Alban Pingeot – “Il y a toujours ce besoin en France de faire briller cette industrie”

Le récent nouveau Président d’Imprim’Luxe, passé notamment par Moulages Plastiques de l’Ouest (MPO) – une entreprise au profil atypique, à la fois fabricant de supports optiques pour l’industrie du disque et imprimeur pour répondre à des besoins connexes notamment dans le domaine du packaging – nous répond sur les nouvelles orientations d’un label destiné à « faire briller » notre industrie, tout en revenant sur une carrière riche, menée tambour battant. Et sans fausse note.

Est-ce que vous pouvez nous retracer votre parcours avant cette nomination à la Présidence d’Imprim’Luxe ?

Cela fait plus de trente ans que je suis dans la fabrication industrielle, avant cela j’étais coopérant à la chambre de commerce française de Barcelone pour aider les entreprises françaises – surtout des PME – à exporter localement. J’ai fait ça pendant quasiment deux ans. Ensuite, toujours en Espagne, j’ai créé une  entreprise de services pour le compte des éditeurs de logiciels. Je fabriquais leurs produits. Pour cela, J’achetais des disquettes vierges (supports magnétiques) que je dupliquais en série grâce à des copieurs et je concevais des packages pour les imprimeurs. Je travaillais notamment avec Toshiba, Epson et d’autres. A l’époque l’industrie était très locale, même pour des gros comme Apple ou Microsoft et ces marques avaient besoin de supports de communication magnétiques. Au bout de six à sept ans, j’ai vendu cette société à MPO [Moulages Plastiques de l’Ouest – NDLR], qui à l’époque avait une entreprise à Madrid pour fabriquer les premiers CD-Rom. Il fallait donc passer sur un support autre que le magnétique, ce qui constituait un défi important et a permis à MPO de rentrer dans un marché autre que celui de la musique. Pendant quelques mois, j’ai pris en charge le développement commercial du segment multimédias en Europe de l’entreprise : très vite, j’ai estimé que si nous voulions être forts dans la duplication de logiciels, il fallait aller en Irlande, puisque c’est la tête de pont de ces marchés à l’échelle mondiale, pour des raisons fiscales. En l’occurrence, exporter en Irlande est compliqué, donc il fallait vraiment travailler localement. J’y suis resté cinq ans à la recherche de gros clients, c’est comme ça que nous avons travaillé avec des sociétés comme Microsoft ou Dell, toujours selon le même principe : leur proposer des packages complets sur disques optiques, en nouant au passage des deals avec des imprimeurs. Car on l’oublie souvent, mais autour du disque il y a l’habillage et l’impression. Pour le disque lui-même, nous utilisions deux typologies en l’occurrence : l’impression sérigraphique sur CD et ensuite l’offset quand le DVD est arrivé, pour des questions de poids d’encres sur les disques. Il fallait aussi bien sûr packager soit de la musique, des jeux vidéo, de la vidéo, des contenus informatiques etc.

Proposer dans notre offre globale ce que les anglo-saxons appellent du service intégré. Pour l’éditeur, cela signifie avoir un seul prestataire capable d’aller jusqu’au magasin en flux tirés, avec le rêve de pouvoir fabriquer à la commande.

Il y a eu un âge d’or des supports optiques mais eux les premiers ont été touchés par la dématérialisation, bien avant le papier…

En effet ! C’est pourquoi, suite à ça, j’ai rejoint le groupe à Paris pour essayer de diversifier les activités et réfléchir à ce que la révolution numérique allait remettre en cause dans nos métiers. Nous avons donc développé deux activités dites ‘connexes’ pour vendre plus de produits : faire de la gestion de projets autour du packaging ; et de la logistique pour proposer dans notre offre globale ce que les anglo-saxons appellent du service intégré. Pour l’éditeur, cela signifie avoir un seul prestataire capable d’aller jusqu’au magasin en flux tirés, avec le rêve de pouvoir fabriquer à la commande, plus rapidement et en plus petites quantités et ainsi limiter les stocks. Pour notre activité packaging, il y a un moment clé avec le rachat de BDMO, né de Montreuil Offset [en mars 2011, NDLR] qui était un fournisseur historique dans le secteur des biens culturels en France. Elle était en difficulté financière et nous l’avions rachetée à la barre du tribunal à l’époque, cela nous a permis de faire un pas décisif vers l’impression et la fabrication de packaging, sachant que nous étions déjà imprimeur papier avec du matériel offset, mais uniquement pour nos besoins propres sur des produits plus basiques : livrets, jaquettes etc. Nous étions conscients que nos métiers allaient vers encore plus de digitalisation, cependant nous étions convaincus que l’objet allait résister sur des segments plus haut de gamme. Il faudra toujours de beaux produits pour les fans, pour les collectionneurs ou pour celles et ceux qui veulent faire des cadeaux. Ce ne sont plus des achats utilitaires en ce sens que s’il ne s’agissait que d’écouter de la musique, le streaming se suffirait à lui-même. L’intérêt, c’est bien d’acquérir un bel objet vecteur d’émotions. Pour autant, il fallait trouver d’autres marchés pour compenser la baisse de volume des ventes. Nous avons évidemment essayé d’emprunter le chemin du numérique, via l’encodage/transcodage de titres mis à disposition sur des plateformes marchandes, mais sans succès. Le fait est que lorsque l’on vient du monde industriel et de la fabrication, on ne se transforme pas d’un claquement de doigts en geeks. D’autant qu’il y a aussi une réalité sociale et économique : pour cent personnes qui travaillent dans la production physique, en digital il n’en faut plus que deux. Donc, on ne parle ni des mêmes échelles, ni des mêmes prestations. Enfin, dernier point : pour exister dans le monde digital, il faut soit être propriétaire des contenus et donc en quelque sorte être éditeur soi-même – ce qui n’était pas notre métier – soit être maître des tuyaux numériques. Ce n’est pas notre métier non plus… La seule solution pour nous, c’était donc de pousser des activités connexes et industrielles, notamment dans le packaging : nous savions que nous nous engagions sur des métiers techniques qui correspondaient à ce que nos employés pouvaient faire et nous savions que ces segments allaient grossir pour devenir petit à petit notre activité principale. Quand nous avons repris BDMO avec une vingtaine de salariés, nous avons lancé un programme de formation pour accompagner nos opérateurs vers l’impression et le façonnage, quand beaucoup venaient du disque. Ainsi nous avons pu sauvegarder 50 emplois. L’idée, c’était de pouvoir attaquer les marchés du haut de gamme, tout en poursuivant un développement logique puisque nous étions déjà positionnés sur de l’impression/fabrication de packaging.

Le packaging est un monde varié en soi, comment avez-vous affiné votre positionnement ?

Au départ, nous nous posions la question : fallait-il aller vers le packaging de luxe, la pharmacie, la cosmétique ou l’impression commerciale ? Nous nous sommes fait accompagner par un consultant sur ces questions, pour une analyse plus stratégique. Et nous avons rapidement constaté qu’il y avait davantage d’accointances entre notre histoire, notre culture, nos savoir-faire et les marchés du luxe. Il valait clairement mieux nous diriger vers des produits ‘prestige’ et prémium, que vers de la pharmacie par exemple, déjà pour des raisons d’accessibilité immédiate : nous n’avions pas les machines ou les capacités d’aller vers des produits exigeant une autre approche technique. Je prends souvent cet exemple : si nous savons fabriquer un coffret musical pour Lady Gaga et le livrer à la Fnac, on pourrait alors le faire sur un flacon de parfum pour le livrer chez Sephora, avec cette même exigence de qualité.

Les compétences techniques ont-elles immédiatement suffi ? Quels efforts de transformation avez-vous dû fournir ?

Dans le luxe, les marques cherchent souvent à se singulariser pour exister dans les linéaires des magasins. Il faut donc avoir un vrai département R&D et leur apporter du conseil sur des projets particuliers et être capable de sortir des moutons à cinq pattes. C’est ce qui faisait notre force en tant que fabricant de disques : quand on fabrique un disque, il faut forcément une boite et un habillage avec un vrai travail de créa’, de conception, de design etc. Sur des projets multi-matériels, il faut aussi parfois savoir gérer de la sous-traitance, tout en restant soi-même acteur de la fabrication. Du vinyle au CD, on n’a pas recours aux mêmes matières : d’un côté on a du polycarbonate et de l’autre côté du PVC. Quant à la dimension packaging, il fallait être capable de travailler à la fois sur des papiers de création et du carton, du textile, etc. Nous avons réinvesti à la fois en numérique et en offset après le rachat de BDMO, pour pouvoir développer notre business en nous ouvrant de nouveaux marchés. C’est comme ça que j’ai connu Imprim’Luxe, en 2015. Notre positionnement prémium a permis cette rencontre.

Les maisons de disques possèdent des catalogues avec des milliers de références. Et chaque référence peut exister en différentes éditions et différents formats. De fait, même s’il y a moins de volume, les tirages petits et moyens se sont multipliés.

Quelle amplitude de tirages assuriez-vous dans ce monde-là ? Qu’est-ce qu’un gros ou un court tirage, lorsque l’on parle de disques ?

Il y a beaucoup de métiers dans le disque, même si cela a beaucoup changé aujourd’hui. Mais nous assurions à la fois des tirages monstrueux, à millions d’exemplaires, notamment lors d’opérations partenaires avec McDonald’s par exemple ou pour accompagner différentes revues. Cependant pour  le segment de l’édition dite ‘classique’ que ce soit dans le monde la musique, de l’informatique ou du cinéma, on se situait entre 5000 et 200 000 exemplaires pour une nouveauté, avec des retirages entre 200 et 1000 unités. Aujourd’hui, le marché a bien évidemment beaucoup changé sous l’effet de la dématérialisation, mais il y a une profusion de titres disponibles : les maisons de disques possèdent des catalogues avec des milliers de références. Et chaque référence peut exister en différentes éditions et différents formats. De fait, même s’il y a moins de volume, les tirages petits et moyens se sont multipliés.

Cela ressemble à ce que, dans le print, on appelle le ‘versioning’…

Oui, exactement, il y a du versioning partout. Et je ne vais pas revenir sur les produits informatiques sur lesquels je travaillais à mes débuts, mais ça m’y a forcément préparé puisqu’il ne s’agissait que de logiciels mis à jour et réédités, aves des demandes erratiques : parfois il fallait ultra-réactif et parfois il n’y avait plus rien. On enchaînait les plannings vides et surchargés, selon l’état de la demande. Il fallait donc déjà une approche extrêmement flexible et agile des besoins, sachant que quand les clients sont des troubadours et des saltimbanques, eux les premiers ne savent pas combien ils vont vendre. Et cette obligation d’ultra-réactivité était d’autant plus nécessaire lorsque nous faisions face à la concurrence du piratage avec les CD gravés illégalement.

La flexibilité est toujours un avantage : pour répondre à la demande locale, mais aussi pour ne pas subir la concurrence étrangère et garder l’avantage de la proximité.

