hui, à l’heure du déconfinement, ces besoins sont encore plus marqués donc rebelote : nous nous présentons comme une aide pour faire respecter ces règles sanitaires et nous avons eu beaucoup de demandes d’affiches, qui sont un produit ô combien standard dans l’imprimerie. Par ailleurs, aujourd’hui encore, nous assurons beaucoup de conditionnement et de livraison multi-sites. Cela va au-delà du produit imprimé, il nous a fallu intégrer un service habituellement assuré par des prestataires spécialisés, pour devenir nous-mêmes des logisticiens par défaut. Nous avons donc assuré des livraisons sur des centaines de sites en France : magasins franchisés, agences bancaires, mutuelles etc.

Cela a été possible malgré la réduction contrainte des effectifs ?

Oui, il a fallu que chacun sorte de sa zone de confort et fasse appel à la polyvalence et à la multi-compétence des équipes en place. C’est un effort que chacun a compris dans des circonstances à ce point exceptionnelles et les dirigeants n’y ont d’ailleurs pas coupé : quand il a fallu mettre des colis dans le coffre pour les livrer directement chez le client, tout le monde a participé. C’est là une autre forme de solidarité qui s’est manifestée.

Les dynamiques de reprise et de sortie de crise sont encore soumises à différentes hypothèses, mais comment les appréhendez-vous ?

On n’est pas sereins parce qu’on est tout simplement dépendants. On ne maîtrise pas les choses et c’est très inconfortable. On est en bout de chaîne et on a finalement peu de visibilité sur la demande à moyen terme. Quand on compare l’activité de l’entreprise à n-1 ou n-2 on a toujours une récurrence de certains dossiers qui nous permet d’anticiper, mais ce n’est même pas le cas ici, tant tout est chamboulé. Si je me réfère aux produits que l’on fabrique dans un cadre « ordinaire » à cette période de l’année, on sait que beaucoup de secteurs que j’ai déjà cités – tourisme, événementiel, culture etc. – sont quasiment à l’arrêt. On vit sans garantie. Ce qui est étrange, c’est qu’on a tous les jours des opportunités, c’est-à-dire des demandes conclues en commandes dans les 24 ou 48 heures, ou à l’inverse des dossiers que l’on pense matures mais auxquels les clients apposent de nouvelles modifications ou conditions. Même si c’est encore marginal, le déconfinement semble également débloquer des dossiers devisés avant la crise sanitaire, chose que nous n’espérions parfois plus. A ce stade, nous vivons dans des montagnes russes : les jours se suivent et ne se ressemblent pas forcément. Je peux multiplier les hypothèses, mais la réalité du terrain m’indique plutôt que l’activité est encore très irrégulière et donc difficile à lire…

Il a fallu que chacun sorte de sa zone de confort et fasse appel à la polyvalence et à la multi-compétence des équipes en place.

Une de ces hypothèses établit justement une forte reprise à la rentrée, avec (entre autres) un possible embouteillage événementiel et donc une charge globale de travail importante pour les Industries Graphiques. Est-ce que c’est un scénario que vous anticipez ?

On ne demande que ça. On est prêts ne serait-ce qu’à renouer avec notre rythme de production d’avant-crise. Le souci qui est le nôtre aujourd’hui, c’est que depuis le lundi 11 mai, on est officiellement « déconfinés », mais toujours en sous-effectifs, parce que le travail n’est pas encore revenu. On est donc en attente de souches de volumétrie pour remettre tout le monde au travail. Pour ce qui serait de gérer une forte reprise d’ici septembre, nous en avons donc largement sous le pied… Pour illustrer concrètement la chose : un de nos clients réguliers est un fabricant de camping-cars qui expose dans un salon à Düsseldorf en Allemagne tout début septembre. C’est un client que nous avons depuis de nombreuses années, nous lui imprimons différentes gammes de catalogues, le tout en plusieurs langues : c’est vraiment un gros dossier qui nous occupe habituellement beaucoup pendant le mois d’août. Aujourd’hui, quand on gère nos équipes et qu’on attribue les congés d’été, période pendant laquelle nous ne fermons pas, nous n’avons plus d’éléments suffisants pour anticiper et nous organiser au mieux. Ce client ne sait effectivement pas comment il va communiquer, si le salon où il se rend est bel et bien maintenu : combien d’exemplaires, quelle pagination, combien de versions etc. On est vraiment dans une situation où les incertitudes uns génèrent les incertitudes des autres, donc les nôtres également.

