Pénurie de papier : la Ministre de la Culture nous répond

Depuis plusieurs semaines, l’UNIIC est en première ligne pour exposer la situation qui est celle du secteur et ce avec l’appui de notre organisation européenne Intergraf, qui porte la parole de la filière auprès des instances européennes et coordonne les initiatives nationales de nos fédérations consœurs. C’est dans ce contexte que s’inscrit la réponse de la Ministre de la culture pour le cas de notre industrie nationale, ainsi que les rendez-vous que nous aurons le 3 novembre avec le cabinet du Ministre de l’industrie.

Lire le courrier adressé au Président de l’UNIIC

La Fogra nous a ouvert ses portes

La Fogra est un nom qui pèse dans les Industries Graphiques : connue et reconnue pour être un lieu de recherche, test & certification référent où se joue notamment l’élaboration des normes ISO destinées au secteur, l’association à but non-lucratif compte non moins de 900 membres dans 50 pays. L’UNIIC s’est rendue en terres bavaroises pour juger sur place – et sur pièce – de ses nombreux atouts…

Si le rayonnement de la Fogra n’est évidemment plus à prouver, Eduard Neufeld (son Directeur Général) s’attache à nous rappeler combien « l’institut s’investit dans un maximum de certifications internationales ». Des certifications qu’il contribue à développer, porter et diffuser, à la manière de ce que propose également l’Ugra, basée en Suisse. Elle s’appuie à cette fin sur des travaux qui en font un tiers de confiance essentiel sur des thématiques techniques à la fois extrêmement larges et pointues. La précision n’est pas anodine tant des exigences montantes, notamment sur le plan réglementaire, imposent justement d’intensifier les efforts de R&D.

Plus qu’un luxe, la R&D est une nécessité grandissante

S’il s’est longtemps « simplement » agi d’assurer un degré de qualité supérieur dans la production imprimée, de manière éprouvée et réplicable, la R&D fait aujourd’hui figure d’outil précieux pour répondre aux attentes écoresponsables et/ou sanitaires qui marquent l’instabilité du cadre réglementaire européen. Dans un contexte de simili-pénuries papetière et d’explosion des coûts de fonctionnement, l’innovation technique peut même offrir des solutions d’économies tangibles en répondant à des questions simples : comment consommer moins d’énergie ? Comment optimiser la matière et/ou aborder d’autres substrats ? Etc. Des chantiers qu’il serait présomptueux de prétendre investir sans être décemment armé. « Depuis 1951, nous travaillons à la même chose : rechercher, tester et certifier. Les travaux issus de nos quatre départements – prépresse, impression, applications sécurité et matériels & environnement – eux-mêmes subdivisés en commissions techniques, n’ont pas vocation à rester entre nos murs. Tout notre savoir doit être transféré à l’industrie » tient à clarifier Eduard Neufeld. Et c’est peu dire que l’association s’y emploie avec succès, soucieuse d’être une structure ouverte à l’international et fière de « couvrir à peu près toutes les régions du monde » se félicite en effet son directeur général. Un positionnement qui n’empêche pas la structure d’être un outil particulièrement mis à profit par les pouvoirs publics allemands, qui la missionnent sur des tests & recherches pointus, à vertu de plus en plus environnementale. Pour conduire ses travaux, l’association peut ainsi compter sur une cinquantaine de collaborateurs permanents, principalement des ingénieurs, des chimistes et des physiciens.

Préparer l’avenir tout en consolidant les bases

Pour autant, le profil type d’un membre de la Fogra demeure caractéristique de ce qui a fait la renommée de la structure. « Parmi nos 900 membres, il y a évidemment beaucoup d’imprimeurs qui visent de hauts standards de qualité. Il y en a d’autres qui sont spécialisés dans la fabrication de documents sécurisés. Mais il y a aussi un nombre important de constructeurs et fournisseurs de matériels qui ont besoin d’une expertise solide » précise Eduard Neufeld. Si la Fogra n’hésite pas à facturer ses prestations à la manière d’une plateforme de services, et ce au titre de l’association à but non-lucratif qu’elle est bel et bien,  les 900 membres qu’elle revendique sont d’une certaine façon les dépositaires d’un savoir-faire qu’ils contribuent à déployer. C’est donc à travers eux que la structure rayonne autant à l’international, leur promettant en échange des remises sur ses services & événements, l’accès gratuit à des conseils ou rapports techniques, ou bien encore leur offre-t-on la possibilité de proposer leurs propres problématiques comme potentiels sujets de recherche. Un fonctionnement donnant/donnant dont la Fogra ne se cache pas, attribuant à ses membres une sorte de double-statut de client et d’ambassadeur. « Nos sujets de recherche se doivent à la fois de couvrir les fondamentaux de nos métiers, raison pour laquelle nous continuons de travailler sur les procédés dits ‘conventionnels’, mais aussi de défricher l’avenir » précise Eduard Neufeld. Démonstration en sera faite lors de la visite des bâtiments de la Fogra, qui abritent tant des laboratoires et/ou ateliers dédiés à analyser les substrats, les encres, les procédés d’impression historiques, que des lieux d’expérimentation sur l’impression 3D (on y trouve même un studio de modélisation 3D pour constituer sur place des fichiers imprimables), l’intelligence artificielle ou encore les nouvelles technologies de sécurisation des documents. « Chaque année, la Fogra travaille en moyenne sur vingt sujets de recherche et en traduit la moitié en rapports aboutis et consultables » souligne Eduard Neufeld, ne manquant donc pas de rappeler au passage que les connaissances qui en émergent doivent servir l’industrie au sens le plus global du terme. Une main tendue avec insistance dont nous aurions tort de nous priver et dont il faut aussi certainement s’inspirer…

Le mot de l’UNIIC

Pourquoi s’être rapproché aujourd’hui de la Fogra ? Quels liens tisser avec l’association allemande ?

Pascal Bovéro, délégué général de l’UNIIC

« En adhérant à la Fogra, en jetant les bases d’un partenariat permettant aux adhérents de l’UNIIC de bénéficier des cours de la Web Academy dispensés par cet organisme de référence, l’UNIIC  pose la première pierre du centre d’appui/conseil du secteur. Assembleurs de briques technologiques au carrefour de nombreuses disciplines, notre futur centre constituera pour les TPE/PME du secteur graphique un outil capable d’analyser, d’adapter, mais surtout de transférer des technologies  indispensables à la conception de nouveaux produits & services, ainsi qu’à l’évolution des nouveaux modes de production. En étant la charnière entre la recherche et l’industrie graphique, le centre d’appui/conseil fait le pari de la mutualisation des moyens et des compétences afin que nous devenions un pôle d’expertise en recherche appliquée, apportant aux TPE/PME des moyens et des résultats de tests que ces entreprises ne pourraient acquérir seules. S’associer à la Fogra c’est aussi s’inscrire dans les programmes européens d’innovation qu’une organisation professionnelle ne pourrait mobiliser seule. Le centre d’appui/conseil résultera donc d’un maillage pluridisciplinaire associant des pôles d’excellence spécialisés matériau, des pôles orientés « comportements et propriété des encres » des pôles spécialisés méthodes et organisations industrielles, des centres dédiés aux procédés. Les fondations du centre dont Fogra sera le partenaire, peuvent se résumer de la façon suivante :

– Anticiper : une norme, une nouvelle technologie, une révolution sur les substrats etc.

– Innover : en recherchant des solutions alternatives, des combinaisons durables par exemple.

– Diffuser : pour que les tests conçus selon des méthodes scientifiques (avec l’aide de Fogra) soient réappropriables par tous.

– Accompagner les entreprises en construisant des boites à outils.

Autant d’objectifs assignés à notre contrat de performance qui doit nous permettre d’’installer dans la durée notre réseau national de recherche appliquée ».

“Il y a un potentiel de développement non-exploité dans les Industries Graphiques”

Philippe Robert-Tanguy est sociologue des organisations, fondateur du cabinet Alis Management et à ce titre, il a été missionné sur une enquête menée en deux volets. Au gré dans un premier temps de diagnostics prospectifs socio-économiques réalisés dans des TPE, puis dans des PME de plus de 50 salariés, il s’agissait de dégager les facteurs de changement et les tendances d’évolutions des métiers, emplois et qualifications, au sein des Industries Graphiques. Un travail au long cours dont il livre ici quelques enseignements…

On attend souvent des études telles que celle que vous avez menée, qu’elles nous donnent des enseignements englobants et généraux sur une industrie. Mais est-ce que ce n’est pas compliqué de définir des traits communs dans une branche d’activité très hétérogène en termes de taille d’entreprise, de technologies d’impression et bien sûr de produits imprimés, les logiques n’étant pas les mêmes selon que l’on soit positionné sur de la presse, de la notice pharmaceutique, du prospectus publicitaire ou du livre ?

