L’enfer numérique est encore devant nous

Culture Papier recevait Guillaume Pitron, journaliste et auteur notamment de « La guerre des métaux rares, la face cachée de la transition énergétique et numérique » en 2018, puis de « L’enfer numérique : voyage au bout d’un like » en 2021, aux éditions Les liens qui libèrent. Retour sur un échange aussi passionnant que glaçant, tant l’hégémonie numérique porte des externalités négatives croissantes (c’est un euphémisme), qu’il semble extrêmement difficile – sinon de défaire – seulement de contenir.

 

Il le reconnaît volontiers : s’il n’avait pas acquiescé aux desideratas de son éditeur, le dernier ouvrage signé Guillaume Pitron n’aurait gardé que son sous-titre pour s’intituler plus volontiers « Voyage au bout d’un like ». A la fois parce que la formule lui semblait plus fidèle à l’esprit du livre et surtout parce que loin d’être un technophobe patenté, Guillaume Pitron refuse d’être vu comme l’anti-numérique qu’il n’est pas. Car il s’agit bien de décrypter la machinerie numérique pour en comprendre chaque rouage et, dit-il, « développer une perception sensorielle d’Internet ». C’est-à-dire donner à voir la matérialité de ce qui est supposément immatériel, dans des proportions à ce point vertigineuses qu’elles ramènent à un constat implacable : sauf à imposer des garde-fous d’urgence, l’enfer numérique est bel et bien devant nous.

Personne n‘envoie une lettre papier pour dire à un ami ‘j’arrive’. On ne remplace pas une lettre par un email, mais par des centaines d’emails. Il s’envoie 163 milliards de mails par jour, l’effet rebond c’est ça.

« Plus c’est petit, plus c’est gros »

« Nous allons consommer plus de métaux ces 3 prochaines années qu’en cumul depuis 70 000 ans. Et il faut se figurer qu’en 2060, le niveau global de consommation de ressources sur la planète aura été multiplié par 2,5 par rapport à 2011 » assène Guillaume Pitron, désireux de démontrer combien « l’infrastructure numérique est en passe de devenir la plus grande infrastructure jamais constituée par l’être humain ». Rien de moins, sans qu’il ne soit même seulement concevable que pareille prophétie n’advienne pas. Car le terme ‘infrastructure’ n’est pas choisi au hasard : si un smartphone contient déjà une cinquantaine de métaux rares, il n’est rien sans l’immense écosystème qui lui permet d’être continument connecté, sans la masse exponentielle de données hébergées dans des data centers, sans les centrales électriques spécifiquement dédiées à ces serveurs ou encore sans les câbles qui font transiter la bande-passante au travers des mers (99 % du trafic Internet passe en effet par des câbles, très marginalement via des satellites). De sorte que nous sommes évidemment loin des contenus prétendument « dématérialisés » qui voyageraient de façon fluide par terminaux numériques interposés, avec des appellations marketing flatteuses tels que le « cloud », qui porte en réalité très mal son nom. « On estime, selon le concept du sac à dos écologique, qu’en moyenne un objet manufacturé – comme une tasse par exemple – pèse 40 fois son poids, au vu des ressources, directes et indirectes, qu’il a fallu mobiliser. Le smartphone a un des ratios les plus élevés au monde : c’est comme s’il pesait 1200 fois son poids » illustre Guillaume Pitron, insistant sur l’extraordinaire complexité d’une technologique pourtant ultra-compacte. « Les puces électroniques sont un peu l’emblème de cette matérialité cachée. C’est quelque chose de minuscule, qui aura nécessité l’apport de nombreux sous-traitants et engagé énormément de matières dans le processus de fabrication. Une puce pèse ainsi en moyenne 16 000 fois son poids, c’est le ratio le plus élevé jamais mesuré. Qu’est-ce que ça veut dire ? Que souvent, avec le numérique, plus c’est petit, plus c’est gros ».

L’obsession des acteurs du numérique aujourd’hui, c’est la continuité de service. L’enfer du numérique vient précisément se nicher ici. Parce qu’on ne peut pas arrêter Internet, jamais.

Continuité et redondances : les traits de l’enfer numérique

Bien que connu et largement documenté, « l’effet rebond » peine encore à intégrer les réflexions et autres calculs d’impacts dès qu’il s’agit de s’appuyer sur des comparatifs. « Le Figaro m’avait interrogé l’été dernier en me demandant s’il valait mieux envoyer une lettre ou un email. Je leur ai répondu que la question était passionnante mais surtout très mal posée. Bien sûr qu’à première vue, il vaut mieux envoyer un email. Mais personne n‘envoie une lettre papier pour dire à un ami ‘j’arrive’. On ne remplace pas une lettre par un email, mais par des centaines d’emails. Il s’envoie 163 milliards de mails par jour, l’effet rebond c’est ça » illustre Guillaume Pitron pour rappeler une évidence qui pourtant, instinctivement, s’impose rarement comme telle. Mais là n’est pas l’entier du problème que nous pose la mesure des impacts numériques, tant nous sommes désormais massivement incapables de tolérer une panne ou des déconnexions intempestives. « L’obsession des acteurs du numérique aujourd’hui, c’est la continuité de service. L’enfer du numérique vient précisément se nicher ici. Parce qu’on ne peut pas arrêter Internet, jamais. Si Facebook vous dit ‘veuillez vous reconnecter dans deux minutes’, vous ne l’acceptez pas. Pour remédier à ça, on redonde l’infrastructure de sorte que si un centre de données tombe en panne, un autre prend immédiatement le relais. Il existe ainsi des centres de données qui ne seront certainement jamais utilisés, parce qu’on veut prévoir ce qui n’arrive jamais » se désole-t-il, décrivant un surdimensionnement d’infrastructures d’autant plus gloutonnes qu’elles répondent à un niveau de précaution quasi-paranoïaque. Davantage que des pannes, c’est même seulement la latence numérique qui est honnie par l’immense majorité des utilisateurs : on ne supporte plus de voir une application ‘ramer’ et tarder à nous répondre. Là encore, pour réduire la latence, on multiplie les relais. A tel point que se sont donc constituées des infrastructures à l’avenant, bel et bien matérielles en effet, très au-delà même de ce qu’un usage raisonné réclamerait.

L’IA, ou la peur du pire

Raisonner les usages, c’est justement ce qui a valu un bad buzz cinglant à Najat Vallaud-Belkacem, l’ex-Ministre de l’Education nationale proposant notamment dans une Tribune parue dans les pages du Figaro, de « rationner Internet ». Ainsi s’est-elle-même risquée à y attacher un ordre de grandeur : trois gigas de données par utilisateur et par semaine. Suscitant l’hilarité moqueuse des uns, mais aussi l’appui bienveillant de quelques autres, cette tentative visant à poser une limite à ce qui semble ne plus devoir en avoir, illustre toutefois combien la problématique soulevée ici est sensible. Peut-on seulement concevoir un retour en arrière ? Probablement pas encore. « Open AI ne communique pas encore sur les chiffres de ChatGPT4, mais on connaît ceux de ChatGPT3. Pour la phase d’entraînement, c’est de l’ordre de 150 tonnes d’équivalent CO2, soit environ 200 allers/retours Paris/New York, ce qui est en soi assez peu. En revanche, la phase d’utilisation, pour environ 13 millions d’utilisateurs par an, on considère que l’impact est 200 fois plus élevé que pour  la phase d’entraînement », sachant que la dernière mesure du nombre d’utilisateurs du désormais célèbre agent conversationnel d’Open AI culmine à plus de 180 millions (décembre 2023), loin des 13 millions servant ici de base de calcul. « Mais on conjecture que ChatGPT 4, c’est encore 100 fois supérieur aux impacts de ChatGPT3 », précise Guillaume Pitron. Des ratios qui donnent le vertige, alors que loin d’agir pour une sobriété numérique sérieuse, les pouvoirs publics poussent pour voir naître un champion français en la matière, parce que les priorités sont celles-là : il s’agit de tirer profit d’une manne économique majeure, sans se voir aspiré par les géants américains ou chinois. « On ne veut pas être dépendants d’infrastructures qui, potentiellement, nous espionnent. Dans un monde qui, géopolitiquement, se tend, je ne vois pas comment on va s’arrêter. On sait que dominer le cyberespace est un levier de puissance » estime-t-il, dans un mélange contraint de fatalisme et de lucidité. Pourtant, les signes faisant état d’un trop-plein numérique ne manquent pas. Et ils sont annonciateurs du fait qu’immanquablement, un jour, il faudra freiner des quatre fers.