Est-ce que MPO a été confrontée, comme l’ont été nombre d’imprimeurs en France, à une concurrence étrangère rude avec des positionnements agressifs sur les prix ? Ou est-ce que le positionnement atypique de l’entreprise l’en a protégé ?

MPO a en effet un profil atypique au regard de ce qu’est l’imprimerie en France, mais ça ne veut pas dire que l’on n’a pas été confrontés à une forme de concurrence, notamment lorsque l’on fabriquait des CD vierges enregistrables : les asiatiques se positionnaient à très bas coût sur ces marchés, sans avoir à respecter les mêmes normes que nous. D’une certaine manière, nous avons donc connu cette problématique de délocalisation de l’activité. Ce qui est certain, c’est que la flexibilité est toujours un avantage : pour répondre à la demande locale, mais aussi pour ne pas subir la concurrence étrangère et garder l’avantage de la proximité. L’évolution du marché a confirmé qu’il ne fallait pas forcément avoir les machines les plus rapides et productives du monde, mais avoir celles qui calent très vite pour limiter les coûts fixes et assurer des demandes de plus en plus fractionnées. Au cours de ma carrière, j’ai toujours prôné l’export et le développement de l’activité à l’international. MPO dans ses beaux jours était une société qui avait des usines aux Etats-Unis, en Asie et en Europe. Sauf qu’avec la fonte du marché, on a fait les ‘petits gaulois’ en fermant les usines américaines, en vendant les unités en Asie et en nous rapatriant sur nos bases en Europe. L’activité s’est donc rabougrie et MPO aujourd’hui, c’est environ 60 % de son chiffre d’affaires qui se fait à l’export et 40 % sur le marché français.

L’important pour Imprim’Luxe, c’est de créer un chemin pour faciliter ces relocalisations, sur la base d’une appétence qui existe en réalité déjà.

Un des points clés de la mission d’Imprim’Luxe, dès sa création, a été la relocalisation des flux d’impression en France. Si le ‘made in France ‘ est attractif, voire gage d’un certain prestige, nombreux sont les donneurs d’ordre qui refusent d’en être prisonnier. Invité par Imprim’Luxe à un Table Ronde il y a maintenant près de quatre ans, Jean-Noël Kapferer (professeur émérite à HEC et sociologue spécialisé sur les thématiques de la communication) avait notamment dit que le ‘made in’ était une « obsession française » qui, selon lui, n’avait pas toujours lieu d’être… Est-ce que les choses sont malgré tout en train de changer ?

Si le client veut un produit peu cher, il mettra forcément les entreprises françaises en concurrence et je doute que l’argument du ‘made in France’ entrera vraiment en ligne de compte. Et de toute façon, la France ne pourra pas devenir demain l’usine du monde entier, ce n’est pas possible. En revanche, si dans sa réflexion le prix ne fait pas tout et qu’il veut aussi de la réactivité et de la qualité, alors même à quelques pourcents plus chers, le ‘made in France’ pourra lui apporter davantage de sérénité et recueillir sa préférence. C’est d’autant plus vrai aujourd’hui que toute la dimension RSE (de l’écoconception à la seconde vie du produit) est devenue hyper importante. En général, un donneur d’ordre met en balance l’ensemble de ces critères pour fonder son choix et de ce point de vue, nous avons des arguments à faire valoir. Mais ayons conscience qu’il y a des choses que la Chine par exemple fait extrêmement bien, parce qu’ils ont développé des savoir-faire structurés autour d’une industrie maîtrisée et de technologies pointues. Il ne faut pas croire que leur seul argument serait le prix. C’est bien pour cela que même si l’on essayait de rapatrier certaines activités en France, à ce jour nous avons encore des années de retard. Cela étant, regardons ce qu’ont fait Louis Vuitton ou Hermès : ils ont relocalisé des ateliers de fabrication, notamment en France, alors que d’un point de vue économique, il n’y avait aucun bénéfice direct à le faire ici plutôt que dans des pays à bas coûts de main-d’œuvre. Mais je pense qu’ils ont compris qu’ils vendent des produits destinés à faire rêver. Or, souvent, cela implique de s’appuyer sur un imaginaire qui fait par exemple que le champagne a des attaches culturelles et géographiques françaises. Même chose pour les vins : il en existe qui sont australiens ou californiens et qui sont de très bonne qualité. Mais sur le très haut de gamme, il y a cet imaginaire à respecter qui dépasse de loin la seule logique des prix. L’important pour Imprim’Luxe, c’est de créer un chemin pour faciliter ces relocalisations, sur la base d’une appétence qui existe en réalité déjà. Notre mission consiste évidemment aussi à valoriser et faire fructifier nos savoir-faire, chose qui passe à mon avis nécessairement par l’export : on ne doit pas rester recroquevillés sur nos marchés locaux.

Il ne se passe pas une semaine sans que l’on ne reçoive des demandes très spécifiques de fournisseurs ou de donneurs d’ordre sur notre site Internet, lorsqu’ils cherchent des prestataires capables d’assurer des opérations un peu pointues.

Vous avez récemment rappelé les objectifs prioritaires du label, en insistant notamment sur la nécessité d’être en contact plus direct avec les donneurs d’ordre. Est-ce à dire que certains de vos membres regrettent un manque de chiffre d’affaires additionnel, lié à leur appartenance à Imprim’Luxe ?

Il y a toujours ce questionnement entre, d’un côté, la volonté de rentabiliser une labellisation avec l’objectif comptable d’enregistrer un volume d’affaire supplémentaire, et l’utilité de faire partie d’un collectif destiné à valoriser ce qu’on est. Les mêmes questions se posent souvent à propos des salons professionnels : faut-il y aller ? Est-ce que ça rapporte ? Le fait est que souvent, les entreprises reviennent. Parce que je pense qu’au-delà des éventuelles frustrations liées à la difficulté de générer du business additionnel, du moins à première vue, on peut difficilement se permettre de ne pas se signaler. Et souvent, un label apporte des bénéfices qui ne sont pas immédiatement visibles : cela peut rassurer un donneur d’ordre quand il arbitre ses choix, mais rien ne l’oblige à le dire comme ça. Ce que je peux vous dire, c’est qu’il ne se passe pas une semaine sans que l’on ne reçoive des demandes très spécifiques de fournisseurs ou de donneurs d’ordre sur notre site Internet, lorsqu’ils cherchent des prestataires capables d’assurer des opérations un peu pointues. A minima, cela prouve que l’on est identifiés comme un garant qualitatif et c’est bien là aussi l’essence d’Imprim’Luxe. Cela étant, oui c’est notre prochain objectif : être davantage reconnu chez les donneurs d’ordre. A nous de marketer notre action, à minima pour qu’ils sachent quels services nous sommes en mesure de leur rendre.

Imprim’Luxe peut déjà s’enorgueillir d’une longévité qui est une victoire en soi : le label a en effet fêté ses dix ans l’an dernier, preuve qu’il a une légitimité de fait. A quoi cela tient, selon vous ?

Imprim’Luxe n’est pas une association technique qui aurait pour objectif de fédérer des entreprises ayant les mêmes profils et les mêmes problématiques, mais elle fédère des entreprises qui ont un point commun : une passion pour l’excellence. Et toutes nourrissent la volonté de conquérir des marchés haut de gamme, en France et ailleurs. Or, le monde de l’imprimerie est assez diffus, avec énormément de TPE et PME. Il y a toujours ce besoin en France de faire briller cette industrie, dont on ne parle hélas pas toujours positivement. Une industrie qui doit lutter pour son image, contre la digitalisation des pratiques, tout en faisant face à des difficultés socioéconomiques. On renvoie parfois l’image d’un monde qui sent la poussière, alors que nous avons de très belles entreprises, à la fois garantes de savoir-faire historiques mais aussi très modernes, avec des technologies qui évoluent sans cesse. Il nous faut aussi rappeler combien notre écosystème fait vivre une filière aux intérêts interconnectés, avec derrière tout ça des hommes et des femmes passionnés. Nos labellisés sont les fiers représentants de l’excellence de cette filière et je pense que c’est en soi assez rare. D’ordinaire, on parle de labels d’expertise technique, mais avec Imprim’Luxe, il s’agit d’une autre forme de reconnaissance liée encore une fois à l’excellence.

Pour revenir aux objectifs que porte Imprim’Luxe aujourd’hui, le packaging en général – et notamment le packaging secondaire – est omniprésent dans vos projections stratégiques. De fait, il apparaît comme une priorité claire…

On assiste à une dématérialisation des supports et donc à une baisse d’impression sur tout ce qui n’est pas stratégique pour la marque : tout ce qui peut être digitalisé sans perte directe de visibilité aura tendance à l’être. Or, pour une marque de luxe, l’emballage est extrêmement stratégique. C’est pour ça que je pense qu’Imprim’Luxe doit être particulièrement attentive à ce qui se fait dans le pack’.

J’ai du mal à imaginer qu’on aille acheter demain du parfum haut de gamme en vrac : quand on paye cent euros un petit flacon, difficile de se passer d’un bel écrin.

Pourtant, le packaging n’échappe pas à des injonctions à la sobriété. De plus en plus, on appelle à faire des emballages plus économes, voire à se passer de certains d’entre eux. C’est notamment très sensible au regard des législations européennes en cours de structuration.

Oui, mais on distingue deux grandes typologies de produits : les emballages de grande consommation, qui sont les premiers concernés par une réduction des volumes, et les niches haut de gamme à propos desquelles on se pose beaucoup plus de questions. Parce que – à l’image du disque, dont on a beaucoup parlé – le bel objet aura toujours besoin d’être matérialisé et d’être mis en valeur. J’ai du mal à imaginer qu’on aille acheter demain du parfum haut de gamme en vrac : quand on paye cent euros un petit flacon, difficile de se passer d’un bel écrin. Si on parle d’un CA global de 850 milliards d’euros pour le packaging – tous marchés confondus – les segments prémium pèsent 17 milliards, dont 2,6 milliards pour le seul sous-segment du packaging secondaire. 35 % dudit marché est européen et il est difficile d’évaluer le poids de la France. On peut imaginer que les produits européens ont plutôt tendance à être fabriqués en Europe, avec une part non négligeable d’exportations. Et si je suis un fabricant français, il y a quand même plus de sens à solliciter Autajon à Montélimar qu’un lointain prestataire peut-être un peu moins cher, même pour des campagnes qui partent dans des pays voisins. Pour autant, il est très difficile d’avoir des chiffres fiables sur lesquels se reposer : on est obligé d’analyser le marché au regard de ce que l’on observe et des quelques éléments à notre disposition.

Imprim’Luxe a toujours revendiqué une forme d’élitisme, en imposant notamment un plafond de labellisés autour de la cinquantaine d’entreprises. Est-ce toujours le cas ?

