Mon mailing est ROI : retour en images

Dans un contexte sanitaire évidemment compliqué, les équipes de l’UNIIC et du SNCD ont uni et conjugué leurs efforts pour maintenir un événement qui n’a pas échappé aux questionnements : devant tant d’incertitudes, fallait-il repousser ou opter pour un format numérique ? Non sans quelques contraintes – certains intervenants n’ont effectivement pu faire entendre leur voix que par écran interposé – Mon Mailing est ROI s’est bel et bien tenu ce lundi 14 septembre au Grand Rex, réunissant près de 100 participants et occasionnant des échanges à ce point riches qu’ils qui auront sans mal justifié la décision des deux organisations. Retour en images sur les temps forts d’une journée qui n’en a pas manqué…

Bruno Florence, Président du SNCD.

Benoît Duquesne, Président de l’UNIIC.

Les Présidents respectifs du SNCD et de l’UNIIC ont rappelé l’importance de maintenir un événement physique porteur de sens, en des temps où les alternatives numériques ont tendance à s’imposer par défaut. Ils trouveront un écho bienvenu en l’intervention – filmée et retransmise par écran, pour le coup – du Sénateur de la Haute-Vienne, Jean-Marc Gabouty : “Il y a une nécessité de tisser des liens entre les différents métiers de la chaîne graphique” déclarait-il en effet, convaincu que “la diversité des techniques et des savoir-faire est un atout pour demain”. Des velléités de rapprochements et d’actions croisées incarnées par l’événement lui-même, dédié à situer au plus juste le print dans le monde sensiblement digitalisé du marketing direct. Car Jean-Marc Gabouty n’en doute pas, le tout-numérique est une impasse dont nous apercevons déjà les failles, dénonçant notamment un “manque de hiérarchie” dans des contenus volatiles et mal ciblés.

Christophe Barbier, Directeur de rédaction de l’hebdomadaire L’Express.

Homme de Presse, mais aussi homme de scène et de théâtre, Christophe Barbier s’est livré à une un monologue passionné en forme d’hommage au papier, célébrant notamment “une noblesse qui est le miroir de sa prestance intellectuelle”. Sans nier évidemment “la force grandissante du véhicule digital”, le journaliste a insisté sur les atouts du support imprimé qui lui sont exclusifs : il est générateur d’émotion via la sensorialité du matériau, meilleur outil de mémorisation, porteur d’une symbolique sociale forte etc. Et ce alors que, souligne-t-il, “le numérique paye aujourd’hui son immaturité : on ne sait pas encore le réguler et à certains égards, c’est une jungle où la haine donne à se répandre”. Faisant notamment ici référence aux échanges pour le moins tendus qui s’observent au quotidien sur les réseaux sociaux, Christophe Barbier n’a par ailleurs pas manqué de louer la capacité du matériau à être conservé : “Le papier n’est pas éternel, mais on sait à quel point il peut durer. En revanche, on ne connaît pas la capacité des contenus digitaux à durer, eux qui ont plutôt tendance à être volatiles et éphémères”.

Un collectif malicieusement baptisé “Vilain petit canal” s’est attaché à lire un manifeste théâtralisé, autour des atouts du mailing papier. Un autre moment de scène, qui derrière sa légèreté apparente, n’en a pas moins permis de prendre à rebours les idées reçues et rappeler les avantages de l’imprimé, notamment en termes de retour sur investissement.

Bernard Trichot, Directeur de l’IDEP.

Bernard Trichot (IDEP) puis Xavier Guillon (France Pub) ont nourri de leur expertise la séquence “Analyse économique du secteur” pour l’année 2019. Une année charnière puisqu’elle permettra de poser un socle pré-Covid-19, en forme de repère d’avant-crise. “Les volumes en marketing direct sont certes en baisse, mais il faut souligner à quel point ils restent massifs : cela représente 2,8 milliards d’euros pour les imprimés sans adresse (ISA) et 2,5 milliards d’euros pour le courrier publicitaire. C’est encore considérable, d’autant que la tendance baissière n’est pas continue : il y a des à-coups qui correspondent à l’arrêt de certaines grosses campagnes quand dans le même temps, une multiplicité de campagnes moins massives sont en plein essor” précise Xavier Guillon, illustrant notamment la chose avec le secteur caritatif, qui s’est distingué à la hausse sur la période considérée. “On trouve d’autres contre-exemples, notamment dans la PQR (Presse Quotidienne Régionale)” poursuit-il, expliquant combien “ces journaux locaux ont bien résisté pendant la crise sanitaire, par besoin d’informations locales et par la pertinence des circuits courts”.

Une table ronde bien nommée “Vis ma vie de mailing” a permis de présenter les différentes étapes de la création d’un mailing, ainsi que les innovations technologiques visant à optimiser la production des campagnes. Du donneur d’ordre à l’opérateur de data en passant par l’imprimeur/routeur, le cas d’une campagne caritative chapeautée par Fondation de France (qui se définit comme le “premier réseau philanthropique de France”) a ainsi été décortiquée dans ses moindres aspects pour mettre en exergue l’imbrication nécessaire des mondes du print et du numérique. Une façon de rendre concrets les rouages d’une “complémentarité” érigée comme un mantra tout au long de l’événement…

Restrictions sanitaires obligent, certaines interventions ont bel et bien pu être menées “en live” mais à distance. Ce sera notamment le cas de celle de Salvatore Spatafora, Directeur marketing de la Blancheporte. A l’occasion d’un test dont il aura exposé les enseignements et hypothèses de développement, 50 000 catalogues classiques ont été envoyés en même temps que 50 000 catalogues innovants et personnalisés. “Il ne s’agit aucunement de versioning mais bien de 50 000 catalogues uniques, ciblés sur la base des historiques d’achats de nos clients. Cela a généré des recommandations produits que nous avons incluses dans des catalogues personnalisés” détaille-t-il, avant de préciser, pêle-mêle, que “deux fois plus de clients se souviennent avoir reçu un catalogue quand il est personnalisé (89 %) avec un panier moyen qui augmente en moyenne de 7 %. On constate également un fort effet drive-to-Web grâce à ces catalogues : deux tiers du chiffre d’affaires est réalisé sur le site, par effet de redirection” souligne-t-il également. S’il ne désigne encore la chose que comme un “Test” qui demande à être validé en des conditions de production plus habituelles, Salvatore Spataforta ne cache pas combien l’expérience est encourageante : “Ces catalogues accomplissent un formidable travail d’avant-vente. ce sont des outils de séduction précieux avec un taux de transformation à deux chiffres” s’emballe-t-il en effet, évoquant à terme des catalogues à la fois plus singuliers, mais également plus enclins à “intégrer des contenus éditoriaux ainsi que du conseil”, conclue-t-il, non sans rappeler qu’il faudra pour cela tirer profit des nouvelles technologies qui rendent la chose possible (IA, impression numérique etc.)

Jérôme Martel, Directeur commercial d’Adrexo.

Florent Huille, Direction commerciale du Groupe La Poste.

Si l’efficacité du média courrier n’est plus démontrer, conviennent conjointement Jérôme Martel et Florent Huille, il convient toutefois d’observer la baisse des volumes qui transitent par les boites aux lettres, pour prendre acte des évolutions à engager… “Il est exact de dire que la boite aux lettres s’est vidée. mais le paradoxe, c’est qu’elle est devenue d’autant plus précieuse : le papier demeure ainsi un média ROI-iste dont il est difficile de se passer” affirme le Directeur commercial d’Adrexo. “Mieux on ‘toilettera’ nos adresses, mieux on ciblera et plus le média papier fera la preuve de sa pertinence” enchaîne Florent Huille, insistant par ailleurs pour rappeler que “la moindre requête Google a la même empreinte carbone que la production d’un sac plastique”, faisant ici écho aux attaques environnementales dont font continuellement l’objet les ISA.

Pascal Bovéro (Délégué général de l’UNIIC) et Nathalie Phan Place (Secrétaire générale du SNCD).

En conclusion, Nathalie Phan Place a voulu rappeler combien “la data est l’arme de personnalisation du papier. Ce n’est en rien un atout réservé au digital”. S’appuyant sur le même constat, Pascal Bovéro estime pour sa part que “la volumétrie imprimée ne pourra pas être maintenue et notre défi, c’est de passer d’une économie de volumes à une économie de valeur” met-il effectivement en garde. Un défi qui nécessite précisément d’intégrer de la data au print intelligent de demain, même si “notre travail sur l’ennoblissement des imprimés est plombé par des normes environnementales qui sanctionnent la qualité”, regrette le Délégué général de l’UNIIC, pointant là un autre chantier majeur : celui d’une responsabilité soutenable pour les Industries Graphiques, sommées d’évoluer au centre d’injonctions contradictoires. Se refusant toutefois de finir sur autre chose qu’un bon mot, il l’assure : “Bien que nous soyons dans le République de la créativité, on peut dire vive le ROI”.

A venir : un article sur cette journée d’échanges et de réflexion dans le prochain numéro d’Acteurs Graphiques…

Protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise face à l’épidémie de Covid-19

L’UNIIC a été consultée avec d’autres branches industrielles sur le protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise face à l’épidémie de Covid-19.

Si nombre de mesures s’orientent vers la prise en compte de la spécificité de nos process industriels et les bonnes pratiques sanitaires qui y sont associées, il demeure nombre d’incertitudes voire de complexités de mise en œuvre (port de visières, obligation de désinfection à chaque rotation, promotion du télétravail etc…) et de manière générale la non prise en compte du coût complet de ces mesures.

L’UNIIC sera en ce domaine en première ligne pour continuer à convaincre les pouvoirs publics que la protection de la santé ne saurait se concevoir sans prise en compte de nos modes de production et des process qui y sont associés…

Voici les 6 points sur lesquels porte cette consultation :

  • Les modalités de mise en œuvre des mesures de protection dans l’entreprise dans le cadre d’un dialogue social.
  • Les mesures de protection des salariés.
  • Les dispositifs de protection des salariés.
  • Les tests de dépistage.
  • Le protocole de prise en charge d’une personne symptomatique et de ses contacts rapprochés.
  • La prise de température.

“Nous avons de fortes convictions mais peu de certitudes !” Pascal Bovéro, Délégué Général de l’UNIIC

Dressant à la fois une synthèse des impacts de la crise sanitaire sur les Industries Graphiques, et dessinant les conditions et contours d’une relance difficile à appréhender dans un contexte où des facteurs sensibles s’amoncellent (crise de la distribution, remise en cause de la publicité, digitalisation accélérée des usages etc.) l’interview de Pascal Bovéro, Délégué Général de l’UNIIC, est à lire sur le site de Culture Papier.

Quel est l’état général des entreprises du secteur de l’imprimerie après la crise du Covid ?