Il ne faut pas attendre de limites de ressources à l’expansion numérique : il y aura toujours quelque part du métal à extraire et des substituts seront créés pour les besoins du marché.

L’espoir, malgré tout

 « Il faut peut-être aussi redire à quel point le numérique est archi-nécessaire. Qu’aurait-on fait sans lui pendant le Covid ? Les conséquences économiques et sociales auraient été bien plus lourdes encore. C’est aussi un outil de connaissances incroyable : grâce à lui, on sait en temps réel comment se porte la barrière de corail par exemple. Il ne faut pas attendre de limites de ressources à l’expansion numérique : il y aura toujours quelque part du métal à extraire et des substituts seront créés pour les besoins du marché. Les limites sont plus sûrement psychologiques, on a vu le sujet surgir ces dernières années pour des raisons de santé physique et mentale. Une autre limite, c’est la démocratie, raison pour laquelle nous sommes en train d’essayer de réguler les réseaux sociaux. Et l’autre limite, la plus évidente, est environnementale, même si le niveau de conscience est très hétérogène selon les pays. Il est assez élevé en France, pas du tout aux Etats-Unis par exemple » tient à conclure Guillaume Pitron, pour laisser enfin entrevoir l’espoir d’un revirement salvateur. Car si l’enfer numérique est devant nous, il faudra se rappeler que rien ne nous oblige à nous y rendre sans réagir collectivement. La matérialité imprimée est certainement une réponse – modeste – parmi tant d’autres, pour offrir des alternatives à un tout-numérique dont on sait aujourd’hui à quel point il s’avèrera néfaste. Et à ce stade, toutes les alternatives – a fortiori quand elles ont fait leurs preuves – sont bonnes à prendre.

Quid de la place des femmes dans les Industries Graphiques ?

A l’initiative de la CCFI, une conférence dont le sujet – sensible – apparaît à la fois dans l’air du temps, tout en étant très inhabituel dans le paysage thématique des Industries Graphiques. Et s’il était temps de se poser la question de la place des femmes dans les métiers de l’impression ?

Dans la continuité des travaux qui interrogent l’attractivité de nos métiers, leur féminisation apparaît comme un nécessaire axe de progrès. « Idéalement, nous avons besoin de tous les profils. C’est en soi une bonne raison de se demander si les femmes sont favorablement accueillies » résumait Marion Meekel (CCFI) en ouverture des débats. Car personne ne nie d’évidentes réalités : notre industrie manque de bras, les difficultés de recrutement dont témoignent les chefs d’entreprises en font largement état. Par ailleurs, la diversité des profils est effectivement un atout, les besoins en ateliers ramenant de moins en moins à des stéréotypes de genres – qu’il faudra dépasser pour de bon – supposant qu’il faille être grand et fort pour supporter la pénibilité supposée des tâches. S’il s’agit déjà là d’une idée reçue que le secteur s’attache à combattre pour redorer son attractivité, elle tend encore (de moins en moins, heureusement) à éloigner les femmes des métiers de la production.

On compte 34 % de femmes et 66 % d’hommes dans les effectifs du Labeur en France.

Les femmes se sont déjà historiquement imposées dans l’imprimerie

« La présence des femmes dans les imprimeries est avérée dès le XVIème siècle » souligne Fernande Nicaise, responsable de l’atelier de typographie du musée de l’imprimerie de Lyon. « Il était toutefois beaucoup plus difficile pour elles de s’imposer en tant que femmes dans les ateliers » précise-t-elle sans surprise, rappelant à ce titre que celles-ci étaient donc d’autant plus méritantes. La cohabitation n’a ainsi pas toujours été sans heurts, au point qu’une grève éclata au XIXème siècle pour s’opposer à leur embauche en ateliers, certains hommes n’appréciant pas que cette main d’œuvre moins bien payée obtienne les faveurs de chefs d’entreprises qui « les trouvaient souvent plus habiles dans les métiers de la typographie ». Si la Justice tranchera en faveur des femmes sur ce conflit, elles ne pouvaient toutefois à l’époque pas travailler de nuit. Et aujourd’hui ? « On compte 34 % de femmes et 66 % d’hommes dans les effectifs du Labeur en France » indique Pierre Barki, Président de Culture Papier et à la tête de Barki Agency. Un ratio inférieur à celui de l’Industrie en général, puisque la parité – même si elle cache encore des assignations à des postes particuliers, en fonction du genre – est quasi-atteinte : les femmes occupent en effet 48 % des postes en Industrie. Quant aux salaires, les femmes sont en moyenne rétribuées à 13 % de moins que les hommes, en raison d’une légère surreprésentation de ces dernières dans les catégories ouvrières.

En fin d’année 2022 a eu lieu la présentation du guide pour favoriser la mixité dans les métiers de l’industrie de l’imprimerie et de la communication graphique. Ce guide a vocation à sensibiliser le grand public et les entreprises sur la mixité au sein du personnel des industries tout en répondant concrètement aux différents préjugés de la branche. L’UNIIC HAUTS-DE-FRANCE, MARNE ET ARDENNES est partenaire et solidaire de cette action, initiée par l’AMIGRAF, le CORIF, le Département du Nord et la Région Hauts-de-France. Pour obtenir le guide, complétez le formulaire suivant.

La peur de s’exprimer encore ancrée

« Il a été très difficile de faire parler de jeunes professionnelles. La peur d’un préjudice dans l’exercice de leur fonction est très net » pose pour premier constat Isabelle Erb-Polouchine, vice-présidente de la CCFI. Un questionnaire sur les comportements sexistes vécus ou constatés en entreprises, avec toutes les conséquences qui peuvent y être liées, a en effet vu la CCFI obtenir 150 réponses : destiné prioritairement aux jeunes entrants (avec 52 % d’hommes ce qui est une indication en soi), lesdites réponses traduisent l’existence persistante de discriminations à l’embauche, de comportements problématiques (remarques déplacées, harcèlement etc.), de critiques plus dures à l’attention des femmes, de surreprésentation féminine dans les bureaux de fabrication ou encore de rémunération négociées à la baisse. « Seuls 10 % des répondants estiment que tous ces problèmes sont derrière nous » synthétise Isabelle Erb-Polouchine, comme pour nous exhorter à ne pas relâcher l’effort et rester vigilant. Si Virginie Hamm-Boulard, directrice de Brodard & Taupin (groupe CPI), témoigne d’une trajectoire professionnelle plutôt sereine où la bienveillance a toujours primé, elle le reconnaît : « J’ai commencé avec un statut cadre et c’est probablement ce qui m’a protégée », elle qui ne compte que « 17 % de femmes » dans son effectif et dont le bagage technique lui aura épargné les jugements suspicieux. De là à dire que tout fut rose… « Dans les années 90, on m’a reproché un management trop… féminin. On a jugé que je manquais de fermeté » ajoute-t-elle, s’agissant ici de stéréotypes de genre qui, bien que sur le reculoir, ont encore aujourd’hui la dent dure.