Le secteur des industries graphiques est effectivement difficile à cerner, dans le sens où délimiter son périmètre est complexe en soi. Statistiquement, on a du mal à le faire : les entreprises qui impriment peuvent être rattachées à différentes nomenclatures – codes NAF et IPCC – et toutes ne sont pas identifiées comme des imprimeries. Par ailleurs, on se trouve face à des marchés et des produits finis très différents : la presse, la notice pharmaceutique, le packaging, l’imprimé commercial, les imprimés administratifs etc. Mais en dépit de dynamiques et de perspectives différentes, on observe que les métiers de la chaine graphique, depuis la composition jusqu’à la finition en passant par tous types d’impressions (offset, impression numérique, sérigraphie, flexographie etc.) sur tous types de supports, sont amenés à évoluer en profondeur en termes de relation client. On constate une forte montée des exigences chez les donneurs d’ordre, alors que les compétences techniques chez ces derniers ont diminué. Le raccourcissement des délais et une volonté d’aller plus loin dans les services additionnels amènent beaucoup d’entreprises à se développer sur de nouvelles activités, notamment en termes de gestion de stocks et de logistique. On voit donc, malgré les disparités évoquées, des tendances très similaires quant à la façon de traiter la demande.

« L’imprimeur doit monter en puissance sur les notions de conseil et de services. »

Est-ce que cette évolution s’est déjà traduite dans les entreprises ? Les imprimeries ont-elles concrètement et massivement endossé ce rôle de prescripteur ?

Oui, et si on prend le labeur traditionnel qui est beaucoup tiré par des marchés dits « historiques » – prospectus et communication, notamment – ce besoin d’apporter du service est encore plus prégnant. Les communicants sont aujourd’hui surtout formés aux modes de communication numériques et ils sont plus à l’aise pour parler de digital que de Print. C’est à l’imprimeur d’être force de proposition et de s’attacher à comprendre les problématiques de communication exprimées par leurs clients. C’est à l’imprimeur/fabricant d’en déduire les traductions « techniques » : quels procédés d’impression ? Quels formats ? Quels papiers ? Quelle finition ? Comment intégrer des exigences de production responsable ? Comment éco-concevoir et diminuer la consommation d’encres, par exemple ? Etc. Le fabricant doit mettre sa maîtrise technique au service du dialogue avec le client. Il doit le faire dans un langage que les clients comprennent et en l’occurrence, les connaissances techniques liées au print sont de plus en plus faibles chez ces derniers. C’est vrai sur les marchés de la communication, mais si l’on se place sur des marchés plus industriels comme ceux de l’étiquette, de l’impression fiduciaire ou encore de la notice pharmaceutique, qui se caractérisent par une technicité et des contraintes très fortes, les clients ont plutôt fait le chemin inverse. Les niveaux d’exigence sont également très élevés mais ils sont cette fois exprimés en des termes techniques très précis, avec parfois des demandes pointues qui sortent du cadre technique habituel. Là encore, le fabricant doit s’ajuster pour comprendre la demande au mieux et satisfaire les besoins exprimés. C’est particulièrement sensible dans le secteur du packaging, où les exigences liées au contact alimentaire sont en progression très nette. Cette montée globale des exigences doit donc autant aux attentes du client qu’à de nouvelles règlementations, mais ce qui est certain, c’est qu’en conséquence, l’imprimeur doit monter en puissance sur les notions de conseil et de services.

Est-ce que cette montée des exigences n’est pas parfois perçue comme injuste ou intenable, dans la mesure où les contraintes réglementaires peuvent être plus lâches à l’extérieur de nos frontières ? De même que les prix d’ailleurs : difficile de s’aligner sur les tarifs pratiqués en Europe de l’Est notamment…

Cette concurrence étrangère, effectivement souvent concentrée en Europe de l’Est, beaucoup des acteurs que nous avons rencontrés y sont confrontés. Mais tous ne sont pas en difficulté, loin de là. Il me semble important de souligner que certains s’en sortent même très bien ! Et ceux-là ont fait le pari de ne pas aller se battre sur des prix. Parce que c’est une bataille perdue d’avance. Mais cela soulève un problème plus structurel : beaucoup de petits acteurs, des TPE souvent, n’ont pas les moyens de se différencier et de conduire des stratégies ambitieuses en termes de repositionnement de leur offre. Ceux-là ont tendance effectivement à jouer sur les prix, parfois malheureusement jusqu’à descendre en-dessous de leur coût de revient. De fait, ils se mettent en difficulté et cela explique certainement beaucoup de disparitions. Ce réflexe est une menace aussi pour les autres : les prix cassés tirent tout le monde vers le bas. On doit travailler à optimiser ses coûts, bien évidemment, mais il faut que ce soit fait de pair avec la volonté de monter en compétences et de répondre au mieux à des besoins nouveaux. La meilleure façon de préserver ses marges est de monter en qualité et en spécificité. Cela peut venir du service ; c’est pour cette raison que beaucoup se développent sur l’aval, en faisant de la gestion de stock et de la logistique. Cela permet d’être meilleur sur les délais, les coûts de stockage ou les coûts d’intermédiaires, par exemple. Cela peut aussi venir d’un travail sur l’innovation, qu’elle soit technique, technologique ou centrée sur le produit, choix que l’on observe surtout chez les plus grosses PME. Il faut dans l’idéal pouvoir se permettre d’avoir une à trois personnes en charge de la R&D pour jouer les intermédiaires entre les commerciaux et les fabricants. Pour concevoir des produits nouveaux, il faut du temps de veille, de réflexion et de conception. L’innovation dépend aussi des marchés : des techniques de pliage ou de collage spécifiques, l’utilisation d’encres fonctionnelles, la création de puces RFID, l’assemblage de produits, etc. L’important, c’est de montrer aux clients qu’on est en capacité de leur proposer des choses qui entrent en résonance avec leurs besoins.

Est-ce qu’il n’est pas difficile d’établir des diagnostics d’entreprises pérennes quand la conjoncture est à ce point défavorable, avec notamment la flambée des prix des matières premières, mais aussi de l’énergie, le tout dans un contexte de conflit en Ukraine ?

On a effectivement vu monter tout cela quasiment en temps réel puisque la première entreprise que nous avons visitée, c’était en mai 2021. La dernière, c’était en juin 2022. C’était déjà assez clair en 2021, mais les choses se sont effectivement aggravées. Ce sont bien évidemment des préoccupations fortes, notamment sur le papier, pas seulement du fait de l’explosion des prix, mais tout simplement aussi pour des questions de disponibilité. C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, une des entreprises que nous avions prévu de visiter n’a finalement pas pu nous recevoir. Le contexte très instable dans lequel les entreprises évoluent depuis plus d’un an ne leur a pas permis de nous accorder ce temps. Ils étaient focalisés sur des impératifs de court terme, ce qui accentue un trait caractéristique de cette industrie, où les TPE sont surreprésentées : déjà en temps normal, il est difficile pour de petites structures de dégager ce temps de réflexion stratégique, c’est évidemment pire encore quand la conjoncture subit de tels aléas.

« Les Industries Graphiques peuvent se targuer d’être innovantes depuis plus de 400 ans. Il y aurait certainement beaucoup à faire pour que cela se sache enfin. »

Vous soulignez, hélas sans surprise, la dégradation de l’image du secteur, qui affecte durement son attractivité. L’influence des entreprises au cas par cas n’est-elle pas insuffisante pour infléchir sur ce phénomène ? Est-ce qu’il n’y a pas plutôt à mettre en œuvre ici des dynamiques collectives ?

Sur un plan micro, en effet, il semble compliqué pour une entreprise d’agir individuellement quand c’est l’image de tout un domaine d’activité qui est affecté. Néanmoins, ce que l’on constate et qui n’est pas forcément propre à ce secteur, c’est que les TPE et PME communiquent très peu sur leur marque employeur. Les sites Web des imprimeurs ont beaucoup progressé : ils sont passés de plaquettes techniques à des vitrines orientées clients, qui donnent à voir ce qu’ils sont capables de faire. En revanche, les sites en question ne s’adressent presque jamais à leurs candidats potentiels : qui nous recrutons, comment nous fonctionnons et quelle est « l’ambiance » de l’entreprise ? C’est comme si l’entreprise renonçait à véhiculer une image de ce qu’elle est ou de ce qu’elle veut être. Présenter son offre et ses produits ne suffit pas, il faut donner envie. C’est à mon sens un levier important et il est sous-exploité.

