Le centre technique des industries graphiques peut-il être le CETIM ?

Cet article est paru dans Acteurs de la Filière Graphique n°145 (mars 2024)


En quête de la meilleure option pour offrir au secteur graphique un centre technique adapté et efficient, l’UNIIC se rendait au CETIM – pour Centre technique des industries mécaniques – afin de jauger sur place des bénéfices à s’y adosser. Un travail qui s’inscrit dans une volonté de longue date de se munir d’outils collectifs performants, pour « muter » au plus juste…

Le CETIM fait partie des douze CTI (Centre Technique Industriel) reconnus par l’Etat ayant pour mission « d’accompagner le tissu industriel, en particulier les PME, pour innover, pour acquérir la maîtrise des technologies numériques ou robotiques, pour se développer et/ou pour s’internationaliser », précise la Direction Générale des Entreprises (DGE). Un statut qui engage le CETIM, récipiendaire de fait d’une taxe publique, à mener son action au nom du bien commun.

« La mécanique est un nécessaire trait-d’union entre des univers de prime abord disparates. »

Unis par la logique mécanicienne

« C’est le propre des CTI que d’être utiles à la modernisation, à la réindustrialisation et à la souveraineté industrielle. Un rapport parlementaire les a reconnus comme des outils de développement efficaces et c’est bien ce que nous mesurons à l’aune de ce que nous disent nos propres cotisants : 80 % d’entre eux se disent satisfaits de notre action et jusqu’à 60 % viennent nous rendre visite sur site une fois par an » détaille Sylvain Lambert, Secrétaire Général du CETIM. Si 50 % des ressources de la structure proviennent en effet de cotisations obligatoires, l‘autre moitié est le fait de prestations obtenues dans le cadre d’une action d’ordre privé : tests sur-mesure, expertise personnalisée, conseils, formation, intégration d‘innovations etc. Une batterie d’accompagnements à caractère commercial, qui voit le CETIM jouir de compétences multiples, au service d’une vingtaine d’industries. « On ne cesse de le répéter, la mécanique est partout » soulignent-ils en chœur, comme pour réaffirmer son rôle de nécessaire trait-d’union entre des univers de prime abord disparates. « C’est parce que certaines problématiques sont communes à différents secteurs qu’elles peuvent bénéficier chez nous d’un appui. Ce ne serait pas forcément le cas si chacun bénéficiait de son propre centre technique sectoriel » estime par ailleurs Sylvain Lambert, réaffirmant combien le caractère mutualisé des actions envisagées conditionne la capacité du CETIM à investir – ou non – ses moyens et compétences sur une problématique donnée. Or, dans ce modèle de fonctionnement hybride, quelle place alors pour les industries de l’impression ?

« Certaines décisions auraient bien besoin d’un éclairage technique : tests de faisabilité, reconfiguration possible du matériel, diversification des procédés etc. »

Formaliser les spécificités du secteur graphique pour se poser les bonnes questions

Les métiers de l’impression ont ceci de particulier qu’ils engagent des technologies diverses et s’adressent à des marchés encore segmentés, en dépit d’évolutions transverses : percée actée des interfaces de pilotage numériques, contraction globale des volumes et nécessité de réduire les coûts et les temps morts, entre des jobs de plus en plus éclatés. Le tout sur fond de règlementations ‘vertes’ en plein boom. La demande s’est ainsi déstandardisée, entraînant de nouvelles exigences industrielles qui se conjuguent de mille façons, selon la taille de son entreprise, ses machines, ses clients, ses modes d’organisation et – bien sûr – son capital humain. Face à pareille recomposition, la stratégie ne peut pas tout et certaines décisions auraient bien besoin d’un éclairage technique : tests de faisabilité, reconfiguration possible du matériel, diversification des procédés… Autant d’hypothèses qu’il faudrait pouvoir simuler et confronter à des réalités technico-mécaniques, via un centre d’appui neutre et d’ambition collective. « Les entreprises, dans leur immense majorité, gardent leurs innovations pour elles. Le partage ne dépasse jamais la dimension de petits réseaux constitués – ImpriFrance ou ImpriClub par exemple – et c’est un problème : il faudra les faire parler. C’est à cette seule condition que nous pourrons vous exprimer les besoins du secteur » fait observer Pascal Bovéro, Délégué général de l’UNIIC. « Qu’est-ce que je peux dire à des industriels dont les machines sont mono-orientées sur des marchés menacés à court ou moyen terme ? C’est pour répondre à ce type de questions que le CETIM peut nous aider » poursuit-il, pointant là une des conditions – et non des moindres – du retournement : se repositionner au mieux suppose en effet de savoir ce qu’autorise le matériel à disposition, moyennant ensuite les ajustements idoines. « Reconditionner ces machines et éventuellement les réhabiliter vers des marchés plus porteurs, cela ne peut venir que d’un architecte de solutions fédérateur et c’est de toute évidence le rôle d’un centre technique. D’autant qu’un centre technique peut tâtonner, voire se tromper et recommencer, certainement pas un imprimeur qui se trouve dos au mur » résume-t-il.

« Un centre technique peut tâtonner, voire se tromper et recommencer, certainement pas un imprimeur qui se trouve dos au mur. » Pascal Bovéro (Délégué général de l’UNIIC)

Le Quatrium permet aux entreprises de se projeter dans des hypothèses de développement, en s’appuyant sur des modèles industriels au plus proche de ce qu’elles sont (ou aspirent à être), maquettes à l’appui.

Le CETIM, un interlocuteur technique davantage qu’un sous-traitant

« L’expression des besoins ne peut venir que de vous » tient cependant à rappeler Sylvain Lambert, qui note par ailleurs combien les métiers du print sont tiraillés entre les univers de l’industrie d’une part et de la culture d’autre part. Une identité bicéphale qui n’est pas pour l’inquiéter outre mesure, mais qui nécessitera de définir au mieux – et en amont – des problématiques métiers, de sorte à les rendre soluble dans le modèle d’un CTI multisectoriel. « Aujourd’hui, on ne connait pas les métiers de l’imprimerie. Nous n’aurons de solutions à vous proposer qu’à condition de travailler en commun : c’est vous qui allez nous guider. C’est comme cela que ça se passe avec tous nos industriels : le matin nous sommes forgerons, l’après-midi nous sommes fabricants de tracteurs et le lendemain nous faisons du traitement de surfaces. Nous n’avons évidemment pas la prétention d’être des spécialistes de tous ces métiers. C’est donc en travaillant en bonne intelligence, en constituant les bons groupes de travail, que l’on peut mettre en place les meilleures solutions » insiste Philippe Lubineau, Directeur Recherche & programmes. Car il faut le redire : si le CETIM est un outil très permissif en cela qu’il met des moyens à disposition pour concrétiser des tests ou finaliser des études, il n’épargnera pas au secteur un nécessaire travail d’introspection destiné à hiérarchiser ses besoins. Une mission d’autant plus impérieuse que si bien des entreprises s’y sont attelées à leur propre échelle, donner un caractère collectif à des réflexions individuelles et spontanées suppose la juste synthèse d’observations encore insuffisamment vérifiées. Entre autres leviers que nous permettrait de lever un centre technique capable de s’approprier des problématiques liées à l’imprimé au sens large, il s’agirait notamment de pouvoir opposer des travaux sérieux et étayés aux fournisseurs de matériels, qui en l’état bénéficient d’une mainmise presque totale sur les aspects R&D, les environnements logiciels, la maintenance des machines et plus globalement, sur la définition du périmètre applicatif attaché au hardware. De sorte que les arguments de vente construits autour des fiches techniques des machines, ne peuvent que rarement être discutés : ils sont présentés comme des faits, là où un centre technique pourrait (devrait) jouer le rôle de tiers certificateur, non pas tant pour guider les investissements industriels au cas par cas, mais bien pour redéfinir les possibles de l’industrie, au-delà des promesses commerciales et à la lumière de ce que permettent nos outils de production.

ClimateCalc – “On fait le bilan”

Cet article est paru dans Acteurs de la Filière Graphique n°145 (mars 2024)


ClimateCalc est un calculateur européen qui permet d’estimer l’empreinte carbone d’un site d’impression et des imprimés qu’il réalise. Adapté à des problématiques sectorielles spécifiques, il offre une alternative intéressante aux solutions dont l’approche plus industrielle – au sens large – apparaît moins directement accessible. Comment initier un bilan ClimateCalc et comment conduire une démarche suivie dans le temps ? Nous avons interrogé Matthieu Prevost (Responsable Environnement pour l’UNIIC), qui accompagne les entreprises sur ces questions.

On a le sentiment que le sujet du bilan carbone explose aujourd’hui dans les Industries Graphiques, alors que CilmateCalc a déjà plus de dix ans…

La problématique des bilans carbone pour le secteur graphique était poussée chez Intergraf il y a déjà presque quinze ans et il a d’abord été créé un consortium avec le Danemark, la Finlande, la Grande-Bretagne, les pays Bas, la Belgique et la France. D’autres pays ont suivi un peu plus tard : Norvège, Portugal, Suède etc. Il faut bien avouer que la France a d’abord été attentiste, malgré de premiers accompagnements tenus dans le cadre d’actions collectives et ça n’a décollé chez nous qu’assez récemment. Mais nous avons refait notre retard en à peine deux ans : les demandes d’entreprises souhaitant rentrer dans cette démarche ont explosé. Et ça ne ralentit plus, en réaction – je pense – à deux types de pressions : celle des donneurs d’ordre qui poursuivent des trajectoires de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) et celle de mesures qui s’inscrivent plus globalement dans le cadre d’une politique climatique, à l’attention notamment des industriels, que ce soit au niveau réglementaire national ou européen. Ce que l’on vit aujourd’hui, ce sont des obligations visant les grosses entreprises, qui ruissellent en cascade sur les entreprises de plus petite taille et/ou les sous-traitants. Et il y a aussi une pression d’image : nous sommes de plus en plus critiqués et à ce titre nous devons nous emparer de ces sujets.

A ce stade, s’agit-il surtout d’offrir une forme de transparence en chiffrant ses impacts, ou y-a-t-il déjà des programmes construits de réduction des émissions chez les entreprises qui s’investissent ?

Il faut d’abord en passer par une phase de collecte, parce que très souvent, on parle d’entreprises qui ne savent pas où elles en sont. Il faut comptabiliser ce qu’on émet avant de prétendre pouvoir réduire. Une fois que l’on a cette photographie, on peut s’inscrire dans une trajectoire et identifier des objectifs de réduction d’émissions de GES. ClimateCalc permet à la fois une approche site et une approche produit. J’ai tendance à dire que l’approche site est un outil de management interne des réductions d’émissions de GES : cela permet très vite de savoir où il faut porter ses efforts au niveau de la structure globale. Et enfin il y a l’onglet ‘produit’ qui permet une approche plus fine, de travailler une forme de pédagogie avec le client pour ‘mieux concevoir’, tout en optimisant des coûts critiques : gâche papier, consommations d’encres etc.