Oui, mais en même temps, il faut se méfier de la notion d’élitisme : on peut tout à fait avoir des entreprises détentrices de merveilleux savoir-faire, qui ne travaillent pas pour des grandes marques de luxe et qui se positionnent peut-être encore de façon un peu modeste.

Dans un monde graphique très varié, on a besoin d’entreprises qui ont envie d’exceller dans ce qu’elles font. Et j’ai presque envie de dire, peu importe ce qu’elles font : on a besoin de cuisine moderne et de cuisine traditionnelle.

A l’échelle des Industries Graphiques, il y a aussi nombre d’acteurs majeurs qui pourraient se sentir exclus du message ‘élitiste’ porté par le label, a fortiori lorsqu’ils sont positionnés sur des produits à l’image moins ‘noble’ et particulièrement attaqués ces dernières années : pensons notamment à l’imprimé publicitaire…

Pourtant, il faut les deux ! Je ne sais pas si l’analogie est très pertinente, mais je comparerais ça au guide Michelin : il y a le prestige tout en haut avec les restaurants étoilés, mais avant ça, il y a une myriade de distinctions plus modestes qui font aussi la richesse de la restauration française. On peut être à Paris ou en province, spécialisé dans le poisson ou le végétal etc. Mais dans tous les cas, on représente le savoir-faire à la française. L’excellence, par ailleurs, ce n’est pas que le produit : c’est aussi la qualité du service, la propreté des locaux etc. Parfois, on veut d’ailleurs juste manger vite, d’où les fast-foods, qui ont leur légitimité aussi. L’important, c’est de pouvoir répondre à des besoins différents, du mieux que l’on peut. Imprim’Luxe, c’est un peu la même chose : dans un monde graphique très varié, on a besoin d’entreprises qui ont envie d’exceller dans ce qu’elles font. Et j’ai presque envie de dire, peu importe ce qu’elles font : on a besoin de cuisine moderne et de cuisine traditionnelle. Pour l’instant, on plafonne le nombre de labellisés autour d’une cinquantaine, mais tant mieux si demain on s’autorise à être plus nombreux. Après, Imprim’Luxe ne peut évidemment pas répondre à tout, il est certain que les entreprises positionnées aujourd’hui sur de l’imprimé publicitaire n’ont pas les mêmes problématiques ni les mêmes perspectives que celles qui font de l’emballage haut de gamme, mais je reste persuadé que même face aux pires difficultés, il vaut toujours mieux essayer d’exceller dans ce qu’on fait. Inversement, être labellisé imprim’Luxe ne suffit pas, ça ne fait pas apparaître des clients et du business par magie. Le label crée effectivement des attentes et nous savons que nous devons l’imposer auprès des grandes marques, notamment auprès des contacts au profil plus opérationnel : des chefs de fabrication, des directeurs d’achat etc. En soi, les marques de luxe ont des besoins variés, d’où le fait que le label peut accueillir des entreprises aux profils très différents. C’est pour cela que nous pouvons d’une certaine façon « outiller » des entreprises sur le plan marketing & commercial, lesquelles ne savent pas forcément comment aborder certains clients, alors qu’elles répondent pourtant à des besoins importants avec un haut niveau de savoir-faire. Au point d’ailleurs que ce sont parfois les entreprises elles-mêmes qui viennent nous solliciter, conscientes de ce que nous pourrions leur apporter en termes de visibilité et d’opportunités.

L’année 2024 était une année drupa, un événement qui met évidemment la focale sur des aspects plus techniques : est-ce que les labellisés ou partenaires Imprim’Luxe expriment aussi des attentes liées à la technologie au sens large ? Y a-t-il des problématiques formulées autour de la rentabilité, la productivité ou la fiabilité des écosystèmes matériels, dans un contexte de contraction des volumes ?

Nous ne sommes pas un label technique mais nous avons des partenaires techniques. C’est par leur biais que ces enjeux pourraient être abordés et même si ce n’est pas notre raison d’être, j’espère qu’ils le seront de plus en plus. Ce qui moi m’a frappé en tant que client jadis auprès des imprimeurs, c’est de constater la course aux volumes qui a eu lieu pendant si longtemps, en sacrifiant au passage les prix sur les petites séries. Le but était de se refaire une santé sur les grosses commandes. Malheureusement, aujourd’hui les volumes baissent et on voit à quel point cette stratégie était mortifère. J’ai aussi pu constater une tendance à ne pas intégrer le coût des futurs investissements, dès lors qu’une machine était payée : là encore, le but est d’être moins cher que le voisin, mais ce faisant, on se coupe un pied à moyen et long terme, parce qu’on n’anticipe pas les investissements à venir. Il n’empêche que le métier a changé : il était auparavant très technique et ancré dans la production, il correspond plutôt à un métier de service aujourd’hui. Nous vendons de plus en plus du temps humain, davantage qu’un simple produit imprimé. Les machines numériques sont par ailleurs de plus en plus opaques et laissées aux mains des fournisseurs et à ce titre, les marges de manœuvre de l’industriel s’orientent de plus en plus vers la gestion de projet, la capacité à intégrer un maximum d’étapes dans la chaîne de fabrication, la réactivité commerciale, le développement du lien relationnel etc.

Si l’environnement est important partout, tout le temps, c’est certainement plus encore le cas dans l’univers du luxe. (…) C’est aussi un élément clé aujourd’hui pour faciliter le recrutement dans l’industrie, qui est un vrai problème. Nos jeunes souhaitent donner du sens à leur travail et protéger la planète pour le futur de leurs enfants.

Un marqueur de l’époque est évidemment la dimension environnementale et plus globalement RSE, qui redessine entre autres nos obligations règlementaires ainsi que nos façons de produire et de consommer. Comment analysez-vous le phénomène, du point de vue d’Imprim’Luxe ?

Je suis en train de faire une formation en parallèle à l’école des Mines sur la gestion environnementale et l’écologie et je ne sais pas si on réalise à quel point le sujet est central pour les marques de luxe. Elles s’adressent au consommateur final et elles ont cette obsession de répondre aux exigences croissantes en la matière des gens qui achètent leurs produits, tant sur le plan de la traçabilité que de la réduction des impacts de fabrication et d’utilisation. Elles sont tout à fait conscientes qu’un bad buzz peut leur porter un coup quasi-fatal. Nous insistons ainsi particulièrement sur ce point auprès de nos labellisés parce que si l’environnement est important partout, tout le temps, c’est certainement plus encore le cas dans l’univers du luxe, les marques ayant une image à préserver. C’est aussi un élément clé aujourd’hui pour faciliter le recrutement dans l’industrie, qui est un vrai problème. Nos jeunes souhaitent donner du sens à leur travail et protéger la planète pour le futur de leurs enfants.

Pourtant, on mesure là aussi déjà une forme de lassitude, certaines entreprises ayant dans le même temps identifié cette urgence, tout en ayant l’impression de subir des injonctions qui ne tiennent pas compte d’une forme de réalité industrielle…

Oui, c’est le cas parce que dans un univers à forte dominance de TPE/PME, la mise en application des démarches normatives est à elle seule extrêmement lourde et parfois très compliquée à saisir. On est passé d’un triptyque Prix/Qualité/Délais à une équation à quatre critères Prix/Qualité/Délais/Environnement. Sur ce point, à nous de porter la bonne parole parce qu’encore une fois, quand les entreprises sont focalisées sur la production, leurs priorités font que la partie RSE passe souvent au second plan. On en parle énormément, mais cette unité de valeur n’est – je pense – pas encore suffisamment prise en compte dans l’industrie. Les dirigeants de ma génération et des précédentes n’ont pas eu cette sensibilisation aux enjeux écologiques, il y a donc un effort à fournir pour se ‘mettre à niveau’, d’où la formation que je suis moi-même. Le piège, c’est de ne voir là-dedans que des contraintes, d’autant que les solutions manquent souvent et qu’on a par conséquent tendance à se dire qu’on nous demande l’impossible. Mais tout ceci est en train de se construire et il ne faut surtout pas y faire obstacle, bien au contraire. Pour ma part, j’essaierai de mettre cette thématique au centre d’un colloque à venir pour Imprim’Luxe, en mettant autour de la table des donneurs d’ordre et des industriels. Il faut bien être conscient que les marques vont chercher à s’appuyer sur nous : mieux on pourra les aider, mieux on prépare l’avenir de nos métiers. Encore une fois, ce n’est pas idéologique : il suffit d’entendre parler les donneurs d’ordre, de penser à qui seront les jeunes acheteurs de demain, eux-mêmes formés à ces enjeux, pour comprendre que nous n’y couperons pas. Si nous ne les aidons pas à progresser sur ces sujets, nous allons dans le mur.

Législatives anticipées : comment assurer la livraison du matériel électoral imprimé ?

A l’heure où nous écrivons ces lignes, dans un contexte extrêmement précipité, le délai exigé entre la fin du dépôt des candidatures (dimanche 16 juin) et la livraison du matériel électoral imprimé (le mardi 18 juin à 18 h) apparaît trop court. L’UNIIC œuvre à obtenir un temps supplémentaire…

Les élections législatives
 sont des élections certes nationales, mais qui relèvent aussi d’un ancrage territorial fort, au travers notamment des rapports de confiance existant entre les candidats et leurs imprimeurs de proximité.

Ces élections, sauf exception, sont programmées et laissent ainsi le temps aux acteurs de la fabrication des documents de propagande électorale (imprimeurs et routeurs) de travailler sereinement dans le cadre des dispositifs prévus par le code électoral, des échanges avec le ministère de l’intérieur portant sur les tarifs de remboursement, l’agenda de livraison des documents, ainsi que les lieux notamment.
L’UNIIC qui participe depuis de longues années (depuis que la gestion est centralisée) à ces travaux techniques avec plusieurs imprimeurs, œuvre à leurs côtés pour remonter les contraintes rencontrées dans les circonscriptions.

Le cas de figure que nous rencontrons cette fois-ci est inédit tant la précipitation déstabilise les imprimeurs, confrontés en outre à une offre papetière contrainte et aux prix qui peuvent en découler, avec un agenda tellement serré qu’il peut nuire à la qualité de la mission confiée aux professionnels graphiques.
L’UNIIC, consciente de ce que représente le bouleversement des modes opératoires lié à l’urgence, met tout en œuvre pour attirer l’attention de l’Etat sur les risques que nous prenons collectivement à ne pas intégrer les contraintes productives des imprimeurs, les surcouts générés, les difficultés qui peuvent naitre dans certaines circonscriptions qui peuvent ne pas être livrées conformément au cahier des charges et engendrer des annulations.

Alors que les tarifs de remboursement sont ceux de 2022 (et que les évolutions des coûts de matières et de production sont hélas au rendez-vous), l’UNIIC insiste pour qu’un délai de 24 heures supplémentaires nous soit accordé pour remplir cette mission essentielle.

