Source: Stratégies : packaging et environnement
“Un de mes clients dans la charcuterie m’a demandé d’augmenter de 20 % la taille de son packaging. Ses deux concurrents l’ont fait et il n’est pas en position d’influencer le marché. Pour des raisons de visibilité, il doit avoir un packaging plus grand.” Ce témoignage d’un dirigeant d’agence de design est révélateur du marché actuel de la grande consommation. Visibilité, praticité, nomadisme, éclatement des foyers : ces phénomènes économiques ou sociologiques déterminent la forme des emballages achetés tous les jours. Les consommateurs ne veulent plus doser leur liquide de lave-vaisselle ? On a vu apparaître des tablettes emballées dans leur papier comme des bonbons. Les gens voyagent, pour leur travail ou leurs loisirs ? Les barquettes individuelles se multiplient.
De leur côté, les industriels sont soumis à la loi de la concurrence : toutes les marques de céréales alignent sur les linéaires leurs boîtes géantes remplies… d’un tiers de vide. Et les habitudes ne sont pas faciles à changer. Il y a quelques années, Kellogg’s a tenté de lancer une boîte plus petite contenant la même quantité de céréales. Le consommateur, déstabilisé, a eu peur d’acquérir moins de produit pour le même prix et l’initiative s’est soldée par un échec.
Pourtant, une autre réalité s’impose à la société : l’augmentation régulière du poids et du volume des déchets ménagers. De 220 kg par personne et par an en 1960, ils sont passés à 450 kg en 1998, avec tous les problèmes de gestion que cela entraîne. Sans être un écologiste à gros chandail, il faut aussi se rendre à l’évidence de l’épuisement – d’ici à soixante-dix ans selon les scénarios les plus optimistes – des ressources en pétrole, matière de base du plastique.
Réduction des emballages à la source, développement d’emballages biodégradables ou compostables, tri, recyclage, incinération : les solutions sont multiples et les agences de packaging ne peuvent pas être absentes de ce débat. Régulièrement, pour dénoncer le suremballage, les associations de défense de l’environnement investissent les hypermarchés et remplissent les chariots d’emballages inutiles. Ces opérations coups de poing pourraient-elles devenir pour les agences de design ce que les commandos antipub ont été pour les agences de publicité ?
Pas une priorité d’achat
“Nous ne pouvons rester insensibles quand nous voyons le packaging d’un de nos clients traîner dans la forêt”, témoigne Sylvia Vitale-Rotta, directrice générale de l’agence Team créatif, spécialisée dans l’alimentaire. Avant de reconnaître que la fin de vie du packaging est rarement prise en compte dans les commandes des annonceurs. Pour la plupart, les professionnels se réfugient encore derrière la demande des consommateurs pour justifier leur frilosité sur le sujet. “Les ” blisters “, les ” sleevers “, les “doypacks” : tous ces emballages souples à base de plastique sont à la mode car le consommateur veut des packagings transparents qui laissent voir le produit”, affirme Simon Bouanich, PDG de l’agence Pulp, filiale d’Havas. Chez Paris Venise Design, Stéphane Ricou, président et cofondateur de l’agence, est fataliste : “La dimension écologique n’est pas prioritaire dans l’acte d’achat. Le consommateur se détermine d’abord par rapport à ses envies, puis par rapport au prix.”
Recycler davantage
D’autres agences sont plus avancées dans leur réflexion. Dans toutes les conférences auxquelles il participe, Fabrice Peltier, président de P’Référence, se fait le chantre du cycle de vie du packaging, de la conception jusqu’au bac à ordures. Pas facile pour un designer d’admettre que sa création va finir en déchet, mais c’est pourtant son destin. Avec son client Système U, P’Référence a mis en place un langage graphique, au dos des emballages, qui conseille le consommateur sur le tri sélectif. En septembre prochain sortira un packaging conçu par l’agence pour la gamme de café Philtre d’or Carat de Segafredo, qui permettra de dissocier l’aluminium du carton en vue du recyclage. Recycler plutôt que réduire la quantité de matière à la source, cela ne va pas dans le sens d’une diminution de la poubelle des ménages. Mais, pour Fabrice Peltier, “nous ne pouvons pas revenir en arrière. Les acheteurs veulent des produits pratiques, tout prêts, à portée de main. Mieux vaut éduquer au recyclage qu’essayer de changer les habitudes.”
Concilier modes de vie actuels et préoccupations environnementales, c’est aussi la mission de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Cet organisme public conseille les collectivités locales, les entreprises et les particuliers sur les économies d’énergie et la réduction des déchets, sans passer en force. Ses analyses bousculent souvent les idées reçues. Par exemple, l’argument de visibilité invoqué par les industriels pour justifier la taille de leurs packagings est démenti dans le secteur des téléphones portables, où l’emballage représente vingt-cinq fois le volume de son contenu, alors qu’il est rarement mis en avant dans les points de vente. Or qui dit vingt-cinq fois plus de volume dit vingt-cinq fois plus de camions pour les transporter et donc un coût supplémentaire pour l’entreprise. Le sac de caisse biodégradable, soit disant écologique car il préserve la faune marine, n’a aucune valeur éducative car il déculpabilise l’utilisateur qui le jette dans la nature. Mieux vaut développer les cabas réutilisables. En revanche, la lessive en tablettes, malgré son suremballage, a un meilleur bilan écologique que le baril classique car elle évite le surdosage, source de pollution des rivières. Idem pour les engrais en dosettes.