Il apparaît pourtant très vite que le principal poste d’émissions concerne le support d’impression, l’imprimeur n’ayant donc qu’une marge de manœuvre réduite sur ce qui est imputable aux papetiers…

Effectivement, ça peut aller de 60 % à près de 90 % des impacts carbone qui sont directement liés au papier. Le poste support est le premier à citer s’il faut prioriser les actions, mais ça n’est pas toujours si simple. Déjà parce que la décision appartient au client, à ses frais, et qu’il faut faire avec ce qui existe sur le marché. Partout où j’interviens, j’insiste énormément sur la question de la transparence : je demande aux imprimeurs de l’être, il faudra que les papetiers le soient aussi. Dans l’idéal, il ne faudrait plus acheter seulement une référence, mais savoir de quelle usine elle provient. Cette traçabilité n’est pas toujours aisée à établir, parce que si les distributeurs sont précieux pour écouler de petites quantités à des TPE, ils ne tiennent pas toujours à dévoiler leur lieu exact d’approvisionnement. Autre problème : les paper profiles sont trop souvent établis sur du déclaratif et les données sont encore à mon sens trop souvent imprécises ou lacunaires. On constate d’ailleurs parfois que deux papiers provenant de deux usines différentes ont exactement le même paper profile, ce qui n’est évidemment pas cohérent. Une fois qu’on a dit ça, oui, on peut aller travailler sur le sourcing fournisseurs et c’est ce que font certains imprimeurs que nous accompagnons : ils regardent quelles sont les lignes les plus impactantes de leur bilan carbone et tâchent de les faire sauter, à condition bien sûr que ce soit économiquement viable. A ce stade, il faut être réaliste : l’aspect carbone n’est pas encore un levier essentiel dans la prise de décision du donneur d’ordre, mais c’est un paramètre qui compte de plus en plus. Il faut essayer de se positionner au bon point d’équilibre. Souvent, c’est le volume qui fait le prix : selon ce que le papetier a en stock et selon ce que l’imprimeur veut commander, le prix va être ajusté. L’approche carbone n’arrive encore qu’en dernier ressort. Rares sont les clients qui disent aujourd’hui « Je me moque du prix, je veux le papier le plus vertueux ». Par ailleurs, il faut évidemment faire des choix cohérents au regard de ce que l’on veut produire : on ne va pas prendre un papier exemplaire d’un point de vue ‘impact carbone’, s’il n’est pas adapté à ce que l’on veut faire. Typiquement, les papiers d’art sont des supports très qualitatifs et ils réclament souvent plus de traitements que d’autres.

ClimateCalc a aussi été créé pour offrir au secteur un outil sur-mesure. Pourquoi est-ce que c’était important ?

C’est un produit de fédérations européennes et en cela, ClimateCalc est un outil collectif neutre : ce n’est pas un générateur de business pour des consultants privés, il est déjà très important de le souligner. A ce titre, les tarifs que nous proposons sont aussi bas que possible : 1200 euros pour un accompagnement et trois jours d’audit, ça n’est une réalité que parce que des fédérations comme l’UNIIC en ont fait un outil collectif. Concrètement, une entreprise prend contact avec, soit l’UNIIC, soit le cabinet Ecograf – l’un et l’autre travaillant en bonne intelligence – et en premier lieu, on présente la démarche. On s’assure de la viabilité du projet, de la motivation de l’imprimeur et de sa capacité à ‘jouer le jeu’. Il faut bien avoir conscience que la première année demande un gros travail de collecte de données, pour faire un état des lieux aussi juste et précis que possible. On me demande souvent combien de temps cela va prendre, mais cela dépend beaucoup de la structuration de l’entreprise, de son profil, de sa taille etc. C’est très variable au cas par cas et une moyenne ne serait pas très parlante : ça peut prendre une semaine comme plusieurs mois. Après avoir présenté l’outil, on essaie de déterminer ce qui motive l’initiative de l’entreprise – est-ce que ce sont des pressions clients ou une volonté proactive d’afficher un engagement exemplaire ? – et on rentre dans le dur du protocole GHG [Greenhouse Gas Protocol ou GHG Protocol, que l’on peut traduire en français par protocole des gaz à effet de serre, NDLR] et de la norme ISO 14064. Il est essentiel de redire que nous nous appuyons donc là sur des normes et protocoles éprouvés, parce qu’il n’est malheureusement pas rare de voir des consultants proposer leurs propres bilans carbone, sans que l’on sache vraiment sur quoi ils sont basés.

Les initiés parlent souvent de trois « scopes » comme si le bilan carbone était invariablement structuré partout de la même façon. Est-ce concrètement le cas ?

On doit effectivement considérer trois scopes d’intervention :

– Dans le scope 1, on considère les émissions de GES directement liées à l’usine.

– Dans le scope 2, on s’attache aux consommations d’énergie.

– Dans le scope 3, on rentre les données relatives aux sous-traitants et consommables.

Le plus gros du travail réside sans surprise dans le scope 3 et il est pourtant arrivé que certaines entreprises aient suivi des bilans carbone portés par des consultants, en ne prenant en compte que les scopes 1 et 2. Ça n’a évidemment aucun sens et il est primordial que tout le monde s’appuie sur le même périmètre de mesures. Ensuite on détermine une temporalité : les données de l’entreprise doivent être mises à jour tous les ans pour que l’on puisse suivre les émissions de CO2. Soit on prend pour référence une année civile, soit on prend une année comptable : ce qui compte, c’est de pouvoir faire des comparaisons valables dans le temps. Une fois que tout est prêt, on fait une demande de connexion au calculateur ClimateCalc et c’est la fédération danoise qui nous envoie des logins, sachant que l’outil – encore une fois – a été voulu très simple d’utilisation. En treize paramètres, on couvre l’ensemble des émissions de GES d’une imprimerie, sans se perdre dans des considérations hors-sujet.

L’enjeu a semblé en effet largement consister à rendre l’outil accessible, là où les quelques-uns qui se sont frottés à des bilans carbone multisectoriels témoignent d’une démarche excessivement complexe…

C’est un outil en ligne et pour moi cela rentre tout à fait dans la catégorie formation/action. L’idéal, c’est que l’entreprise soit autonome après la première année, pour rentrer elle-même ses données. On organise bien sûr quand même des réunions de cadrage régulières, qui me permettent de suivre la façon dont sont collectées et rentrées les données et si besoin, j’interviens pour réorienter l’action de l’entreprise. Lors de ces réunions de cadrage, on passe en revue toutes les informations qu’il va falloir collecter, au regard du profil de l’entreprise : son parc machines, ses consommations énergétiques etc. Tout ça se fait à distance et cela me permet de leur livrer un fichier de collecte de données en priorisant les actions. Tout est fait pour leur faciliter la tâche : je leur donne même des exemples d’extractions de données, je leur fournis des modèles de lettre pour leurs fournisseurs en français et en anglais etc. C’est souvent le poste ‘papier’ qui pèse le plus lourd et on commence en général par celui-là. Le premier audit n’est programmé que lorsque l’entreprise est prête. Si tout se passe bien, un certificat ClimateCalc leur sera décerné, pour attester que la démarche de l’entreprise est conforme aux critères du protocole GHG et de la norme ISO 14064. C’est tamponné par l’UNIIC et pendant un an, ils peuvent utiliser le calculateur et accéder à l’onglet ‘produit’. Cela nécessite une formation rapide avec des études de cas sur des calculs produits, pour que les commerciaux et deviseurs deviennent autonomes sur l’outil. Je les incite à mettre en place des procédures en interne pour déterminer où est l’information et comment la récupérer au mieux. Cela permet de créer des automatismes sur le long terme, de sorte que l’on gagnera du temps d’une année sur l’autre. La première année est donc quasi-systématiquement plus compliquée, parce qu’elle nécessite d’identifier les données dont on a besoin, mais aussi de trouver et d’impliquer les personnes ressources dans l’entreprise. A ce titre, ce sont des ‘responsables de la donnée’ et ils doivent pouvoir s’appuyer sur des éléments de preuve : pour satisfaire à un audit, il faut toujours prouver ce que l’on dit.

Arrive-t-il que certaines données demeurent malgré tout manquantes et que fait-on pour ne pas bloquer les bonnes volontés ?

Heureusement, on dispose d’une marge de manœuvre pour affiner les données qui seraient difficiles à évaluer en interne. Par exemple : sur un site de plus de 500 personnes fonctionnant en 3/8 avec beaucoup d’intérimaires, il est quasi-impossible de calculer les trajets domicile/entreprise. Dans ces cas-là, on s’appuie sur des fichiers RH pour déterminer combien de cartes de transport sont partiellement ou totalement remboursées, pour évaluer combien prennent la voiture ou les transports en commun, à quelle fréquence etc. A partir de là, on applique des consommations moyennes en fonction du mode de locomotion, au plus proche de ce que l’on peut estimer. On le fait bien sûr avec des données certifiées, il ne s’agit pas d’y aller au doigt mouillé. Par ailleurs, on se le permet sur des postes qui ne sont pas des postes majeurs d’émissions de GES, de façon à ce que ces estimations soient à la fois très fines et d’importance secondaire dans le calcul global. Typiquement, je ne veux pas faire ça sur le poste papier/carton : pour que l’audit passe, il suffirait de renseigner plus de 50 % des références papier, mais dans les faits, on s’oblige à approcher les 100 %. J’estime qu’il faut avoir cette exigence-là et se laisser de la marge ailleurs, quand c’est nécessaire.

On est dans une démarche de normalisation avec des items à renseigner. Prenons l’exemple des plaques : pour un imprimeur offset, il faudra rentrer une consommation annuelle de plaques, en tonnes. Soit ces données existent déjà, soit il va falloir aller les chercher, par exemple en faisant des extractions à partir d’un ERP sur tous les jobs de l’année. Ensuite, via le CTP on connaît le format et l’épaisseur des plaques utilisées, ce qui nous rend capables de déterminer un poids. On peut aussi solliciter la comptabilité pour retrouver les commandes de plaques et interroger les données fournisseurs. C’est là que l’accompagnement prend tout son sens : souvent, ces informations ne sont pas impossibles à avoir, elles demandent juste un travail d’analyse et de déduction que l’on est capable de mener au cas par cas, selon la façon dont l’entreprise fonctionne. Pour le poste le plus lourd – celui du papier – on commence en général par faire une extraction de l’ERP pour savoir ce que l’entreprise a ‘roulé’ comme type de papiers au fil de l’année. C’est plutôt simple à établir lorsque les achats ont été effectués en direct auprès du papetier, ça l’est moins si l’on passe par un distributeur : il va falloir traduire les références des distributeurs, les mettre en parallèle avec celles du papetier et identifier l’usine de provenance. Une fois que l’on a fait ça, il faudra s’appuyer sur un paper profile à jour, ce qui n’est pas toujours facile non plus. Là encore, c’est toujours plus complexe la première année : une fois que ce travail est fait, on peut dupliquer ces données et les appliquer à de nouveaux volumes.

Comment gère-t-on les cas d’entreprises qui ont grossi et/ou investi, de telle manière que leur volume d’affaires a pu augmenter, sur des marchés potentiellement nouveaux pour eux ? En soi, l’entreprise sera plus émettrice en valeur absolue, même si elle travaille mieux…

Pour les entreprises qui auront plus imprimé et donc émis plus de CO2, par le seul fait d’une activité en progression, on a indicateur de CO2 à la tonne transformée. C’est en soi plus parlant qu’un total qui ne veut pas dire grand-chose. La performance d’une entreprise se mesurera plus justement à la lumière d’un prorata à la tonne imprimée. Par exemple, pour la gâche papier : pour établir une moyenne sur site, on rentre la quantité totale de papier imprimé à l’année versus le volume de déchets récupérés par le prestataire agréé : on sait que la différence entre l’un et l’autre, c’est du calage machines, de la rogne etc. A partir de là, il est assez facile d’établir un taux de gâche moyen. Il faudrait aussi parler de certaines imprimeries qui partent avec un handicap, dans la mesure où il sera plus difficile d’être exemplaire avec des sites un peu vétustes. On ne peut pas tout corriger par des ajustements et quand on travaille dans des bâtiments qui sont des passoires énergétiques, on a une marge d’amélioration à court/moyen terme qui ne nous permettra pas forcément d’afficher un bilan carbone aussi performant que d’autres entreprises mieux installées ou plus modernes. C’est pour cela que je pense vraiment qu’il faut appuyer l’idée de progrès : l’important, c’est que chacun s’attache à faire mieux, avec ses propres marges de progrès.

La tentation sera grande pour les donneurs d’ordre d’en faire un outil de comparaison, pour mettre les entreprises en compétition entre elles…

Le risque, c’est de comparer tout et n’importe quoi : des imprimeurs offset feuille et/ou roto, des imprimeurs numérique grand format, des sérigraphes etc. ClimateCalc permet aux entreprises d’effectuer des comparaisons européennes en fonction des procédés d’impression, ce qui est déjà plus parlant. Mais même là, ce sont en vérité des exercices assez bancals : avec un même procédé, on peut être positionné des sur des qualités de produits très différentes et être amalgamé avec des imprimeurs qui n’auront pas du tout les mêmes obligations techniques et qualitatives.