La branche “Industries Graphiques” regroupe en fait plusieurs secteurs d’activité dont le poids pondéré en nombre d’établissements (hors emballages) peut être synthétisé de la manière suivante :

– Pré-presse/imprimerie: 79 % des effectifs entreprises

– Sérigraphie/impression numérique grand format : 12 %.

– Routage et Reliure, Brochure, Dorure : 9%

Il n’est, à cet égard, pas inutile de souligner que 96 % des entreprises de ces secteurs comptent moins de 50 salariés.

Le poids des marchés

Pour pouvoir mesurer l’impact de la crise, il faut, en premier lieu, rappeler que les chiffres doivent être maniés avec prudence car dans une catégorie statistique (imprimés publicitaires, périodiques, livres, travaux administratifs et commerciaux etc.) sont agrégées des réalités multiples en termes de procédés, de process, de nomenclatures et de compétences, avec des vulnérabilités d’entreprises sensiblement différentes. C’est après avoir rappelé, ce contexte structurel, qu’il nous faut intégrer les conséquences d’une crise inédite qui a vu, pour partie, s’effondrer nos repères et une partie de nos modèles économiques, la branche graphique étant un outil de facilitation des échanges, peu compatible avec la notion de distanciation.

L’impact de la pandémie

En fonction des marchés adressés par les entreprises nous pouvons dresser le constat suivant :

Les imprimeurs de magazines d’information à haute volumétrie ont subi la baisse de la pagination publicitaire et la baisse relative des tirages, mais nous pouvons considérer que ces biens sont à classer dans la catégorie des services essentiels au titre du devoir d’information, limitant ainsi la baisse d’activité pour cette catégorie de supports. Toutefois, pour les autres catégories de périodiques, la crise endémique ayant affecté Presstalis a renforcé la frilosité des éditeurs avec les conséquences qui ont frappé toute la chaîne des acteurs de la fabrication/distribution de la presse (abandon de certains hors-séries, fermeture de certains kiosques etc.). Cette “cassure” a été renforcée par une discontinuité du service postal pour les abonnés, qui a affecté pendant plusieurs semaines la diffusion de ce qui était devenu pourtant un lien social incontournable.

Les imprimeurs orientés publicité et périodiques ont pu conserver 50 % de leurs effectifs à la production et 40 à 60% de leur taux d’activité. Toutefois, les ISA (Imprimés sans adresse), la communication événementielle, les catalogues  etc. ont disparu des plannings pendant 6 semaines en moyenne, faute de clients certes mais aussi de distributeurs.

Les imprimeurs de livres : Les éditeurs ont été contraints de supprimer l’office, de décaler leurs titres phares à la rentrée avec les risques d’écraser le “fonds” et ont dû faire face à l’annulation du Salon du Livre. En outre, le confinement s’est traduit par une fermeture des librairies qui ont vite repris le chemin du conseil et de la créativité dès qu’elles ont pu rouvrir mais une part non négligeable de celles-ci, malgré la mise en chômage partiel des salariés de ces commerces de proximité, sont vulnérables, avec les risques de disparition pour 25 % d’entre elles.

A noter en outre que les audiobook s’installent dans notre paysage culturel.

Au niveau des ressources humaines, tous marchés confondus, les conséquences ont été les suivantes :

– Un recours massif à l’activité partielle, aux moratoires de charges sociales et fiscales, aux PGE voire aux procédures collectives…

Un recours plus modeste au télétravail pour les fonctions support.

En synthèse, le volume traité au cours de l’année 2020 sera en net repli certes mais la contrainte la plus conséquente tient à la sous-capitalisation des entreprises qui fragilise celles-ci, entreprises que nous devons accompagner…

L’état a t-il pris les décisions qui s’imposaient pour le secteur ? En espérez-vous certaines en particulier ?  

L’état a incontestablement pris la mesure des besoins des entreprises en développant un système très attractif d’activité partielle dont il faut cependant regretter que les règles aient changé à de multiples reprises, au cours de la dernière période (cinq modifications légales ou réglementaires). Néanmoins nous avons compté 60 % des effectifs salariés du secteur en activité partielle avec une reprise progressive à partir du déconfinement, système de rémunération ne supportant pas les charges sociales. Ces combinaisons de dispositifs ont permis aux entreprises du secteur, d’amortir le choc de la sous-activité, qui a été en moyenne de 70 % par rapport à l’année passée à semblable époque ! En ce qui concerne les PGE, ceux-ci ont bénéficié majoritairement à nos adhérents comptant moins de 20 salariés et nous œuvrons pour que ceux-ci soient transformés en quasi-fonds propres, afin d’éviter les effets de ciseaux. D’autres mesures figurant dans le plan de relance sont de nature à consolider des secteurs comme les nôtres

Vous organisez le 25 septembre le Congrès de l’UNIIC à Lyon , quelles sont les principales lignes de forces que vous allez développer ? Les principaux thèmes abordés ? 

Nous avons choisi un lieu symbolique (L’Institut Louis Lumière à Lyon) pour valoriser le secteur et rapprocher son histoire et son identité, de l’art cinématographique. La construction du programme est un riche pari sur les futurs possibles des industries graphiques, à un moment où chacun s’interroge sur les innovations que nous devons porter pour rompre avec la monotonie ambiante. Nous allons changer de format pour mieux identifier les changements à l’œuvre dans plusieurs pays Européens que nous avons conviés et qui interviendront avec Intergraf pour partager les bonnes pratiques mises en œuvre dans certains pays ayant subi les mêmes contraintes que les nôtres.

En outre, nous avons associé plusieurs donneurs d’ordre et fournisseurs pour disposer d’un regard croisé sur les pistes de diversification qui s’offrent à nous dans un contexte où la Drupa se redimensionne. Vu les circonstances, notre interrogation collective portera sur la façon dont le secteur doit créer de la valeur ajoutée et partagée dans les territoires en axant notre approche sur une stratégie de filière. Le congrès sera aussi l’occasion de marier les innovations historiques des frères Lumière et la spécificité de nos positionnements. Le parallélisme des deux secteurs transformés par le numérique nous conduira à remettre en perspective nos chemins critiques d’évolution.

Pensez-vous que nous allons assister à une vague relocalisation de nos industries comme l’a annoncé le président de Système U ?

La sensibilité aux relocalisations est grande dans les secteurs industriels qui font l’objet aujourd’hui de toutes les attentions. Mais, du discours aux faits, le cycle est long. L’un des cas que nous avons valorisé – L’enseigne System U (relire notre interview) –  est spécifique du fait de l’organisation de cette enseigne : un lien de proximité très fort et une “ruralité” affirmée. L’organisation des principales enseignes n’est pas construite sur le même modèle et la part pondérée d’enseignes de centre-ville par rapport aux grandes surfaces de périphérie distingue les enseignes “massifiées” de type hyper par rapport aux autres.

Le rapport à l’imprimé publicitaire et à la communication responsable adossé à des circuits-courts est donc sensiblement différent suivant l’histoire et l’ADN des magasins et des marques. C’est dans ce contexte que nous avons salué le volontarisme de System U, en étant toutefois prudent quant à l’effet “dominos” que pourrait avoir cette initiative. L’UNIIC travaille avec plusieurs donneurs d’ordre sur cette thématique mais il faut dépasser les discours pour entrer dans un concret mesurable. La communication responsable doit intégrer la relocalisation des flux, vu les conséquences que ces activités ont sur les compétences et l’emploi. Il faut toutefois convaincre les “metteurs” sur le marché qu’éco-conception, ACV, pédagogie active du support et circuits-courts doivent être combinés pour faire de l’imprimé intelligent, le garant du “mieux-disant”.

Quels types d’innovations attendez-vous de l’écosystème du papier face aux nouveaux enjeux qui se profilent ?

Nombre d’innovations constituent déjà une réponse à la nouvelle donne qui nous fait passer d’une économie du volume à une économie de la personnalisation. Il n’en demeure pas moins que la question de notre reconversion multisupports/multiprocédés est à l’ordre du jour, si nous ne voulons pas restés mono-orientés sur une filière de la seule massification qui pourrait nous être reprochée à l’heure où le digital a laissé croire que tout était mesurable, profilable et déclinable… La période de confinement a laissé des traces en termes de comportement et de digitalisation des relations. Il nous faut donc nous réapproprier ce qui fait notre noblesse : le sens, la profondeur mais aussi les vertus environnementales de notre support et jouer la carte des innovations technologiques, mariées avec les innovations alternatives biosourcées).

L’innovation procédé doit s’adosser à l’innovation matériau, l’innovation créativité et l’innovation organisationnelle (flux optimisés par exemple). L’UNIIC travaille avec un club d’imprimeurs, par le biais de Webinars, pour tester des solutions avec les donneurs d’ordre. C’est à ce prix que nous passerons du prix à la valeur pour éviter de prioriser la seule moins-disance économique qui est aussi une moins-disance écologique et sociale.

Propos recueillis par Culture Papier le 27 juillet 2020

Nathalie Robin (Oxy Signalétique) – « Nous avons bien conscience d’être repositionnés sur des produits de première nécessité et cela a contribué je crois à l’investissement exceptionnel des salariés. »

Des industriels face à la crise – Pendant que l’UNIIC préparait son 125ème anniversaire à l’Institut Lumière sous le signe du Cinéma, un acteur sournois s’est invité au palmarès sans avoir été nominé : appelé Covid-19 il aurait pu faire partie de la saga Star Wars ! Son côté obscur a heureusement été vaincu par la force et la combativité des salariés et des chefs d’entreprises. Mais toutes les traces et conséquences ne sont pas effacées et les leçons à tirer de cette sombre période de notre planète sont nombreuses. C’est pourquoi nous avons demandé à des « Stars » du monde graphique de nous commenter et expliquer comment ils ont vécu et fait face à ce scénario inattendu…

Episode 5 – Nathalie Robin – Présidente, Oxy Signalétique (13). Propos recueillis mi-juin 2020.


Comment définiriez-vous le profil d’Oxy Signalétique et en quoi peut-il paraître singulier ?

Nous travaillons sur deux secteurs d’activité assez distincts, qui sont l’industrie et la communication. D’une part l’industrie aéronautique, ferroviaire, mais aussi d’autres secteurs industriels “franco-français”, c’est-à-dire basés sur notre sol. C’est le secteur d’activité historique de l’entreprise, créée en 1978 par mon père, François Robin, et qui a perduré pendant une vingtaine d’années, avec deux procédés clairement identifiés de fabrication : la sérigraphie et ce que l’on appelait à l’époque la gravure. Nous avons ensuite ouvert l’entreprise aux procédés d’impression numérique, en gardant les mêmes clients : Airbus et ses sous-traitants, la SNCF et autres fabricants de matériel roulant etc. Ensuite, par de la croissance externe depuis maintenant sept ou huit ans, nous avons acquis de nouvelles compétences dans des secteurs d’activité nouveaux pour nous, liés à la communication : enseignes, PLV, signalétique événementielle etc. Les approches sont différentes également puisqu’il s’agit souvent d’appels d’offres pour de la signalétique de bâtiments pour les collectivités, de la muséographie etc.