Consulter les tarifs de remboursement

La Drupa 2024 dévoile ses cartes

Exceptionnelle à plus d’un titre, après huit ans d’absence sous son format “physique”, cette Drupa 2024 s’est présentée, au gré d’une récente conférence de presse, sous des traits plus internationaux que jamais : avec une forte percée des marchés dits “émergents” et des tendances très favorables au packaging dans les régions du monde où les croissances démographiques sont les plus fortes, l’industrie du print montre des dynamiques globalement positives, bien que très hétérogènes à l’échelle mondiale. Dans pareil contexte, qu’attendre du salon de Düsseldorf ?

On ne cesse de le rappeler, mais alors que le Covid est encore frais dans les mémoires, “nous vivons des temps agités, il s’est passé plus d’événements en quatre ans qu’en des décennies entières” résume Sabine Geldermann, Directrice du salon. Une façon de faire référence certes à la fois à la crise sanitaire, mais aussi à des phénomènes sectoriels (crise du papier, manque de main d’œuvre), plus communément industriels et/ou économiques (crise logistique, inflation, règlementations environnementales), voire géopolitiques (guerre en Ukraine et au Proche-Orient). De quoi en être assuré : cette Drupa ne sera pas comme les autres et les enjeux qu’elle renferme excèdent la seule dimension technologique des matériels, hardware et software.

Les marchés émergents omniprésents

Certainement plus qu’aucune autre édition avant elle, cette Drupa sera à l’image de ce qu’est aujourd’hui le marché mondial du print, dans toutes ses dimensions. “Selon la Smithers Pira Limited, le chiffre d’affaires global du print dans le monde atteint désormais les 950 milliards de dollars” rappelle Sabine Geldermann : un record qui cache évidemment des situations extrêmement disparates, selon les sous-marchés considérés. Car s’ils sont très majoritairement matures en Europe – avec des surcapacités de production qui induisent des tensions inévitables chez les industriels – la demande demeure globalement croissante, tirée par les marchés émergents. “Entre 2015 et 2030, la classe moyenne croit nettement à l’échelle internationale, notamment en Asie, où il y a par ailleurs beaucoup moins de problèmes de main d’œuvre” résume la Directrice du salon, qui donne déjà là quelques éclairages quant à l’omniprésence remarquée des fournisseurs chinois. Sur les 50 pays représentés à cette Drupa, ils occupent en effet la deuxième place en termes de mètres carrés occupés (23 652 m²), derrière l’Allemagne (40 761 m²) et devant l’Italie (13 339 m²), qui complète le podium. A titre de comparaison, avec 25 stands confirmés à l’heure actuelle (30 sont attendus à terme), la France occupe 1843 m². Il faudrait par ailleurs ajouter que le Japon, s’il affiche “seulement” 4276 m² d’exposition, dépasse probablement virtuellement les 20 000 m², au travers d’une présence qui se fait majoritairement via ses filiales européennes. De nouveaux équilibres qui ne sont pas sans conséquences sur les produits imprimés eux-mêmes, puisque ce sont le packaging, l’étiquette et l’impression numérique qui tirent la couverture à eux, tandis que l’impression dite “commerciale” reste globalement stable à l’échelle mondiale, avec un déclin entamé sur les marchés matures – européens, notamment – évoqués plus tôt.

Vers une reconfiguration de l’offre ?

Même si des absences notoires se sont fait jour (citons notamment Xerox, Agfa, Manroland ou Domino), le plateau de fournisseurs présent à Düsseldorf est donc copieusement garni, loin des inquiétudes qui avaient pu être exprimées en 2020, lorsque certains redoutaient un ‘monde d’après’ délesté de ces grands salon physiques, au profit d’une communication numérique plus segmentée. Comme en 2016, c’est HP qui fera figure de premier exposant, avec environ 6000 m² et un hall entièrement dédié à ses solutions, même si l’impression dite “conventionnelle” est loin d’être en reste : poussé par le marché feuille, l’offset devrait en effet abattre des cartes intéressantes, avec notamment une présence renforcée d’Heidelberg, Koeing & Bauer ou encore Komori. Le salon inaugurera pour l’occasion de nouveaux espaces, dédiés à se faire l’écho de tendances sectorielles fortes :

  • Un Drupa Cube qui accueillera les conférences et autres keynotes thématiques.
  • Un Forum des solutions spécifiquement dédié aux approches environnementales et éco-friendly.
  • Un Forum spécifiquement dédié au packaging innovant (preuve, s’il fallait encore insister, de la percée confirmée des marchés de l’emballage).
  • Une “Drupa Next Age” davantage destinée à présenter de nouvelles visions, de nouveaux talents, au gré notamment d’une plongée dans des thématiques de veille technologique (fabrication avancée, bio-impression, IA & robotique etc.).
  • Une Drupa Touchpoint dédiée à l’impression textile.

Avec plus de 1 800 exposants et plus de 260 000 visiteurs attendus, cette Drupa sera peut-être bien celle des grands écarts, se faisant tout à la fois l’écho d’une croissance mondiale très liée à de purs aspects démographiques, ainsi que d’un plafonnement des marchés dans des régions du monde où les ajustements stratégiques réclameront une connaissance pointue des tendances à l’œuvre, sur des marchés moins attachés que jamais à des logiques de massification.

L’UNIIC et ses partenaires vous donneront l’occasion d’en juger sur place : les forfaits proposés, pour des voyages qui s’effectueront – au choix – du 28 au 30 mai, ou du 4 au 6 juin (de possibles aménagements peuvent, le cas échéant, être discutés), sont consultables sur notre page de préinscription. Les places partent vite, ne tardez pas !

 

Imprim’Luxe – Dix ans et des idées plein la tête

Dix ans, c’est un cap qu’Imprim’Luxe ne s’est pas privé de célébrer, cette longévité marquant la réussite d’un projet qui n’a toutefois pas fait le tour de sa question. Car Pierre Ballet, recevant pour l’occasion Hubert Védrine et Arnaud Montebourg – qu’on ne présente évidemment plus – décrit l’avenir du label dont il est le Président avec un objectif clair : resserrer plus encore les liens avec les donneurs d’ordre.

C’est à L’Automobile Club de France que le label donnait rendez-vous à ses plus fidèles soutiens, avec des invités de prestige. Malheureusement, se sent-on obligé de préciser, la venue d’Hubert Védrine pour cet anniversaire d’Imprim’Luxe survient dans un contexte de tensions géopolitiques à ce point explosif, que son intervention était d’autant plus attendue. « On me demande ce que l’état du monde induit aujourd’hui pour vos activités. Vous pensez bien qu’en quelques minutes, je resterai très général » souligne-t-il alors, lui qui se décrit comme un « réaliste » qui aura été contraint de l’être, fort de sa carrière de diplomate, ancien ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement Jospin et ancien secrétaire général de la présidence de la République sous François Mitterrand.

Hubert Védrine, ancien Ministre des Affaires étrangères entre 1997 et 2002 (Gouvernement Jospin).

Fracturée, la mondialisation tient bon

« Nous vivons une ère de la mondialisation fracturée. C’est parfois difficile à entendre pour les occidentaux, qui ont tendance à se voir comme étant à l’avant-garde de la civilisation, de la morale et du progrès, mais après l’attaque de Poutine en Ukraine, il y a quarante pays – qui pèsent pour les deux tiers de l’Humanité – qui n’ont pas voulu choisir lors de l’assemblée générale des Nations Unies. Parmi ceux-là, certains n’ont aucune sympathie pour la Russie, mais ils se refusent simplement à être dans le camp occidental de façon automatique » commente Hubert Védrine, ajoutant qu’à la lumière de la guerre au Proche-Orient, « Pour un milliard de musulmans, ce que l’occident perçoit comme étant du terrorisme et de l’antisémitisme, est un acte de résistance ». Une fracture ouverte, donc, mais qui ne remet nullement en cause la réalité d’une mondialisation toujours opérante. « Typiquement, les entreprises du luxe ne souffriront pas forcément de ces fractures et continueront de toucher des cibles avec du pouvoir d’achat, en se rendant désirable à l’international » ajoute-t-il en effet, se refusant à confondre une mondialisation fracturée avec un mouvement hypothétique de démondialisation. « Aux entreprises de ne pas trop s’occidentaliser elles-mêmes », pose-t-il toutefois comme condition, revenant ici un peu à ses racines de conseiller diplomatique. Ainsi devine-t-on ici une première forme de divergence avec Arnaud Montebourg, qui avait été l’un des premiers hommes politiques français à se faire porte-étendard de ladite « démondialisation », non sans y aller de sa propre définition d’un concept qu’il ne nomme toutefois plus de la sorte…

Arnaud Montebourg, ancien Ministre de l’Économie, du Redressement productif et du Numérique.

Le made in France comme acte de résistance

Pourtant, de divergences débattues de haute lutte il n’y aura pas : « Dans un rapport qu’il avait rendu au Président Sarkozy sur l’avenir de la mondialisation, Hubert Védrine réhabilitait la nation comme premier outil collectif d’action économique » précise en effet Arnaud Montebourg, qualifiant à cet égard Hubert Védrine de « visionnaire ». S’appuyant ainsi sur ce combat commun, l’ancien Ministre de l’Économie, du Redressement productif et du Numérique de France, le redit en 2023 avec la même verve qu’alors : la construction européenne a selon lui été le théâtre d’une « soumission » autorisant pêle-mêle « le dumping et la concurrence déloyale » et ayant pour conséquence des « destructions économiques », faute d’un cadre protecteur suffisant. Dénonçant les logiques moins-disantes qu’engagent trop souvent les mises en concurrences mondialisées, Arnaud Montebourg voit en l’existence du made in France une forme de résistance nécessaire : non, il ne s’agira pas de s’aligner. « La mondialisation n’était pas un fait contre lequel on ne pouvait rien. C’était un fait politique concerté, décidé, organisé » embraye-t-il, refusant de voir en la désindustrialisation qui s’en est suivie, une fatalité. « Le made in France, c’est la possibilité pour une nation de mettre tous les jours, le pain et le couvert. C’est une vision purement mercantiliste : je dois assurer le pain quotidien de mes concitoyens. Moi ça ne m’intéresse pas de développer la Chine » s’emporte-t-il déjà, appelant de fait chaque nation à se donner les moyens politiques de sa propre survivance économique. « Nous avons le pire déficit extérieur de l’Union Européenne » se désole-t-il ensuite, faisant en creux le constat d’un redressement manqué et d’un endettement progressif. A sa modeste échelle, sur un secteur – celui du luxe – qui bénéficie d’évidents atouts intrinsèques pour s’exporter à bon prix, Imprim’Luxe mène sa part du combat : porter haut l’image de l’industrie française, au profit (car ce n’est pas un gros mot) des entreprises qui adhèrent au label. Pas de triomphalisme pour autant, Pierre Ballet définissant parfaitement les enjeux : « Nous constatons qu’en 2022, certaines grandes maisons – comme Hermès ou Chanel – ont décidé de relocaliser en France la fabrication de nombre de leurs packagings, pour des raisons de stratégie RSE sûrement, mais aussi pour accompagner et soutenir notre industrie ». Evoquant l’action d’Imprim’Luxe davantage à ce jour comme un liant précieux qui aura permis des « fertilisations croisées entre les labellisés » que comme un moteur de relocalisation directe, il ne veut pas s’en tenir là. « Je pense qu’il nous faudra travailler auprès de structures qui ont des contacts avec les donneurs d’ordre que nous n’avons pas à l’heure actuelle, pour aller plus loin et devenir plus encore, un indicateur d’excellence pour les maisons du luxe » formule-t-il comme vœu, évoquant pour ce faire un management repensé, une équipe rajeunie et des objectifs redéfinis. De toute évidence, s’il y avait déjà une brèche il y a dix ans, elle s’est accentuée dans une ère Post-Covid qui a ravivé des manques productifs malheureux, en sus d’un travail de reconsidération des circuits courts, à des fins (notamment) de lutte pour le climat. De telle sorte qu’au moment de souffler sa dixième bougie, Imprim’Luxe fait état d’une vision claire et ambitieuse de son avenir : il faut se signaler face aux donneurs d’ordre comme les porteurs d’une solution vertueuse de relocalisation, avec le prestige intact du made in France. De quoi, c’est certain, s’assurer encore de beaux anniversaires.