Ne risque-t-on pas de voir des donneurs d’ordre exiger une évaluation carbone avant de passer commande, au moment du devis par exemple ?

Un client pourra le faire oui, mais ce n’est pas forcément comme ça que cela va se passer. Il y a quinze ans, certaines marques ont poussé leurs imprimeurs à avoir une certification ISO 9001 pour continuer de les référencer. Résultat : certains ont dû se priver de la moitié de leurs sous-traitants, parce qu’il y a une réalité industrielle qui les a rattrapés. Du coup, ils ont rectifié le tir en demandant aux entreprises de mettre en place des démarches, sans forcément aller jusqu’à la certification. Ce sera à peu près la même chose avec le bilan carbone : attention à ne pas être trop restrictif. On compte environ une centaine d’utilisateurs de ClimateCalc aujourd’hui en France (contre 169 au total dans le monde), c’est une toute petite élite au regard du tissu industriel puisqu’on dénombre environ 4000 imprimeries à l’échelle de notre pays. Il faut accompagner le mouvement, sans se précipiter pour autant. Si aujourd’hui, un imprimeur devait indiquer sur son devis une estimation d’impact carbone pour la soumettre à son client, il faudrait y consacrer un poste à temps plein. En plus, les simulations impliquent souvent de chiffrer différentes hypothèses, selon les papiers choisis, le nombre d’exemplaires commandés, le procédé d’impression retenu etc. C’est rapidement très chronophage. Il n’empêche que oui, il y a des donneurs d’ordre qui vont entamer tout une réflexion autour de leurs rapports aux sous-traitants, en essayant par exemple de travailler avec des acteurs locaux en circuit court.

Est-ce que lors de la première phase d’accompagnement, il peut être pointé chez l’entreprise des éventuelles contreperformances ciblées, pour dire par exemple « sur ce point, il va falloir faire mieux » ?

Oui, j’ai une marge de manœuvre et je le dis. J’ai travaillé notamment avec des imprimeurs qui utilisent des papiers techniques et fonctionnels, au sujet desquels il manque parfois des données. Dans ces cas-là, on effectue des calculs en prenant en considération les scénarios les plus critiques, ce qui n’est pas pour les arranger. Dans ce cas-là, je les sensibilise au fait qu’en ayant une meilleure remontée des données, non seulement on sera plus précis, mais ce sera à leur avantage. Plus globalement, l’audit sert à ça : que peut-on mettre en place pour affiner et réduire les émissions de CO2 ? Certains vont devoir travailler prioritairement sur leurs consommations d’énergie, d’autres sur des optimisations internes en termes de calages machines ou de consommation de plaques, d’autres sur le taux d’encrage etc. Mais encore une fois, tout ça, ce sont finalement de petits postes d’amélioration, l’essentiel des efforts porte souvent sur le sourcing papier. C’est une fois qu’on a travaillé sérieusement là-dessus qu’on s’attaque à réduire les autres postes.

On l’a dit, ClimateCalc est un outil qui a déjà une certaine ancienneté. Le site Internet n’est pas devenu obsolète ou un peu « daté » avec le temps ?

Le site vient d’être totalement refait et il va encore évoluer lors des prochains mois. Nos bases de données sont régulièrement mises à jour et nous affinons les données selon l’état de ce que nous savons des facteurs d’émissions attachés à tel ou tel poste. Le but, c’est vraiment d’être au taquet sur l’ensemble des facteurs d’émissions, pour proposer le calculateur le plus précis à l’heure actuelle. C’est quelque chose qui change perpétuellement, au gré notamment des informations existantes dans les bases de données et des progrès chez les fabricants de machines, donc rien n’est arrêté. Par ailleurs, l’accès au calculateur est paramétrable : le dirigeant d’entreprise peut accéder à tout, tandis que d’autres profils pourront par exemple n’accéder qu’à des fonctions qui les concernent sur du calcul produit.

Le mot d’Ecograf

Ecograf accompagne aussi les acheteurs d’imprimés, éditeurs (presse magazine, livres), agences de production dans l’estimation de leur empreinte carbone.

« Les imprimeurs doivent comprendre que leurs clients n’ont pas le choix : ils doivent estimer leurs émissions de gaz à effet de serre en vue de les réduire. Si les imprimeurs ne sont pas capables de transmettre une information robuste accompagnée de solutions d’optimisation, la seule alternative s’offrant aux acheteurs pour réduire leurs émissions sera de réduire leur volume d’achats. Estimer ses propres émissions ne revient donc pas, comme on peut l’entendre, à se tirer une balle dans le pied, mais bien à tenter de maintenir ses volumes. En proposant des grammages plus faibles, des formats mieux adaptés permettant de réduire la gâche, des solutions innovantes, l’imprimeur offrira la possibilité à son client d’atteindre ses objectifs de réduction. Enfin, ce travail doit s’accompagner d’une révolution culturelle : le concept de chaîne graphique (où la fin de la chaîne subit les décisions du début) doit être remplacé par un concept d’écosystème graphique. Chaque unité constitutive de cet écosystème doit partager un objectif commun de réduction des émissions de l’ensemble. C’est par le partage, l’écoute et la co-construction que cet objectif, ardu, sera rempli. Même si la majorité du marché n’attend toujours qu’un prix, un délai et une qualité, la minorité du marché qui a déjà fait sa mutation mérite que l’on y prête attention. »

 


 

Témoignages

ClimateCalc par ses utilisateurs

Ils sont quelques pionniers – une centaine – à avoir adopté l’outil en France. De différents profils, ils dressent des constats à la fois semblables et complémentaires, sans toutefois viser tous les mêmes objectifs. Petit tour d’horizon…

KVC Print

Jérôme Jallu (Directeur général adjoint) – « Echanger avec ses clients pour s’entendre sur des axes de progrès. »

KVC Print répond aux marchés de l’impression/fabrication de supports de communication grand format, offset et numérique, intérieur et extérieur : affiches, PLV, signalétique, adhésifs, bâches etc. La démarche ClimateCalc s’est imposée à nous d’abord lorsqu’il a fallu répondre aux demandes de nos clients, principalement les grands acteurs de l’industrie du luxe, de l’automobile ou des télécommunications, qui se sont engagés à une neutralité carbone à horizon 2035. Puis chemin faisant, nous avons voulu quantifier nos émissions et entrer dans une démarche d’amélioration de notre empreinte. En particulier en travaillant sur nos bâtiments, nos approvisionnements et en proposant des solutions en circuit court à nos clients. Tout ce travail nous permet donc à la fois de répondre à une demande qui est concrète, mais aussi en interne de mettre en exergue nos propres points d’amélioration. Est-ce que cela soulève des défis ? Oui ! Côté entreprise, cela implique des investissements importants : un changement de matériel ou de type d’énergie par exemple. Côté clients, les solutions peuvent être coûteuses : changer de papier ou de technologie d’impression par exemple. Mais l’important est d’échanger avec ses clients pour s’entendre sur des axes de progrès, selon les possibilités de chacun.

Grafik Plus

Aurore Le Corre (Directrice du développement) – « Proposer un devis A et un devis B, avec deux papiers différents, tout en expliquant les différences d’impact carbone. »

La question de notre empreinte carbone a vraiment commencée à être traitée il y a bientôt trois ans. A l’époque, on sentait déjà quelques frémissements en ce sens chez nos plus gros clients, certains nous demandant si nous avions fait des bilans carbone, mais on restait dans du déclaratif. On a fait partie des fous qui avaient essayé, avant ClimateCalc, d’utiliser le tableur de l’ADEME [RIRES]. Mais c’était très difficile de gérer ça seul et beaucoup d’informations demandées n’avaient rien à voir avec les industries graphiques. Il fallait presque des compétences d’ingénieur pour renseigner certains champs et sauf à passer par des consultants ou y consacrer énormément de temps, c’était infaisable. Pire encore : on mettait le curseur de notre bilan où on le souhaitait : scope 1, 2 ou 3, au choix. C’était donc à la fois plus compliqué, moins pertinent par rapport à la réalité de nos métiers et moins rigoureux. ClimateCalc nous a permis d’aller au bout de la démarche, tout en offrant une meilleure maîtrise de l’outil. Notre premier bilan ClimateCalc a été fait en 2023, sur la base de nos données 2022, et avons obtenu notre certificat en novembre dernier. Il a fallu beaucoup travailler avec la comptabilité pour obtenir tous les chiffres nécessaires, même si dans le cadre d’une démarche RSE entamée chez Grafik Plus depuis 2008, nous avions déjà mis pas mal d’indicateurs en place, ce qui nous a bien aidés. Cela nous a permis de débriefer dès fin 2023 avec nos clients les plus sensibles sur ces questions, à minima pour pouvoir faire différentes propositions : par exemple un devis A et un devis B, avec deux papiers différents, tout en expliquant les différences d’impact carbone. On essaie d’accompagner nos clients vers les meilleures alternatives, sachant que les mesures brutes d’impact carbone sont peu parlantes en soi : on a besoin de comparatifs pour commencer à mesurer les progrès que l’on peut faire. C’est du moins vrai pour les mesures produits, ce qui concerne le site a davantage d’utilité pour nous, en interne. Ce que l’on peut partager avec les clients, ce sont des objectifs d’amélioration. De toute façon, l’essentiel de la marge que l’on a est souvent sur le support d’impression : chez Grafik Plus, le papier pèse 60 à 70 % de notre impact carbone. Il est facile d’en proposer d’autres, avec de meilleurs paper profiles, mais quand on est verrouillés sur des marchés où le client est vraiment attaché à une référence, il faut essayer de trouver d’autres leviers.

Groupe Prenant

Juliette Guillermou (Cheffe de projet) & Philippe Vanheste (Directeur général adjoint) – « On aiguille au mieux nos clients pour qu’ils fassent des choix éclairés, sachant que les papiers pèsent aujourd’hui pour plus de 71 % de notre empreinte carbone. »

PV : Nous avons renforcé l’approche RSE du groupe il y a dix ans, pas tant sur un plan normatif que volontaire. Dans cette optique, nous avions à l’époque certainement plongé trop vite dans une démarche de bilan carbone, sans être prêts : les exigences étaient telles que cela s’est avéré inapplicable. Ce qui m’a séduit avec ClimateCalc, c’est qu’on ne nous demande pas l’impossible : si on n’est pas tout de suite en mesure de renseigner certaines informations, on peut se raccrocher à des valeurs moyennes et avancer. Le fait que ce soit un outil collectif européen facilite l’appropriation d’une démarche qui reste abordable, que l’on soit une petite ou une grande entreprise. L’intérêt premier, à ce stade de notre démarche, c’est de pouvoir garantir aux clients une transparence. C’est le fait de pouvoir leur dire : « Vous faîtes 20 000 brochures, on est en capacité de vous dire quel est l’impact carbone de cette production, avec des estimations directement sur le devis et/ou sur la facture ». Les pistes d’amélioration sont pour nous la prochaine étape.

JG : Nous avons aujourd’hui une base d’informations solides pour travailler sur le long terme une baisse de nos émissions carbone, mais il faut que ça concorde avec des impératifs économiques. La crise de l’énergie nous a par exemple contraints à gérer une urgence en termes de maîtrise des coûts. La dimension économique existe aussi pour les clients, lorsqu’ils doivent choisir un papier : même les plus investis font des compromis. Typiquement, choisir un papier recyclé est très compliqué : l’impact carbone va varier énormément selon les propriétés qu’on en attend et selon son lieu de production. On sait par exemple que si c’est en Suisse, avec une énergie globalement hyper-décarbonée, c’est l’idéal. Mais à quel prix ? On les aiguille au mieux pour qu’ils fassent des choix éclairés, sachant que les papiers pèsent aujourd’hui pour plus de 71 % de notre empreinte carbone. Cela étant dit, on voit apparaître la notion de bilan carbone dans des appels d’offre aujourd’hui : c’est une vraie évolution, ça n’était pas aussi explicite quelques années auparavant.