Que représentent aujourd’hui ces nouvelles activités, en poids du chiffre d’affaires de l’entreprise ?

Ce secteur de la communication est géré entre 60 à 70 % sur de l’appel d’offres et représente aujourd’hui la moitié de notre chiffre d’affaires. Nos premiers clients restent Airbus et la SNCF, y compris dans ses divisions “Signalétique” et “Événementiel”, ou Aéroports De Paris (ADP) sur toute la signalétique des aéroports.

Nous avons perdu au global 50 % de notre chiffre d’affaires, mais qui ont été complètement comblés… Voire même au-delà, avec la réorientation de notre activité sur de la production de visières de protection, de barrières de plexiglas, ou sur du marquage au sol pour faire appliquer les mesures de distanciation physique.

Quand sont annoncées les mesures de confinement, quelles en sont pour vous les conséquences immédiates ?

Nous avons constaté une rupture brutale qui a vu les annulations de commandes s’enchaîner en l’espace d’une semaine, à mi-mars. La facette “Industrie” de notre activité s’est retrouvée immédiatement et lourdement impactée. Celle liée à la communication a chuté également, mais de façon un plus différée pour des raisons d’encours finalisés. Mais avec la fermeture des musées, des écoles, des stades ou encore l’annulation des salons professionnels, les conséquences ont rapidement été aussi sévères. Nous avons perdu au global 50 % de notre chiffre d’affaires, mais qui ont été complètement comblés… Voire même au-delà, avec la réorientation de notre activité sur de la production de visières de protection, de barrières de plexiglas, ou sur du marquage au sol pour faire appliquer les mesures de distanciation physique.

Vous dîtes avoir spontanément gardé 50 % d’activité, y a-t-il donc des segments de produits qui ont mieux résisté ?

Nous n’avons pas vu de segments résister particulièrement mieux : tout a plus ou moins baissé de moitié dans le secteur de l’Industrie. Dans le secteur de la communication, la chute a donc été plus différée, mais elle a en revanche été plus brutale : nous avons quasiment tout arrêté au bout de quelques jours. Mais nous nous attendons à ce que ces marchés de la communication reprennent plus vite également.

Le déconfinement a nécessité un important travail de signalétique au sol, poussant notamment Oxy à adapter sa production. (© RATP/Twitter)

La réorientation que vous évoquez concerne-t-elle des produits sur lesquels vous aviez déjà une expérience, une antériorité ?

Non, pas vraiment : nous ne faisions par exemple absolument pas de visières de protection. Les mesures de confinement ont été annoncées aux alentours du 15 mars, et dès le 18 ou le 19, nous déposions le modèle que nous allions produire. Nous avons essayé de rebondir très vite avec ce type de produits et en nous approvisionnant en plexiglas, au mieux de ce qu’il était possible de se fournir à ce moment-là, pour répondre à des besoins très spécifiques dans les supermarchés, les centres médicaux, les commerces de proximité, les boulangeries etc. Nos clients habituels ont arrêté leur activité, ou pratiquement, mais ils se sont également demandé très vite comment ils pouvaient mettre en place une forme de continuité. Nous avons alors tâché de leur proposer et de leur vendre ce dont ils pouvaient avoir besoin, dans un tel contexte. C’était une forme claire d’improvisation. De l’improvisation réfléchie, mais poussée par une nécessité : Oxy compte 105 salariés et notre activité est centrée sur des secteurs à l’arrêt quasi-complet, il a bien fallu nous creuser la tête pour tenir le coup. Nous avons rapidement ciblé des besoins qui semblaient évidents, avant de convaincre nos effectifs de s’adapter et d’aller sur d’autres produits, en gardant une motivation intacte, dans un contexte anxiogène qui était terrible… On sent un apaisement aujourd’hui de ce point de vue, mais dès mi-mars, l’idée de prendre les transports en commun alors que les enfants ne pouvaient plus aller à l’école, et alors bien sûr que le mot d’ordre était de ne plus sortir, quitte à demander un chômage partiel, c’était très compliqué.

D’où l’importance de porter un projet fédérateur, même contextuel et momentané…

Cette crise a démontré à quel point les gens chez Oxy sont investis dans leur métier. Ils ont mis du cœur à surmonter des difficultés qui auraient pu être plombantes, mais qui nous ont soudés. Nous n’avons évidemment pas pu mobiliser tout le monde, pour des raisons bien compréhensibles notamment de garde d’enfants, mais là aussi nous nous sommes adaptés. En mettant en place des roulements, nous avons fonctionné par équipes en faisant du 2/8, du 3/8, en travaillant les week-ends et jours fériés, pour tenir la ligne que nous nous étions fixée. Nous avons bien conscience d’être repositionnés sur des produits de première nécessité et cela a contribué je crois à l’investissement exceptionnel des salariés. A ce jour, en l’absence de reprise sensible, nous sommes restés sur ces produits, dans une forme de positionnement d’attente. Il y a bien quelques réouvertures chez nos clients depuis le déconfinement, mais c’est encore très marginal. Par ailleurs, beaucoup des dossiers sur lesquels nous travaillons, dans le cadre d’expositions ou de salons événementiels, nécessitent souvent d’anticiper un mois à l’avance. Par conséquent, si la reprise devait “frémir”, à ce stade nous en aurions déjà les signes. En revanche, aujourd’hui, pour du marquage ou du matériel de protection, c’est littéralement fait dans la journée. La situation exige de toute façon ce niveau de réactivité.

Le musée du Quai Branly compte parmi les clients fidèles d’Oxy.

Pensez-vous pérenniser en partie votre façon actuelle de travailler et/ou de produire ?

Il ne faut pas le souhaiter. Dans l’absolu, j’aimerais surtout retrouver notre cœur d’activité historique. En soi, il est plus intéressant de se consacrer aux produits à haute valeur ajoutée par lesquels nous avons fait la preuve d’un savoir-faire, développé des procédés particuliers et fidélisé des clients importants. Nous voudrions surtout voir les clients qui nous ont fait confiance – Le Quai Branly, la mairie de Paris ou ADP – refaire appel à nous. Je suis très fière de la façon dont nos équipes ont su se remettre en question pour sortir de notre zone de confort et sécuriser l’entreprise, avec une énergie folle, mais ce ne doit pas être une situation durable. Même en termes d’organisation d’ailleurs, je n’anticipe pas de changements durables : l’idée de développer le télétravail, pourquoi pas, mais je préfère être entourée, j’aime être présente en atelier auprès du personnel et je pense qu’une équipe c’est une entité soudée, chose que je craindrais de perdre à travers des écrans. Quand je vois l’énergie qu’il a fallu mettre en œuvre chez Oxy pour assurer ce virage pendant la crise sanitaire, je me dis que cela n’aurait pas été possible sans cette forme de proximité. Je ne tiens évidemment pas à ce que nous oubliions cette période, mais là encore, j’espère que les mesures de distanciation resteront une parenthèse, en tout cas pour nous.

L’adaptabilité dont vous avez fait preuve a-t-elle nécessité des bouleversements techniques, voire des investissements ?

Non, mon métier, c’est d’imprimer et de découper, par des procédés mécaniques, pneumatiques ou numériques. Que je découpe de la visière en polycarbonate, du plexiglas de comptoir ou du marquage au sol, je fais appel aux mêmes machines et aux mêmes techniques. En revanche, il a fallu effectivement apprendre à faire des casquettes avec visière de protection, via un modèle que nous avons conçu et déposé en quelques jours, mais là encore, le travail de découpe reste dans notre socle de compétences historiques. Il s’agit davantage de réajustements que de réinvention sur le plan technique. Je n’ai donc rien investi, j’ai simplement utilisé notre savoir-faire, nos machines et nos stocks de produits – puisque du plexiglas ou du polycarbonate notamment, nous en consommons déjà toute l’année – pour proposer un repositionnement adéquat.

Notre situation est assez paradoxale : aujourd’hui je travaille même plus qu’avant. Mais nous sommes assis sur un besoin fragile et appelé – je l’espère – à disparaître.

Est-ce que cela vous permet d’attendre plus ou moins sereinement la reprise, sans sentiment d’urgence ?

Ma seule crainte, c’est que lorsque les produits d’utilité sanitaires que nous produisons aujourd’hui ne se vendront plus, que ferons-nous si la relance économique n’est pas là ? Est-ce que le trou d’air qu’ont connu nombre de nos confrères qui ont souffert, n’es pas amené à nous frapper plus tard ? Notre situation est assez paradoxale : aujourd’hui je travaille même plus qu’avant. Mais nous sommes assis sur un besoin fragile et appelé – je l’espère – à disparaître. Dans la mesure où je n’imagine pas de reprise tangible avant septembre, la question se pose véritablement. Les réouvertures de lieux publics sont encore éminemment compliquées et l’été arrive, ce qui me fait vraiment me focaliser sur la rentrée…

Une des hypothèses de reprise établit justement un possible embouteillage – événementiel, notamment – dès septembre, avec une charge de travail pour le coup exceptionnelle, par effet de rattrapage…

Si c’est le cas, ce sera de bons problèmes. Cela permettrait à tous mes confrères de travailler et aux clients d’étudier différentes possibilités. Si l’un est surchargé, c’est l’autre qui sera sollicité etc. Nous sommes sur des métiers qui sont des révélateurs assez fiables je pense de l’état de santé économique du pays : quand l’activité est là, c’est que l’économie se porte bien. En cela, si nous avons trop de travail, je serais même ravie d’en donner à des confrères.

William Berbessou (Richard-Laleu) – “Pas d’arrêt brutal d’activité, mais de fortes perturbations”

Des industriels face à la crise – Pendant que l’UNIIC préparait son 125ème anniversaire à l’Institut Lumière sous le signe du Cinéma, un acteur sournois s’est invité au palmarès sans avoir été nominé : appelé Covid-19 il aurait pu faire partie de la saga Star Wars ! Son côté obscur a heureusement été vaincu par la force et la combativité des salariés et des chefs d’entreprises. Mais toutes les traces et conséquences ne sont pas effacées et les leçons à tirer de cette sombre période de notre planète sont nombreuses. C’est pourquoi nous avons demandé à des « Stars » du monde graphique de nous commenter et expliquer comment ils ont vécu et fait face à ce scénario inattendu…

Episode 4 – William Berbessou – Directeur général, Richard-Laleu (86). Propos recueillis début juin 2020.