Retrouvez les photos de la soirée

Pierre Ballet, Président d’Imprim’Luxe.

Décret tertiaire : les arguments de l’UNIIC ont été entendus

Nombre des adhérents de l’UNIIC nous ont fait part de leurs inquiétudes quant à l’assimilation des métiers de l’impression au secteur tertiaire, dans le cadre des obligations instaurées par le décret éponyme. A savoir : imposer une réduction des consommations énergétiques au sein des bâtiments dits « tertiaires » pour répondre à des objectifs planifiés de sobriété. L’UNIIC s’est attachée à rappeler aux pouvoir publics la nature profondément industrielle des imprimeurs Labeur, qu’on ne saurait – à tout le moins sur ce type de dispositions – amalgamer aux activités de reprographie par exemple. Un argumentaire qui a été entendu puisque la plateforme OPERAT, via la réponse A31 de la Foire Aux Questions (FAQ) autorise désormais, à notre demande, des disjonctions de cas : ainsi les imprimeurs ne sont-ils plus automatiquement assimilés au secteur tertiaire, ce qui est une première avancée dans un dossier que l’UNIIC continue bien évidemment de suivre.

Lire la réponse A31 de l’ADEME

Denis Ferrand – « Le secteur papetier est sur-sensible aux variations des prix de l’énergie »

Il n’est jamais aisé d’intervenir lors d’un congrès sectoriel avec la casquette d’économiste prévisionniste, qui plus est en des temps de crises plurielles et durables. C’est pourtant là le rôle qui avait été assigné à Denis Ferrand, économiste, chroniqueur aux Echos et Directeur général de Rexecode, avec qui nous avons voulu revenir à froid – et quelques semaines après le congrès – sur quelques points majeurs de son intervention.

Denis Ferrand, lors de son intervention pour le congrès de la Filière Graphique 2022, Print’issime.

Pendant le Congrès de la Filière Graphique à Reims, vous avez notamment dit, avec un brin d’humour (jaune) : « Vous êtes probablement le seul secteur dans lequel on observe encore des hausses des prix des matières premières ». En l’occurrence, c’est une vraie souffrance pour nombre d’entreprises dans nos métiers qui subissent effectivement ce sentiment d’imprévisibilité. Il y a même parfois du fatalisme. A votre avis, pourquoi le secteur graphique semble-t-il ainsi échapper aux tendances macroéconomiques plus générales ?

Il est vrai que lorsque je regardais les cours de la pâte à papier, il s’agissait bien de la seule matière première – pour autant que l’on puisse parler de matière première puisqu’elle est en réalité déjà transformée – qui affichait encore des hausses de prix, alors que le reste refluait sous l’effet d’une contraction de l’activité. Pourquoi ? Probablement parce que c’est une matière qui incorpore énormément d’énergie dans sa fabrication et cela détermine son prix dans des proportions très supérieures à la moyenne. Les autres matières premières réagissent plus directement aux rapports classiques offre/demande, mais il n’empêche que mécaniquement, l’offre et la demande vont s’ajuster parce que la demande va ralentir, au regard de l’évolution d’un coût qui n’est plus supportable. Pour vous donner un ordre de grandeur sur cet aspect, nous avons étudié dans différents secteurs comment ceux-ci sont sensibles à l’évolution des coûts de l’énergie : quand on prend la filière papier, on s’aperçoit qu’une hausse de 43 % des prix de l’électricité et du gaz est « suffisante » pour que l’excédent brut d’exploitation (EBE) dégagé par la branche devienne nul. Et ce en posant comme hypothèse que les entreprises seront capables de répercuter la moitié de la hausse des prix de l’électricité et du gaz dans leurs propres prix… On atteint donc très rapidement une situation de perte d’exploitation, dans la mesure où les prix du gaz ont déjà connu jusqu’à 88 % d’augmentation en France par rapport à 2019. Donc oui, c’est une conjoncture assez « originale » si je puis dire, tout simplement parce que nous parlons là d’un secteur sur-sensible aux variations des prix de l’énergie gazière et électrique.

Vous vous êtes justement attaché pendant le congrès à expliquer pourquoi les prix de l’électricité étaient corrélés à ceux du gaz. Pourtant, le gaz ne produit que 7 % de l’électricité en France et nombreux sont ceux qui appellent aujourd’hui à un découplage et dénoncent un système de fixation des prix éminemment problématique. C’est d’ailleurs le constat de Bruno Le Maire lui-même, sans qu’on ait l’impression que les états aient d’autres moyens d’agir que de recourir à la dépense publique, via des correctifs de fortune… Est-ce qu’il n’est pas dangereux de ne disposer que de ce levier-là ?

L’électricité est en effet déterminée par le gaz parce que le prix s’établit au niveau de la centrale qui apporte le dernier kilowatt nécessaire à l’équilibre en tout instant du marché. Or, on le sait, l’électricité est un produit qui ne se stocke pas, contrairement au gaz. C’est donc souvent le gaz, environ 50 % du temps, qui permet l’équilibre permanent du marché : car c’est la ressource que l’on utilise pour répondre à la demande non satisfaite par les autres énergies, dans une forme d’appoint. L’efficacité du signal prix est au cœur de l’économie de marché et je pense que c’est quelque chose qui doit être préservé. Mais la question consiste en effet à savoir comment l’on met en place une tarification, non pas au prix marginal, mais selon des contrats de long terme pour éviter de générer ce type de rentes. Car c’est bien une forme de rente, dans la mesure où le prix de production marginal d’une centrale à gaz est aujourd’hui bien plus élevé que le prix de production moyen attaché aux autres énergies. A fortiori, plus encore aujourd’hui… Les contrats sont en général calés sur l’évolution des prix du marché, ce qui est une forme de garantie en soi. L’établissement de contrats de long terme me semble en tout cas être un facteur réducteur d’incertitudes pour les industriels, tout en préservant les conditions de la rentabilité de la production pour les fournisseurs d’électricité. Pour autant, en cas de dépassement de consommation, il faut bien pouvoir rémunérer l’appoint, qui est ce phénomène additionnel qui va déplacer l’équilibre entre l’offre et la demande. Il y a donc probablement en effet une grande reconfiguration du système à penser et mettre en place pour donner plus de visibilité aux acteurs et ce faisant, on limitera aussi ce besoin d’intervention par la dépense publique. Et il est vrai que lorsque l’on voit les montants dépensés pour faire face au choc énergétique, on est sur des mannes considérables : c’est au bas mot 100 milliards d’euros sur trois ans qui sont mobilisés pour amortir le choc, à la fois pour les ménages et les entreprises.

« L’inflation que nous vivons aujourd’hui procède de phénomènes qui se sont installés alors que chacun, ou presque, leur prêtait un caractère plus temporaire. »

Vous décrivez l’enchaînement des causes qui a aujourd’hui pu mener au réveil de l’inflation, selon un ensemble de mécanismes économiques finalement, d’apparence en tout cas, assez classique. On a pourtant le sentiment que le phénomène a pris tout le monde de court…

On a effectivement spontanément pensé qu’il s’agissait d’un pur phénomène de déséquilibre temporaire de marché en sortie de confinement et donc, qu’il allait se corriger. Mais il faut toujours revenir sur les effets de la crise du Covid : en sortie de crise, il y a eu des plans de relance massifs, une stimulation monétaire très importante et in fine une sur-stimulation de la demande, qui en plus s’est portée sur des biens industriels. Des besoins forts sont apparus durant les confinements, en contrepoids de ce que l’on ne pouvait plus faire, comme aller au restaurant par exemple. Quand il a fallu combler cette demande, on a assisté à une explosion des prix des matières premières : c’est ce qui a introduit le ver dans le fruit. On l’a d’abord identifié comme le facteur déclencheur d’un phénomène spontané amené à se résorber… Sauf que la demande est restée très forte, mettant à mal le système logistique international et générant diverses pénuries : le manque de semi-conducteurs, les défauts d’approvisionnement sur certaines matières comme le magnésium etc. Cet enchaînement de tensions a eu lieu avant le conflit en Ukraine, qui a eu pour effet d’amplifier le phénomène de manière, là encore, assez imprévisible. Tous ces éléments ont coagulé pour entraîner une boucle d’accélération des prix, diffusé à l’ensemble des biens et services. L’inflation que nous vivons aujourd’hui procède donc de phénomènes qui se sont installés alors que chacun, ou presque, leur prêtait un caractère plus temporaire. On n’a probablement pas vu assez rapidement les effets de propagation qui se jouaient dans l’espace des prix, avec d’autres phénomènes concomitants : la mobilité accrue de la main d’œuvre, notamment aux Etats-Unis, a été à l’origine d’une hausse sensible des salaires. Et bien sûr, lorsque le conflit en Ukraine survient, il vient poursuivre et amplifier un mouvement qui était déjà bien amorcé.

Faut-il s’attendre à voir ce phénomène inflationniste perdurer ?

Petit à petit, les choses vont se calmer parce qu’on observe déjà que beaucoup moins de capitaux sont levés sur les marchés, donc les capacités d’investissement des entreprises commencent à ralentir, de même que les investissements ralentissent également dans l’immobilier. Globalement, les conditions d’une baisse de la demande se mettent en place et mécaniquement, cela diminuera la pression sur les prix. Mais cela va prendre du temps, d’autant que d’autres éléments sont en cause et sont de nature plus structurelle : on a peut-être vu s’installer un paysage plus durablement inflationniste ces derniers mois, notamment via l’accélération des investissements dans la transition énergétique. Ces investissements-là sont en effet facteurs d’une inflation structurelle plus élevée que ce que nous avons connu dans les vingt dernières années.

“Le prix du gaz va certes baisser à terme, mais il ne va probablement pas revenir aux niveaux que nous connaissions.”