Les femmes qui ont ‘réussi’ ont dû, plus que les hommes, ‘faire leurs preuves’, imposer leur vision et, davantage que leurs homologues masculins, faire la démonstration qu’elles méritaient d’être là.

Pour une meilleure inclusivité, lutter contre les stéréotypes de genres

Les stéréotypes de genre ont cela de problématique qu’ils prennent souvent les traits de maladresses involontaires, drapés dans des « compliments » qui se veulent bienveillants. Dire des femmes qu’elles sont plus douces et meilleures intermédiaires que les hommes avec les clients, fait à ce titre figure d’exemple particulièrement parlant. De ces comportements anodins – souvent acceptés pour ne pas générer de conflits – découlent des catégorisations dont les écueils sont plus concrets, en cela qu’ils se traduisent en inégalités de traitement mesurables. « La RSE couvre un très large champ de thématiques. L’enjeu 7 du label Print’Ethic a ainsi pour but de faire un bilan chiffré, en se basant sur l’index Egapro » souligne Valérie Bobin-Ciekala (Responsable RSE chez Ambition Graphique, créatrice du label Print’Ethic), soit, entre autres : calculer et publier les écarts éventuels de représentation entre les femmes et les hommes parmi les cadres dirigeants, estimer déjà leur simple capacité à y accéder, notamment par le biais de la formation. Une mise à plat nécessaire, alors que les témoignages recueillis par la CCFI font état d’un constat assez clair : les femmes qui ont ‘réussi’ ont dû, plus que les hommes, ‘faire leurs preuves’, imposer leur vision et, davantage que leurs homologues masculins, faire la démonstration qu’elles méritaient d’être là. Lorsque Larisa Chatelet, artiste typographe (imprimerie Laville) fait le récit d’une trajectoire qui l’a vue passer des Beaux-Arts aux ateliers d’impression, sans formation technique et – qui plus est – sans parler couramment le français à ses débuts, l’on se doute que le basculement n’a pas été évident. « J’ai été bien accueillie, mais j’ai dû me faire ma place et il a fallu du temps pour que j’impose ma vision » confirme-t-elle, persuadée que « quand on a un profil artistique, on a des idées, y compris dans les domaines techniques liés à la fabrication ». Une ouverture qui a par ailleurs ses mérites, puisque se tourner vers des profils atypiques permet certainement de donner leur chance à des visions neuves, dénuées d’idées préconçues et bénéficiant d’un recul précieux. C’est en tout cas le constat fait par l’imprimerie Laville, qui décrit l’apport de Larisa Chatelet comme une véritable plus-value d’entreprise.

Voir le résumé de la CCFI

Demander le guide de l’UNIIC Hauts-de France

Nos jeunes ont du talent

Intergraf – la fédération européenne des métiers de l’impression – remet chaque année depuis 2017 le « Young Talent Award », pour récompenser les jeunes de moins de 25 ans capables de proposer une vision originale, des idées novatrices et aussi, parfois, des critiques constructives, pour dessiner l’avenir de nos métiers. Pour cette édition 2023, et nous pouvons en être fiers, le podium est 100 % français : Mario Mendez Alexandre et Loïc Voisin occupent respectivement les troisième et seconde places, la lauréate étant Manon Lassaigne, qui nous livre ici son ressenti et rentre dans le détail de ses (déjà !) fortes convictions.

Manon Lassaigne, chargée de communication & marketing chez Loire Impression et lauréate du Young Talent Award 2023, remis par Intergraf.

Comment êtes-vous entrée dans les Industries Graphiques ? Est-ce que vous pouvez nous rappeler votre âge et nous résumer votre parcours ?

J’ai 23 ans et j’ai découvert les Industries Graphiques un peu par hasard, il y a deux ans, alors que je faisais un Bachelor en communication. Pour intégrer le Master que je visais, il me fallait trouver une entreprise en alternance et je suis tombée sur une offre d’emploi sur Linkedin, dans ce qui est toujours mon entreprise actuelle, Loire Impression. L’offre était assez décalée par rapport à ce que je faisais [RIRES], mais elle m’a énormément plu. Je n’avais jamais vraiment pensé à me diriger vers le print, mais ça m’a semblé intéressant et je me suis dit ‘Pourquoi pas ?’.

Comment vous est venue l’idée de participer au concours organisé par Intergraf sur les jeunes talents dans nos métiers ?

C’était un pur coup de chance,  je suis tombée sur l’annonce du concours dans le journal « Caractère » et j’ai voulu tenter le coup. Ce n’était absolument pas prémédité, j’ai spontanément demandé à mon tuteur et à mon responsable hiérarchique si je pouvais y participer. On s’est renseignés, on a vu que j’étais éligible et je voulais m’autoriser ce petit challenge. C’était un peu compliqué puisque je continuais d’étudier en parallèle et je devais même assurer des examens à ce moment-là. Mais j’avais trouvé le sujet très intéressant [la question était « Quelle est la place du print dans un monde digital ? », NDLR] et je voulais essayer, en me disant que ce serait de toute façon une occasion d’apprendre des choses. D’ailleurs, quand j’ai appris que j’étais lauréate de ce Prix, j’avoue que je ne m’y attendais pas. J’ai été très heureuse de recevoir le mail de Béatrice Klose [Secrétaire générale d’Intergraf, NDLR] concernant les résultats. Elle et l’équipe d’Intergraf ont été très bienveillants et d’un grand soutien pour la conférence qui a suivi à Riga, en Lettonie.

Comment avez-vous abordé le sujet ? Vous saviez d’emblée ce que vous diriez ou est-ce que ça a nécessité que vous vous posiez mûrement la question ?

Les deux ! C’était à la fois évident, en ce sens que je savais ce que je voulais dire, mais ça a quand même nécessité beaucoup de travail et de recherches. Il y avait beaucoup de choses que j’avais envie d’aborder, certainement un peu trop d’ailleurs parce que j’ai dû faire des choix pour respecter les limitations de l’espace d’expression alloué par le concours. Il y avait déjà évidemment toutes les choses que j’ai apprises en deux ans dans mon entreprise, dont je voulais témoigner, plus toutes les recherches que j’ai faites en parallèle pour aller plus loin. J’y ai passé beaucoup de temps et je suis sûre que j’ai encore progressé, grâce à ce travail. Mais dès le début, il y avait des convictions : je croyais en l’avenir du print, je savais que ces métiers étaient sous-valorisés en comparaison de tout ce qu’on dit sur le digital et je reste persuadée que c’est quelque chose qui va changer.

« Je vois davantage de gens accroc’ à leur téléphone qui ont dix à quinze ans de plus que moi. J’ai l’impression que les comportements qui rompent avec ça viennent avant tout des jeunes générations. »

Vous manifestez une foi inébranlable en l’imprimé. Est-ce que c’est quelque chose dont vous étiez spontanément convaincue, ou est-ce que c’est une conviction qui s’est construite par après, au gré de votre expérience en entreprise ?