Que changera durablement cette crise selon vous dans nos métiers ?

Je ne m’avancerai pas sur l’avenir de l’imprimé en général, mais à mes yeux, le rapport qu’on entretient les uns avec les autres va se transformer. On est en train de prendre des habitudes. Beaucoup des clients qui sont les nôtres avaient déjà mis en place des process de télétravail, mais le confinement a été un phénomène accélérateur pour tous les autres. On s’est aperçu que cette manière de communiquer avait ses avantages, les réunions via les outils collaboratifs vont se démocratiser, d’autant qu’ils permettent de gagner du temps. Pour moi c’est une certitude : on ne se rencontrera plus uniquement comme avant. Ça n’a évidemment pas que des avantages, mais je crois que nous n’aurons pas vraiment le choix : les habitudes qui ont été prises auront des conséquences pérennes et il faudra s’adapter, ce qui suppose de s’équiper d’outils de communication numériques pour assurer des réunions à distance par exemple.

L’UNIIC face au Covid-19

Pascal Bovéro, Délégué général de l’UNIIC, a été interrogé par le magazine “Caractère” sur la gestion collective de la crise sanitaire. Nous reproduisons ci-dessous l’entretien dans son intégralité, qui évoque à la fois les urgences auxquelles l’UNIIC a dû répondre, cellule de crise à l’appui, mais également à moyen et court termes, les plans de reprise actuellement en réflexion…

Quel a été l’impact de la crise sanitaire sur le secteur graphique ?

Le secteur des industries graphiques est pluriel et les modèles économiques de chaque marché ont tous leurs spécificités. De ce constat découle une exposition au “risque de sous-activité” bien différente et un chemin critique de réponse qui variera en fonctions de ces marchés. Les plus immédiatement impactés ont été ceux liés à l’événementiel, au tourisme, à la publicité, au périodique à moyenne volumétrie et au livre… Depuis le début du confinement, nous nous sommes trouvés confrontés à plusieurs catégories de situations :

– Des annulations de commandes des grandes enseignes ou des enseignes territoriales du fait notamment du recentrage sur les consommations essentielles ne nécessitant pas une « promotion » accélératrice de l’acte d’achat.
– Une concurrence évidente des canaux de choix et d’achat digitaux imposés par la restriction des sorties et le confinement.
– La notion de « force majeure » invoquée par des donneurs d’ordre pour se retirer de marchés actés pour lesquels les imprimeurs avaient acheté le papier notamment.
– Un effondrement du marché du livre lié à la littérature générale, à la suspension de l’office, à la fermeture des librairies notamment, le livre n’étant pas considéré comme produit essentiel.

Ces marchés ont donc été réduits en volume à la portion congrue, voire à l’effondrement intégral, à l’exception des périodiques IPG frappé par ailleurs par des problématiques structurelles concernant leur distribution… Ce tableau est bien sûr à nuancer en fonction des régions et en fonction de l’hybridité du tissu graphique qui comprend des cartonniers, des acteurs industriels de l’emballage et de l’étiquette, des professionnels de l’éditique moins ou pas impactés. De manière générale, compte tenu du panel que j’ai pu créer avec L’Insee, le Medef et France stratégie, nous nous trouvions le 25 avril à 40 % de l’activité d’un mois d’avril normal avec un taux d’occupation des salariés de 35 à 45 % évoluant vers une reprise progressive par étapes.

Comment l’UNIIC aide ses adhérents à traverser la crise sanitaire ?