On imagine que les marchés du packaging, et plus encore ceux de l’emballage agroalimentaire, ont été épargnés par la crise sanitaire, secteur essentiel oblige. Est-ce pour autant un raccourci ?

Nous n’avons effectivement pas connu d’arrêt brutal d’activité, mais nous avons quand même été fortement perturbés, à trois niveaux différents :

– Notre clientèle dans le packaging agroalimentaire a l’habitude de passer des commandes avec une visibilité de l’ordre de quatre à six semaines. Voire plus, pour certains marchés. De fait, nous travaillons d’ordinaire sur des trains de fabrication assez linéaires, avec certes parfois des à-coups à gérer pour des opérations promotionnelles par exemple, mais nous y sommes habitués. Lorsque sont faites les annonces du 16 mars, plusieurs salariés – masculins ou féminins – se sont mis en arrêt de travail pour garder leurs enfants. Cela a généré des trous dans la chaîne de fabrication que n’avions pas eu le temps d’anticiper. Il a fallu une dizaine de jours pour que l’on puisse rétablir les effectifs pour répondre aux besoins.

– Nous avons par ailleurs dû faire face à une consommation tous azimuts. Beaucoup de références dans les grandes surfaces sont venues à manquer, suite à des comportements d’achat qui ne correspondaient plus du tout aux modèles habituels. Cela a énormément perturbé le réapprovisionnement de nos clients, qui nous ont appelés en urgence pour être livrés au plus vite et au maximum de ce que nous pouvions assurer. C’est-à-dire sans tenir compte des programmes de fabrication classiques : on a vu par exemple des clients traditionnels du beurre tomber littéralement en panne, nous demander de leur livrer tout ce que nous avions déjà produit. Cela s’est traduit par une pression pour nous assez soudaine, qui s’est donc déclarée concomitamment au manque ponctuel de personnel que j’évoquais. Il a donc été très difficile de tenir le rythme, sachant que la première vague du 16 mars nous a privés de 10 à 15 % des effectifs en atelier. C’est un ratio important notamment parce que beaucoup de nos effectifs avaient un conjoint ou une conjointe travaillant dans le milieu hospitalier, ce qui a forcément compliqué la garde d’enfants. Elément positif quand même : comme nous faisons partie du secteur agroalimentaire, nous sommes titulaires d’une certification BRC/IoP (British Retail Consortium/Institut of Packaging, laquelle définit une base commune pour la sécurité et l’hygiène des emballages alimentaires et non alimentaires, ndlr) qui nous contraignait déjà à des protocoles d’hygiène poussés, aussi bien en impression qu’en transformation ou en emballage. Nous avions également déjà à disposition des sur-blouses, des charlottes, des masques et du gel hydroalcoolique en quantités suffisantes pour assurer un mois de production. Les procédures de sécurité ont donc pu être relativement facilement mises en place, en faisant du décalage d’équipes : au lieu de procéder à des enchaînements, nous avons installé des césures de quinze minutes par équipe, de sorte à éviter les croisements.

Il a été très difficile de tenir le rythme, sachant que la première vague du 16 mars nous a privés de 10 à 15 % des effectifs (…) avec un pic – toutes raisons cumulées – à 25 % de personnes qui manquaient dans nos ateliers de production.

– Enfin, il a fallu composer avec la mise en arrêt de travail des salariés dits « sensibles ». Le phénomène a en quelque sorte fait sauter le verrou de la confidentialité médicale puisque très rapidement, des salariés sont venus me voir pour me demander d’être arrêtés et de faire pour eux les déclarations maladie. Cela a de nouveau touché 10 à 15 % de nos effectifs, avec un pic – toutes raisons cumulées – à 25 % de personnes qui manquaient dans nos ateliers de production. Là encore, il a fallu se réorganiser et nous avons mis une dizaine de jours à pour retrouver notre productivité habituelle, en réaffectant des collaborateurs d’une unité sur une autre, d’une machine sur une autre etc. En revanche, nous avons été moins contraints que la première fois parce que les modes de consommation avaient déjà retrouvé une forme de normalité. Par conséquent, nous avons de notre côté retrouvé une certaine linéarité au sein des commandes,  avec quelques clients qui nous ont fait décaler nos productions après avoir demandé des réassorts urgents.

Nous avons ensuite continué à vivre au rythme des annonces gouvernementales, nous avons eu quelques alertes de la part de collaborateurs en contact plus ou moins direct avec le Covid-19, lesquels ont été arrêtés ou placés en quarantaine. Je précise qu’en vertu des procédures BRC/IoP que nous avons mises en place, les salariés ont l’obligation de faire savoir s’ils sont susceptibles d’être malades, chose qui est rentrée dans nos habitudes et qui n’a pas généré chez nous de problématiques liées à la prise de température, de présentation de certificats médicaux etc. Mais gérer ces alertes au jour le jour reste difficile et cela a occasionné quelques livraisons chaotiques.

Les effets semblent donc avoir été très concentrés en début d’épidémie… Avec le retour d’une forme de normalité courant avril ? 

Non, en avril nous étions justement la tête sous l’eau. Nous avons dû ouvrir les samedis et avons même un temps envisagé de travailler en VSD – chose que nous n’avons finalement pas faite, notamment pour des raisons d’effectifs insuffisants. Comme être imprimeur/transformateur ne s’improvise pas, aucun levier n’était suffisamment réactif pour nous le permettre, y compris l’intérim. Par conséquent, nous avons fait un chiffre d’affaires sur le mois d’avril bien supérieur à la normale, mais c’est redescendu très vite dès le mois de mai. Parce que ce sont les programmes d’approvisionnement linéaires habituels qui se sont remis en place, pour un volume de production plus proche de la normale.

A Iteuil en Nouvelle Aquitaine, l’entreprise Richard-Laleu sert les plus grands noms de l’industrie alimentaire, cosmétique, pharmaceutique pour des grandes et moyennes séries et sait aussi s’adapter à des demandes particulières impliquant la réalisation de séries sur mesure.

Le déconfinement a-t-il déjà eu des effets sur l’organisation de l’entreprise ?

Nous sommes toujours en niveau de sécurité 3 et avons donc maintenu le fonctionnement des équipes en décalage pour proscrire les croisements non-protégés. A ce jour (début juin, ndlr), nous n’avons encore rien allégé, par rapport à ce que nous avons mis en place, consécutivement à l’annonce du 16 mars. La seule différence, c’est que certains cadres ont souhaité revenir sur le lieu de travail, dans un contexte où – comme un peu partout, j’imagine – toutes celles et ceux qui pouvaient être placés en télétravail l’ont été, de façon à limiter le nombre de personnes dans les bureaux. Les choses sont presque revenues à la normale de ce point de vue, même si nous évitons encore les réunions, que les rendez-vous sont décalés, qu’il n’y a pas d’accueil fournisseurs/clients etc.

Avez-vous des craintes à plus long terme, liées à la récession économique annoncée ?

Nous sommes sur un secteur qui est mature. C’est-à-dire que quand il est en crise, il fait – 3 %, et quand il est en forte croissance, il fait + 3 %. Nous sommes donc loin de la variabilité que l’on peut rencontrer dans l’Industrie en général, en tout cas pas sur douze mois. Nous pouvons effectivement connaître de très fortes variabilités au mois ou à la semaine, mais elles finissent toujours par s’aplanir à plus long terme. Le phénomène de surconsommation constaté en tout début de pandémie s’est ainsi trouvé compensé en sous-consommation le mois suivant. Notre mois de mai 2020 est effectivement bien plus faible que notre mois de mai 2019. Je ne crois donc pas qu’il faille anticiper des effets à longs terme, ce qui a été difficile c’est de gérer un effet d’accordéon soudain et violent en déployant des efforts d’adaptabilité inhabituels. Mais nous sommes souvent surpris de constater à quel point les crises, quelles qu’elles soient – gilets jaunes ou autres – ont peu d’effets durables sur notre activité. Ce que l’on diffère, c’est l’achat de la voiture ou d’une télévision, mais pas l’alimentaire.

Nous avons certainement subi un manque de polyvalences. Nous nous sommes en quelque sorte retrouvés confrontés à une surspécialisation au poste par poste, qui a évidemment du bon en temps normal, mais qui pose des problèmes de flexibilité en temps de crise.

On dit souvent que ces crises sont aussi des révélateurs de ce qui fonctionne bien et de ce qu’il faudrait peut-être modifier… Qu’en est-il pour Richard-Laleu ?

Nous allons consolider le sourcing : on s’est aperçu que tous les approvisionnements de matières premières consommables ont bien fonctionné. C’est-à-dire que la chaine d’approvisionnement n’a pas été rompue et que le panel de fournisseurs référencés chez nous a été opérationnel rapidement. Sur le plan des effectifs, la satisfaction vient du constat que les salariés ont très bien joué le jeu et ont montré une mobilisation à la hauteur de la mission : aider au maintien d’une filière évidemment essentielle. L’autre grande satisfaction vient du fait que les protocoles d’hygiène mis en place il y a une dizaine d’années se sont avérés très efficaces. Les gens se sont sentis tout de suite en sécurité au sein de l’entreprise, ce qui est un point extrêmement positif. En revanche, nous avons certainement subi un manque de polyvalences. Nous nous sommes en quelque sorte retrouvés confrontés à une surspécialisation au poste par poste, qui a évidemment du bon « en temps normal », mais qui pose des problèmes de flexibilité en temps de crise. La leçon, ce sera donc de scénariser les risques sur la base d’une meilleure polyvalence des collaborateurs de l’entreprise, de façon à mieux gérer les absences et faciliter les remplacements. Cela ne pourra passer que par un plan de formation, et là je dois dire que notre OPCO a encore du mal à nous offrir la visibilité suffisante… Par ailleurs, nous avons découvert beaucoup de pathologies médicales. Je n’ai évidemment rien contre le secret médical, mais la situation s’est avérée tellement extraordinaire que nous nous sommes aperçus que chez certains profils, cela allait au-delà d’une notion de crise sanitaire ponctuelle. Il va falloir y travailler avec la médecine du travail, l’employeur n’ayant pas tous les éléments pour pouvoir répondre aux attentes des opérateurs et salariés : à mes yeux, il manque un lien.
Hormis cela, les clients ont été là, les commandes également. Certains ont demandé des décalages de paiement, parfois de façon assez surprenante puisqu’il a pu s’agir de gros groupes. C’est là en tout cas un effet différé qui a directement trait à la solvabilité des sociétés et dont on mesurera les conséquences exactes prochainement, qu’il s’agisse de fournisseurs, intermédiaires ou clients. Je pense que c’est là pour nous le second volet de la crise, dont on n’a pas encore perçu l’impact parce que tout le monde se cache…

Philippe Vanheste (Groupe Prenant) – “Nous avons mis à profit ce temps pour accélérer notre transformation digitale et la dématérialisation/automatisation de certains process”

Des industriels face à la crise – Pendant que l’UNIIC préparait son 125ème anniversaire à l’Institut Lumière sous le signe du Cinéma, un acteur sournois s’est invité au palmarès sans avoir été nominé : appelé Covid-19 il aurait pu faire partie de la saga Star Wars ! Son côté obscur a heureusement été vaincu par la force et la combativité des salariés et des chefs d’entreprises. Mais toutes les traces et conséquences ne sont pas effacées et les leçons à tirer de cette sombre période de notre planète sont nombreuses. C’est pourquoi nous avons demandé à des « Stars » du monde graphique de nous commenter et expliquer comment ils ont vécu et fait face à ce scénario inattendu…

Episode 3 – Philippe Vanheste – Directeur marketing, Groupe Prenant (94). Propos recueillis fin mai 2020.