J’ai toujours cru à l’imprimé, sûrement parce que j’ai été éduquée comme ça. Il y a des gros lecteurs chez moi. On aime beaucoup les publications scientifiques, les contenus pointus, la littérature classique etc. Et ça oblige souvent à aller vers le papier. Lire est quelque chose de normal dans mon environnement familial et je sais que ce n’est pas forcément le cas pour tout le monde. J’avais donc déjà cette appétence là, mais travailler dans les Industries Graphiques m’a permis de mieux comprendre les ficelles de la fabrication et aussi d’avoir une idée plus juste des impacts comparés du print et du numérique. Le but n’était d’ailleurs pas d’opposer deux camps, mais de voir comment ils pouvaient fonctionner ensemble. Il est vrai que lors de mon cursus d’étudiante, c’est de la communication et du marketing digital qu’on nous apprend. Ces métiers évoluent certes très vite, ils ont évidemment un avenir très important, mais je trouve qu’on s’y perd vite. Il y a une instabilité et une sensation de « perte de contrôle » dans le monde digital qui me gênent. Avec l’arrivée récente du métavers et de l’Intelligence Artificielle (IA), ce sentiment s’est exacerbé et j’ai ressenti le besoin de revenir à des choses plus traditionnelles. Plus rassurantes aussi, en un sens. Je pense qu’il y a à la fois la peur de voir nos activités se déshumaniser et l’envie de prendre du recul par rapport à ce trop-plein de numérique. Contrairement à ce qu’on pense, c’est un phénomène qui est à mon avis plus porté par ma génération que par les précédentes : être sollicité sans arrêt, recevoir des notifications en continu et se sentir contraint de répondre à tout, cela génère de la fatigue et cela nous montre à quel point on est allés trop loin. Finalement, je vois davantage de gens accroc’ à leur téléphone qui ont dix à quinze ans de plus que moi. J’ai l’impression que les comportements qui rompent avec ça viennent avant tout des jeunes générations. Le Covid a certainement accéléré le phénomène : il y a une envie de vivre et de se détacher des écrans.

Qu’est-ce qui a distingué votre candidature, à votre avis ?

Le fait que j’aie multiplié les angles d’approche, à la fois sur le print en tant que tel mais aussi via un focus sur l’IA, a visiblement joué en ma faveur. Mais il y a aussi beaucoup de choses qui n’ont pas été dites, le sujet est tellement vaste que j’aurais voulu en dire plus encore. Pour moi le point central c’est vraiment de se servir du digital pour valoriser le print, rappeler que ce n’est pas – désolée pour l’expression – un « truc de vieux » [RIRES]. Faire la démonstration de sa modernité et être convaincu qu’il y aura un retour à la matérialité, dans un monde où il y a certainement trop de numérique aujourd’hui. Les tendances RSE nous y aideront, par ailleurs : cela prendra peut-être des années, mais je pense qu’à terme nous arriverons à faire entendre nos efforts écoresponsables, parce qu’ils sont déjà concrets et faciles à démontrer. Le monde du digital, lui, est à l’inverse encore assez nébuleux et il n’est pas prêt à détailler ses impacts comme nous savons le faire. Cela ne veut pas dire que tout soit parfait dans le monde du print : il faut certainement valoriser encore un peu plus les approches d’écoconception, éviter les procédés de fabrication/finition les moins vertueux, ne pas pelliculer quand c’est possible etc. Mais je suis persuadée que ce n’est qu’une question de temps pour aller vers ce type de progrès.

La notion « d’attractivité » est très débattue dans notre secteur, au regard notamment des besoins de recrutements, ou encore de transmission, qui sont prégnants aujourd’hui. Quel est votre regard sur les difficultés de nos métiers à attirer ?

Le monde de l’imprimerie a encore du mal à parler de lui. Il s’agit forcément de métiers très anciens, qui s’appuient sur beaucoup d’habitudes et de certitudes. C’est une force, mais peut-être qu’on a pris trop de choses pour acquises, jusqu’à se laisser déborder par l’arrivée du digital. Pourtant, chez Loire Impression, dès que nous avons commencé à mettre en place une véritable stratégie digitale, pour communiquer et mettre en avant nos métiers, nos produits, on a vu beaucoup de retours positifs et on a commencé à fédérer. Paradoxalement, cela a permis d’humaniser notre image : montrer les gens derrière les machines, valoriser nos savoir-faire etc. Nous développons aussi des campagnes marketing print, pour fidéliser notre clientèle ou mettre en avant un produit par exemple, et les retours sont sans appel : les gens nous disent que ce que l’on fait est magnifique et témoignent d’un véritable intérêt pour nos métiers. Nous savons que les volumes de production diminuent, mais c’est justement l’occasion de valoriser l’imprimé comme quelque chose de qualitatif, de presque luxueux. Arrêter de produire en masse pour mettre des flyers sur des parebrises, cela nous permet de nous interroger sur le sens de ce que nous faisons, pour aller vers des produits plus soignés et mieux ciblés.

« Cela prendra peut-être des années, mais je pense qu’à terme nous arriverons à faire entendre nos efforts écoresponsables. »

Le prisme par lequel beaucoup de jeunes orientent leurs choix professionnels tient à la politique RSE/environnement de l’entreprise. Est-ce que les gens que vous côtoyez – et plus particulièrement ceux de votre génération – vous font le reproche d’avoir un choisi un métier qui ne serait pas ‘écolo’, ou est-ce qu’au contraire, c’est une idée reçue qui tend à reculer selon vous ?

J’observe qu’on me fait les deux types de remarques. Mais ce qui est certain, c’est que lorsque l’on prend le temps d’expliquer ce que nous faisons et quels impacts peuvent être attribués à l’imprimerie d’une part, et à la communication numérique d’autre part, les gens – y compris les plus jeunes – sont très réceptifs et ouverts à d’autres opinions. Les lobbys du digital ont certes contribué à installer des idées reçues dans la tête des gens, mais on voit un retour de balancier : dès que l’on rentre un peu dans le détail, le discours caricatural du papier tueur d’arbres et de la dématérialisation vertueuse tombe vite. C’est là qu’on se rend compte que tout ce que notre secteur a fait – labels, approches RSE, protection des forêts, nouvelles normes de traçabilité etc. – porte ses fruits : à condition de communiquer, on arrive à convaincre. Dans le même temps, les impacts du numérique commencent à être mesurés et reconnus ; qu’il s’agisse d’environnement ou de protection des données, les gens commencent à avoir des exigences, ce qui n’était pas du tout le cas lorsque les réseaux sociaux sont arrivés. Que l’on soit sensibilisé à ces questions beaucoup plus jeune fera forcément bouger les lignes. La difficulté pour les métiers du print, c’est de communiquer sans greenwasher, parce que la limite entre les deux est toujours plus fine que ce que l’on croit.

Il y a dans nos métiers une culture de l’outil, qui se traduit souvent par une focalisation sur la technique et les machines. Au point parfois que le dialogue avec les clients devient plus compliqué, parce que cette connaissance s’est perdue chez nombre d’acheteurs. Faut-il selon vous également changer sa façon de parler aux clients ?

Il est vrai que le digital n’a jamais parlé de cette façon à ses cibles. On ne vante pas la puissance des téléphones, des ordinateurs ou des tablettes, avec des termes compliqués. On nous montre ce que l’on peut faire avec et c’est à peu près tout. Loire Impression fait en tout cas cet effort de simplification du vocabulaire, via nos commerciaux notamment, et c’est en partie ce qui nous permet de fédérer autant. Pour que les gens se réintéressent à ce que l’on fait, il faut parler à tout le monde. Il est certain qu’en faisant ce type de concessions, ça peut être frustrant pour les techniciens les plus portés sur les capacités de nos machines, parce qu’ils sont passionnés et détenteurs de savoir-faire magnifiques, mais je pense en effet qu’il faut s’attacher à être entendus. L’important je pense, c’est de rester dans le bénéfice client : comprendre leur demande et la traduire dans la meilleure équation industrielle pour eux, en leur expliquant ce qu’ils vont y gagner. Tant sur le plan de la fabrication, du prix, de la qualité, de l’écorespensabilité etc. Le défi sera d’être transparent sur ces points-là alors que sur des questions environnementales par exemple, la responsabilité d’autres acteurs/fournisseurs entre en jeu : savoir d’où vient le papier, d’où viennent les encres etc. Ces paramètres sont d’autant plus complexes à gérer que les réglementations ne sont pas les mêmes partout dans le monde. Mais là encore, nous progressons vite et il faudra avoir à cœur de se féliciter de cette transparence, qui n’existe pas dans le digital à ce jour et qui permet de mieux faire accepter nos prix à nos clients. Plus on lui donne des éléments, plus on est légitime à valoriser ce que l’on fait, parce qu’on fait la démonstration d’une véritable démarche réfléchie et responsable.