Nortier Emballages

Sandra Cloarec (Responsable RSE & QSE) – « Nous sommes toujours force de proposition. »

ClimateCalc est un engagement de longue date pour nous, puisque cela a débuté en 2014. Mais nous n’étions probablement pas assez mûrs à l’époque, raison pour laquelle ça n’a abouti que récemment, avec un vrai coup de boost consécutif à notre labellisation Print Ethic : c’est via l’enjeu 10 que nous avons pu relancer un bilan carbone, sachant que nous étions dans le même temps challengés de façon récurrente par nos clients sur cette question : quelle empreinte carbone pour tel produit ? Quelles actions mettez-vous en place ? Etc. Dans le milieu du packaging cosmétique de luxe, c’est devenu une préoccupation très sensible. Nous aurions pu prendre un autre outil, mais dans la mesure où ClimateCalc est pensé spécifiquement pour les industries graphiques, avec un réel accompagnement, cela lui confère un net avantage. A ce stade de la démarche, nous avons d’ores et déjà décidé de nous faire accompagner pour mieux comprendre et optimiser nos consommations énergétiques. Mais la question la plus complexe finalement, c’est celle de savoir ce que l’on fait des résultats que nous obtenons sur le calculateur. Sur la partie mesurant les impacts du site d’impression, c’est peu lisible d’un point de vue extérieur et sans contextualisation, c’est difficile à interpréter. Pour les produits, nous sommes toujours force de proposition auprès de nos clients avec des propositions écoconçues.

Cloître Imprimeur

Anne-Emmanuelle Crivelli (Responsable RSE & Innovation) – « Privilégier l’impact bas carbone, privilégier le local ou privilégier le recyclé, ce n’est pas forcément se rendre aux mêmes choix. »

ClimateCalc est un précieux outil de progrès, mais pour comparer différents imprimeurs entre eux, c’est déjà plus compliqué : un chiffre d’émissions de CO2 ne suffit pas, il faut comparer des démarches RSE, des démarches de certification, des parcs machines, des politiques d’intégration notamment vis-à-vis du handicap etc. Le bilan carbone est à mon sens un levier parmi d’autres, mais grâce à ClimateCalc, je pourrai par exemple à terme proposer à nos clients une option bas carbone : parce que je suis maintenant en mesure de calculer l’impact CO2 de nos produits et donc de proposer des alternatives, en travaillant notamment sur le support d’impression. Mais il faut bien avoir conscience que selon ses priorités, on ne tirera pas les mêmes conclusions : privilégier l’impact bas carbone, privilégier le local ou privilégier le recyclé, ce n’est pas forcément se rendre aux mêmes choix. Ce sont des engagements complémentaires et qui tirent évidemment dans le même sens, mais j’essaie de dire à nos clients qu’il n’existe pas d’approche-type qui concentre à elle seule toutes les bonnes pratiques. Il s’agira toujours de trancher, en fonction de ses objectifs.

KVC Print – “Ce qui compte, de plus en plus, c’est le service”

Acteur important de l’impression grand format, notamment pour les marchés de l’affichage, KVC Print fait le point sur ses perspectives post-Covid, sur sa vision des marchés de la communication visuelle et sur le sens qu’il souhaite donner à sa mission d’industriel, de plus en plus attaché à dépasser sa stricte condition de prestataire/fabricant pour s’imposer comme le « compagnon de route » de ses clients.

En 2020, IOC Print – spécialiste français de l’impression grand format – alors en proie à des difficultés sévères dans le sillage des confinements sanitaires qui ont vu l’arrêt brutal de l’essentiel des marchés de la communication affectés à l’affichage extérieur, passait sous pavillon belge, racheté par le Groupe Koramic. Un groupe dont les activités dans l’affichage, la PLV, le textile ou la signalétique, se déploient dans une quinzaine de pays (3600 salariés pour 620 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2022). Naissaient ainsi Koramic Visual Communication (KVC) Print et Retail, employant 84 salariés répartis sur deux sites de production : à Vitry-sur-Seine (94) et à Saint-Priest (69), avec une part de sous-traitance à Braine l’Alleud, en Belgique, chez Hecht Printing Solutions. Après trois ans d’un rachat qui a forcément occasionné des réflexions et amené des repositionnements stratégiques, nous avons été reçus sur le site de Vitry-sur-Seine par Stéphane Leclipteur (CEO Hecht, Creaset, KVC Print et Retail), Christian Borel (Directeur général de KVC Print) et Jérôme Jallu (Directeur général adjoint). De quoi se persuader – avec un recul désormais suffisant – que KVC Print a digéré la vague Covid et porte une vision à même d’inscrire l’entreprise dans le futur.

“La reprise par Koramic a été l’occasion de retrouver de la rentabilité, en s’appuyant sur des bases plus saines.”

Une consolidation post-Covid actée

« En chiffre d’affaires consolidé sur KVC Print et Retail, nous atteignons pour 2023 les 19 millions d’euros. C’est peu ou prou le chiffre d’affaire qu’avait IOC avant le rachat, en 2019, mais avec des clients et des prix qui étaient toxiques. La reprise par Koramic a été l’occasion de retrouver de la rentabilité, en s’appuyant sur des bases plus saines » éclaire Stéphane Leclipteur, qui ne veut pas voir en ce CA retrouvé un simple effet de rattrapage. « Nous nous sommes recentrés sur notre métier de base qui est l’affiche : c’est 80 % de notre chiffre d’affaires. Nous avons aussi fourni un vrai travail d’analyse de nos marges. Maintenant que nous avons retrouvé de la rentabilité, nous pouvons développer des produits un peu connexes » ajoute Christian Borel. En marge de l’affichage (intérieur et extérieur), cœur battant de l’entité KVC en France, les sites de Vitry-sur-Seine et Saint-Priest servent en effet également les marchés de la signalétique (bâches, vitrophanies, banderoles, adhésifs etc.), de la décoration/rénovation, du covering ou encore de la PLV. L’épisode Covid-19, bien que surmonté, pèse toutefois encore lourd dans les mémoires, tant il est venu entraver une reprise survenue dans un contexte très défavorable… « Non seulement il n’y avait plus personne dans les rues, avec des conséquences qui commençaient à s’étaler sur le long terme, mais comme le groupe venait d’être repris, nous n’étions même pas éligibles aux aides et aux différents dispositifs comme le PGE. Heureusement, l’actionnaire a joué son rôle et nous a permis de traverser cette période difficile » se remémore Christian Borel.

“On fera probablement une excellente année 2024, mais je ne suis pas sûr qu’on retrouvera ces annonceurs en 2025.”

Après les JO, la claque environnementale ?

Mais en l’occurrence, les inquiétudes d’hier ne sont pas forcément celles de demain. « Pendant la crise sanitaire, l’affichage a beaucoup souffert mais le carton – et notamment la PLV – a très bien résisté, parce que beaucoup de magasins restaient ouverts. Aujourd’hui c’est un peu l’inverse : l’affichage est très vite reparti, tandis qu’une méfiance s’est installée sur les autres marchés, notamment en raison du contexte économique et géopolitique » estime Stéphane Leclipteur. « Nous avons des perspectives très positives sur l’affichage, à minima jusqu’aux Jeux Olympiques » renchérit Christian Borel, avec les avantages et les inconvénients que portent ces contextes très exceptionnels. « On fera probablement une excellente année 2024, mais je ne suis pas sûr qu’on retrouvera ces annonceurs en 2025 » nuance-t-il en effet dans la foulée. « Il ne faut pas se laisser griser, d’autant qu’il va falloir intégrer les conséquences de tous les RLP [Règlements Locaux de Publicité, NDLR] actuellement en négociation, tout de suite après les JO » ajoute-t-il, dans un contexte où la pression écologiste se matérialisera dans des localités autres que celles qui se sont déjà illustrées par des restrictions concrètes : à Grenoble ou à Bordeaux, notamment. « Je me suis engagé auprès de l’APA [Association des Professionnels de l’Affiche, NDLR] justement pour porter le message des progrès que nous avions faits et des démarches vertueuses en cours. Avec l’avènement notamment de l’impression numérique et même les avancées accomplies en impression offset ou en sérigraphie aujourd’hui, on ne peut pas nous enlever d’avoir su évoluer et il faut le faire savoir. L’affichage pèse tellement peu dans l’ensemble des émissions de GES, qu’on est légitimes à défendre ce que l’on est » insiste Christian Borel. Ce n’est là toutefois qu’une part (minoritaire ?) de la problématique, puisque même régie par des pratiques aussi écoresponsables que possible, c’est la publicité en soi qui est honnie par une frange grandissante de la population, dans l’espace public. De sorte que montrer patte verte ne suffira pas, sinon pour discréditer des dispositifs publicitaires alternatifs – digitaux, notamment – probablement tout aussi (sinon plus) énergivores. « On ne maîtrise pas tout, mais on a pris le virage autant que possible : tous nos sites sont certifiés. Parfois, pour aller plus loin, ce sont les sources qui manquent : il est par exemple très difficile de trouver certaines matières recyclées. Sur certaines sortes en offset, on ne dépend que de Burgo par exemple » regrette Stéphane Leclipteur.

“L’impression numérique a vraiment franchi un palier qualitatif : des clients comme Hermès, Dior ou L’Oréal n’hésitent plus à y aller aujourd’hui sur des corners en magasins, parce qu’ils en tirent un avantage. Cela leur permet de changer de visuel tous les deux jours s’ils le souhaitent, avec un niveau de qualité tout à fait suffisant.”

Une hybridité offset/numérique au service de la demande

Réunissant une ancienne serrurerie et un ancien garage automobile, le site KVC Print de Vitry-sur-Seine présente des caractéristiques atypiques. « On est sur la rampe d’accès d’un garage auto’ des années 60 » s’amuse en effet de noter Jérôme Jallu, alors que commence la visite commentée des locaux. Là où passaient donc jadis des 4L et autres 2CV, se font désormais suite dans d’incessants ballets des transpalettes électriques, se frayant ainsi un chemin jusqu’aux différents ateliers, dans un dédale d’accès biscornus. Equipée de trois presses offset (Koenig & Bauer 162 cinq couleurs 120×160 ; Koenig & Bauer 185 cinq couleurs – 130×185 ; Manroland 900 XXL cinq couleurs – 130×185) et d’une presse numérique (Aleph Laforte 160×360 cm + système de découpe Fotoba), l’entreprise vitryote s’est appropriée l’argumentaire d’une communication capable d’intégrer du contenu variable, sans sacrifier la qualité d’impression. Un positionnement que KVC Print assoit d’autant plus que le site de Saint-Priest est quant à lui 100 % numérique (une imprimante Aleph Laforte ainsi que deux HP Latex).  « Les clients ont vite vu les avantages de l’hybridité des procédés : faire des affiches différentes en numérique en fonction de leur localisation, en déployant du marketing ciblé. Ce qui ne les empêche pas de continuer à faire 10 000 mètres² en offset sur un réseau national comme Airbnb par exemple » témoigne Jérôme Jallu, confirmant là que les deux stratégies pouvaient parfaitement cohabiter. Mieux encore : comme elles se complètent, les donneurs d’ordre ont tendance à solliciter des fabricants capables de jouer sur les deux tableaux. « Le numérique a vraiment franchi un palier qualitatif : des clients comme Hermès, Dior ou L’Oréal n’hésitent plus à y aller aujourd’hui sur des corners en magasins, parce qu’ils en tirent un avantage. Cela leur permet de changer de visuel tous les deux jours s’ils le souhaitent, avec un niveau de qualité tout à fait suffisant ». Pour autant, Jérôme Jallu nous l’assure, KVC ne mise pas tant sur ses atouts techniques que sur la flexibilité d’une offre où les machines sont des moyens, et non une fin. « Je n’imprime ni mieux ni moins bien que les autres et je ne serai jamais le moins cher. Mais ce qui compte, de plus en plus, c’est le service : s’il faut bousculer nos plannings pour honorer une demande tombée en dernière minute, on le fait » ne tarde-t-il pas à confirmer. « On s’astreint à un niveau haut de satisfaction client. Au début, on me disait que nous étions fous de tirer encore des BAT en numérique. Mais je pense que quand le client repart et qu’il a vu qu’on s’attachait à mettre ses affiches littéralement à l’épreuve, en extérieur, dans des conditions d’éclairage naturelles, au sein d’un abribus si nécessaire, on a gagné. Parce qu’on sait que ce sont des campagnes qui reviendront. »

“Il faut connaître ses clients, il faut visiter ses clients, il faut débattre avec eux… En vérité, chacun est au service de l’autre.”

