L’UNIIC face au Covid-19

Pascal Bovéro, Délégué général de l’UNIIC, a été interrogé par le magazine “Caractère” sur la gestion collective de la crise sanitaire. Nous reproduisons ci-dessous l’entretien dans son intégralité, qui évoque à la fois les urgences auxquelles l’UNIIC a dû répondre, cellule de crise à l’appui, mais également à moyen et court termes, les plans de reprise actuellement en réflexion…

Quel a été l’impact de la crise sanitaire sur le secteur graphique ?

Le secteur des industries graphiques est pluriel et les modèles économiques de chaque marché ont tous leurs spécificités. De ce constat découle une exposition au “risque de sous-activité” bien différente et un chemin critique de réponse qui variera en fonctions de ces marchés. Les plus immédiatement impactés ont été ceux liés à l’événementiel, au tourisme, à la publicité, au périodique à moyenne volumétrie et au livre… Depuis le début du confinement, nous nous sommes trouvés confrontés à plusieurs catégories de situations :

– Des annulations de commandes des grandes enseignes ou des enseignes territoriales du fait notamment du recentrage sur les consommations essentielles ne nécessitant pas une « promotion » accélératrice de l’acte d’achat.
– Une concurrence évidente des canaux de choix et d’achat digitaux imposés par la restriction des sorties et le confinement.
– La notion de « force majeure » invoquée par des donneurs d’ordre pour se retirer de marchés actés pour lesquels les imprimeurs avaient acheté le papier notamment.
– Un effondrement du marché du livre lié à la littérature générale, à la suspension de l’office, à la fermeture des librairies notamment, le livre n’étant pas considéré comme produit essentiel.

Ces marchés ont donc été réduits en volume à la portion congrue, voire à l’effondrement intégral, à l’exception des périodiques IPG frappé par ailleurs par des problématiques structurelles concernant leur distribution… Ce tableau est bien sûr à nuancer en fonction des régions et en fonction de l’hybridité du tissu graphique qui comprend des cartonniers, des acteurs industriels de l’emballage et de l’étiquette, des professionnels de l’éditique moins ou pas impactés. De manière générale, compte tenu du panel que j’ai pu créer avec L’Insee, le Medef et France stratégie, nous nous trouvions le 25 avril à 40 % de l’activité d’un mois d’avril normal avec un taux d’occupation des salariés de 35 à 45 % évoluant vers une reprise progressive par étapes.

Comment l’UNIIC aide ses adhérents à traverser la crise sanitaire ?

Dès la confirmation du confinement, l’UNIIC a décidé de créer une cellule de crise pour gérer les demandes dans le domaine social (droit du travail et sécurité au travail), économique (avec des donneurs d’ordres et des fournisseurs) et financier (avec l’Etat et les établissements financiers avec lesquels nous sommes en partenariat d’intervention : société de caution mutuelle Banque de France et Bercy).
La cellule droit social a été construite de façon à traiter l’urgence, la veille d’information et les arbitrages pour rendre compatibles les dispositifs légaux avec la convention collective. Compte tenu de notre expertise et de l’urgence de la situation, nous avons accepté d’accompagner des non adhérents.
Le travail que nous faisons avec le service social comporte plusieurs étages :
– Le travail en amont sur les projets de textes qui me sont transmis pour avis par le Medef et la CPME.
– Les interpellations directes de l’UNIIC par ce canal pour sécuriser les interprétations de l’Etat sur la profusion de textes qui s’annulent (ordonnances, décrets, communiqués, déclaration des Ministres du travail et de l’économie, que l’UNIIC a la chance de pouvoir interpeller lors de visio-conférence)
– L’accompagnement conseil au quotidien relayé par notre lettre « Com’Uniic » qui fonctionne comme une chaîne d’information en continu.
Au-delà du social, nous nous positionnons sur le plan anti-crise de notre OPCO pour le décliner et favoriser pendant la crise la prise en compte et le développement de la formation à distance.

Quel regard portez-vous sur l’état de santé de la profession face au Covid-19 ?