Worldskills 2022 – Les finales internationales se préparent

Parce que la pandémie de Covid-19 continue de perturber sévèrement l’économie chinoise, les finales internationales des Worldskills 2022, qui devaient se dérouler à Shanghai, ont finalement nécessité une réorganisation expresse. Au gré d’un éparpillement contraint des différentes disciplines, les métiers des Arts graphiques livreront pour leur part leur verdict en Suisse, d’ici quelques jours maintenant. En pleine préparation, nous avons interrogé nos deux représentants français…

C’est à Aisey-sur-Seine (Bourgogne-Franche-Comté) que Louis Leichtnam (22 ans, région Grand Est) et Emmannuel Young (22 ans, région Sud Provence Alpes Côte d’Azur) aiguisent leur préparation, en tant que représentants français respectivement pour les catégories « Imprimerie » et « Arts graphiques & prépresse ». Tous deux auréolés d’une médaille d’Or à l’échelon national lors des finales qui se sont tenues à Lyon en janvier dernier, tous deux d’ailleurs à l’occasion de leur seconde participation après les finales caennaises de 2018, ils nourrissent légitimement des ambitions élevées pour ces épreuves internationales.

Consolider ses connaissances & travailler l’approche mentale

En choisissant comme lieu d’entraînement « La ferme de bon espoir » dans le département de la Côte d’Or – ça ne s’invente pas – le préparateur mental Lou Ken (OOMyCoach) ne s’y serait pas mieux pris s’il avait voulu multiplier les signes. « Aujourd’hui, nous sommes prêts techniquement. Ce module est là pour nous recadrer mentalement. L’objectif c’est d’être le plus motivé, stable et performant possible le jour de la compétition » précise Emmannuel Young, dans ce qui constitue à la fois un exercice métier mais aussi une épreuve à dimension sportive où les paramètres physiques et mentaux sont primordiaux. En l’occurrence, définir les bons objectifs est le premier pallier nécessaire d’une bonne préparation. « Nous savons ce que nous avons à travailler. C’est quelque chose que l’on définit avec nos coaches : on confronte nos points de vue et on tombe rapidement d’accord » tranche Louis Leichtnam. « Les marges de progrès techniques sont assez simples à identifier lorsque l’on reprend les sujets sur lesquels nous avons travaillé. Sur le plan mental, il y a beaucoup de dialogue pour voir s’il y a des fragilités. Aujourd’hui, nous savons tous les deux que nous avons toutes les compétences pour réussir dans la compétition, l’approche mentale sert surtout à optimiser la motivation et se débarrasser de nos peurs » complète, lucide, Emmannuel Young. Lorsqu’on leur demande s’ils observent et/ou connaissent leurs compétiteurs, on a très vite la confirmation que le travail de concentration mentale paie, parce qu’il n’est pas question de se décentrer de l’essentiel : « J’ai eu deux jours de formation avec une candidate suisse et un candidat allemand, donc oui, nous connaissons un peu nos adversaires. Mais si nous sommes concentrés sur eux, c’est que nous ne sommes pas assez concentrés sur nous » clarifie Louis Leichtnam. « Ce qui est intéressant, c’est que nous allons rencontrer des gens du métier venant du monde entier, c’est toujours enrichissant… Mais on prendra ce temps surtout après les résultats, quand on pourra profiter de moments plus conviviaux » confirme Emmanuel Young. Mais la question que ne manqueraient pas de se poser bien des chefs d’entreprise en proie à des difficultés de recrutement, devant deux jeunes à ce point surmotivés, est celle de leur point de vue sur la faible attractivité du secteur… « Je pense que les jeunes ne savent pas ce que c’est que d’être imprimeur. Quand je dis que je suis imprimeur, on pense que j’appuie sur un bouton et que je regarde les documents sortir. Moi-même j’ai eu envie de faire ce métier suite à une sortie dans les ateliers où l’on imprime le journal ‘Les dernières nouvelles d’Alsace’, parce que j’ai vu les machines tourner et que j’ai compris à ce moment-là ce que c’était réellement. C’était finalement presque un hasard » témoigne Louis Leichtnam, preuve que le métier n’a rien perdu de sa capacité d’enchantement. Est-ce que cela en fait pour autant des lecteurs plus attachés que la moyenne au support physique ? « On est forcément plus sensibles que la moyenne à ce qui est imprimé. Surtout Louis, parce que moi finalement je fais un métier en amont de l’impression. Malgré tout, je me projette un peu plus facilement dans les projets qui sont destinés à être imprimés que dans du 100 % numérique. J’ai besoin de ce résultat-là, d’avoir quelque chose de palpable : la récompense est encore plus grande sur un objet physique » confirme Emmanuel Young.

“On ne sort pas de sa zone de confort. On l’élargit”. Lou Ken (OOMyCoach) offre ici un extrait du travail de préparation mentale par lequel passent les compétiteurs.

Le début d’une (longue) histoire ?

Enfin, parce qu’il ne s‘agit pas là « que » d’une compétition spontanée, mais d’une étape dans parcours professionnel qui reste à écrire, on ne pouvait que les interroger sur leurs intentions de carrière…  « L’avantage de cette compétition, c’est qu’on est mis en relation avec énormément de gens, dans énormément de domaines. C’est une aubaine parce que dans nos métiers on peut être amené à travailler avec n’importe quelle entreprise qui voudrait communiquer, et qui plus est on est entourés de gens qui visent l’excellence. C’est donc beaucoup d’opportunités et un réseau potentiellement énorme. Pour ma part, je sais que j’ai la volonté d’entreprendre et la compétition peut être un tremplin pour ça ou une source d’inspiration » s’enthousiasme Emmanuel Young, qui ne s’arrête pas là. « Au-delà de la compétition en elle-même, le fait d’avoir travaillé avec des experts passionnés, ça nous a donné l’envie de transmettre. Ce qu’on a appris ici, on a envie de le transmettre à notre tour » ajoute-t-il, rejoint en cela par son compère d’équipe de France des Arts Graphiques : « On est déjà contactés par des entreprises et il est clair que l’on est ici beaucoup plus visibles. Et de la même façon, plus le temps passe, plus l’idée d’entreprendre fait son chemin. Ce n’est pourtant pas quelque chose que j’avais forcément en tête en arrivant, mais je commence à y réfléchir »  explique à son tour Louis Leichtnam, pour qui tout ça ne doit être que le début…  « Le fait de se dire que l’aventure se termine dans quelque jours, ce n’est vraiment pas possible pour moi : je vais continuer de m’investir dans ce concours et j’ai envie d’entraîner les futurs vainqueurs dans ma région pour les prochaines finales nationales en 2023 ». Comment dès lors douter de la motivation de nos deux représentants ? A ce titre, et quels que puissent être les résultats de ces finales, c’est déjà une belle partie de gagnée…

Parole d’experts – Des jeunes bien entourés
Robin Gillet (Arts graphiques & prépresse) et Dominique Gendre (imprimerie) sont à la fois des coaches, des experts métiers, mais aussi des chefs experts désignés par les représentants des autres pays participants pour assurer la bonne conduite de la compétition. Un statut à part qui les engage et rappelle combien la France est une nation respectée, voire référente, sur nos métiers. « Notre rôle est multiple : pendant la compétition, nous n’évaluerons pas les épreuves, à l’inverse des autres experts. Nous avons un rôle global de management : nous assurer de la bonne organisation de la compétition, du bon enchainement des épreuves et du respect des règles, tout en prenant en compte les particularités de chaque pays pour que chaque compétiteur ait sa chance » détaille Dominique Gendre. Une mission en forme de reconnaissance qui mériterait peut-être elle aussi sa médaille…