Quelles conséquences la crise a-t-elle eu sur l’activité de l’entreprise ?

On a senti une baisse très rapide dès le début du confinement. Nous sommes tombés à – 50 % d’activité dès la semaine du 16 mars. La baisse s’est poursuivie au fil des semaines, avec des pics à – 70 % d’activité. Ce sont des chiffres bruts qui font mal, mais pour avoir échangé avec quelques confrères pendant ces moments difficiles, on constate les mêmes ordres de grandeur un peu partout. C’est d’ailleurs quelque chose que j’aimerais souligner : il y a eu ce besoin d’échanger, de se parler, de prendre des nouvelles des uns et des autres, avec un maximum de bienveillance. On peut donner l’impression de se battre comme des boxeurs sur un ring tout le reste de l’année, mais dans ces moments-là il y a une forme de cohésion et d’empathie collective qui se dégage.

La baisse a-t-elle été uniforme sur l’ensemble des sites de production, en fonction notamment des produits ?

Le pourcentage de baisse d’activité est quasiment le même sur nos deux sites de production. Quant aux types de produits, je dirais que le marketing direct a globalement mieux résisté, alors que le toutes boites s’est effondré très vite, pour retomber quasiment à zéro. Si l’adressé a mieux résisté, c’est probablement en partie parce que La Poste a maintenu un service minimum. La Presse professionnelle et spécialisée a également mieux résisté, « La Revue Fiduciaire » par exemple est un client important pour nous, or ses lecteurs sont principalement des abonnés : des juristes, des experts comptables, des avocats etc. Ce qui a souffert en revanche, c’est la publicité – y compris des grosses campagnes de fond qui tournent par exemple autour des télécom’ et de l’automobile – ainsi que l’événementiel évidemment. Là encore, ce que l’on a constaté frôle l’arrêt total.

Le projet que nous avions déjà engagé avec l’UNIIC et l’IDEP sur notre transformation digitale a beaucoup avancé pendant ces quelques semaines : automatisation des flux, dématérialisation des ordres de fabrication, automatisation des circuits de facturation et du traitement comptable des fournisseurs etc.

Des mesures de compensation/adaptation ont-elles été prises, y compris en termes de repositionnement ponctuel ?

L’évidence a bien sûr été de mettre d’abord en place les mesures barrières pour la sécurité du personnel, ensuite de témoigner un élan de solidarité pour celles et ceux qui continuaient de travailler, tout en nous appuyant sur deux axes forts pour le Groupe Prenant : cohésion et résilience. Nous avons notamment mis à profit ce temps pour accélérer notre transformation digitale et la dématérialisation/automatisation de certains process. Il y a également beaucoup de dossiers qui étaient un peu « sur le coin du bureau » que nous avons pu extrêmement bien travailler et faire avancer en « mode confinés », via notamment le télétravail. D’un côté la production a ralenti, de l’autre côté les fonctions support ont énormément travaillé pour se réinventer et préparer la sortie de crise. Le projet que nous avions déjà engagé avec l’UNIIC et l’IDEP sur notre transformation digitale a de fait beaucoup avancé pendant ces quelques semaines : automatisation des flux, dématérialisation des ordres de fabrication, automatisation des circuits de facturation et du traitement comptable des fournisseurs etc.

Vous évoquez un « mode confinés », donc une forme de fonctionnement interne. Comment cela se passe-t-il avec les collaborateurs externes ? N’y a-t-il pas eu de difficultés à communiquer et travailler au-delà de la sphère de l’entreprise ?

Non, que ce soit par conférences numériques, via le partage de documents en ligne et tout type d’autres outils collaboratifs, nos équipes en interne n’ont pas connu de vraie difficulté à communiquer avec nos principaux fournisseurs, notamment Bluewest et Masterprint, qui sont les deux principales sociétés à nous avoir accompagnés sur les projets de transformation que je mentionnais. Cela a demandé un effort d’animation de la part des dirigeants, mais cela a permis à une bonne vingtaine de personnes de mener des réflexions et des actions dans de nombreux domaines : les RH, la finance, la fabrication, le prépresse, la logistique etc. Dans tout mal on essaie de trouver un bien, mais nous n’aurions certainement jamais pu autant avancer sur ce type de projets dans des circonstances ordinaires. Ce coup de massue aura donc bel et bien été une forme d’opportunité.

Un événement portes ouvertes était prévu mi-mars sur le site de Diamant Graphic (Choisy-le-Roi) pour inaugurer notamment l’arrivée de la première Presse nanographique en France (Landa S10P)…

Il y avait effectivement des journées ouvertes prévue la semaine du 12 mars, celle qui précédait les mesures de confinement. Deux jours étaient réservés à Landa qui recevait ses prospects et futurs clients pré-Drupa, et le 12 mars nous recevions nos propres clients et prospects. Mais d’un commun accord avec Landa, nous avons décidé de reporter l’événement, une dizaine de jours auparavant, dès début mars. Ces journées se tiendront normalement à la rentrée, probablement entre la deuxième quinzaine de septembre et la première quinzaine d’octobre, si les conditions le permettent. Avec le recul, heureusement que nous avons décidé en amont de reporter cette Open House, puisque d’une certaine façon, les faits nous ont donné raison et tout s’est emballé en peu de temps : à la fois la fermeture des frontières et la réglementation française. En revanche, les équipes ont continué de travailler sur la Landa : les opérateurs dédiés à cette machine ainsi que les techniciens français de Landa n’ont jamais cessé de collaborer – c’est encore le cas aujourd’hui – ce qui a permis un travail plus serein et plus en profondeur, sans la pression immédiate des impératifs de production, alors qu’il s’agit d’une nouvelle technologie qui demande du temps pour être maîtrisée.

Nous sommes convaincus que les choses ne reviendront pas à l’identique, c’est évident. Ni en volumes, ni même dans la manière de travailler.

Comment l’idée de “reprise” est-elle appréhendée ? L’entreprise en sortira-t-elle changée ?

Tout le monde nourrit l’espoir d’un redémarrage, mais je pense que ça va être très progressif. Il n’y a en tout cas pas de « coup de fusil » à attendre des premières semaines de déconfinement, à mon sens. Cela va dépendre des secteurs d’activité : on sent que certaines campagnes ne tarderont pas à reprendre d’ici juin, c’est le cas notamment de la grande distribution, de certains réseaux/franchises. D’autres se projettent déjà à septembre/octobre. Certains secteurs comme l’immobilier attendent confirmation du succès ou échec du déconfinement pour lancer leurs campagnes. Les distributions de campagnes imprimées en boites aux lettres, notamment pour les ventes de projets immobiliers neufs, vont clairement dépendre de ce qui se passe actuellement. J’ai des options de réservation pour la dernière semaine de mai, en fonction de la façon dont va se dérouler le déconfinement.

Mais surtout, nous sommes convaincus que les choses ne reviendront pas à l’identique, c’est évident. Ni en volumes, ni même dans la manière de travailler. Je pense que l’on parlera moins de machines mais plus d’Humain. Plus exactement, je pense que c’est un progrès nécessaire : la reprise ne se passera bien que si la dimension humaine en bénéficie directement. La problématique actuelle n’est pas technique, parce qu’il faut gérer des peurs. Des peurs liées à l’emploi, des peurs de stabilité financière etc. Nous avons donc décidé de rester focalisés sur trois axes de stratégie qui sont à vrai dire les nôtres depuis des années :

– La montée en gamme : on imprimera moins mais on imprimera mieux.

– La possibilité de personnalisation, à tous les stades de la production des imprimés. Pas uniquement sur de l’adressage ou du marketing direct. Cela peut être du code, du versioning etc. Nous proposerons d’ailleurs un document résumant les possibilités en la matière, pour inspirer les clients.

– La connexion entre le papier et le digital, à travers notamment la réalité augmentée. Il faut à mon sens éviter de réactiver une guerre entre le digital et le papier, déjà parce que nous la perdrions à coup sûr. Si on parvient à connecter le papier au digital, exactement comme on connecte le digital au papier, on pourra espérer une cohabitation pérenne.

C’est un plan qui ne vise pas seulement à sauver notre peau, mais bien à repartir sur des secteurs plus porteurs. En cela, il est intéressant d’écouter nos clients qui ont abandonné le papier : je pense notamment à deux d’entre eux qui n’avaient pas réagi à nos propositions Snap Press et réalité augmentée ces dernières années, mais qui aujourd’hui, suite aux habitudes digitales prises pendant le confinement, éprouvent à la fois la peur de repasser au papier et l’envie de privilégier un entre-deux : celui d’un papier connecté. Alors bien sûr, on imprimera comme ça peut-être 50 000 exemplaires au lieu de 200 000, mais ces courts tirages, s’ils sont plus beaux, avec un papier haut de gamme, s’ils font l’objet de plusieurs versions, tout en étant connectés à nos smartphones, peuvent dégager une plus grande valeur ajoutée que 200 000 flyers basiques qui finissent à la poubelle.
Encore une fois, nous sommes là dans une stratégie que nous défendions déjà ces dernières années, la crise sanitaire ayant accéléré – et en quelque sorte conforté – des changements engagés en amont.

Bernard Montillot (Merkhofer) – “Il va falloir discuter, s’associer et construire des plans d’avenir qui soient collectifs”

Des industriels face à la crise – Pendant que l’UNIIC préparait son 125ème anniversaire à l’Institut Lumière sous le signe du Cinéma, un acteur sournois s’est invité au palmarès sans avoir été nominé : appelé Covid-19 il aurait pu faire partie de la saga Star Wars ! Son côté obscur a heureusement été vaincu par la force et la combativité des salariés et des chefs d’entreprises. Mais toutes les traces et conséquences ne sont pas effacées et les leçons à tirer de cette sombre période de notre planète sont nombreuses. C’est pourquoi nous avons demandé à des « Stars » du monde graphique de nous commenter et expliquer comment ils ont vécu et fait face à ce scénario inattendu…

Episode 2 – Bernard Montillot, Co-Directeur – Merkhofer (91). Propos recueillis fin mai 2020.