Vous dîtes que nous sommes dans une phase de « récession choisie », est-ce que vous pouvez nous dire en quoi cela consiste, combien de temps ça dure et quelles en sont les conséquences à moyen terme, notamment pour les entreprises ?

Cela renvoie d’abord au Covid : nous avons choisi collectivement de mettre l’économie à l’arrêt. Cela veut dire qu’il faut de l’intervention publique pour éviter les disparitions massives d’entreprises et des pertes d’emplois à l’avenant. C’est un peu la même chose par rapport aux conséquences d’un conflit : on a choisi de mettre en place des sanctions visant la Russie, ce qui occasionne des hausses de prix des matières premières, du gaz et par conséquent de l’électricité. Il faut ensuite assumer ces choix, c’est-à-dire en premier lieu accepter une hausse des prix d’importation de certains produits et de certaines matières. Cette hausse de prix occasionne une perte de revenus pour l’ensemble de l’économie nationale, perte qu’il va ensuite falloir répartir entre les agents. Lorsque le prix du gaz augmente comme il a augmenté, il y a un prélèvement sur l’ensemble de l’économie. Le prix du gaz va certes baisser à terme, mais il ne va probablement pas revenir aux niveaux que nous connaissions, parce que nous aurons changé notre structure d’approvisionnement, parce qu’un producteur important (la Russie) se trouvera de fait beaucoup moins mobilisé, parce que nous aurons fait venir du GNL [gaz naturel liquéfié, NDLR] qui coûte beaucoup plus cher et ainsi nous allons déplacer durablement nos coûts énergétiques vers le haut. Cela ne pourra pas être pris en charge par la puissance publique ad vitam aeternam. Il faut donc se poser la question de savoir comment on organise ces pertes, entre la baisse de pouvoir d’achat du revenu des ménages, l’absorption de ce choc de coûts par les entreprises dans leurs marges et comment elles le restituent dans leurs propres prix. Il y a donc un nouvel équilibre à trouver, en gardant à l’esprit qu’on ne pourra pas maintenir longtemps un déficit public aux alentours de 5 %.

Vous dîtes également que le poids de l’industrie dans le PIB recule logiquement. En quoi est-ce un phénomène normal aujourd’hui ?

L’industrie est le secteur qui produit les plus importants gains de productivité dans l’économie. Habituellement, c’est environ 3 % de gains de productivité chaque année, là où dans l’ensemble de l’économie c’est plutôt 1 %. A quoi servent ces gains de productivité ? Et bien notamment à baisser les prix à destination de ses clients, cela sert aussi à augmenter les salaires et/ou les marges de l’entreprise. Comme le prix relatif de l’industrie recule par rapport à celui de l’économie générale, le poids de l’industrie dans la valeur ajoutée globale va diminuer de manière tendancielle. Mais la question qui se pose est celle-ci : est-ce que ce recul du poids de l’industrie en valeur dans l’ensemble de l’économie est accompagné d’un recul en volume ? C’est-à-dire : est-ce que la contraction de la valeur ajoutée est telle qu’elle est insupportable pour le secteur industriel qui restitue tous ses gains de productivité à ses clients sans être capable d’en garder une partie pour préserver ses marges et investir ? Si tel est le cas, l’industrie rentre dans une logique d’attrition. C’est ce que l’on a observé en France, où ce recul du poids de l’industrie dans le PIB, a été beaucoup plus rapide que dans d’autres pays. En Allemagne par exemple, ce phénomène existe aussi, mais au gré de mécanismes plus vertueux de restitution de gains de productivité et de préservation des marges des entreprises. En France, cette perte de valeur ajoutée est aussi un reflet de la perte de compétitivité de l’appareil de production. D’où les difficultés de notre industrie à préserver ses marges…

« On voit se mettre en place les conditions d’une valorisation des efforts d’exemplarité des industriels dans la sphère écologique et c’est probablement ce que la situation actuelle porte de plus positif. »

Faut-il craindre une année 2023 noire sur le plan de l’activité économique ? Quelles sont les conditions d’une sortie de crise ?

On peut craindre une année noire en effet et c’est ce que disent les industriels allemands : cela a d’ailleurs été relayé lors de votre Congrès, lorsque Florian Kohler [propriétaire-gérant de Gmünd et représentant francophone du Bundesverband Druck & Medien, NDLR] expliquait dans son allocution passionnante combien depuis le mois de février 2022, il passait la moitié de son temps à discuter des conditions d’approvisionnement énergétiques. On voit bien qu’il y a là un sujet extrêmement fort. Quand vous regardez les anticipations sur lesquelles s’appuient les allemands, vous vous apprêtez à affronter un hiver sibérien. Pour autant, je vois aussi des motifs d’encouragement dans la mesure où jusqu’à présent, l’investissement des entreprises résiste. Il est même très positif, au regard de la conjoncture. On a l’impression que les entreprises ont compris les conséquences du choc de prix que nous vivons actuellement, à savoir que cela préfigure notre destin économique pour plusieurs années. On a devant nous des prix de l’énergie qui sont voués à être durablement élevés et les entreprises sont peut-être en train de sortir de leurs cartons des projets d’investissement pour réduire leurs consommations énergétiques et « produire mieux », tout simplement. Autant de projets qui n’auraient pas forcément éclos sans l’urgence de la situation. Tout l’enjeu sera de valoriser cette transformation fondamentale des modes de production, si elle se met bel et bien en place. C’est un tout cas un objectif passionnant et il est d’ampleur internationale : comment valoriser des progrès écoresponsables ? Comment en faire un levier de compétitivité ? C’est là qu’il me semble possible de trouver des conditions de sortie de crise : on accélère dans la phase de récession, on se met certes en danger, mais parce que l’on sait qu’on est capable de valoriser les choix qui auront été faits, notamment en termes de production décarbonée. Là-dessus, il faudra faire en sorte que cela soit validé par le marché de manière beaucoup plus ferme que cela n’a été le cas jusqu’à aujourd’hui. Car il est vrai que jusqu’à présent, les investissements dits « verts » ont fait augmenter les coûts de production, sans apporter encore un avantage compétitif suffisant. Parfois, c’était même désincitatif : la hausse des prix qui en résultait voyait se détourner certains clients de ce type d’offre. Mais le durcissement de la règlementation aidant, il y aura probablement une valorisation concrète des investissements liés à la décarbonation. On parle par exemple de la possible mise en place d’une taxe carbone aux frontières, par l’introduction d’une conditionnalité dans le choix des fournisseurs selon qu’ils aient fait ou non des investissements verts etc. On voit ainsi se mettre en place les conditions d’une valorisation des efforts d’exemplarité des industriels dans la sphère écologique et c’est probablement ce que la situation actuelle porte de plus positif. D’autant que c’est une issue gagnante pour tous : pour les entreprises, pour l’économie et pour le climat.

Pénurie de papier : la Ministre de la Culture nous répond

Depuis plusieurs semaines, l’UNIIC est en première ligne pour exposer la situation qui est celle du secteur et ce avec l’appui de notre organisation européenne Intergraf, qui porte la parole de la filière auprès des instances européennes et coordonne les initiatives nationales de nos fédérations consœurs. C’est dans ce contexte que s’inscrit la réponse de la Ministre de la culture pour le cas de notre industrie nationale, ainsi que les rendez-vous que nous aurons le 3 novembre avec le cabinet du Ministre de l’industrie.

Lire le courrier adressé au Président de l’UNIIC

Aide dite d’urgence « Gaz et électricité »

Chers adhérents,

Nous avons pris connaissance des échanges que vous avez pu avoir sur la question cruciale des surcoûts énergétiques qui frappent les entreprises de notre filière positionnées, dans le haut de notre branche industrielle en termes de consommation.

Ce sujet a fait l’objet d’échanges techniques et politiques que nous avons initiés dès mars dernier avec 7 autres branches impactées.

Nous avons donc organisé des visioconférences avec l’Etat en amont des textes règlementaires comme nous l’avions fait voici deux ans pour le fonds de solidarité. Cette action avait permis à l’époque de modifier la liste non exhaustive et non figée des secteurs concernés.

Nous siégeons dans les principales commissions du Medef et c’est notre confédération qui nous a aidé à éclairer la DGE sur la spécificité de notre secteur, même si nous manquions de données quantifiables, à l’exception de celles de quelques rotativistes et imprimeurs feuilles.

Nous avons souhaité pour vous éclairer, vous livrer un extrait de notre échange avec le Medef sur l’aide dite d’urgence « Gaz et électricité » instituée par le décret n°2022-967 du 1er juillet 2022, car il y va de la force de notre action, son ciblage et des objectifs que nous poursuivons tous.

Suite à la présentation par la DGE de ce dispositif, nous avons été surpris de ne pas être dans la liste des secteurs ou sous-secteurs listés en annexe 1 et permettant de bénéficier de l’aide.

Comme vous le constaterez :

  • La présence ou non d’un secteur de l’annexe 1 n’a d’incidences que sur le plafond de l’aide et n’est en rien une cause d’exclusion.
  • La promesse d’une hotline que nous exigions et que nous attendons est toujours dans les tuyaux (mais le temps presse).
  • La définition des modalités de l’aide dépend évidemment de la commission Européenne.
  • Nous nous sommes fait confirmer avant l’adoption du dispositif que l’annexe 1 était évolutive.

Cette approche règlementaire peut être modifiée par deux véhicules juridiques (une lettre interprétative de Bercy, ou un avenant à l’annexe 1)
Attention toutefois, puisque c’est ce que nous avions demandé par le truchement du Medef, l’entreprise doit respecter l’ensemble des paramètres et prouver qu’elle est éligible.
Pour cela, il nous faut une certaine transparence et des données de gestion que nous devons consolider pour prouver (hors changement d’opérateur et des contrats) que nous sommes impactés, ce qui est malheureusement le cas pour nombre d’entre vous…

Matthieu Prévost, responsable environnement avait commencé à faire ce travail de compilation et de synthèse.

Nous sommes bien évidemment conscients de l’urgence des réponses collectives à apporter et nous sommes là pour y contribuer.

Consulter la présentation  de l’aide d’urgence gaz et électricité produite par le ministère de l’économie.

Elisabeth Borne en visite chez l’imprimerie Tonnellier

Dans l’effervescence d’un entre-deux tours qui a naturellement focalisé l’attention sur des enjeux politiques, Elisabeth Borne – à la fois première ministre en exercice et candidate à la députation dans la sixième circonscription du Calvados – était en visite ce lundi 13 juin au sein de l’imprimerie Tonnellier, à Condé-en-Normandie. L’occasion pour l’UNIIC de mettre en lumière les atouts d’une de ses entreprises adhérentes et de faire porter par Benoit Duquesne, son Président (et ancien dirigeant de Tonnellier), les dossiers majeurs sur lesquels notre branche industrielle doit avancer ces prochaines années…

De gauche à droite : Freddy Sertin, suppléant à la députation, Elisabeth Borne première ministre, candidate à la députation dans la sixième circonscription du Calvados, Benoit Duquesne, Président de l’UNIIC, Hélène Duquesne, présidente de Groupe Tonnellier, Vianney Duquesne, directeur des sites de Condé-en-Normandie et Grézieu-la-Varenne, et Florence Duquesne.