Protéger et promouvoir le livre « Imprimé in France »

Cet article est paru dans Acteurs de la Filière Graphique n°134 (juin 2021)


Avec le coffret « Réfugier, Explorer, Relier », les industries graphiques entendent faire la démonstration d’un savoir-faire qu’il convient de sauvegarder : celui de la fabrication du livre, dans un contexte où les circuits courts ne sont déjà plus une mode mais bel et bien une tendance de fond, appuyée qui plus est par des velléités récentes de relocalisation…

Si la crise sanitaire a mis en évidence qu’il est des « secteurs stratégiques » pour lesquels la délocalisation tous azimuts pose d’évidents problèmes, la question n’a pas manqué de se poser dans de nombreux domaines d’activité, non sans faire écho à des réflexions de rapatriement parfois engagées de longue date…

Présenté en avant-première et offert à chacun des participants au Congrès, le coffret “Réfugier” a fait la jonction entre des solidarités humaines et des solidarités techniques. Jusqu’à 2500 exemplaires d’un bel ouvrage construit en trois volets (“Réfugier”, “Explorer” et “Relier”) abordent en effet à la fois la réalité de la vie d’un campement de migrants (témoignages illustrés à l’appui, via le concours du milieu universitaire clermontois), tout en sensibilisant le lecteur aux métiers de la chaîne du livre, dont il faut sauvegarder les savoir-faire en France. Pour Catherine Milkovitch-Rioux (Chercheuse), ce projet a “permis une valorisation commune : à la fois de vos métiers et de nos travaux”.

Made in France : à l’Etat de montrer l’exemple ?

Certainement faut-il commencer par rappeler une évidence : le localisme ne saurait être imposé, dans la mesure où le code des marchés publics l’interdit. Plus précisément, la commande publique ne pourrait incliner à solliciter des prestataires locaux – ou même nationaux – qu’à la condition de mettre en avant des critères d’exception liés par exemple à la nécessaire rapidité d’exécution (l’urgence pouvant alors justifier alors d’aller au plus près), ou indirectement en faisant la démonstration que les exigences environnementales spécifiques d’une commande conduisent à solliciter des entreprises de proximité. Des solutions qui n’ont toutefois rien de systématique et qui, mal justifiées, peuvent être rapidement taxées de délit de favoritisme et contrevenir à la fois aux principes communautaire (défendus par la CJUE) et constitutionnel (défendus par le Conseil Constitutionnel) de la liberté d’accès à la commande publique. La chose est toutefois difficile à entendre, dans la mesure où l’époque semble réclamer de l’écoresponsabilité en circuits courts, pour des raisons tant strictement environnementales que plus globalement sociales, sociétales et économiques. C’est ainsi que l’on s’émeut parfois de constater que les budgets publics manquent de nourrir le tissu industriel local, au profit de concurrents étrangers par ailleurs possiblement éligibles à des subventions européennes d’investissement qui distordent plus encore un équilibre concurrentiel déjà malmené par les différentiels sociaux qui distinguent les coûts d’une impression en Europe de l’Est (Pologne, Estonie, Lituanie etc.) de ceux d’une impression en France. Il ne faudrait toutefois pas grossir le phénomène : pour le cas du livre, la commande publique se maintient en France dans 90 % des cas (source : « Imprimer en France : l’avenir de la filière Livre » – DGE/UNIIC, 2015). C’est la balance commerciale du livre dans sa globalité qui pose question : « En moyenne, 30 à 40 % des livres français sont réalisés à l’étranger » pouvait-on lire au sein dudit rapport. Une proportion qui est restée peu ou prou la même, six ans plus tard, même si des pistes d’amélioration sont engagées et prometteuses…

Relocalisations : les raisons d’y croire

Les raisons de cet exode partiel, si elles sont connues, n’offrent pas toutes des solutions directes : reconstruire l’outil industriel adéquat – notamment sur les activités de reliure et de façonnage – pour traiter un volume supérieur de livres complexes et semi-complexes prendra du temps (l’Atelier Partagé du Livre Complexe est à cette fin un projet industriel collectif de rapatriement de travaux de façonnages semi-complexes, appelé à sortir de terre ces prochaines années), alors que les arbitrages moins-disant conduisant à imprimer moins cher mènent soit vers l’Europe de l’Est, soit à nos principaux concurrents frontaliers que sont l’Allemagne, l’Italie, la Belgique et l’Espagne. Impossible en effet pour un industriel français de s’aligner sur des prix cassés sans sacrifier sa marge, ni même toujours de rivaliser – sur des segments de marché hors livre noir, où la compétitivité française n’est pas mise à mal – avec la puissance graphique allemande qui, bien qu’en deçà de la productivité française, a su s’armer (et sous-traiter) pour optimiser ses coûts. Les raisons en relevant pour partie de disharmonies fiscales et sociales, de telles distorsions concurrentielles appellent des ajustements politico-économiques sur lesquels une filière industrielle n’a de fait que peu d’emprise. En pareil cas, les meilleurs réflexes sont donc toujours les mêmes : miser sur l’innovation, travailler la qualité de ses services pour mieux accompagner la demande et faire émerger de nouvelles capacités de production par le co-développement. C’est ce qui a été notamment entrepris pour le livre complexe et semi-complexe, mais cela ne dispense ni de promouvoir le savoir-faire français pour sensibiliser le grand public, ni de rappeler que de relocalisations il ne pourra y avoir qu’avec le concours actif des donneurs d’ordre, qu’il ne s’agit pas de contraindre, mais bien de convaincre. Un objectif à vrai dire déjà bien engagé : au-delà des seuls engagements RSE qui inclinent nombre d’éditeurs à faire rimer « responsabilité » avec « proximité », les circuits courts semblent asseoir leurs bienfaits économiques (réduction drastique des délais, échanges facilités avec l’imprimeur et meilleure gestion des flux) pour finir de rendre la chose profitable – et déjà observable – au-delà de sa stricte dimension éthique.

Si le livre est régulièrement honoré pour son aura culturelle, les conditions de sa fabrication ne sont que rarement posées.

Rien de tel qu’un beau livre…

Valoriser par l’objet, telle est justement l’initiative conduite par l’UNIIC et la Filpac-CGT pour mettre en lumière les atouts du savoir-faire français en matière de création et de fabrication du livre. Jusqu’à 2500 exemplaires d’un bel ouvrage construit en trois volets (« Réfugier », « Explorer » et « Relier ») aborderont à la fois la réalité de la vie d’un campement de migrants (témoignages illustrés à l’appui, via le concours du milieu universitaire clermontois), tout en sensibilisant le lecteur aux métiers de la chaîne du livre, dont il faut sauvegarder les savoir-faire en France. Dit très simplement : il s’agit d’un livre que la filière graphique française a choisi d’autoproduire et de financer, pour faire la démonstration de ses capacités techniques et créatives. Une initiative qui n’a évidemment rien d’anodin puisque si le livre est régulièrement honoré pour son aura culturelle, les conditions de sa fabrication ne sont que rarement posées. Et ce même lorsque la pandémie propulse comme rarement dans l’espace public l’importance de lire, la chose ayant fini par être qualifiée d’ « essentielle » quand les libraires se sont enfin vu obtenir le droit – légitime – de ne pas fermer leurs portes, à l’amorce du deuxième confinement. L’articulation éditoriale en trois volets permet donc ici de consacrer le dernier livret (« Relier ») aux grandes étapes de création/fabrication d’un ouvrage tel que celui-ci, comme pour souligner combien la forme et le fond sont imbriqués. L’ensemble fait ainsi le lien entre une thématique ouvertement humaniste qui interroge notre regard sur la situation des migrants, et les efforts par lesquels une chaîne d’acteurs – de l’auteur aux fabricants – s’attache à donner vie aux différents récits contés ici sous des traits physiques et imprimés. L’objectif consiste donc en une double sensibilisation, qui amènera le lecteur à se poser aussi la question de la provenance du livre et des savoir-faire qui s’y agrègent. Des savoir-faire qu’il n’est pas concevable de laisser filer, au sein d’un pays – le premier à avoir appliqué au livre le principe protecteur d’un prix unique – qui compte un maillage de librairies parmi les plus denses au monde. On compte en effet 3400 libraires indépendants dans l’Hexagone, incarnant ces relais de proximité (culturelle ici, en l’occurrence) dont on sait qu’ils sont précieux pour la vitalité des territoires. Pourquoi n’en irait-il pas de même pour les maillons industriels qui permettent l’existence du livre ? La question mérite en tout cas de transcender les seules vitrines où le livre est vendu et/ou exposé, pour inclure les acteurs de sa fabrication. Ainsi l’initiative devrait pouvoir être reconduite : « L’année prochaine nous pourrions envisager la fabrication d’un livre pour enfants ou le texte d’un jeune auteur » lance déjà comme hypothèse Patrick Chatet, responsable du projet pour la filière graphique. Rendez-vous est pris…