Avant d’évoquer les effets du confinement lui-même, peut-on faire un effort de contextualisation pour rappeler comment les métiers qui sont les vôtres ont évolué ces dernières années ?

La société Merkhofer a été créée en 1956. Elle a été dans ses grands moments une des premières entreprises de brochure en France, nous avons compté jusqu’à 280 personnes. Si le volume d’activité s’est lentement atténué, la grande chute s’est produite relativement récemment. Les transferts de budgets vers Internet, notamment dans le domaine de la publicité, ont beaucoup et rapidement réduit notre chiffre d’affaires. Il y a une dizaine d’années, nous traitions 800 tonnes de magazines par jour, que nous livraient les imprimeurs, et désormais nous n’en faisons plus que 200 tonnes. C’est donc quatre fois moins, en à peine dix ans. Certaines revues, notamment celles des programmes TV, tiraient il y a quelques années à 4 ou 5 millions d’exemplaires, là encore cela a été divisé par cinq puisque ces contenus sont largement passés sur Internet. Par ailleurs, les catalogues en grande distribution ont vu beaucoup de titres être imprimés/brochés à l’étranger. En tout état de cause, on peut dire que ces cinq à six dernières années, le chiffre d’affaires de notre activité s’est réduit de 40 %. Malgré ce contexte difficile, nous étions restés à l’équilibre, voire légèrement positifs.
Quand intervient une crise sanitaire, dans un contexte déjà fragile, les conséquences sont forcément sévères. Il faut bien comprendre que nous avons investi dans des machines taillées pour répondre aux tirages d’antan, capables d’assurer jusqu’à 5 à 6 millions d’exemplaires. Il fallait brocher 15 à 20 000 exemplaires/heure. Mais aujourd’hui, les revues qui tiraient jadis à 200 000 exemplaires ne tirent plus qu’à 15 ou 20 000 exemplaires. Nos machines de haute production travaillent donc aujourd’hui une heure sur un produit. Nous sommes actuellement trop performants pour ce qu’est devenu le marché. Ces machines ne sont d’ailleurs plus fabriquées, ni même entretenues par les fournisseurs : il est très compliqué par exemple de remplacer des pièces défectueuses. Nous savons qu’il nous faudra nous restructurer et réinvestir pour être plus en phase avec les ordres de grandeur d’aujourd’hui. D’autant que des grands groupes comme Lagardère ou Mondadori ont été rachetés et/ou ont procédé à des cessions d’actifs, ce qui a conduit à transférer encore plus les contenus sur Internet, au détriment de la Presse papier. Pour illustrer : nous générions il y a quelques années encore environ trente tonnes de « vieux papiers » par jour, que nous revendions. Aujourd’hui, cela ne représente plus qu’une à deux tonnes par jour. Nous arrivons donc à la fin d’un système, notre profession doit être repensée, non pas directement à cause de la crise sanitaire, mais en vertu de ce qu’était déjà notre situation.

Ajoutons à la crise sanitaire celle de la distribution liée au redressement de Presstalis, le volume de Presse magazine que nous avons eu à traiter a été divisé par trois.

Puis survient donc la crise sanitaire, qui rend forcément plus difficile encore les évolutions que vous évoquez…

Suite aux premières mesures de confinement, il y a subitement eu moins de travail. Tout a été suspendu en amont, les imprimeries ne nous livrant plus qu’une part résiduelle du marché magazines. Ajoutons à cela la crise de la distribution liée au redressement de Presstalis, le volume de Presse magazine que nous avons eu à traiter a été divisé par trois. Il va nous falloir adopter de nouvelles façons de travailler et d’une certaine façon, il va nous falloir rétrécir. A ce jour, nous disposons de 20 000 m² de locaux. C’est trop grand ! En tout cas, ça l’est devenu… Malgré tout, avant la crise sanitaire, nous étions à l’équilibre et pouvions envisager les transformations dont je parle. Ce qui m’inquiète, c’est qu’à fin mai, alors que le déconfinement a débuté depuis deux semaines, le travail ne revient pas dans les proportions que nous espérions. On tend à oublier d’ailleurs tout n’a pas rouvert, loin s’en faut : le simple fait que les aéroports soient encore fermés nous prive du travail sur les titres magazines qui y sont spécifiquement distribués. Je ne parle même pas des titres destinés à d’autres pays, qui ne sont plus produits parce qu’ils ne peuvent pas transiter par avion.

Vous n’anticipez pas encore une forme de reprise à court ou moyen terme ?

Je m’attends à ce que notre chiffre d’affaires actuel augmente dans les mois à venir, à mesure que le déconfinement s’imposera. Mais on ne retrouvera pas le niveau d’avant-crise avant plusieurs mois, probablement pas avant septembre ou octobre.

Il n’y a presque plus de brocheurs de spécialité. Nous avons finalement la chance d’être un peu seuls sur notre créneau. Si nous disparaissons, beaucoup d’imprimeries devront investir dans du matériel de brochage et former du personnel à cette activité, chose dont elles sont pour l’immense majorité certainement incapables aujourd’hui.

Vous écartez donc l’hypothèse pessimiste d’un effondrement…

Oui car il n’y a presque plus de brocheurs de spécialité. Nous avons finalement la chance d’être un peu seuls sur notre créneau. Si nous disparaissons, beaucoup d’imprimeries devront investir dans du matériel de brochage et former du personnel à cette activité, chose dont elles sont pour l’immense majorité certainement incapables aujourd’hui. Elles ont besoin de nous. Il faudra je pense des concentrations, des accords… Des réponses collectives, en tout cas. Parce que ce que nous faisons est d’utilité collective. Il faudra que nous prenions des décisions en interne pour maintenir à flot notre activité, mais notre avenir passe forcément par des alliances. Nous avons déjà des discussions informelles en ce sens, pour travailler autour de différentes hypothèses : soit nous restons indépendants pour permettre à plusieurs imprimeurs de travailler, soit nous intégrons un groupement dont la forme resterait à déterminer. Rien n’est encore avancé, mais il y aura des concertations, c’est certain.

Au vu des pertes que nous subissons actuellement, alors que 60 % de nos effectifs sont pourtant au chômage partiel, un plan de restructuration est inévitable à court terme. Ce n’est pas quelque chose que nous pouvons planifier à horizon plus lointain. C’est un pur problème de trésorerie qui n’a pas de solution miracle. Les petits éditeurs vont souffrir également. Il y a des centaines de petits titres dans les kiosques, dont les tirages sont inférieurs à 30 000 exemplaires, qui risquent de ne pas tenir. La crise de Presstalis les frappe au pire moment et ils n’ont pour la plupart pas d’assise financière assez solide pour surmonter une crise pareille.

Faîtes vous justement la part entre ce qui a relevé de la crise sanitaire en elle-même, et celle – malheureusement concomitante – qui a frappé le système de distribution, notamment marqué par le redressement judiciaire de Presstalis ? 

Sur le dossier Presstalis, il y a des titres qui ont effectivement été bloqués par les éditeurs et que nous avons dû stocker, faute de solution de distribution. D’autres ont été mis en pause par les éditeurs, en attendant de voir si la demande repart dans les semaines à venir. Il y aura certainement des arbitrages pour décider lesquels continueront d’être imprimés et lesquels passeront en 100 % numérique mais là encore, cela appartient à la stratégie de groupes médias qui semblent privilégier la dématérialisation d’une part importante de leurs marques. Nous devons nous y préparer.

Il nous faudra réinvestir dans des machines plus adaptées aux courtes séries et il nous faudra former du personnel aux nouveaux process qui en découleront. C’est ce type de rentabilité que nous visons et nous sommes convaincus que nous pourrons mener ce projet à bien.

Comment vous voyez-vous évoluer dans les 4 à 5 ans à venir ?

Nous allons vers de nouveaux modes de production et d’échanges. Les magazines eux-mêmes vont changer : ils seront plus luxueux, plus chers, mais également concentrés sur de plus petits tirages. La grande volumétrie ne sera plus la norme et c’est à ça qu’il faudra nous adapter. Il y a encore un marché pour des titres très pointus, très spécialisés et souvent, ce sont des titres “régionalisés” en ce sens qu’ils ne se vendent pas partout. Ou alors il faudra imaginer de réaliser différentes versions en fonction des zones géographiques où ces titres seront distribués. L’avenir, à mon sens, ce sont les petites éditions. Au jour le jour, nous survivons avec un matériel à la fois surcapacitaire et en passe de devenir obsolète. Mais dans quelques années, il nous faudra réinvestir dans des machines plus adaptées aux courtes séries et il nous faudra former du personnel aux nouveaux process qui en découleront. C’est ce type de rentabilité que nous visons et nous sommes convaincus que nous pourrons mener ce projet à bien : malgré les difficultés, nous étions à l’équilibre avant la crise sanitaire et nous occupons toujours un rôle stratégique d’utilité collective. Plus que jamais, les portes de sorties seront collectives. Tout le monde se pose les mêmes questions et les solutions ne viendront pas de l’intensification de guerres concurrentielles ou de décisions individuelles : au contraire, il va falloir discuter, s’associer et construire des plans d’avenir qui soient collectifs.

Julien Raynaud – “La spécificité de cette crise, c’est qu’elle a affecté jusqu’à des travaux déjà effectués”

Des imprimeurs face à la crise – Pendant que l’UNIIC préparait son 125ème anniversaire à l’Institut Lumière sous le signe du Cinéma, un acteur sournois s’est invité au palmarès sans avoir été nominé : appelé Covid-19 il aurait pu faire partie de la saga Star Wars ! Son côté obscur a heureusement été vaincu par la force et la combativité des salariés et des chefs d’entreprises. Mais toutes les traces et conséquences ne sont pas effacées et les leçons à tirer de cette sombre période de notre planète sont nombreuses. C’est pourquoi nous avons demandé à des « Stars » du monde graphique de nous commenter et expliquer comment ils ont vécu et fait face à ce scénario inattendu…

Episode 1 – Julien Raynaud, Directeur commercial – Raynaud Imprimeurs (79). Propos recueillis fin mai 2020.


Comment votre entreprise a spontanément vécu la crise sanitaire, avec la chute d’activité qu’elle a engendrée ?