Par ailleurs, s’agissant d’un secteur très éclaté avec 4000 entreprises aux profils variés, il y a forcément un travail à faire à l’échelle collective. Un des problèmes, c’est que la filière graphique n’est pas complète en France : il n’y a presque plus de fournisseurs de matériel français et peu de papetiers. En France, l’industrie en général ne fait plus rêver et les métiers de l’impression – comme d’autres – en pâtissent. Pour les Industries Graphiques, cette image de secteur un peu « sale » et passéiste lui colle à la peau et en soi c’est assez injuste. J’ai été frappé du dynamisme avec lequel nombre d’entreprises s’attachent à innover : ce trait caractéristique des Industries Graphiques est mal connu et pourtant, il est très clair. Les innovations, qu’elles soient produits, techniques, RSE ou autres, sont aussi concrètes qu’elles sont finalement peu visibles. On a beaucoup parlé de la « Start-up Nation » ces dernières années, alors que finalement les Industries Graphiques peuvent se targuer d’être innovantes depuis plus de 400 ans. Il y aurait certainement beaucoup à faire pour que cela se sache enfin.

Enfin, si le numérique a dans un premier temps donné l’image d’un secteur d’activité à la fois plus moderne et plus écologique, les impacts qui lui sont attribuables sont de plus en plus évidents et partagés. De fait, l’on commence enfin à voir à quel point une communication « tout numérique » est plus nocive qu’un mix raisonné où le Print a encore sa place.

« Les exigences écoresponsables des donneurs d’ordre vont encore monter d’un cran et imprimer loin, mais de façon low cost, sera de moins en moins facile à assumer. »

Vous évoquiez le dynamisme des innovations, or il semblerait que les jeunes soient particulièrement sensibles à celles qui ont trait à l’environnement…

La thématique environnementale monte effectivement clairement, poussée notamment par la réglementation. Les imprimeurs avaient souvent déjà engagé des démarches, ils n’ont pas attendu la Loi AGEC. Il faut certainement encore pousser le curseur mais c’est là aussi un des coups à jouer par rapport à la concurrence internationale : les exigences écoresponsables des donneurs d’ordre vont encore monter d’un cran et imprimer loin, mais de façon low cost, sera de moins en moins facile à assumer. Par ailleurs, ce travail d’écoresponsabilité est beaucoup plus simple à conduire lorsque le donneur d’ordre et le fabricant sont en proximité : cela permet de discuter, d’échanger des idées et de progresser.

« Chez les entreprises qui comptent moins de cinquante salariés, on constate un déficit de stratégie tout simplement parce que cela prend du temps. »

Vous dîtes – je cite – que “le champ de la stratégie reste encore largement à labourer voire à défricher”. Comment expliquez-vous ce déficit global de vision et de réflexion stratégique ? Est-ce que ce n’est pas d’ailleurs paradoxal quand dans le même temps, vous dîtes constater un dynamisme très marqué en termes d’innovation ?

Il y a effectivement du dynamisme et des envies de faire. Mais globalement, chez les entreprises qui comptent moins de cinquante salariés, on constate un déficit de stratégie tout simplement parce que cela prend du temps. Lorsqu’on a un dirigeant, souvent seul, et des équipes de taille réduite, priorité est donnée à la production. La stratégie n’est pas délaissée par manque d’envie, mais parce qu’on éprouve des difficultés à appréhender le sujet : souvent, les dirigeants n’ont pas les outils et les connaissances pour se lancer, sauf à y passer beaucoup de temps. Or, ils n’en disposent pas. Cela n’empêche pas une forme de dynamisme, mais on n’est pas dans des stratégies construites. On observe plutôt des mouvements d’opportunités qui parfois, a posteriori, constituent des stratégies improvisées, presque non-intentionnelles. On suit son intuition. Beaucoup de petites entreprises se sont développées de cette façon, sans que ça ne soit forcément un problème. Mais cette façon de fonctionner est rendue beaucoup plus simple lorsque l’on se situe dans des marchés en croissance. A l’inverse, quand on est positionné sur des marchés en contraction, arrive toujours le moment où il faut faire des choix et prendre des décisions. Soit on repense son parc machines et on investit, soit on cherche à étendre son offre, soit on se réorganise etc. Mais un investissement insuffisamment préparé peut coûter cher… Il faudrait donc aller vers plus de vision stratégique à moyen terme. Les entreprises qui s’en sortent le mieux aujourd’hui sont celles qui ont un positionnement clair, avec des capacités de production parfaitement adaptées à leur offre. Soit elles se sont spécialisées sur un marché, soit elles maîtrisent tout particulièrement une technologie, soit elles s’adressent à un secteur spécifique etc. De fait, elles sont beaucoup mieux identifiées auprès de leurs clients. Ce travers peut même parfois s’observer chez de grands groupes récemment constitués, justement parce qu’ils n’ont pas eu le temps de de se redéfinir. Mais je pense qu’il faut voir cela positivement : c’est la preuve qu’il existe un potentiel de développement non-exploité. Certains s’en sortent finalement sans vision stratégique très claire, de fait peut-on considérer que ces entreprises n’usent pas de leur plein potentiel et pourraient performer encore plus.

Vous êtes parfois sévère quant au défaut de culture managériale constaté dans l’entreprise. Est-ce que c’est d’ailleurs une cause – directe ou indirecte – du déficit de vision stratégique dont vous venez de parler ?

La stratégie et le management relèvent effectivement plutôt de la même sphère, mais il faut faire une distinction à mon avis : la stratégie concerne plutôt des réflexions quant aux évolutions qu’il faudrait impulser à l’entreprise. Le management, au sens où nous l’entendons ici, sera plus tourné sur l’animation interne.

Vous parlez même de “solitude”, qui est un terme qui revient plusieurs fois dans l’étude. A la fois celle du dirigeant, mais aussi celles des collaborateurs en général. Est-ce que cela trahit selon vous un fonctionnement encore très vertical, voire mutique, en interne ?

On retrouve effectivement souvent cette solitude à la tête des entreprises et c’est seul que le dirigeant prend les décisions stratégiques. Si l’on descend un peu et que l’on parle de management d’encadrement pour conduire l’animation des équipes, ce sont en effet des éléments souvent défaillants ou faiblement développés. Il y a là une raison certainement culturelle : c’est un secteur encore très ancré dans la technique. On a vu beaucoup d’industries qui se sont modernisées ces vingt dernières années aller sur des approches de type lean management [méthode de gestion qui vise à corriger les dysfonctionnements et à réduire les gaspillages en associant fortement les opérateurs avec un « management participatif », NDLR] et travailler sur leur cohérence collective. Dans les Industries Graphiques, on l’a finalement peu fait. Nous avons même été surpris d’entendre, de la part de l’encadrement intermédiaire, des termes qu’on ne trouve plus ailleurs. On nous a par exemple parlé dans certains cas de « contremaîtres », là où aujourd’hui on parle communément d’agents de maîtrise. Or, le contremaître reste justement très tourné sur la maîtrise technique. Ceux qui prennent des responsabilités dans les ateliers sont toujours les meilleurs techniciens : ils prennent du plaisir dans le réglage de leurs machines et sont soucieux d’optimiser la qualité de production. C’est bien souvent grâce à eux que certaines entreprises bénéficient d’une image d’excellence, mais ils sont souvent en difficultés sur le management : comment je transmets ? Comment j’accompagne ? Comment je donne à voir l’activité de l’entreprise ? Comment je propose des retours d’expérience et des analyses de situation quand on a des erreurs à répétition ? Sur certaines de ces questions, ils ont tendance à se focaliser sur la technique alors qu’il faudrait aller plus loin et interroger les modes de fonctionnement, comprendre comment les choses se passent entre les départements prépresse et les ateliers, puis entre l’impression et la finition etc. C’est de cette façon que l’on se rend compte que parfois, les informations sont tout simplement mal transmises. Dans certains cas, c’est la façon dont on note et collecte les informations qui peut induire en erreur et générer des dysfonctionnements. Le management, c’est bien évidemment cela, mais c’est aussi donner des perspectives et donner à voir ce que pourra être l’entreprise demain. C’est d’ailleurs là un point essentiel en termes d’attractivité : les jeunes ont besoin d’un projet dans lequel se projeter, on ne peut pas se contenter de leur attribuer un poste. Cela veut dire qu’il faut leur ouvrir les sphères du développement et de la stratégie de l’entreprise, quand aujourd’hui on a l’impression qu’elle n’appartient guère qu’à un dirigeant esseulé. C’est quelque chose qui nous a vraiment surpris : quand on discute avec les salariés en ateliers, on est face à d’excellents techniciens, mais qui ont souvent une très faible connaissance des marchés sur lesquels ils sont positionnés. Pire encore, ils sont assez fréquemment ignorants de la situation de l’entreprise elle-même. Il y a un manque clair de culture économique, preuve que ce n’est pas un sujet suffisamment abordé et partagé en interne. Parfois on constate même des manquements très prononcés en termes de contrôles de gestion : on en sait pas dire ce qui fait gagner ou perdre de l’argent à l’entreprise. Sur ces points, c’est à l’encadrement d’être plus présent, car on ne peut pas prendre de décisions éclairées sans se comprendre soi-même.