Jérôme Jallu, Directeur général adjoint.

Quand l’imprimeur ne fait pas qu’imprimer

Une volonté d’embrasser les problématiques du client qui excède le seul paramètre technique pour s’intéresser plus globalement sa communication. « Il peut arriver que l’actualité sociale ou politique ne permette plus de conserver un slogan par exemple. Dans ces cas-là, on est attentifs et prêts à modifier les fichiers en prépresse si nécessaire. Aujourd’hui, on ne peut plus se contenter de vendre de l’encre sur du papier, il faut davantage s’imposer comme un compagnon de route » illustre-t-il, évoquant notamment des adaptations organisationnelles qui permettent à KVC de vendre, non pas tant du tour machine, mais une réactivité optimale, du conseil et du temps d’écoute. Une autre façon de dire que la valeur ajoutée d’un industriel imprimeur s’est petit à petit déplacée sur le terrain du service au sens large, en amont et en aval de l’impression. « Il faut bien se figurer que l’on parle à des gens qui, pour une campagne, sont parfois allés à l’autre bout de la Terre pour prendre trois photos. Ils ont une histoire à raconter derrière ces choix et c’est tant mieux. C’est ce qui fait de notre métier quelque chose d’humain. Sinon, nous nous contenterions de tout automatiser : une commande arrive, elle est traitée puis expédiée. Mais est-ce qu’en se contentant de ça, on comprend vraiment le sens de ce que l’on fait ? » insiste-t-il. D’où la présence sur le site de Vitry d’un Bureau d’étude – KVC Retail – capable de s’appuyer sur des briefs clients pour accompagner ces derniers sur des recherches au long cours : développer des présentoirs innovants, valoriser et hiérarchiser de façon optimale les produits d’une marque, rénover les formats imprimés etc. Là encore, KVC s’inscrit comme un partenaire capable de conseiller en profondeur – à la lumière de ses compétences industrielles – des clients en demande d’éclairages. « Nous sommes pour eux des intégrateurs de solutions » résume Jérôme Jallu, chose qui s’avère de plus en plus sensible à mesure que la relation avec le client est établie de longue date. « Il faut connaître ses clients, il faut visiter ses clients, il faut débattre avec eux… En vérité, chacun est au service de l’autre » conclue-t-il, persuadé que là se noue l’avenir d’une entreprise : dans sa capacité à entendre, avant de répondre. Une focalisation sur la demande qui induit de nécessaires réajustements, au regard de ce que réclame l’époque. Si l’entreprise assure qu’elle n’investira toutefois pas les terrains les plus éloignés de ses compétences pour reconfigurer son offre – quitte à renvoyer certains clients chez des prestataires mieux armés, là encore dans une optique de conseil – elle s’emploie à comprendre des besoins changeants, pour être toujours force de proposition. Finalement, quelle meilleure façon d’entrevoir l’avenir que de tâcher d’en écrire modestement sa part ?

Attractivité & consolidation industrielle – Les grands chantiers du secteur graphique

Cet article est paru dans Acteurs de la Filière Graphique n°143 (septembre 2023)


A l’occasion d’une journée organisée par l’UNIIC le 6 juillet dernier dans les locaux de Grafipolis à Nantes, l’heure était à repenser les axes stratégiques par lesquels une reconsolidation industrielle du tissu graphique peut s’envisager, tant à l’échelle collective & régionale (celles des Pays de la Loire), qu’à celle des entreprises elles-mêmes…

Bien sûr, rien d’innocent à ce que soit une école – à savoir Grafipolis – qui accueille l’évènement, tant la double thématique attractivité/formation concerne de près le devenir de nos métiers, en proie à des difficultés de recrutement d’autant plus sensibles que le temps presse : avec une pyramide des âges dans les Industries Graphiques qui suggère un renouvellement urgent du personnel, tant au sein des instances dirigeantes qu’au sein des équipes de production, il importe de renouer des liens rapidement avec les jeunes générations.

« Les jeunes ne connaissent pas assez les métiers de l’impression. » John Podlesnik (Grafipolis)

Attractivité : la nécessité d’efforts conjoints

« Notre travail, c’est d’amener ces jeunes à vous dans les meilleures conditions. Nous sommes une porte d’entrée » rappelle John Podlesnik, Directeur de Grafipolis, à la quarantaine d’imprimeurs ayant fait le déplacement. Une mission que l’école s’attache à assurer de son mieux, même si Daniel Legrier (Responsable du développement commercial) ne tarde pas à reconnaître que la complexité de la tâche nécessite des efforts conjoints, à la fois bien sûr des centres de formation, mais aussi des entreprises et organismes représentatifs : « Nous aurons du mal à remplir nos groupes sans votre aide. Sur l’année écoulée, nous avons couvert 19 salons sur la région Grand Ouest. On capte des apprentis, mais nous avons besoin de votre aide pour faire mieux », développe-t-il. La faute à nombre de phénomènes cumulés qui ternissent l’image du secteur ou l’invisibilise, tandis que les métiers du numérique jouissent d’une omniprésence presque obsessionnelle : plus encore avec l’émergence de l’IA, ce sont les « licornes digitales » qui bénéficient en effet d’un appui quasi-inconditionnel des pouvoirs publics, renvoyant ainsi le print à ses perspectives de déclin, sinon totalement fantasmées (soyons de bonne foi), à tout le moins très surévaluées et teintées d’un fatalisme qu’il faut absolument combattre. « Les jeunes ne connaissent pas assez les métiers de l’impression » se désole John Podlesnik, sans manquer de souligner que « lorsque l’on va contre les idées préconçues et que nous leur montrons qui nous sommes, il y a un intérêt ! Je ne suis absolument pas d’accord avec l’idée que les jeunes ne veulent pas bosser et seraient démotivés » insiste-t-il. Un positivisme assumé, qui ne nous laisse toutefois qu’une marge de manœuvre restreinte : à défaut de rayonner suffisamment par eux-mêmes, les métiers graphiques ont en effet besoin – plus que jamais – d’être portés par les entreprises et par le collectif. « Ouvrez-leur vos portes ! J’entends par là au sens premier : les portes ouvertes en entreprise, c’est une manière d’aller chercher ces jeunes, d’être ambassadeur de son métier » s’enthousiasme le Directeur de Grafipolis, conscient toutefois que ce n’est pas forcément la volonté qui manque à des industriels qui les premiers, regrettent de ne pas attirer assez. Or, l’heure n’est plus à chercher des fautifs, mais bien à unir nos forces.

« Il faut mailler les entreprises entre elles à l’échelle locale. » Hervé Le Chevalier (Médiator organisation)

Des diagnostics individuels pour des enseignements collectifs

Au moyen d’une action collective financée par le fonds territorial, sous l’égide de l’UNIIC, un Diagnostic Stratégique Individuel (DSI) gratuit est accessible à chaque entreprise du secteur qui le souhaiterait, de sorte à porter un regard nouveau sur son activité, sur son positionnement dans un contexte ultra concurrentiel et prendre, en toute connaissance de cause, des décisions stratégiques. Si chaque DSI est unique, en cela qu’il résulte des conclusions relatives à la situation particulière d’une entreprise, en fonction de ses propres problématiques et opportunités, il est un prisme écrasant : « À moins d’un an de la Drupa, nous devons réfléchir à la façon dont nos entreprises doivent se rapprocher : optimisations croisées, croissance externe, outils partagés… Aucune voie n’est à négliger » synthétise Pascal Bovéro, Délégué général de l’UNIIC. Une observation partagée par Hervé Le Chevalier (Médiator organisation), qui intervient au sein des entreprises pour conduire lesdits diagnostics et, souvent, rappeler l’importance de « mailler les entreprises entre elles à l’échelle locale », dans un contexte où l’offre (surcapacitaire sur certains produits) peine parfois à s’aligner avec la demande. « Les Pays de la Loire sont une région qui compte parmi les taux de chômage les plus bas, au point qu’il peut être dit ‘frictionnel’ : dans ces conditions, recruter est encore plus difficile » poursuit-il dans un effort de contextualisation, exhortant les entreprises à se rapprocher au-delà du seul secteur graphique pour considérer le cas des industries connexes, où des synergies pourraient se révéler. « Il faut essayer de le faire à l’échelle locale car on a de plus en plus de mal à bâtir des rapprochements pérennes en cas d’éloignement géographique trop important. Et ce pour une raison simple : les exigences de mobilité sont souvent décourageantes pour la main d’œuvre potentielle »  ajoute-t-il, corroborant les observations de nombre de chefs d’entreprise, qui vivent parfois leur relatif éloignement des grands bassins de population comme une forme d’enclavement. A l’inverse, « certaines zones densément peuplées sont devenues inabordables pour des façonniers » précise-t-il par ailleurs, achevant d’illustrer la complexité d’une dynamique à l’emploi extrêmement dépendante de l’économie locale.

Témoigner & partager

C’est Etienne Chartier (à la tête de Brochage 3000, situé en Mayenne) qui se risquera à l’exercice toujours compliqué du témoignage, vantant les bienfaits d’un DSI qui l’a conduit à y voir plus clair. « Ce que j’ai apprécié avec la venue d’Hervé le Chevalier, c’est qu’il n’est pas là pour nous dire ce qu’on a envie d’entendre. Dire les choses franchement permet de vite déblayer le terrain et en l’occurrence, il faut absolument prendre du recul sur sa situation et sur sa stratégie pour prendre les bonnes décisions » reconnaît-il, lui qui comme tant d’autres dirigeants, se trouve prioritairement focalisé sur les urgences de court terme. « La stratégie n’est pas quelque chose qui s’improvise. C’est exactement l’inverse : elle s’établit à très long terme » prend-il soin de rappeler, sans qu’il faille pour autant tomber dans le piège de mener des réflexions génériques et/ou abstraites, puisqu’il l’assure : « Les diagnostics sont des outils extrêmement personnalisés. Ils sont conduits sur-mesure et c’est aussi ce qui les rend précieux ». Si ces DSI sont évidemment confidentiels, il faut le redire : en tirer des constats globaux et collectifs est primordial, à la fois pour impulser une dynamique solidaire entre des entreprises qui auront besoin les unes des autres, et pour réorienter de manière aussi pertinente que possible la politique industrielle du secteur, à la lumière des opportunités qu’offre chaque région. « Je peux paraître négatif, mais en réalité je pense que les marchés du print ont un véritable avenir. Ce sont les conditions d’exploitation qui, à ce jour, ne sont pas bonnes » conclut Hervé le Chevalier. Sûrement faut-il ainsi redessiner notre offre industrielle pour se rendre plus « attractifs » et révéler aux plus jeunes qu’ils y ont évidemment leur place.

Chère IA, dessine-moi un logo

Cet article est paru dans Acteurs de la Filière Graphique n°141 (mars 2023)


Lorsque sur la scène du Software Village du salon C!Print, Aurélien Vaysset (Co-fondateur et CEO – Emersya) présente quelques croquis d’illustration générés par une IA, littéralement « en dix secondes », sur la base d’un brief de quelques lignes, on saisit tout du dilemme éthique vertigineux que recouvre l’usage – ou non – des techniques de création automatique et assistée, dans le domaine du design graphique.