Je ne vais pas vous surprendre en vous disant que cette crise a été très brutale pour une structure comme la nôtre, qui compte une trentaine de personnes. Nous n’étions clairement pas préparés à ça. Lorsque les premières mesures sont annoncées, dès le 12 mars, on se prépare à organiser une continuité de l’activité pour être opérationnels la semaine suivante. Mais les choses vont très vite et quelques jours plus tard, la situation a déjà drastiquement évolué. Lorsque le confinement est prononcé, le choc est soudain et il est d’autant plus difficile à encaisser que nous n’avons évidemment aucune expérience face à une telle crise. Dans ce contexte, j’aimerais souligner combien l’implication des services de l’UNIIC a été précieuse. L’accompagnement social et les flashs d’information quotidiens ont guidé nombre de nos services en interne, qui ont pu s’appuyer sur cette documentation pour y voir rapidement plus clair.

Julien Raynaud, Directeur commercial – Raynaud Imprimeurs (79).

Ce travail était d’autant plus impérieux que les dispositifs mis en place par l’Etat ont été sujets à de nombreuses mises à jour, parfois dans des délais très courts…

Oui, il est arrivé que dans la même demi-journée, nous ayons un ordre, un contre-ordre et nouvel ordre. Pour des choses aussi basiques que l’organisation du travail, bénéficier de ce travail de décryptage des dispositifs s’est révélé très précieux. Il faut bien se dire que dès le lundi 16 mars, ce sont des annulations de commandes qui s’enchaînent à un rythme fou. Ce n’était pas juste un coup de frein, c’était tragique. Et on ne parle pas de projets lointains, mais de travaux qui étaient lancés : soit c’était en cours de production, soit on avait des bons à tirer qui n’avaient littéralement plus de valeur. Il en a été ainsi pour plusieurs dizaines de dossiers, du jour au lendemain. A cette époque de l’année, les profils de clients concernés touchent notamment les secteurs de la culture, de l’événementiel ou du tourisme, où l’effondrement a été net et immédiat. Ensuite, c’est la publicité qui s’est écroulée. Par ailleurs, nous imprimons habituellement beaucoup de rapports annuels à cette période, puisque c’est le moment des bilans : mais pour cela, il faut convoquer des gens à des assemblées générales qui n’ont pas pu se tenir, donc nous n’avons même pas pu compter là-dessus non plus…

Dès le lundi 16 mars, ce sont des annulations de commandes qui s’enchaînent à un rythme fou. Ce n’était pas juste un coup de frein, c’était tragique. Et on ne parle pas de projets lointains, mais de travaux qui étaient lancés.

Vous évoquez des annulations brutales, en dépit j’imagine de frais déjà engagés ?

Oui, naturellement. Deux mois plus tard, nous avons toujours des palettes qui sont sur notre quai de départs. Aujourd’hui nous recevons régulièrement des ordres de destruction : puisqu’il s’agit d’une marchandise fabriquée et immobilisée depuis deux mois, nous négocions avec nos clients pour être payés selon les devis signés, moyennant la déduction des frais de transport, mais cela n’aboutit pas toujours… La chute globale d’activité a donc évidemment touché la demande de devis, mais la spécificité de cette crise, c’est qu’elle a affecté jusqu’à des travaux déjà effectués. Heureusement, Raynaud Imprimeurs est en développement depuis plusieurs années et à mi-mars, avant que tout ne s’arrête, nous avions un carnet de commandes bien rempli. C’est ce qui nous a incités à continuer malgré tout et à ne pas fermer une seule journée : nous ne sommes jamais descendus en-dessous de 50 % de notre effectif. D’autant qu’avant de voir quelles mesures de soutien l’Etat allait mettre en place, nous ne voulions pas que nos collaborateurs soient impactés par des baisses de salaire, de sorte que sur l’ensemble du mois de mars, nous n’avons pas du tout recouru au chômage partiel. Nous avons par ailleurs la chance d’avoir une diversité de clientèle importante, dont des banques, mutuelles et assurances, qui ont contribué à maintenir un certain niveau d’activité. Je dirais même que si nous avons pu résister relativement bien, nous le devons à une poignée de clients – qui devraient se reconnaître en lisant ces lignes – qui ont joué le jeu avec nous et que je remercie de leur solidarité. Cette dimension humaine n’est pas négligeable quand on essaie de survivre au jour le jour : leur présence et leur écoute ont été primordiales, à des moments où si nous n’avions pas pu enregistrer un minimum de commandes, le chômage technique devenait inévitable. Je suis un peu ému en en parlant parce que ça a révélé des liens humains forts qui resteront au-delà de cette crise. J’ai assisté à de vrais élans de solidarité : des gens contents de voir que nous étions encore là, aussi parce qu’ils avaient besoin de nos services, et c’était l’occasion de nous sentir d’autant plus utiles, aussi pour eux. Mon métier premier c’est de faire du commerce, mais j’ai trouvé chez certains clients une bienveillance très marquée. Et si la plupart était en télétravail, beaucoup étaient du coup plus détendus, plus disponibles au téléphone, avides d’échanges et d’informations.

Si nous avons pu résister relativement bien, nous le devons à une poignée de clients (…) qui ont joué le jeu avec nous et que je remercie de leur solidarité.

Au-delà du volume d’activité, l’entreprise a-t-elle spontanément changé dans ses modes d’organisation ou même revu son positionnement ?

On avait le devoir et l’obligation de nous adapter, en mettant évidemment en place les mesures sanitaires nécessaires. Le fait qu’on ait toujours eu un minimum d’activité nous a fait aller vers encore plus d’agilité, l’objectif tant de répondre au mieux à la demande, dans un contexte où justement, la demande peut sortir de l’ordinaire. Par exemple, il y a eu des besoins importants chez nos clients en termes d’affichage sanitaire – sensibilisation aux gestes barrière et informations relatives au Covid-19 – tant dans les agences bancaires que dans les magasins qui n’avaient pas complètement fermé. Nous avons tenté d’y répondre au plus proche de leurs exigences. Aujourd’hui, à l’heure du déconfinement, ces besoins sont encore plus marqués donc rebelote : nous nous présentons comme une aide pour faire respecter ces règles sanitaires et nous avons eu beaucoup de demandes d’affiches, qui sont un produit ô combien standard dans l’imprimerie. Par ailleurs, aujourd’hui encore, nous assurons beaucoup de conditionnement et de livraison multi-sites. Cela va au-delà du produit imprimé, il nous a fallu intégrer un service habituellement assuré par des prestataires spécialisés, pour devenir nous-mêmes des logisticiens par défaut. Nous avons donc assuré des livraisons sur des centaines de sites en France : magasins franchisés, agences bancaires, mutuelles etc.

Cela a été possible malgré la réduction contrainte des effectifs ?

Oui, il a fallu que chacun sorte de sa zone de confort et fasse appel à la polyvalence et à la multi-compétence des équipes en place. C’est un effort que chacun a compris dans des circonstances à ce point exceptionnelles et les dirigeants n’y ont d’ailleurs pas coupé : quand il a fallu mettre des colis dans le coffre pour les livrer directement chez le client, tout le monde a participé. C’est là une autre forme de solidarité qui s’est manifestée.

Les dynamiques de reprise et de sortie de crise sont encore soumises à différentes hypothèses, mais comment les appréhendez-vous ?

On n’est pas sereins parce qu’on est tout simplement dépendants. On ne maîtrise pas les choses et c’est très inconfortable. On est en bout de chaîne et on a finalement peu de visibilité sur la demande à moyen terme. Quand on compare l’activité de l’entreprise à n-1 ou n-2 on a toujours une récurrence de certains dossiers qui nous permet d’anticiper, mais ce n’est même pas le cas ici, tant tout est chamboulé. Si je me réfère aux produits que l’on fabrique dans un cadre « ordinaire » à cette période de l’année, on sait que beaucoup de secteurs que j’ai déjà cités – tourisme, événementiel, culture etc. – sont quasiment à l’arrêt. On vit sans garantie. Ce qui est étrange, c’est qu’on a tous les jours des opportunités, c’est-à-dire des demandes conclues en commandes dans les 24 ou 48 heures, ou à l’inverse des dossiers que l’on pense matures mais auxquels les clients apposent de nouvelles modifications ou conditions. Même si c’est encore marginal, le déconfinement semble également débloquer des dossiers devisés avant la crise sanitaire, chose que nous n’espérions parfois plus. A ce stade, nous vivons dans des montagnes russes : les jours se suivent et ne se ressemblent pas forcément. Je peux multiplier les hypothèses, mais la réalité du terrain m’indique plutôt que l’activité est encore très irrégulière et donc difficile à lire…

Il a fallu que chacun sorte de sa zone de confort et fasse appel à la polyvalence et à la multi-compétence des équipes en place.

Une de ces hypothèses établit justement une forte reprise à la rentrée, avec (entre autres) un possible embouteillage événementiel et donc une charge globale de travail importante pour les Industries Graphiques. Est-ce que c’est un scénario que vous anticipez ?

On ne demande que ça. On est prêts ne serait-ce qu’à renouer avec notre rythme de production d’avant-crise. Le souci qui est le nôtre aujourd’hui, c’est que depuis le lundi 11 mai, on est officiellement « déconfinés », mais toujours en sous-effectifs, parce que le travail n’est pas encore revenu. On est donc en attente de souches de volumétrie pour remettre tout le monde au travail. Pour ce qui serait de gérer une forte reprise d’ici septembre, nous en avons donc largement sous le pied… Pour illustrer concrètement la chose : un de nos clients réguliers est un fabricant de camping-cars qui expose dans un salon à Düsseldorf en Allemagne tout début septembre. C’est un client que nous avons depuis de nombreuses années, nous lui imprimons différentes gammes de catalogues, le tout en plusieurs langues : c’est vraiment un gros dossier qui nous occupe habituellement beaucoup pendant le mois d’août. Aujourd’hui, quand on gère nos équipes et qu’on attribue les congés d’été, période pendant laquelle nous ne fermons pas, nous n’avons plus d’éléments suffisants pour anticiper et nous organiser au mieux. Ce client ne sait effectivement pas comment il va communiquer, si le salon où il se rend est bel et bien maintenu : combien d’exemplaires, quelle pagination, combien de versions etc. On est vraiment dans une situation où les incertitudes uns génèrent les incertitudes des autres, donc les nôtres également.

Que changera durablement cette crise selon vous dans nos métiers ?

Je ne m’avancerai pas sur l’avenir de l’imprimé en général, mais à mes yeux, le rapport qu’on entretient les uns avec les autres va se transformer. On est en train de prendre des habitudes. Beaucoup des clients qui sont les nôtres avaient déjà mis en place des process de télétravail, mais le confinement a été un phénomène accélérateur pour tous les autres. On s’est aperçu que cette manière de communiquer avait ses avantages, les réunions via les outils collaboratifs vont se démocratiser, d’autant qu’ils permettent de gagner du temps. Pour moi c’est une certitude : on ne se rencontrera plus uniquement comme avant. Ça n’a évidemment pas que des avantages, mais je crois que nous n’aurons pas vraiment le choix : les habitudes qui ont été prises auront des conséquences pérennes et il faudra s’adapter, ce qui suppose de s’équiper d’outils de communication numériques pour assurer des réunions à distance par exemple.