« Quand la circularité de l’information entre le prépresse, les ateliers et la finition ne consiste qu’à faire transiter des dossiers, on ne se parle pas vraiment. »

Est-ce que les collaborateurs se plaignent de ce que vous décrivez, à savoir une forme d’invisibilisation de la situation de l’entreprise et de ce vers quoi elle va ?

Ce n’est pas forcément un malaise et ce n’est en tout cas pas vraiment exprimé comme tel. Il y a en revanche clairement de l’incertitude alors que paradoxalement, dans les petites entreprises, il y a une grande proximité avec le patron. Mais il se noue en conséquence une confiance un peu aveugle : les collaborateurs ont conscience que le secteur est en tension sur ses marchés historiques, mais on se dit que le dirigeant saura prendre les bonnes décisions. Certains regrettent quand même qu’il n’y ait pas plus régulièrement des réunions destinées à faire le point, pour répondre à cette simple question : où en est-on ? Encore une fois, on est obligé d’observer que les entreprises qui s’en sortent le mieux sont parvenues à créer un véritable collectif, avec du liant entre les différents services. Pour faire très simple, quand la circularité de l’information entre le prépresse, les ateliers et la finition ne consiste qu’à faire transiter des dossiers, on ne se parle pas vraiment.

Parmi les motifs d’optimisme, vous notez que les initiatives RSE sont souvent l’occasion de repenser l’organisation de l’entreprise à la racine. Certains considèrent que c’est pourtant un “luxe” que l’on peut se permettre lorsque les fonctions business pures sont avantageusement assurées. Est-ce qu’il ne faudrait pas pourtant porter les réflexions RSE ailleurs que dans les entreprises déjà “premières de la classe” ?

Il est vrai qu’il y a encore ce côté « premier de la classe » chez les entreprises les plus investies en RSE, mais dans la mesure où les attentes des clients en la matière ne font que monter, ça ne peut pas rester en l’état. Le risque à ne pas y aller est clair : on peut perdre des marchés ! Il faut redire que les donneurs d’ordre eux-mêmes ont de plus en plus de pression sur cette question et il y a une attente qui va continuer de grandir. Heureusement, le secteur peut capitaliser sur un travail qui a été déjà largement engagé – notamment via Imprim’Vert – mais il va falloir aller plus loin. Sur cette thématique RSE, c’est Print’Ethic qui tient la corde aujourd’hui et nous avons vu quelques entreprises qui s’y sont lancées. L’approche est intéressante puisque l’engagement est progressif et dimensionné aux moyens de l’entreprise, qui pourra entamer une démarche « à sa main ». C’est encore trop tôt pour tirer des conclusions, mais c’est une piste prometteuse.

Si vous deviez résumer en quelques mots l’enseignement principal de votre étude…

Le diagnostic que nous avons établi fait certes ressortir un certain nombre de points noirs et de faiblesses, notamment sur les notions de stratégie et de management. Mais je suis plutôt optimiste pour le secteur : il faut y voir un potentiel de progression énorme. Sur des marchés tendus et fortement perturbés depuis quinze ans, la révolution numérique étant passée par là, on voit des entreprises capables de s’en sortir sans même avoir abattu toutes leurs cartes et joué tous leurs atouts. En travaillant à renforcer le management, améliorer la cohérence organisationnelle en interne, construire des collectifs soudés, faire de l’amélioration continue, consolider la dimension ‘conseil & services’, faire de la R&D pour mieux préparer ses investissements et en déduire des solutions commerciales viables et, enfin, travailler son positionnement sur le marché en développant une réelle vision stratégique avec une forte identité de marque, il y aurait de quoi faire émerger de vrais champions économiques. Cette marge de progrès existe et il faut s’en réjouir.

Imprim’Luxe se penche sur la question du patrimoine

Alors qu’Imprim’Luxe s’apprête à souffler sa dixième bougie d’ici quelques mois, l’association organisait le 10 octobre dernier un dîner thématique autour de la « défense du patrimoine » : un sujet majeur, qui entre forcément en grande résonance avec la raison d’être initiale du label, créé en juin 2013 pour relocaliser en France des travaux d’impression liés aux marchés du luxe. Ainsi Pierre Ballet, son Président, ne manquait-il pas d’annoncer un objectif clair : « Nous voulons arriver à 50 % de nos membres labellisés Entreprise du Patrimoine Vivant (EPV) », preuve du lien étroit qui s’opère entre la promotion de l’excellence et la préservation/transmission des compétences. L’occasion aussi pour l’association d’honorer “l’Entreprise de l’année ” (MPO) et la “Personnalité de l’année” (Pascal Bovéro – UNIIC) tout en nourrissant le débat : comment porter et défendre l’excellence à la française ?

Réhabiliter l’excellence faite main

Pour l’occasion, Imprim’luxe accueillait un maître de cérémonie tout désigné, puisque c’est Stéphane Bern qui a donné le ton de la soirée. « Le monde entier nous envie notre patrimoine. Dans l’idéal, nous devrions le transmettre dans un meilleur état que celui dans lequel nous l’avons trouvé » exprime-t-il d’emblée, fidèle à ce pour quoi il s’est vu confier une mission sur-mesure, avec l’appui notamment du Ministère de la culture, pour contribuer à sauvegarder un patrimoine aussi précieux que fragile. Si l’on pense souvent à des sites identifiés comme étant en danger (il y en aurait officiellement 645, selon les décomptes opérés en 2018, à l’amorce de ladite mission), les compétences et le savoir-faire des métiers de la main, plus immatériels, n’ont rien d’un enjeu secondaire. « Les EPV sont souvent des PME ou des ETI, lesquelles sont souvent elles-mêmes des entreprises familiales qui savent ce que c’est que de transmettre » poursuit-il. Or, « transmettre » n’est pas qu’un beau geste, c’est la condition sine qua non de la survie d’un savoir-faire, car derrière un trésor culturel, il y a très souvent des trésors industriels et/ou artisanaux. « Les entreprises sont des entités vivantes et fragiles qu’il faut protéger » insiste-t-il, faute de quoi il faudra déplorer la disparition ou l’ultra-raréfaction d’une somme de métiers qui ont construit le rayonnement français. Or, il devrait ne pas y avoir de fatalité, bien au contraire : « Lorsque je me rends au salon du patrimoine culturel, je croise des jeunes qui sont en quête de sens. Ces métiers d’art, ces métiers de la main, ils s’y intéressent parce qu’ils peuvent donner du sens à leur vie », confirme-t-il, persuadé qu’il y à potentiellement là « un vivier d’emplois extraordinaire »… A condition toutefois de revaloriser en profondeur les métiers dits « manuels », que l’on considère trop souvent être des lots de consolation et/ou des chemin de réorientation contraints, pour des élèves en difficulté sur des parcours de formation plus généraux. « Pourtant, ce sont ces métiers qui font l’excellence à la française » martèle-t-il, conscient qu’une production d’élite appelle à reconsidérer d’urgence la valeur des métiers qui lui permettent d’exister.