Les outils sollicités n’en sont pourtant encore qu’à leurs prémices, mais il faut dire combien les résultats obtenus sont d’ores et déjà bluffants de pertinence et propres à répondre à une foule de demandes « modestes » qui n’exigent pas une authenticité créative inattaquable. Dit très simplement : à condition de décrire précisément votre requête, en des termes aussi justes que détaillés, un Midjourney, un Dall-E, un Imagen ou un Stable Diffusion pourront abattre en un clic le travail d’une journée chez un designer graphique chevronné. De quoi prendre le sujet au sérieux.

« Pourquoi ne pas réfléchir à créer nos propres outils et les entraîner avec nos propres ressources, pour soutenir notre processus créatif ? » Emmanuel Young (Champion du monde Worldskills – Arts Graphiques)

L’Intelligence Artificielle, pire amie ou meilleure ennemie ?

Plutôt que de s’en faire une ennemie imbattable à son propre jeu (car une IA ira toujours plus vite que vous, pour beaucoup moins cher), le défi pourrait être de s’en arroger les services pour s’en faire une alliée nécessairement cadrée et régulée. « Je ne m’en sers pas encore » reconnaît Robin Gillet, designer graphique (Studio Ellair), conscient toutefois que ça ne saurait durer : « C’est quelque chose qui émerge et qui fera forcément partie de nos métiers », le piège de rejeter complètement cette perspective revenant en effet peu ou prou à sombrer dès à présent dans le déni. Mieux encore, on sent chez la jeune génération de designers graphiques, très avantageusement représentée en la personne d’Emmanuel Young, médaillé d’Or des Worldskills 2022 à l’échelle internationale, une ouverture d’esprit sur ces questions, à mille lieues de tout réflexe défensif caricatural. « C’est à nous de nous emparer de l’IA. Pourquoi ne pas réfléchir à créer nos propres outils et les entraîner avec nos propres ressources, pour soutenir notre processus créatif ? » s’interroge-t-il, dans une démarche d’appropriation qui témoigne déjà d’une relative acceptation confinant à la lucidité. Car s’il est une obsession qui transpire des réponses de ces jeunes graphistes, c’est celle de ne pas se faire déposséder d’une sorte de légitimité créative. D’où cette question récurrente : comment faire de l’IA non pas un procédé substitutif, mais un pur soutien à la création ? Une nuance capitale, qui nécessitera le soutien bienveillant de clients qui pourraient hélas être tentés de durcir leur approche, au motif que Dall-E, Midjourney ou tant d’autres leur mâchent le travail. Un raccourci que Robin Gillet qualifie de « malsain », notamment parce qu’il méconnaît la nature profonde du travail d’illustration. « Contrairement à ce que l’on peut penser, l’aspect technique de l’illustration n’est pas ce qui est le plus long. Ça ne prend souvent que quelques heures. En revanche, je peux passer plusieurs jours sur de la recherche d’idées » précise Robin Gillet, qui met là justement le doigt sur la nécessité de ne pas mépriser ce temps de réflexion assez intangible, en cela qu’il sollicite justement la sensibilité humaine. « Quand un client va travailler avec un graphiste ou un illustrateur, il y a un échange qui se crée où on partage sa culture, son histoire. Il y a quelque chose qui relève du feeling » commente-t-il, ajoutant que « l’IA s’appuie forcément sur de l’aléatoire » et donc ne pourra au mieux que simuler des rapports humains. Or, ce sont ces rapports qui peuvent générer de l’émotion et être la sève d’une inspiration créative « unique », là où une IA agit rationnellement en compilant – de façon plus ou moins heureuse, d’ailleurs – de la data.

« ChatGPT vous construit une réponse déjà toute faite, toute biaisée et possiblement erronée soit-elle, avec les apparats d’une vérité ordonnée. »

Un brief de quelques mots soumis à des programmes d’Intelligence Artificielle a permis d’obtenir en quelques secondes des colibris quasi-exploitables en l’état.

Se servir des IA, c’est avant tout savoir s’en protéger

Le risque prégnant d’un recours illimité et quasi-systématique aux outils d’IA génératives tient un mot : celui de la désintermédiation. Car faire aveuglément confiance à un programme algorithmique désincarné, c’est donc effectivement lui confier des décisions, des choix et des interprétations, sans vérification. L’excuse pour y céder est toute trouvée : il s’agit de gagner du temps. « C’est à nous d’instruire les entreprises, nous sommes avant tout un métier de culture. Nous devons nous renseigner sur énormément de choses et nous imprégner de références artistiques pour les faire passer au client » explique Robin Gillet, qui tient légitimement à garder le contrôle sur son travail. Car plus on délègue cette couche nécessaire de recherches, de réflexions et d’analyses, moins on sera en capacité de comprendre le sens de ce que l’on propose. Or, une IA n’est qu’un miroir : elle ne sera « intelligente » que si nous le sommes avant elle, parce que « nous » sommes littéralement ce qui la nourrit. Drôle de paradoxe en effet que de risquer de s’appauvrir en recourant – mal – à une technologie qui voudrait nous délester de tâches dites « inintéressantes » ou « chronophages ». La chose est certes tentante, mais la pente vers laquelle elle pourrait nous emmener est d’ores et déjà identifiée et elle est dangereuse : quand vous posez une question à un moteur de recherche, ce dernier vous liste un ensemble de contenus et de ressources identifiés par mots-clés qu’il vous reviendra ensuite de trier, en ce sens que juger de leur pertinence relèvera de vos propres arbitrages. A contrario, un ChatGPT vous construit une réponse déjà toute faite, toute biaisée et possiblement erronée soit-elle, avec les apparats d’une vérité ordonnée. Le plus conscient de ce problème s’appelle Sam Altman, fondateur d’OpenAI (soit l’entreprise derrière Chat-GPT), qui nous alerte clairement sur sa propre création : « ChatGPT est incroyablement limité, mais assez bon pour certaines choses et pour créer une impression de grandeur. C’est une erreur de s’y fier pour quoi que ce soit d’important ». Nous voilà donc prévenus. Cela ne veut évidemment pas dire qu’il faudra rejeter en bloc tout de cette technologie, de toute façon déjà existante et opérante, mais l’essentiel du cadrage éthique qui nous fait face devra maintenant nécessairement prendre des formes réglementaires. Que Google soit déjà tenté d’évoluer vers une IA générative pour traiter les requêtes soumises à son moteur de recherche (c’est bien là le sens de la création de « Bard », sorte de réponse à ChatGPT) prouve que le débat est de nécessité actuelle. Voire urgente.

Hunkeler Innovation Days 2023 – Automatiser plus et mieux

Cet article est paru dans Acteurs de la Filière Graphique n°141 (mars 2023)


Avec 6700 visiteurs massés dans un espace relativement contraint, l’édition 2023 des Hunkeler Innovation Days confirme le succès grandissant d’un événement qui fêtait ses dix ans en 2022. L’UNIIC y embarquait – comme en 2019 – une délégation d’une trentaine d’imprimeurs pour s’enquérir sur place (au Centre d’Exposition de Lucerne, en Suisse) des avancées matérielles et logicielles qui s’opèrent dans l’univers des lignes de production numériques. Avec toujours ce même mot d’ordre : automatiser plus et mieux.

« La vision d’Hunkeler est simple : c’est celle d’une industrie totalement automatisée.»
Mickaël Hiblot (Directeur des ventes Hunkeler)

L’événement porte indéniablement quelque chose d’atypique dans la mesure où, de façon transparente et jusque dans son intitulé, il est porté par un fournisseur de matériel intercalé en amont et en aval du travail d’impression, l’offre ‘brandée’ Hunkeler allant en effet des débobineurs de papier en entrée de ligne, jusqu’aux outils de finition en bout de ligne. Un organisateur/fournisseur qui choisit donc de s’entourer de partenaires, mais aussi de simili-concurrents (Duplo, Müller Martini, Horizon etc.), pour construire un salon de solutions et modules aussi complémentaires que possible, sur des marchés, produits et services variés : catalogue, brochure, transpromo, éditique, livre, notice, routage etc. Pari gagné : ce rendez-vous s’est imposé comme l’un des plus engageants dans le paysage événementiel des Industries Graphiques, en une petite décennie. « La vision d’Hunkeler est simple : c’est celle d’une industrie totalement automatisée » nous explique Mickaël Hiblot, son Directeur des ventes. En l’occurrence, personne ne saurait s’extraire d’un mouvement d’automatisation global qui donnera immanquablement à s’observer à la Drupa 2024 (une édition très attendue, huit ans après la précédente au format « physique »), au-delà des seuls segments relatifs à l’impression numérique. Pour autant, c’est bien l’impression numérique qui donne le « La » d’un mouvement qui se précise. Les visiteurs, venus nombreux, ne s’y sont pas trompés…

Une automatisation de plus en plus flexible et permissive

L’automatisation des lignes de production n’apparaît comme une performance louable qu’à la condition de satisfaire à des exigences de variabilité et de flexibilité de plus en plus claires. C’est d’ailleurs dans ce rapport précis automatisation/variabilité que vient se nicher l’essentiel des innovations observées cette année, alors que les discours n’ont pas changé d’un iota. Ne pas arrêter les machines, prévenir les défauts de qualité, éviter les pannes par anticipation et intégrer les opérations de maintenance à la logique de lignes de production ultra-optimisées, tel est le credo martelé par une majorité de fournisseurs depuis l’édition précédente (à minima), tout en promettant des runs avec des changements de contenus, formats, paginations, découpes et pliages à la volée. Tant en impression qu’en finition. Des promesses qui ont pris corps au gré de démonstrations convaincantes tenues sur place, avec de belles nouveautés à la clé : « Chez Laballery, on essaie d’organiser la production en fonction du papier sur lequel nous imprimons. Avec certaines des machines que j’ai vues ici [cf. le module Hunkeler Media changer RX8, NDLR], on peut s’imaginer jongler d’une bobine à l’autre pour passer d’un média à un autre sans arrêter sa ligne de production, gérer en temps réel les demandes de réassorts avec les besoins en papier associés, du collage à la volée jusqu’à la parfaite intégration de la tension des bandes… Les possibilités que ça ouvre sont passionnantes » s’enthousiasme notamment Hubert Pédurand, de passage sur le stand Hunkeler, face à des double-débobineurs qui, demain, « pourraient être triple ou quadruple », nous assure-t-il. Confirmant que les machines offset pourraient elles aussi basculer sur ce type d’équipements en pré/post presse, Mickaël Hiblot tient par ailleurs à souligner que « Hunkeler travaille en open source. Nous voulons pouvoir rendre nos matériels compatibles avec ceux de nos partenaires », indiquant simplement s’assurer de « la validité des systèmes en amont ». Une philosophie qui éclaire jusqu’à l’existence de ce salon, où l’innovation est partagée et irrigue par petites touches l’ensemble des stands, l’objectif étant bien celui-là : construire des lignes de production à sa guise, comme dans un jeu de lego, sans se retrouver bridé par des pièces refusant de s’imbriquer.

« Le salon s’attache à proposer des solutions compatibles et optimisées pour des lignes de production calées à 200 mètres/minute, finition incluse.»

Trop d’automatisation tue-t-il l’expertise de l’imprimeur ?