Dominique Schelcher : “Ce n’est pas notre vocation que d’aller faire imprimer nos supports en Allemagne ou en Belgique”

Les magasins Système U – un groupement coopératif qui figure au quatrième rang des distributeurs alimentaires en France – ont fait savoir, par la voix de leur Président, Dominique Schelcher, qu’ils rapatriaient l’impression de 350 millions de prospectus dans l’hexagone. Une décision forte qui intervient dans un moment particulier, où les questions relatives à la relocalisation et au soutien de l’économie sont particulièrement vives. Nous avons à ce titre voulu en savoir plus sur les motivations stratégiques de Système U, l’heure étant par ailleurs à questionner le bien-fondé de la communication publicitaire, sur fond de poussée verte…

La communication est en pleine transformation et chez certains agents économiques, y compris chez certains de vos concurrents, on s’interroge sur la substituabilité print/autres canaux. Au-delà de votre décision stratégique de relocaliser vos imprimés publicitaires (IP) dans une logique vertueuse de circuits courts, vous avez rappelé l’importance de l’imprimé publicitaire toute boites, à un moment ou un bruit de fond laisse entendre que les publicités incitatives conduisent à la société du gaspillage et de la surconsommation. Dans ce contexte, comment l’imprimé publicitaire, qui demeure un support du pouvoir d’achat, doit selon vous évoluer pour s’inscrire dans cette volonté de desserrer l’étreinte consumériste ?

L’imprimé publicitaire est un composant important de la communication promotionnelle des enseignes de distribution, mais en même temps il incarne pour certains l’image du gâchis et de la pollution générée par la société de consommation volumique. Les Magasins U sont conscients de cette situation et ont déjà travaillé avec leurs partenaires pour limiter l’impact de ce support : en utilisant du papier recyclé et recyclable, en privilégiant des encres plus respectueuses de l’environnement, mais également en travaillant à un « ciblage » des zones de distribution magasin par magasin. C’est  dans ce sens que doit évoluer l’imprimé publicitaire pour être en lien avec les évolutions qui traversent la société.

D’autres ne tiennent pas ce discours…

Vous pensez probablement à des enseignes telles que Monoprix… qui est un distributeur urbain. Or aujourd’hui, quand on vit en région parisienne par exemple, le prospectus n’obéit pas du tout aux mêmes logiques. Pour les enseignes généralistes telles que la nôtre, davantage implantées en zones rurales, le prospectus gardera une place importante. Il devra certainement en partie s’effacer pour laisser se développer d’autres formes de communication, mais il restera, à condition de se transformer : il devra apporter une plus-value par rapport à ce qu’il est encore aujourd’hui. Quand j’observe les prospectus que nous produisions il y a vingt-cinq ans, ils ont déjà sensiblement évolué. Ils évolueront certainement encore plus dans les années à venir. Il n’est pas question de se contenter de faire des maquettes statiques uniquement basées sur la juxtaposition de photos de produits avec des prix, le prospectus de demain n’aura pas cette seule identité.

Pour Dominique Schelcher, Président de Système U, “L’imprimé publicitaire toutes boites constitue encore la meilleure réponse à la demande de [ses] clients”. (DR)

Faire évoluer l’IP semble être dans votre ADN. Comment concrètement faire muter ce support vers un outil pédagogique portant sur l’origine et la traçabilité de vos produits ? Vers un support d’aide à la décision pour comparer votre offre à celle de vos concurrents ? Vers une hybridation de votre communication mariant le print et les autres canaux de vente ?

Tous ces sujets majeurs sont sur la table et vu la nécessité de prendre en compte l’expérience client, il nous faut travailler sur un nouveau parcours d’achat fondé sur l’attractivité, l’animation et la transparence.

Que pensez-vous des enseignes qui ont notamment mis en avant le fait que la consommation a repris suite au confinement, sans l’appui des imprimés publicitaires habituels ? Est-ce la preuve qu’il serait possible de s’en passer ?

C’est une contrevérité parce qu’il est hasardeux de tirer de telles conclusions générales, à une période qui redeviendra bientôt normale, d’une situation à ce point anormale. La vérité réclame comme souvent mesure et plus de finesse d’analyse. La consommation elle-même pendant la période de confinement n’avait plus rien à voir avec ce que nous connaissions, la composition des paniers moyens l’a largement illustré. Dans ce que j’appelle « une situation normale », le prospectus continue d’avoir pour nous une importance certaine. Ce que nous pouvons toutefois garder de cette période « d’anormalité », c’est que l’on va continuer à aller vers des campagnes qui seront plus pointues et mieux ciblées. Le prospectus doit trouver sa place à côté d’autres médias dotés chacun de leurs atouts : la télévision c’est l’image, la radio c’est la promotion et le prospectus c’est le trafic. Bien sûr, Internet est venu s’intercaler et c’est un mode de communication qui se développera, mais la réalité c’est qu’aujourd’hui encore 15 % des Français n’ont pas accès à Internet, c’est une fracture qui existe dans la société française.

L’imprimé publicitaire massifié va décroître oui, mais je suis encore incapable de dire quand et dans quelles proportions.

Est-ce quand même à dire que la haute volumétrie sera remise en cause à moyen terme ?

Aujourd’hui, il est difficile d’anticiper : l’imprimé publicitaire massifié va décroître oui, mais je suis encore incapable de dire quand et dans quelles proportions. Il faut rester relativement prudent : entre les déclarations du citoyen et le comportement du consommateur, il y a souvent une marge. Oui le prospectus est vu comme un polluant publicitaire pour beaucoup, mais ce sont parfois les mêmes qui l’utilisent, voire le réclament quand on ne le distribue plus. On nous dit souvent qu’il est nécessaire pour comparer les promotions entre différents magasins et faire ses choix. La question du pouvoir d’achat était déjà cruciale avant la crise sanitaire, elle va évidemment le rester voire s’amplifier, la crise économique qui se profile à la rentrée aura pour conséquence de renforcer l’offre de promotions et  l’imprimé publicitaire a un rôle prépondérant à jouer dans un tel contexte.

Au-delà du support, que pensez-vous des critiques à l’encontre des promotions ?

Le problème relatif aux promotions est là encore plus subtil que ce qu’on en dit : le débat devrait également se porter sur la notion de volume. Ne pas vendre les yaourts par 48 pour en avoir deux gratuits ! Il s’agit là effectivement d’une dérive, mais qui ne disqualifie pas en soi la légitimité des promotions quand elles n’incitent pas à la surconsommation, puisqu’elles permettent simplement d’optimiser ses dépenses. Je pense qu’il y a sur ce sujet une déconnexion majeure de certaines élites ou de certains décideurs : quoi qu’on en dise, ce ne sont évidemment pas des gens qui font leurs courses comme celles et ceux issus de foyers à revenus modestes. Il faut veiller à ne pas parler à la place des premiers intéressés, qui savent comment et pourquoi les promotions les aident. Bien sûr, l’idéal serait que tout le monde n’ait pas à se soucier outre mesure des promotions, mais ce n’est pas la réalité de la vie de beaucoup de nos clients. Et je pense qu’il faut les écouter, plutôt que de décider à leur place.

Le prospectus est vu comme un polluant publicitaire pour beaucoup, mais ce sont parfois les mêmes qui l’utilisent, voire le réclament quand on ne le distribue plus.

Dans le calcul de votre coût complet, vous intégrez évidemment le coût de l’écocontribution, qui pèse sur les metteurs sur le marché et qui n’existe pas sous cette forme en Europe…

C’est exact et tous nos choix doivent composer entre une rationalité économique qui est incontournable et une logique de proximité qui fait notre force. Ce n’est pas notre vocation profonde que d’aller faire imprimer nos supports en Allemagne ou en Belgique pour le plaisir. Mais la question qui se pose aujourd’hui est celle de la part de surcoût que nous pouvons intégrer pour rendre « supportables » ces relocalisations. Actuellement, les efforts des imprimeurs français sont incontestables et notre choix est fondé sur une option de soutien au secteur, mais le différentiel de coût existe encore, ce qui doit nous amener à entrer dans une démarche de progrès collective avec les imprimeurs, dans la durée. Cela étant, je ne nie pas non plus qu’il faille améliorer et optimiser des choses également chez nous, en interne, par exemple au sein des circuits de relecture, pour nous appuyer sur des processus plus efficaces et donc, moins coûteux.

Les efforts des imprimeurs français sont incontestables et notre choix est fondé sur une option de soutien au secteur, mais le différentiel de coût existe encore, ce qui doit nous amener à entrer dans une démarche de progrès collective.

À un moment où des expérimentations « Oui pub » décentralisées sur les boîtes aux lettres vont commencer dans certaines régions, imaginez-vous un jour basculer à l’IP adressé ?

Il s’agit là d’un imprimé intelligent, incontestablement, et en même temps d’une approche complètement différente. Nous avons déjà tenté des expériences analogues, notamment avec des cartes de fidélité et différents dispositifs qui nous permettent d’aller vers l’imprimé adressé/personnalisé, mais le surcoût est encore lourd. L’efficacité, via entre autres la possibilité du profilage et des offres différenciées, est incontestable, mais cela nécessite tellement d’ingénierie liée à la gestion de la data, que ce n’est pas encore pour nous le support le plus pertinent en termes de ROI. Ça le deviendra un jour, mais j’insiste encore une fois sur les réalités du présent : l’imprimé publicitaire toutes boites constitue encore la meilleure réponse à la demande de nos clients, tout en étant pour nous le meilleur outil pour générer du trafic en magasin. Et il faudra sans doute du temps avant que cela puisse changer…

L’UNIIC interpelle les professionnels du marketing et de la communication dans une lettre ouverte

Via une lettre ouverte cosignée UNIIC/IDEP publiée à la fois dans un numéro de Stratégies paru le 20 mai dernier (un numéro consacré « à la relance et au monde d’après »), ainsi que dans le mensuel « Lyon Capitale », Benoît Duquesne, Président de l’UNIIC, détermine les axes par lesquels les Industries Graphiques tâcheront, une nouvelle fois, de se réinventer. L’occasion d’annoncer notamment la création de comités de filière régionaux (avec des professionnels de la communication, du marketing, de la Presse et de l’impression) et le déploiement de diagnostics territoriaux pour un objectif clair : développer une communication de proximité, appuyée par des liens collectifs et intersectoriels forts, avec le soutien des collectivités…

Lire la Lettre signée Benoît Duquesne