Imprim’Luxe remet deux prix

– Rappelez-vous, nous nous rendions voilà maintenant six ans dans l’une des unités du groupe MPO (Moulage Plastique de l’Ouest), à l’occasion – précisément – d’une visite d’entreprise portée par Imprim’Luxe. Détentrice d’un double savoir-faire, à la fois dans le pressage de disques optiques (CD, blu-ray, vinyles) et dans l’impression (pochettes, coffrets, packagings de luxe etc.), MPO est une entreprise qui certainement plus que beaucoup d’autres, a vu les modes se faire et se défaire. « Si nous avions été rationnels, nous nous serions débarrassés des machines dédiées à la fabrication des vinyles, parce que cela nous a fait perdre beaucoup d’argent » s’amuse aujourd’hui de noter Alban Pingeot (Directeur général), alors qu’il vient de recevoir un prix pour MPO, sacrée par Imprim’Luxe « Entreprise de l’année », deux ans après avoir été reconnue EPV (rappelons que ce label sélectif ne promeut que 1500 sociétés françaises chaque année). « Le vinyle ne serait jamais revenu s’il n’y avait pas eu le streaming. La charge émotionnelle associée au produit est tellement forte qu’elle ne peut s’exprimer qu’à travers un bel objet. Alors toute la semaine vous allez écouter du streaming, mais le week-end, vous allez vous autoriser l’écoute d’un vinyle. Et c’est la même chose pour tous les produits imprimés qui visent l’émotion et l’excellence : je suis persuadé qu’il y aura toujours un marché pour ces produits-là » conclue-t-il.

Alban Pingeot (PDG de MPO) et Alain Lesénécal (Président des EPV).

– Pierre Ballet ne s’en cache pas, le prix de « Personnalité de l’année » qu’il s’apprête à remettre à Pascal Bovéro (UNIIC), tient en un terme : celui de la reconnaissance. Car Imprim’Luxe lui doit certainement en partie son existence, quand l’UNIIC sollicite Pierre Ballet en 2011 pour répondre à un appel à projet intitulé « actions collectives au soutien de la compétitivité des industries du luxe », lancé par le ministère de l’Industrie. « Les entreprises des industries graphiques sont aujourd’hui encore perçues comme des transformateurs de l’éphémère, voire même de l’inutile, pour certains acteurs des pouvoirs publics. Imprim’Luxe permet de porter une image d’excellence et nous aide à être reconnus comme les métiers que décrivait Stéphane Bern : à savoir ceux d’un maillage au service de l’ennoblissement » développe le Délégué général de l’UNIIC, qui ne pouvait pas se soustraire à l’une de ces formules dont il est si friand : « J’avais dit à Pierre Ballet que contrairement à la révolution française, c’est par la noblesse qu’Imprim’Luxe revaloriserait le tiers état » lâche-t-il en effet, faisant là référence aux « deux tiers des entreprises des industries graphiques qui sont considérées comme des industriels de l’imprimé publicitaire, du périodique ou autre, sans reconnaissance suffisante pour leur concours au rayonnement de nos métiers ». Une ouverture vers des marchés à l’image moins clinquante, mais qui participent à « une chaîne de complémentarités au service du sens » précise-t-il. « Stéphane Bern disait tout à l’heure que les jeunes ne s’engagent que s’il y a du sens. En effet, les entreprises des industries graphiques ne peuvent pas recruter si elles n’affirment pas cette logique et si elles ne répondent pas à cette quête de sens » reprend le Délégué général de l’UNIIC, qui voit en Imprim’Luxe une force collective qui n’est « pas près de s’éteindre, car on n’éteint jamais les étoiles »… 

Pierre Ballet (Président d’Imprim’Luxe), Luc Lesénécal (Président des EPV), Stéphane Bern (Animateur et porteur de la Mission de protection du patrimoine), Alban Pingeot (PDG de MPO), Pascal Bovéro (Délégué général de l’UNIIC), Nicolas Vial (Illustrateur de presse et peintre) et Alain Caradeuc (Imprim’Luxe).

Congrès 2022 – L’UNIIC et l’UNFEA marquent leur rapprochement

Un des maîtres-mots du Congrès de la Filière Graphique 2022 était le décloisonnement. Preuve en était donnée dès les premiers échanges de la journée puisque l’événement a été l’occasion d’officialiser un rapprochement concret entre l’UNIIC et l’Union Nationale des Fabricants d’Etiquettes Adhésives (UNFEA)…

Pierre Forcade, Délégué général de l’UNFEA, aux côtés de Benoit Duquesne, Président de l’UNIIC.

“C’est un grand moment pour nos deux fédérations” n’hésite pas à affirmer Pierre Forcade, Délégué général de l’UNFEA. Ce “moment” est en l’occurrence la matérialisation d’une approche commune sur les thématiques RSE au sens large. “Les adhérents de l’UNFEA pourront bénéficier de ce que l’UNIIC propose sur le volet environnemental, comme nos propres adhérents” annonçait en effet Pascal Bovéro, Délégué général de l’UNIIC, quelques minutes plus tôt. Une ouverture qui, il l’assure, “n’est que le début d’une histoire, pour créer la maison de tous”. Comptant 111 adhérents à ce jour (soit environ 400 sites de production en France, pour un chiffre d’affaires de 1,8 milliard d’euros), l’UNFEA, par la voix de son délégué général, identifie en effet “de nombreuses problématiques communes” et n’entend “pas recréer des approches qui existent déjà à l’UNIIC”. Ce sont plus particulièrement les labellisations Print Ethic et le recours à l’outil en ligne ClimateCalc (lequel permet d’évaluer ses émissions de gaz à effet de serre, de façon spécifique pour les entreprises du secteur graphique) qui deviennent dès lors des opportunités communes, tant pour les adhérents de l’UNIIC que pour ceux de l’UNFEA. Mais ce ne devrait effectivement être qu’une première pierre : “Les problèmes de recrutement et de formation seront nos thèmes de travail avec l’UNIIC également” évoquait ainsi également Pierre Forcade. Affaire à suivre, donc..

Décret tertiaire : un délai supplémentaire pour se déclarer et contester l’assimilation du secteur graphique

La date butoir de l’obligation déclarative afférente au décret tertiaire qui était fixée 30 septembre 2022 est décalée au 31 décembre 2022 ;

Cette tolérance sera mise à profit par l’UNIIC qui travaille sur cette question depuis plusieurs mois pour rappeler, à base d’arguments techniques et juridiques, les fondements de notre assimilation au secteur industriel et non au secteur tertiaire, ce qui implique la contestation de l’inclusion de l’imprimerie dans la liste des secteurs concernés.

Lire le communiqué de presse daté du vendredi 23 septembre intitulé “Dispositif Eco Energie Tertiaire : une tolérance est accordée jusqu’au 31 décembre 2022 pour remplir ses déclarations”

Aide dite d’urgence « Gaz et électricité »

Chers adhérents,

Nous avons pris connaissance des échanges que vous avez pu avoir sur la question cruciale des surcoûts énergétiques qui frappent les entreprises de notre filière positionnées, dans le haut de notre branche industrielle en termes de consommation.

Ce sujet a fait l’objet d’échanges techniques et politiques que nous avons initiés dès mars dernier avec 7 autres branches impactées.

Nous avons donc organisé des visioconférences avec l’Etat en amont des textes règlementaires comme nous l’avions fait voici deux ans pour le fonds de solidarité. Cette action avait permis à l’époque de modifier la liste non exhaustive et non figée des secteurs concernés.

Nous siégeons dans les principales commissions du Medef et c’est notre confédération qui nous a aidé à éclairer la DGE sur la spécificité de notre secteur, même si nous manquions de données quantifiables, à l’exception de celles de quelques rotativistes et imprimeurs feuilles.

Nous avons souhaité pour vous éclairer, vous livrer un extrait de notre échange avec le Medef sur l’aide dite d’urgence « Gaz et électricité » instituée par le décret n°2022-967 du 1er juillet 2022, car il y va de la force de notre action, son ciblage et des objectifs que nous poursuivons tous.

Suite à la présentation par la DGE de ce dispositif, nous avons été surpris de ne pas être dans la liste des secteurs ou sous-secteurs listés en annexe 1 et permettant de bénéficier de l’aide.

Comme vous le constaterez :

  • La présence ou non d’un secteur de l’annexe 1 n’a d’incidences que sur le plafond de l’aide et n’est en rien une cause d’exclusion.
  • La promesse d’une hotline que nous exigions et que nous attendons est toujours dans les tuyaux (mais le temps presse).
  • La définition des modalités de l’aide dépend évidemment de la commission Européenne.
  • Nous nous sommes fait confirmer avant l’adoption du dispositif que l’annexe 1 était évolutive.