Au registre des opérations automatisables, sur des lignes de production modulables à souhait – ou presque – on se perd rapidement à énumérer les services proposés par les fournisseurs. Il ne faudrait à ce titre pas oublier combien la dimension software est nourrie par la même obsession, les logiciels de commande, pilotage et de maintenance étant pensés comme le point de départ d’une philosophie unique, visant à tout relier : du traitement prépresse aux dernières opérations de finition. « Notre workflow dynamique de nouvelle génération FreeFlow dispose de capacités prédictives. C’est-à-dire qu’il est capable d’apprendre et de s’adapter. Correctement configuré, il peut même travailler seul, comme un opérateur » assène notamment Hubert Soviche (Xerox). Ainsi en va-t-il également des opérations d’ennoblissement ou d’assistance technique, ce dernier point étant assuré pour le cas de Xerox par « la solution de réalité augmentée CareAR qui, plutôt que de demander à l’opérateur de nous décrire son problème, va lui demander de nous le montrer » résume Isabelle Savin, cheffe de produits et support ventes. Sans collecter de data, nous dit-on, une Intelligence Artificielle (IA) s’attache en effet à analyser des images pour poser des diagnostiques à distance, proposant des aides en forme d’annotations dynamiques et disposant même de ralentis pour identifier précisément les manœuvres potentiellement problématiques. Une logique englobante qui dessine les contours de ce que d’aucuns continuent d’appeler l’industrie 4.0, soit des modèles de production de plus en plus automatisés par interfaces numériques interposées, avec même une touche d’IA pour devancer et minimiser les interventions humaines. Si le discours est bien rôdé et les démonstrations huilées, sûrement faut-il objecter que cette évolution dopée aux algorithmes et aux IA, dont l’intégration ira grandissante, ne doit pas avoir pour effet d’opacifier de trop une mécanique hardware qui doit rester aux mains de l’exploitant industriel. Nous l’écrivions dans une tribune publiée en ces pages voilà bientôt trois ans (cf. Acteurs Graphiques n°131) et nous le redisons volontiers : « De la même façon qu’il serait faux de penser que le prépresse a disparu en impression numérique en même temps que la forme imprimante, sous-entendre que la technicité de l’impression serait dépassée, absorbée par des machines n’exigeant soi-disant plus que de savoir manipuler des potards, c’est prendre le risque de voir disparaître des savoir-faire pourtant précieux ». En l’occurrence, ceux de l’imprimeur.

Une délégation UNIIC était du voyage en Suisse, à Lucerne, pour cette nouvelle édition des Hunkeler Innovation Days.

Qualité contrôlée : « Là n’est plus le débat »

« Nous allons encore trois à quatre fois moins vite en finition qu’en impression » nous disait Steve Levy (Ricoh) en 2019, lors de la précédente édition des Hunkeler Innovation Days. Or, quatre ans plus tard, ce différentiel n’existe encore qu’à la marge et sauf à investir dans des presses qui roulent à 400 mètres/minute (auquel cas il faudra effectivement doubler les lignes de finition pour continuer à imprimer à pleine vitesse), le salon s’attache à proposer des solutions compatibles et optimisées pour des lignes de production calées à 200 mètres/minute. La vitesse ne faisant toutefois pas tout, il est un quasi-consensus que nombre de fabricants ont tenu à mettre en avant : « sur le type de machines que nous exposons ici, la qualité n’est plus un débat » avance notamment Verena Hahn (Canon), au sujet notamment de sa gamme Varioprint. Une assurance que l’on retrouve quasiment trait pour trait chez les autres fabricants de systèmes d’impression, y compris d’ailleurs en dehors des supposées grosses écuries que sont HP, Kodak, Xerox ou Ricoh. « La qualité dépend chez nous de la vitesse d’impression, sachant que sur notre Truepress Jet520HD, nous pouvons aller jusqu’à 150 mètres/minute. Mais nous pouvons imprimer sur tout type de papier, avec une qualité quasi-égale à l’offset » confirme Thomas Lossec (Screen Europe). Si le débat n’est donc plus là, il ne s’est pas déporté très loin… « La qualité est là, mais il faut la contrôler souvent. Le problème que nous avons tous, c’est l’assèchement des têtes d’impression. C’est pourquoi nos machines VPX s’attachent à contrôler la qualité d’impression de manière automatisée toutes les quatre feuilles » précise Verena Hahn pour Canon. Chez Kodak, autre approche : « la Prosper Ultra 520 s’appuie sur un taux d’encrage très dense. Ce sont des encres aqueuses de fabrication Kodak qui comptent environ 70 composants, dont… des antibiotiques ! Pourquoi ? Parce qu’ils permettent de nettoyer les têtes d’impression directement à l’usage » détaille Laurent Mathieu (Directeur des ventes Benelux). Si chacun s’emploie assez naturellement à défendre le caractère écoresponsable d’encres composées à base d’eau (quoiqu’il faudrait bien sûr s’intéresser de près à l’ensemble des composants pour tirer telle conclusion), certains assurant même qu’elles se sont avérées tout à fait désencrables (condition sine qua non pour entrer dans la boucle de valorisation Citeo et ne pas attribuer de malus aux metteurs sur le marché), la question que pose une densité accrue en termes d’encrage – Kodak revendique « 40 milliards de gouttes à la seconde » – est naturellement d’ordre économique : l’impression numérique est-elle toujours victime du coût de ses consommables, et notamment des encres ? La question se pose, à plus forte raison si les exigences de qualité inclinent à en augmenter le volume de consommation…

« Sur le type de machines que nous exposons ici, la qualité n’est plus un débat. » Verena Hahn (Canon)

Les lignes modulaires Hunkeler Starbook ont fait forte impression cette année, autorisant notamment en entrée de ligne changements de bobines à la volée, puis des opérations de production (format, découpe, pliage, collage etc.) variables en « book-to-one » et enfin un traitement logistique automatisé, pour trier jusqu’à 2000 blocs de livres par heure dans différents conteneurs de transport.

Coût des consommables : éternels freins à l’investissement ?

Face à pareilles critiques, les réponses sont peu ou prou les mêmes depuis une douzaine d’années : si les encres sont « chères », c’est parce qu’elles intègrent effectivement des coûts de recherche & développement importants sur ces technologies. Et leur coût n’est soutenable qu’à la condition d’adopter un positionnement stratégique adapté, tout en valorisant sur le plan industriel et organisationnel les gains (de temps, notamment) obtenus par ailleurs : « plus de RIP pour le CTP, fini les plaques aluminium, terminée la chimie, le séquencement de production – je plaque, j’imprime par cahiers, j’attends que ça sèche, je plis mes cahiers, j’assemble mes cahiers, je broche mon livre – est divisé par cinq en durée etc. Au final un livre qui mettait cinq jours à se produire en offset chez Laballery se traite en cinq heures, avec deux fois moins de personnel » témoigne Hubert Pédurand, qui dit toutefois attendre « une hausse globale de la production en jet d’encre pour voir le prix des encres baisser ». Car oui, le sentiment général est malgré tout bien celui-là : les consommables sont encore chers en impression numérique quadri, au regard d’une demande insuffisamment volumique pour s’autoriser toute forme de légèreté, quand il s’agit d’investir dans ce type de matériel. Or, parmi les failles d’un modèle économique inclinant à minimiser les coûts, au regard des dépenses nécessaires pour se fournir en consommables et donc nourrir ses machines, il y a la tentation de réduire sa main d’œuvre. Au premier chef, déjà, parce que c’est ce vers quoi pousse l’automatisation des systèmes de production. « Nos machines sont conçues pour que l’opérateur ait moins de tâches à effectuer que jamais, tout en se déplaçant le moins possible dans l’atelier. Notre volonté est d’automatiser un maximum de réglages, notamment pour les changements de formats » illustre Marc Giustiniani, Directeur commercial France chez BlueCrest, pendant la démo d’une machine de mise sous pli (modèle Epic). S’il ne s’agit encore là que de faciliter le travail des opérateurs, tout le monde en convient : cela aura forcément des effets sur l’emploi. « Le conducteur de demain dirigera des lots de machines » s’avance même à affirmer Mickaël Hiblot, sous-entendant sans faire de mystères que là où il fallait deux à trois techniciens par atelier, il n’en faudra bientôt plus qu’un. Au risque de s’appauvrir humainement ? « L’enjeu, ce sera d’affecter de l’emploi à des tâches à la fois moins pénibles et plus valorisantes, voire à songer à de nouvelles fonctions. Dans ce domaine-là aussi, il faudra innover » poursuit-il. De manière concomitante, il faudra nécessairement penser à construire et organiser le transfert de compétences, de sorte à rendre possible le basculement technologique pour des équipes souvent habituées à travailler sur des outils d’impression/finition d’une tout autre nature. Un défi collectif que ces Hunkeler Innovation Days ont mis en avant de façon concrète, sans même le dire explicitement. Et nul doute que dans un peu plus d’un an maintenant, la Drupa enverra un message semblable…

Pascal Bovéro – “Les imprimeurs se sentent étranglés”

Cet article est livré en avant-première. Il est à paraître dans Acteurs de la Filière Graphique n°137 (1er trimestre 2022).


C’est une évidence : la situation est exceptionnellement tendue, la faute à la rareté prolongée du papier, à la flambée des prix de l’énergie et des consommables et bien sûr au contexte économique hérité du conflit ukrainien. Nous faisons le point avec Pascal Bovéro, Délégué général de l’UNIIC, qui pointe la nécessité de faire corps collectivement, alors que l’insistance de la demande pour une reprise de la communication imprimée doit aussi nous rassurer.

Les tensions d’approvisionnement qui affectent les marchés des papiers/cartons prennent un tour durable et désormais critique. Comment l’expliquer ?

La situation est effectivement extrêmement difficile. Ce qui nous a trompés, c’est que le prix de la pâte marchande a d’abord évolué à la hausse, puis s’est stabilisé avant d’amorcer une légère décrue à l’automne dernier. Nous avons pensé, à ce moment-là, que cette décrue du prix de la pâte marchande augurait d’une décrue plus générale, qui se vérifierait sur l’ensemble des marchés de matières premières et de la transformation papetière en particulier. Force est de constater que la tendance haussière s’est à nouveau imposée. Il y a indiscutablement eu un phénomène conjoncturel : une demande en pleine explosion due à une relance technique brutale, d’abord localisée dans le sud-est asiatique, entraînant un déséquilibre mondial et une forte tension. Mais certains ont oublié que nous étions sur des marchés qui sont spéculatifs : nous connaissons l’adaptation constante d’un monde papetier concentré, à la demande mondiale… Nous savons par ailleurs que le secteur graphique n’est plus perçu comme porteur pour le secteur papetier. Les producteurs ont donc au fil des années repensé leurs modèles d’affaires et l’équilibre de leur exploitation, les conduisant à s’interroger sur l’avenir du papier à usage graphique, estimant à juste titre qu’il y avait une surcapacité de plusieurs millions de tonnes par an par rapport à une demande finale décroissante. Ils ont ainsi rationnellement transformé des lignes de production pour migrer vers de l’emballage, le carton ondulé, le secteur de l’hygiène, plus porteurs. Ces acteurs ont choisi de faire le pari du couple décarbonation/diversification surtout sur des sortes de papiers trop associées à une volumétrie indifférenciée (l’imprimé publicitaire par exemple). À l’exception de quelques papiers très techniques, il s’en est suivi une diminution généralisée de la capacité de production sur les principales références graphiques. Conduit de manière concertée, le mouvement de reconfiguration du paysage papetier s’en est trouvé accéléré et amplifié.

“Les marchés que perdent les
imprimeurs les conduisent à nouveau
en situation de sous-activité, alors
que la demande, elle, est bien là.”

Comment cela se traduit-il pour les imprimeurs ?

Cela dépend des profils mais les industriels de la rotative, les premiers à être percutés, ont vu en un an les prix exploser de manière erratique, avec des délais de livraison imprévisibles, notamment sur le 80 grammes. On a vu des références papier tarifées à 680 euros la tonne début 2021 qui ont presque doublé à ce jour. Cette catégorie d’acteurs travaille essentiellement sur des produits tels que l’imprimé publicitaire, la presse, les catalogues et les flyers et sont équipés de presses 16, 32 ou 48 pages, soit des investissements extrêmement lourds taillés pour de la production de masse. Ils se positionnent sur des marchés encadrés, avec signature contractuelle, et aujourd’hui ils se sentent étranglés. D’autant qu’est venue s’ajouter une hausse folle des prix des consommables – les plaques ont subi + 48 % en six mois, mais les colles ont également subi de fortes hausses – avec dans le même temps une flambée hors de contrôle des prix de l’énergie. Tant l’électricité, dont on connait les aspects régulés et non-régulés, que le gaz qui vient notamment alimenter les sécheurs des imprimeurs rotativistes, ont atteint des niveaux tels que l’on voit refleurir de l’activité partielle. Car les marchés que perdent les imprimeurs les conduisent à nouveau en situation de sous-activité, alors que la demande, elle, est bien là. Ces rotativistes, dont la taille moyenne est un peu supérieure à une centaine de salariés, positionnés sur des marchés nationaux ou locaux, vivent une situation d’autant plus terrible qu’on a eu l’illusion d’une reprise technique en juillet dernier, mais elle a été partiellement freinée. La fermeture de certaines unités papetières, plus les grèves que nous avons pu observer [en Finlande chez le groupe UPM, NDLR] et bien sûr le conflit armé en Ukraine qui a des conséquences sur l’activité économique globale et sur le secteur graphique en particulier, achèvent de noircir un ciel déjà chargé.