Drupa 2021 – En attendant de se retrouver…

Cet article est livré en avant-première. Il est à paraître dans Acteurs de la Filière Graphique n°134 (juin 2021).


Malgré un effort manifeste en termes de contenus délivrés en ligne, cette Drupa « virtuelle » – la première du genre, mais peut-être pas la dernière – n’aura évidemment pas fait oublier les circonstances difficiles dans lesquelles elle s’est tenue. Annonçant 170 exposants, la Drupa n’évite pas quelques absences notables (Agfa, Ricoh, Manroland, Xerox), ni n’échappe à un relatif manque de grandes nouveautés, dans un contexte où quelques grands noms avaient décidé de réserver leurs principales annonces à des événements propriétaires, également tenus en ligne. En attendant le retour d’un format physique annoncé pour 2024, que retenir de cette édition de transition ?

Qu’elle semble loin, cette image d’une manifestation bondée, qui revendiquait encore 19 halls, 1870 exposants et 314 000 visiteurs en 2016. A juste titre considérée comme la Drupa de l’impression numérique – une tendance symbolisée par la place qu’y avait occupé HP, alors devenu le plus gros exposant du salon, pour la première fois devant Heidelberg –, l’édition 2016 avait marqué un sursaut de positivisme et une relative confiance retrouvée en l’avenir. Il sera plus difficile d’adjoindre une thématique aussi claire à cette édition 2021, qui est en soi le résultat d’une somme inédite de contraintes, qu’elles soient sanitaires ou tendancielles, les restrictions radicales visant les foires et salons étant surplombées d’une inévitable accélération des pratiques digitales. Autant dire que les vents contraires soufflaient très fort… Mais, si c’était donc dans l’adversité que le print révélait pour de bon les meilleures cartes qui lui restent à jouer ? Retour sur l’événement en quelques grandes tendances.

« La prochaine étape consiste à faire cohabiter une intelligence artificielle en temps réel directement intégrée aux machines, avec une intelligence artificielle issue du ‘Cloud computing’ capable de mettre en relation des données plus globales tirées de l’ensemble de nos systèmes d’impression. » – Dennis Rossmannek (Senior program Manager chez Heidelberg)

L’impression numérique a définitivement imposé ses logiques à toute l’industrie

De ce point de vue, la Drupa 2021 ne s’est toutefois pas contentée de répéter la partition de 2016, puisque ce sont moins les matériels d’impression numérique qui ont accaparé le propos que ce par quoi ils peuvent donner leur pleine mesure : la data ! Sur toutes les lèvres, le terme « data » fait notamment dire à Dennis Rossmannek (Senior program Manager chez Heidelberg) que « la prochaine étape consiste à faire cohabiter une intelligence artificielle en temps réel directement intégrée aux machines, avec une intelligence artificielle issue du ‘Cloud computing’ capable de mettre en relation des données plus globales tirées de l’ensemble de nos systèmes d’impression »… Un argumentaire tenu – vous l’aurez noté – par un ténor de l’offset, qui a donc complètement épousé le discours de la flexibilité numérique. Le basculement n’est pas anodin et traduit combien ce sont les mêmes tendances qui nourrissent de façon transversale toute l’industrie, tous procédés d’impression confondus. « Nous sommes en capacité de croiser, via l’ensemble de notre parc machines installé, les données de plus de 60 millions de jobs » insiste Dennis Rossmanek pour vanter les mérites d’une data de qualité interne à Heidelberg, pour servir l’ensemble des clients de la marque. Que reste-t-il alors aux porte-voix de l’impression numérique en tant que telle ? Probablement déjà l’assurance de dicter le cap tenu par l’industrie, et plus encore l’avantage de contenir en son sein l’essentiel de la croissance observable dans un secteur globalement saturé. Une position renforcée par l’épisode pandémique de Covid-19, comme le souligne Alon Schnitzer (Strategic Business Development – HP Indigo) : « Les imprimeurs équipés de machines HP Indigo ont rapidement pu se repositionner sur des marchés plus adaptés à la demande, en temps de crise », citant notamment des segments de marché en croissance dans le domaine du packaging flexible, de l’étiquette ou du carton pliant. Mais plus encore, HP voit en cette période extrêmement contrainte une accélération de tendances déjà engagées, qui renforcera durablement l’omniprésence des technologies numériques. Et selon le fabricant Israélien, l’impression ne fera pas exception : « L’explosion du e-commerce s’est accompagnée d’une volonté encore plus forte de personnalisation chez les consommateurs. Les marques, de leur côté, ont compris qu’elles devaient s’engager et créer des dynamiques de communauté autour de leurs actions » insiste Alon Schnitzer, dans un rapport ambivalent à la crise sanitaire : car si personne ne saurait évidemment s’en réjouir, il demeure tentant d’y voir des opportunités et d’y lire la confirmation d’une stratégie portée de longue date. Une stratégie ainsi légitimée, quitte à à en retraduire les arguments centraux dans des discours ouvertement commerciaux.

« Le papier/carton est encore à ce jour le meilleur substitut « green friendly » auquel les marques peuvent se rattacher pour mettre le plastique sur la touche. »

L’environnement n’est plus une variable verte, mais une priorité

Qu’il s’agisse de minimiser les consommations (de substrat, d’encres, d’énergie…) ou qu’il s’agisse d’ajuster au mieux les flux productifs selon une demande évaluée en temps réel, n’importe quelle optimisation technique en la matière est d’emblée vue sous un angle dit « écoresponsable ». De sorte que là où beaucoup auraient insisté sur une réduction des coûts et donc un avantage concurrentiel et économique, l’accent est aujourd’hui prioritairement mis sur les gains environnementaux permis par des progrès logiciels et/ou hardware. « Le packaging est nécessaire, mais pas n’importe lequel » résume par exemple Comexi, qui aura dédié une large part de sa présentation à exposer des solutions dite « durables ». Hendrik Fritsch (Comexi Group Industries) assure ainsi que tant dans les domaines de la flexographie, que de l’offset ou de l’impression numérique, la marque oriente prioritairement ses efforts vers des innovations « vertes » capables de s’inscrire dans un « phénomène englobant qui modifiera profondément le marché ». Car les exigences viennent désormais de l’extérieur (souvent sous les traits d’une injonction réglementaire) et elles ne laissent guère le choix : il faut faire la chasse aux gaspillages. Un défi industriel qui se traduit jusque dans l’ingénierie des systèmes d’impression, pensés – ou en tout cas vendus – comme des garde-fous permettant de produire mieux, sans surconsommer. Reste toutefois – et entre autres – à s’arranger d’une contradiction apparente, entre d’un côté les attentes « responsables » largement manifestées par les consommateurs et les donneurs d’ordre, et de l’autre les attentes tout aussi élevées en termes de qualité d’impression, voire d’ennoblissement. Deux exigences parfois irréconciliables, quoique selon Linda Gröhn (Business Development Manager Global Brands & Sustainability – Kurz Graphics) il ne faille pas renoncer à embellir, dès lors que des efforts compensatoires sont portés pour « accompagner chaque étape de production d’une exigence d’optimisation ». Car il faudrait certainement commencer par là : optimiser pour minimiser les impacts environnementaux ne doit pas consister à appauvrir l’imprimé lui-même.