Cette approche règlementaire peut être modifiée par deux véhicules juridiques (une lettre interprétative de Bercy, ou un avenant à l’annexe 1)
Attention toutefois, puisque c’est ce que nous avions demandé par le truchement du Medef, l’entreprise doit respecter l’ensemble des paramètres et prouver qu’elle est éligible.
Pour cela, il nous faut une certaine transparence et des données de gestion que nous devons consolider pour prouver (hors changement d’opérateur et des contrats) que nous sommes impactés, ce qui est malheureusement le cas pour nombre d’entre vous…

Matthieu Prévost, responsable environnement avait commencé à faire ce travail de compilation et de synthèse.

Nous sommes bien évidemment conscients de l’urgence des réponses collectives à apporter et nous sommes là pour y contribuer.

Consulter la présentation  de l’aide d’urgence gaz et électricité produite par le ministère de l’économie.

ALERTE : Gare aux demandes de contributions paritaires indues

L’UNIIC constate que des entreprises dont l’activité relève de l’Identifiant de Convention Collective (IDCC) 184 et de la CCN “Imprimerie de labeur et industries graphiques” se voient réclamer des contributions paritaires indues, puisqu’émanant d’un champ conventionnel qui n’est pas le leur.

A ce titre, l’UNIIC rappelle que notre secteur s’est doté en 2015 d’un accord spécifique portant sur le dialogue social : celui-ci est le seul qui soit applicable aux entreprises relevant du champ conventionnel sus-cité, via une contribution à l’Opco EP dont vous dépendez.

Par conséquent, les entreprises qui feraient l’objet d’une mise en demeure pour une contribution relevant d’un IDCC qui n’est pas le leur, sont évidemment légitimes à s’y opposer.

Au vu des éléments qui nous sont remontés, l’UNIIC pose deux hypothèses :

• Une erreur de fichiers qui s’avèreraient non qualifiés, auquel cas nous en avertirons l’émetteur, sans que sa mauvaise foi puisse être mise en cause.
• Une tentative d’élargir le champ des entreprises concernées, en violation du droit conventionnel qui nous régit. Chose qui relèverait alors d’une manœuvre qu’il nous faudra dénoncer au moyen d’actions adéquates, jusqu’à ce qu’elle cesse.

Pièce jointe : ACCORD DU 23 NOVEMBRE 2015 RELATIF AU DIALOGUE SOCIAL ET À LA REVITALISATION DES BASSINS GRAPHIQUES

Elisabeth Borne en visite chez l’imprimerie Tonnellier

Dans l’effervescence d’un entre-deux tours qui a naturellement focalisé l’attention sur des enjeux politiques, Elisabeth Borne – à la fois première ministre en exercice et candidate à la députation dans la sixième circonscription du Calvados – était en visite ce lundi 13 juin au sein de l’imprimerie Tonnellier, à Condé-en-Normandie. L’occasion pour l’UNIIC de mettre en lumière les atouts d’une de ses entreprises adhérentes et de faire porter par Benoit Duquesne, son Président (et ancien dirigeant de Tonnellier), les dossiers majeurs sur lesquels notre branche industrielle doit avancer ces prochaines années…

De gauche à droite : Freddy Sertin, suppléant à la députation, Elisabeth Borne première ministre, candidate à la députation dans la sixième circonscription du Calvados, Benoit Duquesne, Président de l’UNIIC, Hélène Duquesne, présidente de Groupe Tonnellier, Vianney Duquesne, directeur des sites de Condé-en-Normandie et Grézieu-la-Varenne, et Florence Duquesne.

Alors qu’une note siglée UNIIC a été remise aux services de la ministre, notre action visant à éclairer les pouvoirs publics sur les atouts et enjeux relatifs au secteur de l’impression, a notamment mis la focale sur les points suivants :

– Nous nous sommes attachés à rappeler le poids d’une industrie de proximité (près de 4000 entreprises et 45 000 emplois directs), ancrée dans les territoires et créatrice de lien social. Le tout dans un contexte où les glissements de marchés vers des médias plus mobiles s’accentuent, sans justification environnementale avérée et au prix d’une désincarnation progressive de l’information. Au risque aussi d’une inégalité d’accès, au désavantage des moins rompus à l’usage de terminaux numériques.

– Nous avons voulu souligner combien l’intersecteur (imprimerie, industries créatives, emballage) se caractérise par une prédominance de TPE et surtout un poids de l’investissement matériel qui le fait assimiler à un champ d’activité hybride : industriel par son investissement et ses process, prestataire de services par son aptitude à vendre des prestations immatérielles. Ce qui n’est pas sans conséquences sur le statut fiscal du secteur : malgré cette hybridité de fait, l’imprimerie est tenue de faire l’avance de la TVA, ce qui fragilise d’autant sa trésorerie. Il est ainsi urgent de travailler à une monographie fiscale actualisée dédiée au secteur tant pour les questions de fait générateur et d’exigibilité de la TVA, que pour la définition fiscale du livre, dans un contexte où par ailleurs, une crise papetière majeure réduit considérablement les marges de manœuvres économiques.

– Après une année 2021 caractérisée par une reprise technique post-Covid, le secteur a en effet dû faire face à une contrainte haussière en termes de coût du papier, de l’énergie et des encres, phénomènes accentués par le refus de nombre d’acheteurs publics de prendre en compte certaines évolutions indiciaires malgré la circulaire de Monsieur Castex. Si certains refusent de parler de pénurie, force est de constater que les engagements des fournisseurs pour certaines sortes de papiers sont aléatoires. En outre, une généralisation de la pratique des commandes à prix ouverts imposée par des fournisseurs concentrés, face à un secteur graphique atomisé désorganise durablement les équilibres économiques fournisseurs/imprimeurs. Cette violation des fondamentaux du droit des contrats fait régner une imprévisibilité dans les rapports entre imprimeurs et donneurs d’ordre, les imprimeurs hésitant à s’engager et manquant de ce fait des opportunités de marchés.

– Nous avons souligné le poids majeur du marché publicitaire – 30 % du CA du secteur – et rappelé que la chasse aux prospectus ne se traduisait guère aujourd’hui que par un déplacement des efforts de communication vers des canaux numériques. Un mouvement contreproductif sur le plan environnemental puisque les impacts attachés à l’industrie numérique sont galopants, et ce d’autant plus s’ils prospèrent au détriment d’une activité traçable, basée sur des matériaux recyclables et inscrits de fait dans une économie circulaire structurée. L’expérimentation “Oui Pub” pourrait dans ce contexte être un dangereux accélérateur de tendances, au détriment de l’emploi (les effets en cascades sur les entreprises du secteur pourraient être redoutables) et sans bénéfice notable en termes d’écoresponsabilité publicitaire.

– Pour lancer avec l’Etat et les collectivités décentralisées un engagement de développement industriel fondé sur l’innovation environnementale, sociale, industrielle, il faut accompagner le secteur. Ce qui implique de le reconnaître comme un secteur innovant et d’opérer à cette fin une redéfinition du Crédit Impôt Recherche et du Crédit Impôt Innovation en l’adaptant à la R&D caractéristique dudit secteur. Il s’agit ainsi de converger vers la reconstruction d’un espace de dialogue et de partage dédié, via potentiellement un réseau filière graphique au sein de la DGE, en partenariat étroit avec les ministères compétents.

– Il importe de réviser l’opérabilité de notre dialogue social de branche, après une dégradation concrète observée ces deux dernières années. Il en va bien sûr de notre capacité à étendre les accords paritaires sans induire de distorsion entre les entreprises qui seraient adhérentes à l’UNIIC et celles qui ne le seraient pas (notamment sur les minimas salariaux), mais aussi de nous doter des outils de développement collectifs idoines, dans un contexte de mutation technologique et stratégique majeure.

– Il faut développer les convergences intersectorielles, face à des problématiques communes à nombre de secteurs connexes. L’approche “nomenclaturée” est insuffisante, voire paralysante, aussi plaidons-nous pour reprendre l’initiative qui avait été prise pour tendre vers une fusion des champs conventionnels. L’interpénétration de tous les modes de traitement de l’information mais aussi de l’emballage au sens général exige une réponse pilotée par l’Etat et les branches pour éviter d’inscrire notre développement dans l’atonie, voire l’ankylose de nos modèles économiques et sociaux.