Je ne souhaite pas avec l’UNIIC regarder dans le rétroviseur, le dernier Edito de notre revue reprenait un titre célèbre “réparer les vivants” et notre objectif tient en trois impératifs : sauvegarder, recapitaliser, relocaliser… Le travail que je mène avec la Banque de France a conduit à revisiter certains éléments de la cotation pour le code 1812Z, mais lorsque l’heure de la reprise aura sonné, il nous faudra recapitaliser les imprimeries afin qu’elles puissent faire face à des échéances lourdes. Pour cela, il nous faut utiliser plusieurs outils financiers que l’UNIIC a mis en place voici quelques années (haut de bilan et gestion du compte clients notamment). La question de l’exploitation est centrale – à quel moment et avec quels moyens ? – mais la question portant sur la vulnérabilité financière de TPE sous-capitalisées l’est sans doute au moins autant. Si dès à présent nous sommes à même de travailler sur indicateurs de reprise future par marchés, il nous faut de toute urgence, travailler à la recapitalisation des entreprises, en étroite relation avec les établissements financiers dédiés. Si ce travail de fond n’est pas réalisé, le rebond qui se profile ne trouvera pas l’assise financière des entreprises pour produire.

Le plan de reprise construit par l’UNIIC ne saurait faire l’impasse sur un appel à la responsabilité des donneurs d’ordre, des fournisseurs, du monde de la banque et surtout du monde de l’assurance-crédit, qui se doivent tous de participer à cet élan de filière en évitant à tout prix un crédit crunch qui anesthésierait – j’insiste – le rebond que nous sommes en train de construire dans chaque région. Les informations qui nous remontent sur des assureurs-crédit qui inviteraient leurs clients à restreindre les encours et imposer un paiement comptant de certains produits, nous conduisent à penser que comme en 2008 lors de la crise financière, grand est le risque de priver certaines entreprises du légitime rebond sécurisé dont l’ensemble de la filière a besoin. L’UNIIC est en état de veille par rapport à ces dérives pour construire avec tous le comité stratégique de filière dont nous avons identifié l’impérieuse nécessité, sauf à considérer que le choix priorisé par certains est de consacrer l’adage « mourons même si nous mourons tous guéris ».

Jugez vous les mesures de chômage partiel et de fond garanti par l’état suffisante ?

Il y aurait beaucoup à dire sur l’activité partielle (sept modifications en un mois), plusieurs changements d’interprétation sur le taux horaire de prise en charge, plusieurs intervention de l’UNIIC devant le Ministère du travail pour éclaircir le statut des cadres et le statut social et fiscal des compléments patronaux, pour maintenir les rémunérations, pour un plan de soutien de la Carpilig que porte l’UNIIC et les organisations de salariés etc. Quantitativement nous pourrons faire un point complet à l’issue de l’urgence sanitaire. Mais au vu des dossiers acceptés par les Direcctes, nous comptons à ce jour 880 dossiers acceptés (sur 3900 établissements) pour 12495 salariés concernés en chômage partiel. En revanche, en activité partielle alternant périodes de travail et périodes sans, le nombre de dossiers commence à s’étoffer au fur et à mesure de la « sortie de crise » les imprimeurs faisant partie de notre panel évoquant la possibilité d’un retour à 50 à 60 % de taux d’activité en mai.

Quelles autres mesurez demandez-vous à l’Etat  pour améliorer la situation des imprimeurs ?

Longue est la liste de nos axes exposés par deux fois au cabinet de Bruno Le Maire et aux conseillers industriels de l’Élysée :
– Prioriser les circuits courts y compris (et surtout) dans la commande publique en revisitant les règles qui interdisent le localisme.
– Changer le statut fiscal des imprimeurs aujourd’hui considérés comme des livreurs de biens meubles corporels et acquittant la TVA sur la facturation, alors qu’ils sont des prestataires de services qui devraient acquitter la TVA sur les encaissements.
– Renforcer de manière drastique la loi LME du 4 août 2008 sur les délais de paiement interentreprises.
– S’appuyer sur les organisations professionnelles comme l’UNIIC pour faciliter le recours massif au prêt garanti par l’Etat, d’autant plus nécessaire que les entreprises graphiques sont sous-capitalisées et ne pourront faire face à certaines échéances.
– Donner des consignes strictes aux organes de la procédure (commissaires au plan) lors de plans de continuation pour moratoriser les échéances, dont le respect est impossible dans la période actuelle pour les entreprises.
– Accélérer la régularisation BPI des créances liées au paiement de la fabrication des imprimés électoraux, par un dispositif du même type que celui qui a été initié au moment du CICE.
– Suspendre transitoirement certaines obligations découlant de la Loi sur l’économie circulaire, tant que l’étude d’impact (sur laquelle l’UNIIC est consultée) n’est pas finalisée.
– Considérer le secteur graphique, dont les caractéristiques de vulnérabilité sont connues, comme un secteur qui peut rebondir. A condition, au vu notamment de l’actualisation de l’étude Banque de France que nous avons présentée, que les moratoires sociaux (à l’exclusion du précompte) et fiscaux (à l’exclusion de la TVA) fassent l’objet d’un abandon de créances total ou partiel. Cette proposition a été présenté aux Ministres le 23 mars dernier.
– Donner des consignes aux assureurs crédits de la place pour qu’ils puissent revoir leur scoring pour celles des entreprises qui sont sur des modèles économiques viables, mais traversent des difficultés transitoires.
– Travailler avec les assureurs pour élargir la garantie pertes d’exploitation aux circonstances actuelles et futures.
– Cesser de diaboliser le média papier sous prétexte que le distanciel serait l’unique barrière protectrice dans les rapports économiques et humains.
– S’investir à nos côtés pour travailler dans les territoires, dans le cadre des « UNIIC Tour » de la reprise, que nous organisons dans les régions avec les donneurs d’ordre, les fournisseurs et les experts qui nous aident à construire le jour d’après.