Les habitués auront reconnu le hall d’entrée de la manifestation à Düsseldorf, qui aura donc servi de décorum aux lancements digitaux des keynotes et autres e-conférences.

Le segment du packaging réaffirme sa bonne santé

S’il est un segment de marché qui n’a pas connu la crise – sinon en étant au contraire sur-sollicité – c’est celui de l’emballage. Tiré par le haut par l’explosion du e-commerce, où il faut ré-emballer des produits qui doivent vous arriver en état de parfaite intégrité, le packaging papier/carton aura autant fait la preuve de son caractère « essentiel » qu’il aura répondu aux attentes (encore certes relativement naissantes) de sobriété que l’époque réclame. Car de « sobriété » il est en l’état surtout question pour déplastifier. Non pas que le papier/carton soit exempté d’exemplarité en la matière – et à terme, lui aussi sera tenu de faire sa cure d’amaigrissement – mais c’est encore à ce jour le meilleur substitut « green friendly » auquel les marques peuvent se rattacher pour mettre le plastique sur la touche. Par ailleurs, les « modèles gagnants » autour du packaging semblent suffisamment nombreux pour valider différentes approches : des petites séries personnalisées en impression numérique, aux tirages plus volumiques assurés par des procédés plus traditionnels, la demande est solide et justifie à ce jour des positionnements stratégiques divers. Ainsi cette « Drupa light » a-t-elle donné à voir les exigences de réduction de matière attendues (il faudrait d’ailleurs ici évoquer les efforts fournis en ce sens via des design éco-concçus de plus en plus minimalistes), sans condamner un marché trop protéiforme pour être résumé à ce seul aspect.

Les effets de la pandémie sur les usages et pratiques ont forcément fait l’objet d’une réflexion particulière.

De l’impression 3D à l’intelligence artificielle, la Drupa en pointe sur la veille technologique

La chose tiendrait presque de la menace : « Les 15 % d’entreprises qui s’investiront le plus dans les logiques d’intelligence artificielle capteront 65 % du ROI qui y est lié » prévient dans sa keynote Michael Gale, spécialiste décrété de la transformation numérique et auteur notamment du best seller « The Digital Helix : Transforming Your Organization’s DNA to Thrive in the Digital Age ». De la même manière, il s’attache à faire comprendre que les moins enclins à embrasser le phénomène le subiront, avec le risque de disparaître. Difficile de s’emparer d’une telle généralité sans nuancer, mais il est certain que les industries graphiques ne seront pas un secteur étranger à cette (r)évolution. Il y a même déjà pris sa part, développant des systèmes de pilotage de production plus automatisés et « intelligents » que jamais. Pas seulement d’ailleurs en impression numérique, la chose valant tout autant – notamment – en offset, via des progrès logiciels continus depuis près d’une dizaine d’années. A celles et ceux qui argueront que l’automatisation n’est pas stricto sensu de l’IA, c’en est toutefois incontestablement la première marche. De fait, si le vocabulaire a sensiblement changé depuis l’édition 2016, passant de celui de l’automatisation des flux à celui du machine learning et des analyses prédictives, la logique est restée la même : aller aussi loin que possible dans l’absorption des imprévus et la volonté grandissante de produire des « justes volumes » personnalisés, sans contretemps. Tous font ainsi le constat qu’à condition de nourrir les systèmes d’une data pertinente, les machines sauront désormais automatiser des tâches qui nécessitaient jadis des interventions humaines traduites en interruptions des flux de production.

De façon concomitante, l’impression additive occupe une place grandissante dans le champ des sujets abordés au sein du salon – tout virtuel qu’il soit – comme si la perspective d’une industrialisation des « niches de marché » qu’elle abrite semblait (enfin!) se préciser. Peut-être faudra-t-il attendre 2024 pour en avoir le cœur net, car si cette « Virtual Drupa » s’est avérée généreuse en contenus, difficile de prendre le pouls d’une industrie au travers d’un événement ainsi amputé de sa dimension physique, délesté d’une part substantielle de ses exposants habituels et attaché à faire bonne figure, dans un contexte économico-sanitaire encore très incertain. Alors saluons cet avant-goût, mais malgré tout : vivement notre revanche !

Le temps des vinyles

Souvenez-vous, il y a deux ans, l’UNIIC organisait le Congrès de la Filière Graphique à l’AMI, l’Atelier-Musée de l’Imprimerie à Malesherbes.

Ce lieu magique s’est depuis doté d’un magnifique auditorium de 300 places dont les murs sont tapissés, il faut le voir pour le croire, de plus de 40 000 ouvrages et catalogues d’art !

Ce vaste espace muséographique de 5 000 m², qui regorge de trésors de l’histoire de l’imprimerie, de la photogravure, de la lithographie, réunis dans une riche exposition permanente, a consacré une place inattendue à tout ce qui entoure l’industrie du disque, dont les pochettes de vinyles : Pablo Picasso, Yves Klein, Andy Warhol, Salvador Dali, Pierre Alechinsky et tant d’illustres artistes ont signé les pochettes de disques des plus grands auteurs-compositeurs. C’est le temps des copains, le temps des images : 280 pochettes toutes plus étonnantes ou mythiques les unes que les autres, les unes de Salut Les Copains accompagnées d’extraits de l’émission éponyme sur Europe 1, les affiches cultes, les costumes des idoles de l’époque, des Juke-boxes et le film “La fabrique des idoles”, diffusé en continu dans le nouvel auditorium. Le temps des vinyles décrypte la culture graphique, artistique et visuelle des années 60 à 80, un moment où l’on assiste à une révolution des oreilles et des yeux…

Une exposition unique liant arts graphiques, arts plastiques… et musique. Selon Jean-Marc Providence, directeur de l’AMI et commissaire de l’exposition, ce sujet “neuf” permet “de dépasser l’image d’un musée traditionnel de l’imprimerie, où domine l’odeur de l’encre et du papier”. Toute la presse salue l’évènement et nous  vous proposons ci-dessous le reportage diffusé dernièrement sur France 3. mais surtout, allez-y !

Quand les Youtubeurs parlent de l’imprimerie

Dans le cadre d’une initiative portée par l’IDEP, le Youtubeur Dave Sheik (200 000 abonnés, excusez du peu) s’est fendu d’une vidéo de 9 minutes, intitulée “La fin de l’imprimerie ?” (SPOILER : Non).  Après s’être rendu notamment au Musée de l’Imprimerie de Malesherbes et à l’imprimerie Laballery à Clamecy, Dave Sheik remonte le fil du temps sans oublier de préciser qu’il s’agit de métiers mouvants, en constante adaptation. Avec près de 23 000 vues en quelques jours, l’opération est d’ores et déjà un succès, l’IDEP ayant tenu à “faire connaître les métiers des Industries graphiques à un public jeune, les 16 -25 ans, amateurs de vidéos de vulgarisation historique”.

… Nous ne résistons pas, au passage, à compléter le propos en partageant également la vidéo de Max Bird ci-dessous, qui a le mérite de répondre – moyennant un ton plus extraverti – au raccourci tenace selon lequel la production de papier participerait à la déforestation (SPOILER : Non, toujours pas).