Ces hausses de prix peuvent-elles être absorbées et répercutées dans les prestations des imprimeurs ?

Pas toujours non, loin de là. Un exemple très parlant : nombre de nos adhérents, de taille moyenne, rotativistes ou imprimeurs feuille, travaillent pour les marchés publics sur des accords-cadres. C’est-à-dire qu’ils se positionnent sur une durée prédéterminée pendant laquelle l’acheteur public s’engage à lancer des bons de commande sur des spécificités, sans avoir à relancer des consultations, le tout étant régi par le code des marchés publics. Ce sont essentiellement des accords-cadres régionaux pour un périodique, une campagne d’affichage etc. Or, rares sont les acteurs publics qui intègrent aujourd’hui les indices officiels d’évolution portant sur les matières premières ou l’énergie. Parce que les contrats ont été validés et engagent les parties parfois sans clauses de révision ou alors adossées sur des indices synthétiques publiés par l’INSEE, non-représentatifs ou en retard par rapport à l’évolution folle que nous vivons, de telle manière que cela amène certains de nos adhérents à ne pas servir l’accord-cadre sur lequel ils se sont positionnés, avec les conséquences juridiques qui y sont associées.

“Ce qui se passe est contracyclique par rapport au message que nous envoie la demande : il y a une appétence pour notre support et il faut s’en réjouir. Mais ne pas pouvoir y répondre est un crève-cœur.”

Quels risques encourent les entreprises dans ces cas-là ?

Ils risquent d’être condamnés pour inexécution, mais soit ils prennent ce risque, soit ils travaillent très clairement à perte. Ce qui est interdit, mais la situation est tellement aléatoire que nous ne sommes sûrs de rien. On en est à se dire qu’il ne faudrait accepter aucun marché public sans clause de révision permanente avec des formules paramétriques. De l’autre côté, les papetiers, fournisseurs de plaques et distributeurs de consommables vous disent : ‘Je ne pourrai vous annoncer un prix que lorsque je vous aurai livré, dans six mois’. Il s’agit donc de la pratique des devis ouverts dont la légalité est douteuse. Comprenons bien que si l’on parle de hausses de prix de près de 50%, cela ne peut pas être supportable. Par ailleurs, le marché du livre, une grosse partie du marché des périodiques et une partie du marché des imprimés publicitaires, fonctionnent à 50% sur du papier fourni par les donneurs d’ordre. Qu’il s’agisse de print managers pour l’imprimé publicitaire, d’éditeurs de périodiques ou de livres, ils ont eu les moyens de faire de la veille, d’anticiper et de faire stocker ces stocks de sur-précaution par les imprimeurs, ce qui change complètement la donne en termes de coûts d’immobilisation. Cela génère des inquiétudes chez nombre d’imprimeurs qui peinent à gérer la situation. Sur 1 750 000 tonnes de papier traité en France, 51% du volume est fourni par le donneur d’ordre, sans marge possible : ni pour la transformation du papier, ni pour le stockage. Cela génère des difficultés économiques importantes et voit nombre d’imprimeurs peiner à assurer les commandes, même quand le papier est physiquement disponible et que la demande est là. Cela veut dire que l’activité classique consistant à laisser une trace sur le papier peut en subir les contrecoups et baisser encore, tendanciellement. Aujourd’hui, les entreprises ne se demandent pas si elles vont licencier – au contraire, elles ont besoin de forces vives – mais certaines se demandent si elles ne vont pas devoir déposer le bilan. C’est d’autant plus terrible que ce qui se passe est donc contracyclique par rapport au message que nous envoie la demande : il y a une appétence pour notre support et il faut s’en réjouir. Mais ne pas pouvoir y répondre est un crève-cœur.

Vous avez évoqué la hausse des prix de l’énergie, là encore, comment expliquer une telle flambée et peut-on entrevoir un retour à des niveaux supportables ?

Sur l’énergie, nous vivons une situation absolument folle. Elle l’était déjà avant la crise ukrainienne. Les causes en sont complexes et multiples. La France est le pays le plus nucléarisé du monde, elle exporte son électricité à «prix étudiés » en Allemagne notamment. En outre, des contrats très particuliers ont été passés par certains de nos adhérents, quittant un opérateur bien connu pour aller vers des prestataires privés, alléchés par des arguments attractifs qui malheureusement s’avèrent souvent trompeurs. Par ailleurs, une surconsommation électrique dans certaines zones du monde a fait exploser le prix du Kw/h. Entre janvier et mars de cette année : 48 % de hausse ! L’UNIIC a sollicité le comité des approvisionnements à Bercy et l’Etat souhaite réactiver des leviers de régulation qui permettront, souhaitons-le, non pas de tout régler probablement, mais au moins de faire respirer des industriels économiquement contraints. Hélas, les tensions s’accumulent : à partir du moment où l’aluminium est au niveau où il en est, le prix des plaques – rappelons là encore qu’il n’y a que trois fournisseurs de plaques – explose lui aussi : entre 45 et 60 % de hausse en cinq mois. Faute d’un retournement rapide, c’est un coup porté à la moyenne et haute volumétrie offset, lorsque l’impression numérique jet d’encre à courts tirages ne pose pas ce genre de problèmes. Idem d’ailleurs sur le papier : il est plus facile de s’approvisionner sur de moindres volumes. Dès lors, on sent bien que lorsque les renouvellements de matériels s’opèreront – à l’image de ce qui s’est déjà passé sur le petit format – à l’aune de la prochaine Drupa, ce n’est pas l’offset qui en profitera.

“Un centre technique multiprocédés dédié au secteur serait nécessaire aujourd’hui : pour réfléchir, pour tester, pour accompagner tant sur le plan économique que stratégique.”

La crise multifactorielle que nous vivons pourra donc accélérer un phénomène de mutation industrielle ?

Cela aura en effet des conséquences, ne serait-ce qu’en termes de compétences et d’organisation interne. Cela pose surtout la question de ce que l’on fait d’un matériel taillé pour de la haute volumétrie : peut-on reconditionner les machines ? Comment peut-on aider les entreprises à pivoter stratégiquement et assurer un renouvellement d’équipements ? C’est bien pour cela qu’un centre technique multiprocédés dédié au secteur serait nécessaire aujourd’hui : pour réfléchir, pour tester, pour accompagner tant sur le plan économique que stratégique… Il faut dépasser l’approche ‘consulting’ et ce n’est pas à l’UNIIC de dire aux entreprises ce qu’elles devraient faire et ce dans quoi elles devraient investir. En revanche, nous devons leur donner les outils pour prendre des décisions aussi éclairées que possible. De plus, quand un secteur comme le nôtre suscite – partiellement à tort, d’ailleurs – la défiance des acteurs financiers, vous êtes contraints de dégager des marges pour vous autofinancer. Mais comment faire si vous êtes pressuré de toutes parts ? Il ne faut pas raconter d’histoires : même pour une machine de moyenne gamme en impression numérique jet d’encre, les prix s’établissent autour du million d’euros. De tels investissements nécessitent donc des taux de rentabilité absolument hors d’atteinte en ce moment, pour nombre de nos adhérents pourtant solides financièrement. Et c’est certain : dans ces cas-là, ils ne rémunèrent plus leurs risques.

Y a-t-il un risque de ne pas pouvoir assurer dans de bonnes conditions l’impression des professions de foi, à l’aune des échéances électorales qui approchent ?

À court terme, il n’y a pas de danger pour assurer la propagande électorale. Du moins, pas pour les Présidentielles dans un premier temps. Avec des mandataires, l’Etat est allé chercher des papiers très loin de nos frontières, notamment en Indonésie. Pas du tout en Europe du Nord. Cela se fait au prix d’une traçabilité du papier certainement moins ‘clean’ mais priorité a été donnée à la disponibilité… En tout état de cause, il ne devrait pas y avoir de problèmes pour les douze candidats qui ont obtenu leurs parrainages : si les tarifs restent à négocier, et l’UNIIC y travaille bien évidemment, le volume de papier sera là pour assurer la propagande électorale.

Est-ce à dire que la sortie de crise ne pourra s’envisager qu’en conséquence d’une baisse de la demande ?

Nous n‘y échapperons probablement pas. Encore une fois, certains ne manqueront pas de se dire qu’il y a des risques à travailler sur support physique puisque la matière n’est pas là. A l’inverse, le digital offre des garanties évidentes en ce genre de circonstances. Mais s’il y a une rareté organisée de l’offre papetière, il y aura de fait une rareté de l’offre de recyclé et donc la fragilisation de tout une boucle de production… Il ne faut toutefois pas négliger des scénarii plus favorables. Si la crise ukrainienne trouve une porte de sortie, même partielle, le pétrole va retomber à des niveaux de prix plus supportables et dans son sillon, toute l’énergie va alors commencer à plafonner ou régresser. Cela augure souvent d’une tendance baissière relativement généralisée qui entraîne avec elle les autres matières premières. Mais il ne faudrait pas que le rééquilibrage tarde de trop, parce que les tarifs actuels ne nous permettent pas d’attendre très longtemps… Je suis bien incapable de dire à quel point cette situation est durable mais l’on sent bien que si la conjoncture reste à ce point défavorable, les unités papetières se poseront la question : quels marchés puis-je continuer de servir ? Certains se la posent déjà très sérieusement, dans la mesure où justement, ils servent les imprimeurs dans des conditions compliquées et voient leurs relations avec eux se tendre considérablement.

“Il ne faut pas abandonner l’idée de consolider le secteur par de l’ingénierie financière et industrielle, possiblement un jour avec un établissement financier dédié, comme cela existe en Allemagne.”

Il y a un sentiment de fatalité qui émane de cette situation… A-t-on malgré tout des leviers d’action pour agir ?

La haute volumétrie indifférenciée, et la stratégie de l’offre avec elle, vit possiblement la fin d’un cycle. Il faut pouvoir l’entendre sans pour autant considérer que l’avenir est sombre, c’est loin d’être le cas. Ce que l’on essaie modestement de faire consiste à mailler les entreprises entre elles, plutôt que d’encourager l’investissement sans avoir de visibilité suffisante. Les entreprises les plus fortement capitalisées peuvent résister, celles qui ne le sont pas risquent d’aller à la cessation de paiement, sauf dispositifs d’aides mis en place par l’Etat, ce qui n’est pas exclu aujourd’hui. Mais si nous voulons être proactifs et ne pas subir les événements, soyons dans la collaboration et la cotraitance intelligente, avec dans de cas-là de possibles investissements partagés. Ce n’était guère imaginable il y a dix ans, mais c’est une option à prendre très au sérieux aujourd’hui. Cela implique aussi un phénomène de concentrations et de fusions : on ne peut pas faire autrement. Il ne faut pas non plus abandonner l’idée de consolider le secteur par de l’ingénierie financière et industrielle, possiblement un jour avec un établissement financier dédié, comme cela existe en Allemagne. Et c’est bien par ce biais que nous pourrons améliorer la cotation du secteur, le tout dans un contexte où, je le répète, l’appétence pour le papier est sensible et alors que le digital est pour sa part de plus en plus décrié. C’est bien là le paradoxe cruel de cette situation : l’envol de la demande depuis des mois prouve combien nous répondons à un besoin réel, ancré dans les territoires et signe d’un besoin de respiration face à un trop plein de numérique. Encore faut-il nous laisser les moyens d’y répondre…