– Enfin, en complément des efforts de développement industriels et d’innovation, un autre effort – de relocalisation des flux d’impression cette fois – doit pouvoir s’opérer. Assurer la traçabilité de la fabrication avec une redéfinition de l’achevé d’imprimer, relancer un crédit d’impôt relocalisation, favoriser les circuits-courts,  redéfinir le concept d’offre anormalement basse pour les marchés publics (qui concernent aussi l’édition), sont ainsi autant de pistes concrètes pour concourir à un redressement optimal.

Loin d’être exhaustif, ce panel de réflexions avec les pistes d’action associées, devra faire l’objet d’échanges réguliers  avec les pouvoirs publics. Sur ces dossiers notamment, nous comptons bien sûr vous tenir informés des avancées obtenues…

 

Pascal Bovéro – “Les imprimeurs se sentent étranglés”

Cet article est livré en avant-première. Il est à paraître dans Acteurs de la Filière Graphique n°137 (1er trimestre 2022).


C’est une évidence : la situation est exceptionnellement tendue, la faute à la rareté prolongée du papier, à la flambée des prix de l’énergie et des consommables et bien sûr au contexte économique hérité du conflit ukrainien. Nous faisons le point avec Pascal Bovéro, Délégué général de l’UNIIC, qui pointe la nécessité de faire corps collectivement, alors que l’insistance de la demande pour une reprise de la communication imprimée doit aussi nous rassurer.

Les tensions d’approvisionnement qui affectent les marchés des papiers/cartons prennent un tour durable et désormais critique. Comment l’expliquer ?

La situation est effectivement extrêmement difficile. Ce qui nous a trompés, c’est que le prix de la pâte marchande a d’abord évolué à la hausse, puis s’est stabilisé avant d’amorcer une légère décrue à l’automne dernier. Nous avons pensé, à ce moment-là, que cette décrue du prix de la pâte marchande augurait d’une décrue plus générale, qui se vérifierait sur l’ensemble des marchés de matières premières et de la transformation papetière en particulier. Force est de constater que la tendance haussière s’est à nouveau imposée. Il y a indiscutablement eu un phénomène conjoncturel : une demande en pleine explosion due à une relance technique brutale, d’abord localisée dans le sud-est asiatique, entraînant un déséquilibre mondial et une forte tension. Mais certains ont oublié que nous étions sur des marchés qui sont spéculatifs : nous connaissons l’adaptation constante d’un monde papetier concentré, à la demande mondiale… Nous savons par ailleurs que le secteur graphique n’est plus perçu comme porteur pour le secteur papetier. Les producteurs ont donc au fil des années repensé leurs modèles d’affaires et l’équilibre de leur exploitation, les conduisant à s’interroger sur l’avenir du papier à usage graphique, estimant à juste titre qu’il y avait une surcapacité de plusieurs millions de tonnes par an par rapport à une demande finale décroissante. Ils ont ainsi rationnellement transformé des lignes de production pour migrer vers de l’emballage, le carton ondulé, le secteur de l’hygiène, plus porteurs. Ces acteurs ont choisi de faire le pari du couple décarbonation/diversification surtout sur des sortes de papiers trop associées à une volumétrie indifférenciée (l’imprimé publicitaire par exemple). À l’exception de quelques papiers très techniques, il s’en est suivi une diminution généralisée de la capacité de production sur les principales références graphiques. Conduit de manière concertée, le mouvement de reconfiguration du paysage papetier s’en est trouvé accéléré et amplifié.

“Les marchés que perdent les
imprimeurs les conduisent à nouveau
en situation de sous-activité, alors
que la demande, elle, est bien là.”

Comment cela se traduit-il pour les imprimeurs ?

Cela dépend des profils mais les industriels de la rotative, les premiers à être percutés, ont vu en un an les prix exploser de manière erratique, avec des délais de livraison imprévisibles, notamment sur le 80 grammes. On a vu des références papier tarifées à 680 euros la tonne début 2021 qui ont presque doublé à ce jour. Cette catégorie d’acteurs travaille essentiellement sur des produits tels que l’imprimé publicitaire, la presse, les catalogues et les flyers et sont équipés de presses 16, 32 ou 48 pages, soit des investissements extrêmement lourds taillés pour de la production de masse. Ils se positionnent sur des marchés encadrés, avec signature contractuelle, et aujourd’hui ils se sentent étranglés. D’autant qu’est venue s’ajouter une hausse folle des prix des consommables – les plaques ont subi + 48 % en six mois, mais les colles ont également subi de fortes hausses – avec dans le même temps une flambée hors de contrôle des prix de l’énergie. Tant l’électricité, dont on connait les aspects régulés et non-régulés, que le gaz qui vient notamment alimenter les sécheurs des imprimeurs rotativistes, ont atteint des niveaux tels que l’on voit refleurir de l’activité partielle. Car les marchés que perdent les imprimeurs les conduisent à nouveau en situation de sous-activité, alors que la demande, elle, est bien là. Ces rotativistes, dont la taille moyenne est un peu supérieure à une centaine de salariés, positionnés sur des marchés nationaux ou locaux, vivent une situation d’autant plus terrible qu’on a eu l’illusion d’une reprise technique en juillet dernier, mais elle a été partiellement freinée. La fermeture de certaines unités papetières, plus les grèves que nous avons pu observer [en Finlande chez le groupe UPM, NDLR] et bien sûr le conflit armé en Ukraine qui a des conséquences sur l’activité économique globale et sur le secteur graphique en particulier, achèvent de noircir un ciel déjà chargé.

Ces hausses de prix peuvent-elles être absorbées et répercutées dans les prestations des imprimeurs ?

Pas toujours non, loin de là. Un exemple très parlant : nombre de nos adhérents, de taille moyenne, rotativistes ou imprimeurs feuille, travaillent pour les marchés publics sur des accords-cadres. C’est-à-dire qu’ils se positionnent sur une durée prédéterminée pendant laquelle l’acheteur public s’engage à lancer des bons de commande sur des spécificités, sans avoir à relancer des consultations, le tout étant régi par le code des marchés publics. Ce sont essentiellement des accords-cadres régionaux pour un périodique, une campagne d’affichage etc. Or, rares sont les acteurs publics qui intègrent aujourd’hui les indices officiels d’évolution portant sur les matières premières ou l’énergie. Parce que les contrats ont été validés et engagent les parties parfois sans clauses de révision ou alors adossées sur des indices synthétiques publiés par l’INSEE, non-représentatifs ou en retard par rapport à l’évolution folle que nous vivons, de telle manière que cela amène certains de nos adhérents à ne pas servir l’accord-cadre sur lequel ils se sont positionnés, avec les conséquences juridiques qui y sont associées.

“Ce qui se passe est contracyclique par rapport au message que nous envoie la demande : il y a une appétence pour notre support et il faut s’en réjouir. Mais ne pas pouvoir y répondre est un crève-cœur.”

Quels risques encourent les entreprises dans ces cas-là ?

Ils risquent d’être condamnés pour inexécution, mais soit ils prennent ce risque, soit ils travaillent très clairement à perte. Ce qui est interdit, mais la situation est tellement aléatoire que nous ne sommes sûrs de rien. On en est à se dire qu’il ne faudrait accepter aucun marché public sans clause de révision permanente avec des formules paramétriques. De l’autre côté, les papetiers, fournisseurs de plaques et distributeurs de consommables vous disent : ‘Je ne pourrai vous annoncer un prix que lorsque je vous aurai livré, dans six mois’. Il s’agit donc de la pratique des devis ouverts dont la légalité est douteuse. Comprenons bien que si l’on parle de hausses de prix de près de 50%, cela ne peut pas être supportable. Par ailleurs, le marché du livre, une grosse partie du marché des périodiques et une partie du marché des imprimés publicitaires, fonctionnent à 50% sur du papier fourni par les donneurs d’ordre. Qu’il s’agisse de print managers pour l’imprimé publicitaire, d’éditeurs de périodiques ou de livres, ils ont eu les moyens de faire de la veille, d’anticiper et de faire stocker ces stocks de sur-précaution par les imprimeurs, ce qui change complètement la donne en termes de coûts d’immobilisation. Cela génère des inquiétudes chez nombre d’imprimeurs qui peinent à gérer la situation. Sur 1 750 000 tonnes de papier traité en France, 51% du volume est fourni par le donneur d’ordre, sans marge possible : ni pour la transformation du papier, ni pour le stockage. Cela génère des difficultés économiques importantes et voit nombre d’imprimeurs peiner à assurer les commandes, même quand le papier est physiquement disponible et que la demande est là. Cela veut dire que l’activité classique consistant à laisser une trace sur le papier peut en subir les contrecoups et baisser encore, tendanciellement. Aujourd’hui, les entreprises ne se demandent pas si elles vont licencier – au contraire, elles ont besoin de forces vives – mais certaines se demandent si elles ne vont pas devoir déposer le bilan. C’est d’autant plus terrible que ce qui se passe est donc contracyclique par rapport au message que nous envoie la demande : il y a une appétence pour notre support et il faut s’en réjouir. Mais ne pas pouvoir y répondre est un crève-cœur.