Dès la confirmation du confinement, l’UNIIC a décidé de créer une cellule de crise pour gérer les demandes dans le domaine social (droit du travail et sécurité au travail), économique (avec des donneurs d’ordres et des fournisseurs) et financier (avec l’Etat et les établissements financiers avec lesquels nous sommes en partenariat d’intervention : société de caution mutuelle Banque de France et Bercy).
La cellule droit social a été construite de façon à traiter l’urgence, la veille d’information et les arbitrages pour rendre compatibles les dispositifs légaux avec la convention collective. Compte tenu de notre expertise et de l’urgence de la situation, nous avons accepté d’accompagner des non adhérents.
Le travail que nous faisons avec le service social comporte plusieurs étages :
– Le travail en amont sur les projets de textes qui me sont transmis pour avis par le Medef et la CPME.
– Les interpellations directes de l’UNIIC par ce canal pour sécuriser les interprétations de l’Etat sur la profusion de textes qui s’annulent (ordonnances, décrets, communiqués, déclaration des Ministres du travail et de l’économie, que l’UNIIC a la chance de pouvoir interpeller lors de visio-conférence)
– L’accompagnement conseil au quotidien relayé par notre lettre « Com’Uniic » qui fonctionne comme une chaîne d’information en continu.
Au-delà du social, nous nous positionnons sur le plan anti-crise de notre OPCO pour le décliner et favoriser pendant la crise la prise en compte et le développement de la formation à distance.

Quel regard portez-vous sur l’état de santé de la profession face au Covid-19 ?

Je ne souhaite pas avec l’UNIIC regarder dans le rétroviseur, le dernier Edito de notre revue reprenait un titre célèbre “réparer les vivants” et notre objectif tient en trois impératifs : sauvegarder, recapitaliser, relocaliser… Le travail que je mène avec la Banque de France a conduit à revisiter certains éléments de la cotation pour le code 1812Z, mais lorsque l’heure de la reprise aura sonné, il nous faudra recapitaliser les imprimeries afin qu’elles puissent faire face à des échéances lourdes. Pour cela, il nous faut utiliser plusieurs outils financiers que l’UNIIC a mis en place voici quelques années (haut de bilan et gestion du compte clients notamment). La question de l’exploitation est centrale – à quel moment et avec quels moyens ? – mais la question portant sur la vulnérabilité financière de TPE sous-capitalisées l’est sans doute au moins autant. Si dès à présent nous sommes à même de travailler sur indicateurs de reprise future par marchés, il nous faut de toute urgence, travailler à la recapitalisation des entreprises, en étroite relation avec les établissements financiers dédiés. Si ce travail de fond n’est pas réalisé, le rebond qui se profile ne trouvera pas l’assise financière des entreprises pour produire.

Le plan de reprise construit par l’UNIIC ne saurait faire l’impasse sur un appel à la responsabilité des donneurs d’ordre, des fournisseurs, du monde de la banque et surtout du monde de l’assurance-crédit, qui se doivent tous de participer à cet élan de filière en évitant à tout prix un crédit crunch qui anesthésierait – j’insiste – le rebond que nous sommes en train de construire dans chaque région. Les informations qui nous remontent sur des assureurs-crédit qui inviteraient leurs clients à restreindre les encours et imposer un paiement comptant de certains produits, nous conduisent à penser que comme en 2008 lors de la crise financière, grand est le risque de priver certaines entreprises du légitime rebond sécurisé dont l’ensemble de la filière a besoin. L’UNIIC est en état de veille par rapport à ces dérives pour construire avec tous le comité stratégique de filière dont nous avons identifié l’impérieuse nécessité, sauf à considérer que le choix priorisé par certains est de consacrer l’adage « mourons même si nous mourons tous guéris ».

Jugez vous les mesures de chômage partiel et de fond garanti par l’état suffisante ?