“Plus que le recyclage, c’est la notion de valorisation qui est importante”, souligne Nadia Boeglin, responsable du département éco-conception et consommation durable à l’Ademe. “Le baril de lessive est recyclable alors que l’écorecharge ne l’est pas, mais l’écorecharge consomme moins de matière et d’énergie en production et en distribution, donc son bilan écologique est meilleur au final… à condition qu’elle ne dégage pas de substances polluantes à l’incinération, ce qui est heureusement le cas. Il ne faut pas tout focaliser sur la fin de vie d’un emballage et oublier le bilan écologique de la production.” Au hit-parade des produits à la mode mais aberrants d’un point de vue écologique, exposés au siège parisien de l’Ademe : le pot de yaourt en terre cuite, qui n’est valorisable qu’en pot à crayons, la lingette pour plante verte, les cosmétiques en monodoses. Du côté des bons élèves : les écorecharges d’Yves Rocher, le tournevis sans emballage de Castorama, où le prix est directement imprimé sur le manche (se pose alors le problème de la sécurité), les balles de squash de Décathlon, à l’ancien emballage plastique remplacé par du carton, etc.
Un argument d’image
Sur un sujet pour lequel il n’existe pas de solution toute trouvée, l’éducation s’avère primordiale. Celle des industriels d’abord, qui se lancent parfois dans la thématique écologique sans discernement. Tristan Hirsinger, responsable de Materio, une bibliothèque de matériaux destinée aux fabricants, architectes ou designers, le constate tous les jours : “Je reçois constamment des demandes concernant les matières écologiques. Mais cette notion est dangereuse. Il n’y a pas de bons et de mauvais matériaux, tout dépend de leur utilisation. Prenez la mousse de papier, qui peut remplacer le polystyrène expansé. Elle est entièrement recyclable – encore faut-il que la filière de recyclage existe. Par ailleurs, elle est biodégradable, avec le risque que l’utilisateur la jette dans la nature.”
Les entreprises peuvent réduire la quantité de matière pour des raisons d’économie, ce qui est déjà mieux que rien. Une grande marque de cognac a ainsi demandé à son agence de redessiner sa bouteille pour utiliser moins de verre, et de passer de huit à quatre couleurs sur son étiquette pour économiser de l’encre. Mais ce type d’initiative est rarement répercutée sur le prix que paie le consommateur et n’a aucune valeur pédagogique. La seule vraie réponse serait un engagement global des marques concurrentes, comme pour les baisses de prix dans la distribution. “Pour qu’une prise de conscience collective s’opère, c’est aux marques leaders d’ouvrir les festivités, suggère Jean-Baptiste Vouters, directeur général de l’agence Graphèmes. Imaginez un spot Kellogg’s qui dirait : “Moins d’emballage, c’est moins de déchets, moins de pollution due à leur fabrication, moins de camions sur les routes. Kellogg’s a décidé de réduire la taille de toutes ses boîtes avec autant de produit dedans. Le même produit, la même quantité, un geste de plus pour notre environnement.” En six mois, tous leurs concurrents qui continueraient à utiliser des boîtes immenses seraient sans doute écologiquement incorrects aux yeux des clients.” Pour Sylvia Vitale-Rotta, de Team créatif, “Evian a eu une démarche de leader quand il a communiqué sur la bouteille compactable. Cela a marqué l’esprit des consommateurs.”
L’éducation du grand public est en effet urgente. D’après une enquête réalisée en 2004 par l’association Consommation, logement et cadre de vie, seulement 16 % des personnes interrogées connaissent la signification du point vert figurant sur la plupart des emballages. Ce sigle renvoie à la taxe payée par les industriels depuis 1992 pour financer les actions de recyclage gérées par les collectivités locales dans le cadre du programme Éco-Emballages. En moyenne, la contribution à Éco-Emballages est de 0,7 centime d’euro par emballage. Elle ne garantit en rien que le produit en question soit recyclé ni même recyclable. L’emballage Tetra Pack, très à la mode actuellement, peut ainsi être transformé en bois aggloméré, mais la filière de retraitement n’est pas encore généralisée. Une bonne campagne grand public ne serait pas de trop pour clarifier les choses. L’Ademe prépare justement une communication sur la réduction des déchets. Et les pouvoirs publics ont leur rôle à jouer pour fournir des poubelles de tri en nombre suffisant.
Et si chacun, à son niveau, avait une responsabilité ? À l’initiative de son département design 3D, l’agence Landor s’est lancée dans la traque au gaspillage. Elle transforme les sorties d’imprimantes ratées en bloc-notes, réserve des corbeilles au papier, affiche en écran de veille des conseils pour le week-end : éteindre son ordinateur, sa lampe, le radiateur, etc. Un petit pas pour l’entreprise, un pas de géant vers une prise de conscience globale.