Vous avez évoqué la hausse des prix de l’énergie, là encore, comment expliquer une telle flambée et peut-on entrevoir un retour à des niveaux supportables ?

Sur l’énergie, nous vivons une situation absolument folle. Elle l’était déjà avant la crise ukrainienne. Les causes en sont complexes et multiples. La France est le pays le plus nucléarisé du monde, elle exporte son électricité à «prix étudiés » en Allemagne notamment. En outre, des contrats très particuliers ont été passés par certains de nos adhérents, quittant un opérateur bien connu pour aller vers des prestataires privés, alléchés par des arguments attractifs qui malheureusement s’avèrent souvent trompeurs. Par ailleurs, une surconsommation électrique dans certaines zones du monde a fait exploser le prix du Kw/h. Entre janvier et mars de cette année : 48 % de hausse ! L’UNIIC a sollicité le comité des approvisionnements à Bercy et l’Etat souhaite réactiver des leviers de régulation qui permettront, souhaitons-le, non pas de tout régler probablement, mais au moins de faire respirer des industriels économiquement contraints. Hélas, les tensions s’accumulent : à partir du moment où l’aluminium est au niveau où il en est, le prix des plaques – rappelons là encore qu’il n’y a que trois fournisseurs de plaques – explose lui aussi : entre 45 et 60 % de hausse en cinq mois. Faute d’un retournement rapide, c’est un coup porté à la moyenne et haute volumétrie offset, lorsque l’impression numérique jet d’encre à courts tirages ne pose pas ce genre de problèmes. Idem d’ailleurs sur le papier : il est plus facile de s’approvisionner sur de moindres volumes. Dès lors, on sent bien que lorsque les renouvellements de matériels s’opèreront – à l’image de ce qui s’est déjà passé sur le petit format – à l’aune de la prochaine Drupa, ce n’est pas l’offset qui en profitera.

“Un centre technique multiprocédés dédié au secteur serait nécessaire aujourd’hui : pour réfléchir, pour tester, pour accompagner tant sur le plan économique que stratégique.”

La crise multifactorielle que nous vivons pourra donc accélérer un phénomène de mutation industrielle ?

Cela aura en effet des conséquences, ne serait-ce qu’en termes de compétences et d’organisation interne. Cela pose surtout la question de ce que l’on fait d’un matériel taillé pour de la haute volumétrie : peut-on reconditionner les machines ? Comment peut-on aider les entreprises à pivoter stratégiquement et assurer un renouvellement d’équipements ? C’est bien pour cela qu’un centre technique multiprocédés dédié au secteur serait nécessaire aujourd’hui : pour réfléchir, pour tester, pour accompagner tant sur le plan économique que stratégique… Il faut dépasser l’approche ‘consulting’ et ce n’est pas à l’UNIIC de dire aux entreprises ce qu’elles devraient faire et ce dans quoi elles devraient investir. En revanche, nous devons leur donner les outils pour prendre des décisions aussi éclairées que possible. De plus, quand un secteur comme le nôtre suscite – partiellement à tort, d’ailleurs – la défiance des acteurs financiers, vous êtes contraints de dégager des marges pour vous autofinancer. Mais comment faire si vous êtes pressuré de toutes parts ? Il ne faut pas raconter d’histoires : même pour une machine de moyenne gamme en impression numérique jet d’encre, les prix s’établissent autour du million d’euros. De tels investissements nécessitent donc des taux de rentabilité absolument hors d’atteinte en ce moment, pour nombre de nos adhérents pourtant solides financièrement. Et c’est certain : dans ces cas-là, ils ne rémunèrent plus leurs risques.

Y a-t-il un risque de ne pas pouvoir assurer dans de bonnes conditions l’impression des professions de foi, à l’aune des échéances électorales qui approchent ?

À court terme, il n’y a pas de danger pour assurer la propagande électorale. Du moins, pas pour les Présidentielles dans un premier temps. Avec des mandataires, l’Etat est allé chercher des papiers très loin de nos frontières, notamment en Indonésie. Pas du tout en Europe du Nord. Cela se fait au prix d’une traçabilité du papier certainement moins ‘clean’ mais priorité a été donnée à la disponibilité… En tout état de cause, il ne devrait pas y avoir de problèmes pour les douze candidats qui ont obtenu leurs parrainages : si les tarifs restent à négocier, et l’UNIIC y travaille bien évidemment, le volume de papier sera là pour assurer la propagande électorale.

Est-ce à dire que la sortie de crise ne pourra s’envisager qu’en conséquence d’une baisse de la demande ?

Nous n‘y échapperons probablement pas. Encore une fois, certains ne manqueront pas de se dire qu’il y a des risques à travailler sur support physique puisque la matière n’est pas là. A l’inverse, le digital offre des garanties évidentes en ce genre de circonstances. Mais s’il y a une rareté organisée de l’offre papetière, il y aura de fait une rareté de l’offre de recyclé et donc la fragilisation de tout une boucle de production… Il ne faut toutefois pas négliger des scénarii plus favorables. Si la crise ukrainienne trouve une porte de sortie, même partielle, le pétrole va retomber à des niveaux de prix plus supportables et dans son sillon, toute l’énergie va alors commencer à plafonner ou régresser. Cela augure souvent d’une tendance baissière relativement généralisée qui entraîne avec elle les autres matières premières. Mais il ne faudrait pas que le rééquilibrage tarde de trop, parce que les tarifs actuels ne nous permettent pas d’attendre très longtemps… Je suis bien incapable de dire à quel point cette situation est durable mais l’on sent bien que si la conjoncture reste à ce point défavorable, les unités papetières se poseront la question : quels marchés puis-je continuer de servir ? Certains se la posent déjà très sérieusement, dans la mesure où justement, ils servent les imprimeurs dans des conditions compliquées et voient leurs relations avec eux se tendre considérablement.

“Il ne faut pas abandonner l’idée de consolider le secteur par de l’ingénierie financière et industrielle, possiblement un jour avec un établissement financier dédié, comme cela existe en Allemagne.”

Il y a un sentiment de fatalité qui émane de cette situation… A-t-on malgré tout des leviers d’action pour agir ?

La haute volumétrie indifférenciée, et la stratégie de l’offre avec elle, vit possiblement la fin d’un cycle. Il faut pouvoir l’entendre sans pour autant considérer que l’avenir est sombre, c’est loin d’être le cas. Ce que l’on essaie modestement de faire consiste à mailler les entreprises entre elles, plutôt que d’encourager l’investissement sans avoir de visibilité suffisante. Les entreprises les plus fortement capitalisées peuvent résister, celles qui ne le sont pas risquent d’aller à la cessation de paiement, sauf dispositifs d’aides mis en place par l’Etat, ce qui n’est pas exclu aujourd’hui. Mais si nous voulons être proactifs et ne pas subir les événements, soyons dans la collaboration et la cotraitance intelligente, avec dans de cas-là de possibles investissements partagés. Ce n’était guère imaginable il y a dix ans, mais c’est une option à prendre très au sérieux aujourd’hui. Cela implique aussi un phénomène de concentrations et de fusions : on ne peut pas faire autrement. Il ne faut pas non plus abandonner l’idée de consolider le secteur par de l’ingénierie financière et industrielle, possiblement un jour avec un établissement financier dédié, comme cela existe en Allemagne. Et c’est bien par ce biais que nous pourrons améliorer la cotation du secteur, le tout dans un contexte où, je le répète, l’appétence pour le papier est sensible et alors que le digital est pour sa part de plus en plus décrié. C’est bien là le paradoxe cruel de cette situation : l’envol de la demande depuis des mois prouve combien nous répondons à un besoin réel, ancré dans les territoires et signe d’un besoin de respiration face à un trop plein de numérique. Encore faut-il nous laisser les moyens d’y répondre…