Il y aurait beaucoup à dire sur l’activité partielle (sept modifications en un mois), plusieurs changements d’interprétation sur le taux horaire de prise en charge, plusieurs intervention de l’UNIIC devant le Ministère du travail pour éclaircir le statut des cadres et le statut social et fiscal des compléments patronaux, pour maintenir les rémunérations, pour un plan de soutien de la Carpilig que porte l’UNIIC et les organisations de salariés etc. Quantitativement nous pourrons faire un point complet à l’issue de l’urgence sanitaire. Mais au vu des dossiers acceptés par les Direcctes, nous comptons à ce jour 880 dossiers acceptés (sur 3900 établissements) pour 12495 salariés concernés en chômage partiel. En revanche, en activité partielle alternant périodes de travail et périodes sans, le nombre de dossiers commence à s’étoffer au fur et à mesure de la « sortie de crise » les imprimeurs faisant partie de notre panel évoquant la possibilité d’un retour à 50 à 60 % de taux d’activité en mai.

Quelles autres mesurez demandez-vous à l’Etat  pour améliorer la situation des imprimeurs ?

Longue est la liste de nos axes exposés par deux fois au cabinet de Bruno Le Maire et aux conseillers industriels de l’Élysée :
– Prioriser les circuits courts y compris (et surtout) dans la commande publique en revisitant les règles qui interdisent le localisme.
– Changer le statut fiscal des imprimeurs aujourd’hui considérés comme des livreurs de biens meubles corporels et acquittant la TVA sur la facturation, alors qu’ils sont des prestataires de services qui devraient acquitter la TVA sur les encaissements.
– Renforcer de manière drastique la loi LME du 4 août 2008 sur les délais de paiement interentreprises.
– S’appuyer sur les organisations professionnelles comme l’UNIIC pour faciliter le recours massif au prêt garanti par l’Etat, d’autant plus nécessaire que les entreprises graphiques sont sous-capitalisées et ne pourront faire face à certaines échéances.
– Donner des consignes strictes aux organes de la procédure (commissaires au plan) lors de plans de continuation pour moratoriser les échéances, dont le respect est impossible dans la période actuelle pour les entreprises.
– Accélérer la régularisation BPI des créances liées au paiement de la fabrication des imprimés électoraux, par un dispositif du même type que celui qui a été initié au moment du CICE.
– Suspendre transitoirement certaines obligations découlant de la Loi sur l’économie circulaire, tant que l’étude d’impact (sur laquelle l’UNIIC est consultée) n’est pas finalisée.
– Considérer le secteur graphique, dont les caractéristiques de vulnérabilité sont connues, comme un secteur qui peut rebondir. A condition, au vu notamment de l’actualisation de l’étude Banque de France que nous avons présentée, que les moratoires sociaux (à l’exclusion du précompte) et fiscaux (à l’exclusion de la TVA) fassent l’objet d’un abandon de créances total ou partiel. Cette proposition a été présenté aux Ministres le 23 mars dernier.
– Donner des consignes aux assureurs crédits de la place pour qu’ils puissent revoir leur scoring pour celles des entreprises qui sont sur des modèles économiques viables, mais traversent des difficultés transitoires.
– Travailler avec les assureurs pour élargir la garantie pertes d’exploitation aux circonstances actuelles et futures.
– Cesser de diaboliser le média papier sous prétexte que le distanciel serait l’unique barrière protectrice dans les rapports économiques et humains.
– S’investir à nos côtés pour travailler dans les territoires, dans le cadre des « UNIIC Tour » de la reprise, que nous organisons dans les régions avec les donneurs d’ordre, les fournisseurs et les experts qui nous aident à construire le jour d’après.

Covid-19 : la boucle de recyclage mise à mal ?