Alors qu’une note siglée UNIIC a été remise aux services de la ministre, notre action visant à éclairer les pouvoirs publics sur les atouts et enjeux relatifs au secteur de l’impression, a notamment mis la focale sur les points suivants :

– Nous nous sommes attachés à rappeler le poids d’une industrie de proximité (près de 4000 entreprises et 45 000 emplois directs), ancrée dans les territoires et créatrice de lien social. Le tout dans un contexte où les glissements de marchés vers des médias plus mobiles s’accentuent, sans justification environnementale avérée et au prix d’une désincarnation progressive de l’information. Au risque aussi d’une inégalité d’accès, au désavantage des moins rompus à l’usage de terminaux numériques.

– Nous avons voulu souligner combien l’intersecteur (imprimerie, industries créatives, emballage) se caractérise par une prédominance de TPE et surtout un poids de l’investissement matériel qui le fait assimiler à un champ d’activité hybride : industriel par son investissement et ses process, prestataire de services par son aptitude à vendre des prestations immatérielles. Ce qui n’est pas sans conséquences sur le statut fiscal du secteur : malgré cette hybridité de fait, l’imprimerie est tenue de faire l’avance de la TVA, ce qui fragilise d’autant sa trésorerie. Il est ainsi urgent de travailler à une monographie fiscale actualisée dédiée au secteur tant pour les questions de fait générateur et d’exigibilité de la TVA, que pour la définition fiscale du livre, dans un contexte où par ailleurs, une crise papetière majeure réduit considérablement les marges de manœuvres économiques.

– Après une année 2021 caractérisée par une reprise technique post-Covid, le secteur a en effet dû faire face à une contrainte haussière en termes de coût du papier, de l’énergie et des encres, phénomènes accentués par le refus de nombre d’acheteurs publics de prendre en compte certaines évolutions indiciaires malgré la circulaire de Monsieur Castex. Si certains refusent de parler de pénurie, force est de constater que les engagements des fournisseurs pour certaines sortes de papiers sont aléatoires. En outre, une généralisation de la pratique des commandes à prix ouverts imposée par des fournisseurs concentrés, face à un secteur graphique atomisé désorganise durablement les équilibres économiques fournisseurs/imprimeurs. Cette violation des fondamentaux du droit des contrats fait régner une imprévisibilité dans les rapports entre imprimeurs et donneurs d’ordre, les imprimeurs hésitant à s’engager et manquant de ce fait des opportunités de marchés.

– Nous avons souligné le poids majeur du marché publicitaire – 30 % du CA du secteur – et rappelé que la chasse aux prospectus ne se traduisait guère aujourd’hui que par un déplacement des efforts de communication vers des canaux numériques. Un mouvement contreproductif sur le plan environnemental puisque les impacts attachés à l’industrie numérique sont galopants, et ce d’autant plus s’ils prospèrent au détriment d’une activité traçable, basée sur des matériaux recyclables et inscrits de fait dans une économie circulaire structurée. L’expérimentation “Oui Pub” pourrait dans ce contexte être un dangereux accélérateur de tendances, au détriment de l’emploi (les effets en cascades sur les entreprises du secteur pourraient être redoutables) et sans bénéfice notable en termes d’écoresponsabilité publicitaire.

– Pour lancer avec l’Etat et les collectivités décentralisées un engagement de développement industriel fondé sur l’innovation environnementale, sociale, industrielle, il faut accompagner le secteur. Ce qui implique de le reconnaître comme un secteur innovant et d’opérer à cette fin une redéfinition du Crédit Impôt Recherche et du Crédit Impôt Innovation en l’adaptant à la R&D caractéristique dudit secteur. Il s’agit ainsi de converger vers la reconstruction d’un espace de dialogue et de partage dédié, via potentiellement un réseau filière graphique au sein de la DGE, en partenariat étroit avec les ministères compétents.

– Il importe de réviser l’opérabilité de notre dialogue social de branche, après une dégradation concrète observée ces deux dernières années. Il en va bien sûr de notre capacité à étendre les accords paritaires sans induire de distorsion entre les entreprises qui seraient adhérentes à l’UNIIC et celles qui ne le seraient pas (notamment sur les minimas salariaux), mais aussi de nous doter des outils de développement collectifs idoines, dans un contexte de mutation technologique et stratégique majeure.

– Il faut développer les convergences intersectorielles, face à des problématiques communes à nombre de secteurs connexes. L’approche “nomenclaturée” est insuffisante, voire paralysante, aussi plaidons-nous pour reprendre l’initiative qui avait été prise pour tendre vers une fusion des champs conventionnels. L’interpénétration de tous les modes de traitement de l’information mais aussi de l’emballage au sens général exige une réponse pilotée par l’Etat et les branches pour éviter d’inscrire notre développement dans l’atonie, voire l’ankylose de nos modèles économiques et sociaux.

– Enfin, en complément des efforts de développement industriels et d’innovation, un autre effort – de relocalisation des flux d’impression cette fois – doit pouvoir s’opérer. Assurer la traçabilité de la fabrication avec une redéfinition de l’achevé d’imprimer, relancer un crédit d’impôt relocalisation, favoriser les circuits-courts,  redéfinir le concept d’offre anormalement basse pour les marchés publics (qui concernent aussi l’édition), sont ainsi autant de pistes concrètes pour concourir à un redressement optimal.

Loin d’être exhaustif, ce panel de réflexions avec les pistes d’action associées, devra faire l’objet d’échanges réguliers  avec les pouvoirs publics. Sur ces dossiers notamment, nous comptons bien sûr vous tenir informés des avancées obtenues…

 

Pascal Bovéro – “Les imprimeurs se sentent étranglés”

Cet article est livré en avant-première. Il est à paraître dans Acteurs de la Filière Graphique n°137 (1er trimestre 2022).


C’est une évidence : la situation est exceptionnellement tendue, la faute à la rareté prolongée du papier, à la flambée des prix de l’énergie et des consommables et bien sûr au contexte économique hérité du conflit ukrainien. Nous faisons le point avec Pascal Bovéro, Délégué général de l’UNIIC, qui pointe la nécessité de faire corps collectivement, alors que l’insistance de la demande pour une reprise de la communication imprimée doit aussi nous rassurer.

Les tensions d’approvisionnement qui affectent les marchés des papiers/cartons prennent un tour durable et désormais critique. Comment l’expliquer ?

La situation est effectivement extrêmement difficile. Ce qui nous a trompés, c’est que le prix de la pâte marchande a d’abord évolué à la hausse, puis s’est stabilisé avant d’amorcer une légère décrue à l’automne dernier. Nous avons pensé, à ce moment-là, que cette décrue du prix de la pâte marchande augurait d’une décrue plus générale, qui se vérifierait sur l’ensemble des marchés de matières premières et de la transformation papetière en particulier. Force est de constater que la tendance haussière s’est à nouveau imposée. Il y a indiscutablement eu un phénomène conjoncturel : une demande en pleine explosion due à une relance technique brutale, d’abord localisée dans le sud-est asiatique, entraînant un déséquilibre mondial et une forte tension. Mais certains ont oublié que nous étions sur des marchés qui sont spéculatifs : nous connaissons l’adaptation constante d’un monde papetier concentré, à la demande mondiale… Nous savons par ailleurs que le secteur graphique n’est plus perçu comme porteur pour le secteur papetier. Les producteurs ont donc au fil des années repensé leurs modèles d’affaires et l’équilibre de leur exploitation, les conduisant à s’interroger sur l’avenir du papier à usage graphique, estimant à juste titre qu’il y avait une surcapacité de plusieurs millions de tonnes par an par rapport à une demande finale décroissante. Ils ont ainsi rationnellement transformé des lignes de production pour migrer vers de l’emballage, le carton ondulé, le secteur de l’hygiène, plus porteurs. Ces acteurs ont choisi de faire le pari du couple décarbonation/diversification surtout sur des sortes de papiers trop associées à une volumétrie indifférenciée (l’imprimé publicitaire par exemple). À l’exception de quelques papiers très techniques, il s’en est suivi une diminution généralisée de la capacité de production sur les principales références graphiques. Conduit de manière concertée, le mouvement de reconfiguration du paysage papetier s’en est trouvé accéléré et amplifié.

“Les marchés que perdent les
imprimeurs les conduisent à nouveau
en situation de sous-activité, alors
que la demande, elle, est bien là.”

Comment cela se traduit-il pour les imprimeurs ?

Cela dépend des profils mais les industriels de la rotative, les premiers à être percutés, ont vu en un an les prix exploser de manière erratique, avec des délais de livraison imprévisibles, notamment sur le 80 grammes. On a vu des références papier tarifées à 680 euros la tonne début 2021 qui ont presque doublé à ce jour. Cette catégorie d’acteurs travaille essentiellement sur des produits tels que l’imprimé publicitaire, la presse, les catalogues et les flyers et sont équipés de presses 16, 32 ou 48 pages, soit des investissements extrêmement lourds taillés pour de la production de masse. Ils se positionnent sur des marchés encadrés, avec signature contractuelle, et aujourd’hui ils se sentent étranglés. D’autant qu’est venue s’ajouter une hausse folle des prix des consommables – les plaques ont subi + 48 % en six mois, mais les colles ont également subi de fortes hausses – avec dans le même temps une flambée hors de contrôle des prix de l’énergie. Tant l’électricité, dont on connait les aspects régulés et non-régulés, que le gaz qui vient notamment alimenter les sécheurs des imprimeurs rotativistes, ont atteint des niveaux tels que l’on voit refleurir de l’activité partielle. Car les marchés que perdent les imprimeurs les conduisent à nouveau en situation de sous-activité, alors que la demande, elle, est bien là. Ces rotativistes, dont la taille moyenne est un peu supérieure à une centaine de salariés, positionnés sur des marchés nationaux ou locaux, vivent une situation d’autant plus terrible qu’on a eu l’illusion d’une reprise technique en juillet dernier, mais elle a été partiellement freinée. La fermeture de certaines unités papetières, plus les grèves que nous avons pu observer [en Finlande chez le groupe UPM, NDLR] et bien sûr le conflit armé en Ukraine qui a des conséquences sur l’activité économique globale et sur le secteur graphique en particulier, achèvent de noircir un ciel déjà chargé.

Ces hausses de prix peuvent-elles être absorbées et répercutées dans les prestations des imprimeurs ?