Presstalis : un dépôt de bilan et des urgences qui se précisent

Nouvelle étape dans le dossier Presstalis : la société a été déclarée en cessation de paiement ce lundi 20 avril. Une audience d’ouverture relative au jugement de la procédure collective devrait se tenir ce vendredi 24 mai, sauf à ce qu’un possible report la décale courant mai. Ce sont plus de 900 salariés qui sont concernés, dans ce qui s’annonce être une restructuration douloureuse… Si la procédure est « sans conséquence immédiate » sur ses activités, toujours assurées selon son PDG Cédric Dugardin (comprendre : aucune interruption de l’acheminement des journaux et magazines vers les points de vente n’est à craindre, à ce stade), l’urgence de convenir d’un plan de continuité ébranle toute la filière. Deux plans s’affrontent en effet :

– Un plan porté par Presstalis et les journaux quotidiens (réunis au sein d’une Coopérative de la Distribution des Quotidiens), pour constituer une structure de distribution unique basée sur la mutualisation des flux, notamment financiers.

– Un plan porté par les Messageries Lyonnaises de Presse (constituant avec avec les éditeurs de Presse magazine une Coopérative de Distribution des Magazines), scindant les activités liées d’une part à la distribution des quotidiens, et d’autres part la distribution des magazines. Il s’agirait plus concrètement ici de rompre les liens capitalistiques entre journaux et magazines.

Ces deux plans, rejetés l’un et l’autre par la SGLCE CGT, font toujours l’objet de tractations tendues, à mesure que l’urgence se précise. Ainsi le dépôt de bilan de Presstalis est-il vu par Cédric Dugardin comme « un accélérateur de négociations », alors que les pertes qui lui sont liées sont évaluées à 120 millions d’euros. Un plan de financement défendu par Hélène Bourbouloux, conciliatrice, s’appuie sur la possibilité d’engager les pouvoir publics pour couvrir 83 % desdites pertes (soit 100 millions d’euros sur 120) sous la forme de subventions et de prêts à 6 ans, contre la promesse des éditeurs de soutenir massivement le schéma industriel qui sera finalement retenu… Un pari osé, dans la mesure où le schéma en question n’est donc pas encore arrêté. Sans prendre explicitement parti, Hélène Bourbouloux précise toutefois que « l’existence d’un opérateur unique aurait tout son sens », à condition d’étaler son évolution dans le temps, le rapprochement quotidiens/magazines pouvant être construit « à un horizon plus lointain » du plan global de continuation et de restructuration.

MISE A JOUR [24/04/20] : Comme nous vous le laissions entendre ci-dessus, Presstalis a obtenu un report de l’audience d’ouverture de la procédure collective au 12 mai prochain. Ce temps supplémentaire devrait être mis à profit pour convenir d’une solution commune de sortie de crise alors que par ailleurs, La Correspondance de la Presse confirme que le versement aux quelques 18 000 diffuseurs spécialistes de leur commission complémentaire, de 16,2 millions d’euros, sera bel et bien assuré. Ces versements seraient adressés par Presstalis les 29 et 30 avril prochains.

Covid-19 : la boucle de recyclage mise à mal ?