Nous avons déjà largement évoqué les effets de la crise sanitaire sur les ventes de journaux, en baisse très sensible à mesure que le confinement se prolonge. A ces ventes en berne, il faut ajouter en pareilles circonstances d’inévitables failles dans la collecte sélective des déchets et donc, des difficultés à maintenir la boucle de recyclage du papier…

La crise du Covid-19 n’épargne personne, l’Express appelant notamment au travers d’une communication prenant les traits d’une bande dessinée à soutenir le secteur de la Presse, en insistant notamment sur la nécessité d’alimenter la chaîne du recyclage… Un message cependant difficilement audible si, dans le même temps, ce sont les structures mêmes de la collecte et du tri des déchets qui font défaut. Or, si la collecte des déchets des ménages est globalement assurée, le tri sélectif n’est quant à lui hélas plus systématique, au gré d’une part des décisions au cas par cas des collectivités territoriales, toutes n’étant pas en capacité d’assurer la sécurité sanitaire des équipes travaillant sur les lignes de triage. Et au gré, d’autres part, des débouchés possibles, puisque tous les centres de tri du territoire ne sont pas en capacité actuellement de fonctionner. Dans une note mise à jour chaque semaine, Citeo dresse ainsi un état des lieux qui évalue à ce jour à « 67 % la capacité des centres de tri en France ». Cette estimation globale n’est toutefois pas sans souligner des disparités géographiques plus ou moins nettes : la situation en Île-de-France est notamment jugée plus sévère, avec un taux de fermeture des centres de tri très au-dessus de la moyenne nationale.

Par ailleurs, la baisse d’activité chez les imprimeurs a logiquement vu s’amoindrir le volume de matière destinée – via les chutes de production – à alimenter le circuit de récupération professionnel. La situation actuelle, qui fait peser un risque de pénurie de PCR (papiers cartons récupérés) en France s’avère d’autant plus exceptionnelle qu’elle a marqué un renversement profond : il y a en effet encore quelques semaines, les centres de tri – privés de débouchés à l’export suite à la décision de la Chine de ne plus accepter de PCR en provenance d’Europe – débordaient, occasionnant un inquiétant sur-stockage. Federec s’était notamment chargé d’adresser, dès juillet 2019, un courrier à Cédric Bourillet, directeur général de la Prévention des risques au Ministère de la Transition écologique et solidaire. L’objectif : obtenir des autorisations de dépassement temporaire des seuils autorisés dans les centres de tri, la faute à un marché saturé.
Aujourd’hui, il faut au contraire veiller à l’alimentation suffisante de la « chaîne du recyclage », laquelle permet notamment de participer à la la fabrication de biens essentiels tels que les emballages ou les produits d’hygiène. Étonnant revirement (le marché asiatique aurait-il rouvert ses portes ?) dont il faut espérer qu’il léguera à terme des équilibres plus stables…

Soutien exceptionnel aux Industries Graphiques : LOURMEL fait le choix de la solidarité

Face à une situation exceptionnelle, le Groupe Lourmel affiche un soutien exceptionnel et mobilise 7 millions d’euros pour soutenir les salariés et les entreprises de la branche.
Les industries graphiques, durement impactées par l’effondrement des commandes, ont eu recours massivement au dispositif d’activité partielle. Le télétravail n’étant adapté qu’aux fonctions supports, nombre de salariés de la branche se retrouvent placés en suspension de contrat de travail, percevant un revenu de remplacement.
Or, cette indemnisation n’étant pas assujettie aux cotisations sociales, elle n’entraîne de fait aucune obligation de garantir la couverture conventionnelle des salariés en cette période pourtant délicate.
Une contradiction face à laquelle notre outil de prévoyance responsable pour les entreprises du secteur et leurs collaborateurs a décidé de réagir.
Le Groupe Lourmel a opté, avec l’UNIIC qui en assure la présidence et les administrateurs salariés, pour la solidarité et le retournement : préparer « le jour d’après » en maintenant les droits des salariés sans que les cotisations sociales soient pour autant prélevées.
Gageons que les entreprises relevant de notre champ d’activité sauront, lorsque la reprise sera au rendez-vous, se souvenir, comme le rappelle l’UNIIC dès que l’occasion lui en est donnée, que nous devons prioriser l’approche solidaire plutôt que solitaire…
Agir ensemble pour mieux vous protéger, pour mieux nous protéger !