Pas toujours non, loin de là. Un exemple très parlant : nombre de nos adhérents, de taille moyenne, rotativistes ou imprimeurs feuille, travaillent pour les marchés publics sur des accords-cadres. C’est-à-dire qu’ils se positionnent sur une durée prédéterminée pendant laquelle l’acheteur public s’engage à lancer des bons de commande sur des spécificités, sans avoir à relancer des consultations, le tout étant régi par le code des marchés publics. Ce sont essentiellement des accords-cadres régionaux pour un périodique, une campagne d’affichage etc. Or, rares sont les acteurs publics qui intègrent aujourd’hui les indices officiels d’évolution portant sur les matières premières ou l’énergie. Parce que les contrats ont été validés et engagent les parties parfois sans clauses de révision ou alors adossées sur des indices synthétiques publiés par l’INSEE, non-représentatifs ou en retard par rapport à l’évolution folle que nous vivons, de telle manière que cela amène certains de nos adhérents à ne pas servir l’accord-cadre sur lequel ils se sont positionnés, avec les conséquences juridiques qui y sont associées.

“Ce qui se passe est contracyclique par rapport au message que nous envoie la demande : il y a une appétence pour notre support et il faut s’en réjouir. Mais ne pas pouvoir y répondre est un crève-cœur.”

Quels risques encourent les entreprises dans ces cas-là ?

Ils risquent d’être condamnés pour inexécution, mais soit ils prennent ce risque, soit ils travaillent très clairement à perte. Ce qui est interdit, mais la situation est tellement aléatoire que nous ne sommes sûrs de rien. On en est à se dire qu’il ne faudrait accepter aucun marché public sans clause de révision permanente avec des formules paramétriques. De l’autre côté, les papetiers, fournisseurs de plaques et distributeurs de consommables vous disent : ‘Je ne pourrai vous annoncer un prix que lorsque je vous aurai livré, dans six mois’. Il s’agit donc de la pratique des devis ouverts dont la légalité est douteuse. Comprenons bien que si l’on parle de hausses de prix de près de 50%, cela ne peut pas être supportable. Par ailleurs, le marché du livre, une grosse partie du marché des périodiques et une partie du marché des imprimés publicitaires, fonctionnent à 50% sur du papier fourni par les donneurs d’ordre. Qu’il s’agisse de print managers pour l’imprimé publicitaire, d’éditeurs de périodiques ou de livres, ils ont eu les moyens de faire de la veille, d’anticiper et de faire stocker ces stocks de sur-précaution par les imprimeurs, ce qui change complètement la donne en termes de coûts d’immobilisation. Cela génère des inquiétudes chez nombre d’imprimeurs qui peinent à gérer la situation. Sur 1 750 000 tonnes de papier traité en France, 51% du volume est fourni par le donneur d’ordre, sans marge possible : ni pour la transformation du papier, ni pour le stockage. Cela génère des difficultés économiques importantes et voit nombre d’imprimeurs peiner à assurer les commandes, même quand le papier est physiquement disponible et que la demande est là. Cela veut dire que l’activité classique consistant à laisser une trace sur le papier peut en subir les contrecoups et baisser encore, tendanciellement. Aujourd’hui, les entreprises ne se demandent pas si elles vont licencier – au contraire, elles ont besoin de forces vives – mais certaines se demandent si elles ne vont pas devoir déposer le bilan. C’est d’autant plus terrible que ce qui se passe est donc contracyclique par rapport au message que nous envoie la demande : il y a une appétence pour notre support et il faut s’en réjouir. Mais ne pas pouvoir y répondre est un crève-cœur.

Vous avez évoqué la hausse des prix de l’énergie, là encore, comment expliquer une telle flambée et peut-on entrevoir un retour à des niveaux supportables ?

Sur l’énergie, nous vivons une situation absolument folle. Elle l’était déjà avant la crise ukrainienne. Les causes en sont complexes et multiples. La France est le pays le plus nucléarisé du monde, elle exporte son électricité à «prix étudiés » en Allemagne notamment. En outre, des contrats très particuliers ont été passés par certains de nos adhérents, quittant un opérateur bien connu pour aller vers des prestataires privés, alléchés par des arguments attractifs qui malheureusement s’avèrent souvent trompeurs. Par ailleurs, une surconsommation électrique dans certaines zones du monde a fait exploser le prix du Kw/h. Entre janvier et mars de cette année : 48 % de hausse ! L’UNIIC a sollicité le comité des approvisionnements à Bercy et l’Etat souhaite réactiver des leviers de régulation qui permettront, souhaitons-le, non pas de tout régler probablement, mais au moins de faire respirer des industriels économiquement contraints. Hélas, les tensions s’accumulent : à partir du moment où l’aluminium est au niveau où il en est, le prix des plaques – rappelons là encore qu’il n’y a que trois fournisseurs de plaques – explose lui aussi : entre 45 et 60 % de hausse en cinq mois. Faute d’un retournement rapide, c’est un coup porté à la moyenne et haute volumétrie offset, lorsque l’impression numérique jet d’encre à courts tirages ne pose pas ce genre de problèmes. Idem d’ailleurs sur le papier : il est plus facile de s’approvisionner sur de moindres volumes. Dès lors, on sent bien que lorsque les renouvellements de matériels s’opèreront – à l’image de ce qui s’est déjà passé sur le petit format – à l’aune de la prochaine Drupa, ce n’est pas l’offset qui en profitera.

“Un centre technique multiprocédés dédié au secteur serait nécessaire aujourd’hui : pour réfléchir, pour tester, pour accompagner tant sur le plan économique que stratégique.”

La crise multifactorielle que nous vivons pourra donc accélérer un phénomène de mutation industrielle ?

Cela aura en effet des conséquences, ne serait-ce qu’en termes de compétences et d’organisation interne. Cela pose surtout la question de ce que l’on fait d’un matériel taillé pour de la haute volumétrie : peut-on reconditionner les machines ? Comment peut-on aider les entreprises à pivoter stratégiquement et assurer un renouvellement d’équipements ? C’est bien pour cela qu’un centre technique multiprocédés dédié au secteur serait nécessaire aujourd’hui : pour réfléchir, pour tester, pour accompagner tant sur le plan économique que stratégique… Il faut dépasser l’approche ‘consulting’ et ce n’est pas à l’UNIIC de dire aux entreprises ce qu’elles devraient faire et ce dans quoi elles devraient investir. En revanche, nous devons leur donner les outils pour prendre des décisions aussi éclairées que possible. De plus, quand un secteur comme le nôtre suscite – partiellement à tort, d’ailleurs – la défiance des acteurs financiers, vous êtes contraints de dégager des marges pour vous autofinancer. Mais comment faire si vous êtes pressuré de toutes parts ? Il ne faut pas raconter d’histoires : même pour une machine de moyenne gamme en impression numérique jet d’encre, les prix s’établissent autour du million d’euros. De tels investissements nécessitent donc des taux de rentabilité absolument hors d’atteinte en ce moment, pour nombre de nos adhérents pourtant solides financièrement. Et c’est certain : dans ces cas-là, ils ne rémunèrent plus leurs risques.

Y a-t-il un risque de ne pas pouvoir assurer dans de bonnes conditions l’impression des professions de foi, à l’aune des échéances électorales qui approchent ?

À court terme, il n’y a pas de danger pour assurer la propagande électorale. Du moins, pas pour les Présidentielles dans un premier temps. Avec des mandataires, l’Etat est allé chercher des papiers très loin de nos frontières, notamment en Indonésie. Pas du tout en Europe du Nord. Cela se fait au prix d’une traçabilité du papier certainement moins ‘clean’ mais priorité a été donnée à la disponibilité… En tout état de cause, il ne devrait pas y avoir de problèmes pour les douze candidats qui ont obtenu leurs parrainages : si les tarifs restent à négocier, et l’UNIIC y travaille bien évidemment, le volume de papier sera là pour assurer la propagande électorale.

Est-ce à dire que la sortie de crise ne pourra s’envisager qu’en conséquence d’une baisse de la demande ?

Nous n‘y échapperons probablement pas. Encore une fois, certains ne manqueront pas de se dire qu’il y a des risques à travailler sur support physique puisque la matière n’est pas là. A l’inverse, le digital offre des garanties évidentes en ce genre de circonstances. Mais s’il y a une rareté organisée de l’offre papetière, il y aura de fait une rareté de l’offre de recyclé et donc la fragilisation de tout une boucle de production… Il ne faut toutefois pas négliger des scénarii plus favorables. Si la crise ukrainienne trouve une porte de sortie, même partielle, le pétrole va retomber à des niveaux de prix plus supportables et dans son sillon, toute l’énergie va alors commencer à plafonner ou régresser. Cela augure souvent d’une tendance baissière relativement généralisée qui entraîne avec elle les autres matières premières. Mais il ne faudrait pas que le rééquilibrage tarde de trop, parce que les tarifs actuels ne nous permettent pas d’attendre très longtemps… Je suis bien incapable de dire à quel point cette situation est durable mais l’on sent bien que si la conjoncture reste à ce point défavorable, les unités papetières se poseront la question : quels marchés puis-je continuer de servir ? Certains se la posent déjà très sérieusement, dans la mesure où justement, ils servent les imprimeurs dans des conditions compliquées et voient leurs relations avec eux se tendre considérablement.

“Il ne faut pas abandonner l’idée de consolider le secteur par de l’ingénierie financière et industrielle, possiblement un jour avec un établissement financier dédié, comme cela existe en Allemagne.”

Il y a un sentiment de fatalité qui émane de cette situation… A-t-on malgré tout des leviers d’action pour agir ?

La haute volumétrie indifférenciée, et la stratégie de l’offre avec elle, vit possiblement la fin d’un cycle. Il faut pouvoir l’entendre sans pour autant considérer que l’avenir est sombre, c’est loin d’être le cas. Ce que l’on essaie modestement de faire consiste à mailler les entreprises entre elles, plutôt que d’encourager l’investissement sans avoir de visibilité suffisante. Les entreprises les plus fortement capitalisées peuvent résister, celles qui ne le sont pas risquent d’aller à la cessation de paiement, sauf dispositifs d’aides mis en place par l’Etat, ce qui n’est pas exclu aujourd’hui. Mais si nous voulons être proactifs et ne pas subir les événements, soyons dans la collaboration et la cotraitance intelligente, avec dans de cas-là de possibles investissements partagés. Ce n’était guère imaginable il y a dix ans, mais c’est une option à prendre très au sérieux aujourd’hui. Cela implique aussi un phénomène de concentrations et de fusions : on ne peut pas faire autrement. Il ne faut pas non plus abandonner l’idée de consolider le secteur par de l’ingénierie financière et industrielle, possiblement un jour avec un établissement financier dédié, comme cela existe en Allemagne. Et c’est bien par ce biais que nous pourrons améliorer la cotation du secteur, le tout dans un contexte où, je le répète, l’appétence pour le papier est sensible et alors que le digital est pour sa part de plus en plus décrié. C’est bien là le paradoxe cruel de cette situation : l’envol de la demande depuis des mois prouve combien nous répondons à un besoin réel, ancré dans les territoires et signe d’un besoin de respiration face à un trop plein de numérique. Encore faut-il nous laisser les moyens d’y répondre…