Nous avons déjà largement évoqué les effets de la crise sanitaire sur les ventes de journaux, en baisse très sensible à mesure que le confinement se prolonge. A ces ventes en berne, il faut ajouter en pareilles circonstances d’inévitables failles dans la collecte sélective des déchets et donc, des difficultés à maintenir la boucle de recyclage du papier…

La crise du Covid-19 n’épargne personne, l’Express appelant notamment au travers d’une communication prenant les traits d’une bande dessinée à soutenir le secteur de la Presse, en insistant notamment sur la nécessité d’alimenter la chaîne du recyclage… Un message cependant difficilement audible si, dans le même temps, ce sont les structures mêmes de la collecte et du tri des déchets qui font défaut. Or, si la collecte des déchets des ménages est globalement assurée, le tri sélectif n’est quant à lui hélas plus systématique, au gré d’une part des décisions au cas par cas des collectivités territoriales, toutes n’étant pas en capacité d’assurer la sécurité sanitaire des équipes travaillant sur les lignes de triage. Et au gré, d’autres part, des débouchés possibles, puisque tous les centres de tri du territoire ne sont pas en capacité actuellement de fonctionner. Dans une note mise à jour chaque semaine, Citeo dresse ainsi un état des lieux qui évalue à ce jour à « 67 % la capacité des centres de tri en France ». Cette estimation globale n’est toutefois pas sans souligner des disparités géographiques plus ou moins nettes : la situation en Île-de-France est notamment jugée plus sévère, avec un taux de fermeture des centres de tri très au-dessus de la moyenne nationale.

Par ailleurs, la baisse d’activité chez les imprimeurs a logiquement vu s’amoindrir le volume de matière destinée – via les chutes de production – à alimenter le circuit de récupération professionnel. La situation actuelle, qui fait peser un risque de pénurie de PCR (papiers cartons récupérés) en France s’avère d’autant plus exceptionnelle qu’elle a marqué un renversement profond : il y a en effet encore quelques semaines, les centres de tri – privés de débouchés à l’export suite à la décision de la Chine de ne plus accepter de PCR en provenance d’Europe – débordaient, occasionnant un inquiétant sur-stockage. Federec s’était notamment chargé d’adresser, dès juillet 2019, un courrier à Cédric Bourillet, directeur général de la Prévention des risques au Ministère de la Transition écologique et solidaire. L’objectif : obtenir des autorisations de dépassement temporaire des seuils autorisés dans les centres de tri, la faute à un marché saturé.
Aujourd’hui, il faut au contraire veiller à l’alimentation suffisante de la « chaîne du recyclage », laquelle permet notamment de participer à la la fabrication de biens essentiels tels que les emballages ou les produits d’hygiène. Étonnant revirement (le marché asiatique aurait-il rouvert ses portes ?) dont il faut espérer qu’il léguera à terme des équilibres plus stables…

Soutien exceptionnel aux Industries Graphiques : LOURMEL fait le choix de la solidarité

Face à une situation exceptionnelle, le Groupe Lourmel affiche un soutien exceptionnel et mobilise 7 millions d’euros pour soutenir les salariés et les entreprises de la branche.
Les industries graphiques, durement impactées par l’effondrement des commandes, ont eu recours massivement au dispositif d’activité partielle. Le télétravail n’étant adapté qu’aux fonctions supports, nombre de salariés de la branche se retrouvent placés en suspension de contrat de travail, percevant un revenu de remplacement.
Or, cette indemnisation n’étant pas assujettie aux cotisations sociales, elle n’entraîne de fait aucune obligation de garantir la couverture conventionnelle des salariés en cette période pourtant délicate.
Une contradiction face à laquelle notre outil de prévoyance responsable pour les entreprises du secteur et leurs collaborateurs a décidé de réagir.
Le Groupe Lourmel a opté, avec l’UNIIC qui en assure la présidence et les administrateurs salariés, pour la solidarité et le retournement : préparer « le jour d’après » en maintenant les droits des salariés sans que les cotisations sociales soient pour autant prélevées.
Gageons que les entreprises relevant de notre champ d’activité sauront, lorsque la reprise sera au rendez-vous, se souvenir, comme le rappelle l’UNIIC dès que l’occasion lui en est donnée, que nous devons prioriser l’approche solidaire plutôt que solitaire…
Agir ensemble pour mieux vous protéger, pour mieux nous protéger !